logoCollectif de Recherche International et de Débat sur la Guerre de 1914-1918

Séquence complète: la Grande Guerre (Troisième/Première), par Benoist Couliou

Articles récents :

Prisons et prisonniers militaires, par Valériane Milloz


RSS Actualités :

 

RSS Dernières recensions:

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La Première Guerre mondiale et ses conséquences est la leçon qui ouvre le programme de la classe de troisième en histoire-géographie. D’après les instructions officielles, l’enseignant ne dispose que de 4 à 5 heures pour réaliser cette étude, évaluation comprise. Ce qui implique, face à la complexité des événements à étudier, de faire des choix dans l’orientation des problématiques retenues, tout en évitant les simplifications abusives.
    Ce n’est pas à proprement parler un cours que je propose dans les pages suivantes, mais plutôt des pistes de réflexion, des exemples de problématiques et de documents, plus ou moins originaux, susceptibles d’être utilisés pour ce chapitre. En gardant à l’esprit qu’une telle présentation ne prétend pas à l’exhaustivité, que le débat reste ouvert, et que vos remarques, propositions, apports... sont les bienvenus, par exemple par le bais du forum de ce site.

En introduction, on peut par exemple demander aux élèves pourquoi les historiens font débuter le XXe siècle en 1914. Si la Première Guerre mondiale est un événement fondateur, s’il marque une vraie rupture, l’un des objectifs du cours sera alors de montrer pourquoi le monde sort transformé de la première guerre de l’ère moderne.
    Une présentation des conditions dans lesquelles l’Europe entre en guerre semble nécessaire. Elle peut se faire sous forme de récit, la trace écrit étant par exemple un tableau reprenant les principaux éléments.
    Deux questions peuvent orienter cette présentation :

Quels systèmes d’alliance divisent l’Europe en 1914, et de quelles rivalités témoignent-ils ?

Pourquoi le déclenchement de la guerre a-t-il surpris les contemporains ?

La présentation de la Triple Alliance et de la Triple Entente permet d’évoquer les divisions de l’Europe, qui témoignent de rivalités économiques et coloniales fortes. On peut en profiter pour glisser deux mots sur les conditions de formation de ces alliances, en faisant des rappels sur l’isolement de la France après le Traité de Francfort, la montée en puissance de l’Allemagne. Et terminer sur l’équilibre très précaire que ce système impose à l’Europe.

La guerre a surpris les Européens, dirigeants compris. Pourtant, les dépenses militaires des principales puissances européennes n’avaient cessé d’augmenter avant 1914 et, par exemple, la presse française répétait le caractère inévitable d’un conflit à venir contre l’Allemagne. Mais, en 1906, en 1911, les tensions franco-allemandes autour de questions coloniales n’avaient pas débouché sur un conflit armé. Alors, pourquoi une guerre en 1914 ? L’assassinat de François-Ferdinand inquiète, mais l’on se persuade qu’il n’ouvre qu’une crise balkanique de plus, qui au pire débouchera sur un conflit limité à cette région. On peut alors conclure sur l’évocation d’un enchaînement de décisions (ultimatum autrichien à la Serbie, jeu des alliances...), qui fait naître chez de nombreux acteurs de la crise un sentiment de fatalité. A tel point que la plupart diront ne pas avoir voulu déclencher « cette guerre tragique et inutile », selon l’historien John Keegan.


Comment aborder la présentation des principales phases de la guerre ? Le recours à la carte est bien sûr indispensable, mais, pour éviter de poursuivre sur un mode magistral, on peut essayer de ne pas commencer directement par le récit d’une succession de phases, que l’élève aura sans doute du mal à lier entre elles. On peut plutôt envisager, soit de construire cette carte au fur et à mesure de la progression (si on adopte un plan expressément chronologique), soit la lier à l’étude du vécu des combattants, qui, entre la guerre de mouvements et la guerre de siège, est dépendant des principales évolutions de la situation militaire. Une telle démarche permet d’échapper au caractère abstrait du simple commentaire de carte, et de placer dès le départ les combattants au centre de la réflexion. Ce qui n’est pas forcément un acte militant, mais le résultat d’un constat. En 2005, les élèves de l’Académie de Toulouse se voyaient proposer comme sujet au brevet : Pourquoi la guerre de 1914-1918 a-t-elle été une guerre totale ? Or, la majorité des copies que j’ai corrigées  traitaient à peine le sort des combattants, pour se concentrer presque uniquement sur la mobilisation de l’arrière. Si la problématique de la guerre totale s’avère très efficace pour construire une compréhension du conflit avec les élèves, elle les amène peut-être, de manière paradoxale, à passer sous silence les souffrances endurées par les soldats, au profit d’une présentation de la mobilisation de l’économie et des esprits.

                On peut donc, à la suite de l’introduction, débuter par cet élément fort que représente la problématique de la guerre totale, avant de commencer directement sur le vécu des combattants – et ses évolutions – durant le conflit.


  Les souffrances endurées par les combattants

    On peut commencer par une étude des conditions de la mobilisation ; en s’appuyant sur les images de la Chambre des officiers (voir filmographie sur ce site) et sur un extrait du témoignage de Jean Galtier-Boissière (voir document 1), en construisant avec les élèves la problématique de l’opposition guerre imaginée – guerre réelle. On peut aussi montrer, à travers l’image d’un wagon au départ de l’Allemagne (voir document 2, et image n°1), que ces illusions étaient partagées par l’ensemble des belligérants. On peut aussi, de manière plus originale, s’appuyer sur le moyen-métrage d’animation britannique La Guerre n’est pas un jeu  (2001, 30 min.) On y découvre de jeunes anglais, volontaires enthousiastes pour partir au combat, et qui découvrent les dures réalités du front. Avant de participer aux épisodes de fraternisations de Noël 1914, symbolisés par une partie de football.

    L’analyse des nouvelles conditions de la guerre moderne, imposées notamment par la puissance inédite du feu, permet de construire avec les élèves la carte des premières phases de la guerre (offensives allemandes et françaises, la Marne, enterrement dans les tranchées, la Course à la mer, et la fixation du front entre la Mer du Nord et la Suisse à l’automne 1914).

  • Dans un second temps, on aborde les souffrances rencontrées par les combattants dans la guerre de tranchées. Ici, s’appuyer sur les nombreux témoignages (voir document 3), publiés ou inédits, est très profitable. Plus que le commentaire « technique » de l’organisation des tranchées, le recours aux mots des combattants permet de traiter plusieurs aspects :

-          ce qui frappe énormément les élèves : les rats, les poux, l’omniprésence de la mort

-          les bombardements, le poids des éléments naturels (pluie, boue, froid, chaleur)

-          La présentation de ces points permet d’aborder l’entrée dans une guerre de siège, donc d’usure. Les attaques de 1915, la bataille de Verdun (qui incarne de manière symbolique les souffrances endurées par les combattants), ou encore l’offensive de la Somme sont alors précisées sur la carte.

  On peut également aborder cette question des souffrances des combattants, sous l’angle de la confrontation entre le témoignage et la production historique. Le document 4 propose une fiche de travail qui s’appuie sur la séquence introductive du film Un long dimanche de fiançailles. Au-delà des réserves que l’on peut faire sur le film (c’est par exemple le cas d’André Bach qui, sur le forum du CRID 14-18, considère qu’il donne une image fausse de la guerre), on peut utiliser son prologue pour aborder avec les élèves la pluie, les destructions, les violences subies lors des attaques... tout en remettant à sa juste place le phénomène des mutilations volontaires. Le recours à l’image, et à un film dont les élèves ont entendu parler, permet de jouer sur leurs centres d’intérêts. La confrontation au témoignage de Victorin Bès permet enfin de poser la question de la transmission de l’expérience combattante, à travers celle du témoignage, et de son utilisation par un réalisateur comme Jeunet.

  • Par choix, la notion de brutalisation n’est pas utilisée avec les élèves. A nos yeux, le caractère opératoire de ce concept fait pour le moins débat (voir le répertoire critique des concepts). L’idée d’une translation de la violence des tranchées vers le champ social dans les années 1920 et 1930, n’a été mise en avant par le créateur du concept, George Mosse, que pour le champ restreint de l’extrême - droite allemande. L’appliquer à l’ensemble des sociétés européennes apparaît, pour l’instant, comme une simplification abusive. Il en va de même de la notion de culture de guerre. Les familiers des témoignages de simples combattants savent par exemple qu’on n’y trouve que de manière exceptionnelle les mentions explicites d’une haine de l’ennemi, ou dans des cas bien circonstanciés (mort d’un camarade par exemple). De même, la portée eschatologique de la guerre est absente de la plupart des carnets ou correspondances. Car, comme le démontre bien François Cochet dans un ouvrage récent (1914-1918. Survivre au front. Les poilus entre contrainte et consentement, voir bibliographie de ce site), les éléments constitutifs de la culture de guerre s’appliquent bien plus au monde de l’arrière qu’à celui des combattants. Ce monde de l’arrière que l’on va aborder dans la seconde partie de la leçon.

  • En guise de liaison, on peut présenter aux élèves l’importance, pour les combattants, du lien avec l’arrière, symbolisé par l’attachement à la correspondance (voir la lettre inédite de Louis Vieu,  document 5, ou la celle de Jean Maynadier, document 6) importance dont témoigne les millions de lettres échangées chaque jour. On peut d’ailleurs demander aux élèves d’amener en classe ces lettres et cartes que les familles ont souvent conservé, ce qui permet une confrontation fructueuse à la mémoire familiale.


La mobilisation des populations civiles

  • La prolongation imprévue des hostilités implique une attention nouvelle des pouvoirs publics sur ce qui devient, pour chaque belligérant, un enjeu : le contrôle de l’opinion, pour évaluer et au besoin soutenir le moral des populations. Cette partie s’articule autour des notions de censure et de propagande. Deux documents, inédits, permettent de traiter la problématique de la mobilisation de l’opinion : une lettre d’un combattant qui permet aux élèves de découvrir eux-mêmes ce mécanisme de la censure (document 6 , passage souligné), et le rapport rédigé par des gendarmes d’un village du Tarn (document 7), qui montre l’inquiétude des autorités face à un récit fidèle de ce qui se passe au front, que l’on classe pourtant dans la catégorie des propos séditieux. Ce récit peut alors être mis en perspective avec quelques célèbres extraits de journaux :

-          « Le fait est que certains abris de Verdun étaient relativement confortable : chauffage central et électricité, s’il vous plaît, et que l’on ne s’y ennuyait pas trop » (Le Petit Journal, 1er mars 1916)

-          « A part cinq minutes par mois, le danger est très minime, même dans les situations critiques. Je ne sais comment je me passerai de cette vie lorsque la guerre sera finie » (Témoignage publié par Le Petit Parisien, 22 mai 1915)

Ces deux courts extraits permettent de présenter la notion de « bourrage de crâne », et d’expliquer en quelques mots l’ambivalence des populations face à une telle désinformation, lorsque besoin de savoir et besoin de croire s’opposent.

  • Si les pouvoirs publics s’intéressent ainsi, de très près, au moral des populations, c’est aussi parce que les conditions de vie des civils sont très difficiles durant la guerre. Pénuries, réquisitions dans les régions occupées... autant de thèmes que l’on peut aborder, par exemple à travers un extrait du journal d’Yves Congar, tenu par un enfant dans la ville de Sedan occupée par les Allemands (L’Enfant Yves Congar. Journal de la Guerre 1914-1918, Paris, Éditions du Cerf, 1997), ou, pour évoquer la situation des empires centraux, par le récit d’un civil allemand ou autrichien.   

  • La mobilisation économique concerne l’ensemble des civils. L’entrée en guerre en plein été implique d’abord une gigantesque redistribution du travail. L’image des enfants, des femmes et des personnes âgées occupées au travail des champs demeure frappante. Comme celle des munitionnettes, que reprend chaque manuel, et qui demeure un des symboles des efforts demandés aux populations civiles. Cette  mobilisation concerne aussi les industriels. Pour traiter ce point, on peut, de manière complémentaire utiliser deux documents :

-          un tableau de l’évolution de la production des usines Renault entre 1914 et 1918, qui montre comment l’armée devient le principal, voir unique client de Renault durant la guerre, et comment la production évolue vers les obus et les chars (document 8). Pour approfondir sur l'étude des profits de guerre on peut se reporter au texte de François Bouloc présentant sa thèse.

-          Une affiche publicitaire pour les usines André Citroën, dont l’effort de guerre s’inscrit dans toute une propagande pour la victoire des alliés (voir le manuel Bréal 3ème, p.26).

Ces deux documents permettent d’introduire la notion de première guerre industrielle, qui est bien entendu l’une des données essentielles de la guerre totale (en Allemagne, en 1916, les usines Krupp sortent 9 millions d’obus et 3000 canons par mois de leurs chaînes de montage)

 

1917, l’année tournant de la guerre

  • Pourquoi porter l’attention ainsi sur une année du conflit ? Et pourquoi 1917, et pas 1915 ou 1918 ? Ce choix s’explique par le caractère charnière des événements qui se déroulent alors. Il permet d’aborder  la Révolution russe, que l’on se propose de mettre en perspective (même si ce choix est discutable) avec le mouvement de mutineries qui touche l’armée française, suite à l’échec de l’offensive Nivelle du 16 avril. La problématique retenue est ici de chercher à savoir ce qui distingue les situations française et russe. Intégrer à ce moment du cours la Révolution russe vise notamment à ne pas  reléguer son étude au terme de la leçon, ce qui peut faire naître l’idée qu’elle ne serait qu’une conséquence de la guerre, ou pis, un épiphénomène du conflit. Or, à nos yeux, les événements, majeurs et structurants pour l’histoire du XXème  siècle, que constituent les révolutions de février et de novembre méritent d’être traitées dans leur contexte (les difficultés économiques liées à la guerre, et les échecs répétés de l’armée russe) mais également d’être inscrits dans des origines qui remontent au siècle précédent. L’approche comparative, même limitée, permet de plus de présenter les différences d’évolutions de deux pays, différences qui s’inscrivent dans une longue durée historique.

  • Une fois présentée les conditions dans lesquelles se déroulent les bouleversements politiques en Russie, la lassitude générale qui gagne les populations des pays belligérants est étudiée à partir de l’exemple français. Aux grèves qui traversent les milieux ouvriers répond la « grève des tranchées » (Denis Rolland), cet épisode des mutineries dont on explique les grandes lignes aux élèves. On insiste sur l’échec de l’offensive du Chemin des Dames (voir sur ce site le livret pédagogique réalisé par André Loez pour des élèves de première). Et l’on étudie cet épisode à travers les paroles de la Chanson de Craonne, que les élèves écoutent dans le version de Maxime le Forestier (voir document 9). On place alors l’offensive du Chemin des Dames sur la carte des grandes phases de la guerre.

  • La comparaison entre les situations française et russe permet, sans rentrer dans les détails, d’aborder la question du soutien des combattants français au régime de la IIIème République. Les mutins ne sont pas des révolutionnaires. Ils souhaitent continuer la guerre, et comme l’a bien montré l’historien Leonard Smith, se comportent bien plus comme des citoyens sous les armes (envoi de lettres à leurs députés, réflexe de grévistes...)

Finir la guerre

 

  • La dernière leçon débute sur un récit des événements militaires qui marquent l’année 1918. La reprise de la guerre de mouvements, la poussée allemande, l’aide des soldats américains, et les difficultés internes de l’Allemagne (on parle alors du blocus allié et de ses conséquences) permettent de déboucher assez rapidement sur l’armistice du 11 novembre 1918. On place ces derniers éléments sur la carte des grandes phases de la guerre.

  • Mais si les combats cessent en novembre, la guerre n’est pas pour autant terminée. Il faut organiser le retour des millions d’hommes mobilisés, revenir progressivement à une économie de temps de paix, et surtout s’efforcer de panser les plaies de cinq années de combats. Les images de destructions permettent de montrer que la guerre a marqué – et pour longtemps – de son emprunte les paysages. Le traumatisme moral est étudié à partir du tableau des victimes, et de manière plus originale, à partir d’une scène du film La Chambre des officiers (voir filmographie sur ce site).  Le héros rentre chez lui, après cinq ans d’hôpital, défiguré. Sa mère fuit, ne pouvant supporter son nouveau visage. Ces deux minutes de film permettent de montrer la difficulté de reprendre une vie normale, après les conditions exceptionnelles vécues durant la guerre. « Gueules cassées » et destructions des villes deviennent les symboles d’une inscription de la guerre dans la longue durée, sur les corps et dans les paysages.

  • Le Traité de Versailles peut être abordé sous l’angle : « après avoir remporté la victoire, va-t-on réussir la paix ? ». L’examen des articles rendant seule responsable l’Allemagne du conflit appelle, sans exagérer le thème du « coup de poignard dans le dos », une référence ultérieure : la manière dont les nazis feront de la critique du traité l’un des éléments centraux de leur propagande. La paix décidée à Versailles est bien une paix des vainqueurs, qui hypothèque les perspectives de paix pour le continent européen.

  • Mais l’Allemagne n’est pas le seul pays à sortir affaibli de la guerre. Les troubles sociaux et la vague révolutionnaire touchent l’ensemble de l’Europe (commentaire de la carte du manuel) – y compris les pays vainqueurs - dans l’immédiat après-guerre. L’Europe est devenue la  « vieille Europe ». Cette guerre, née de la rivalité des principales puissances de l’époque, les laisse donc affaiblies sur la scène internationale, appauvries (on peut donner les chiffres de la dette publique, multipliée par 12 au Royaume-Uni, par 40 en Allemagne), et en proie aux menaces d’explosions sociales. Les Etats-Unis incarnent désormais la puissance d’avenir, alors que les populations sont rentrées de manière brutale dans la modernité. En ce sens, toute une époque, celle que les élèves ont étudié à la fin de la 4ème, s’est bien achevée à l’été 1914.

Imprimer Version imprimable