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Journées de Craonne, 10-11-12 novembre 2006 

                Du 10 au 12 novembre, la mairie de Craonne accueillait un ensemble de manifestations qui, pour porter sur des thèmes différents, ont toutes témoigné, par la qualité des interventions et par la présence d’un public nombreux, de la grande actualité des la Première Guerre mondiale dans le champ des savoirs.

                A l’initiative d’Emmanuelle Picard, la journée du vendredi était consacrée à la question des archives de la Première Guerre mondiale. En présence de directeurs des archives de plusieurs départements (Meuse, Marne, Haut-Rhin), ainsi que d’archivistes belges, canadien et luxembourgeois, la journée a permis un dialogue fertile entre historiens et conservateurs, tout en posant les bases d’un projet collectif très prometteur : celui de réaliser un guide des archives de la Première Guerre mondiale. Ce qui, au vu de l’ampleur de la documentation, formerait un outil majeur pour faciliter les recherches sur ce conflit.

                En partenariat avec la BDIC, le CRID 14-18 organisait le samedi une journée d’études intitulée « Questions à la photographie en 1914-1918 ». Occasion d’interroger les pratiques historiennes autour d’une source passionnante, qui semblent, malgré de nombreux travaux, chercher encore sa place dans le cadre de l’écriture de l’histoire. Or, cette question se pose avec acuité pour la période 1914-1918, alors que sortent des greniers ou des dépôts d’archives de nombreuses photographies, qui sont autant d’occasions de publications, chacune se présentant comme une manière « nouvelle » de raconter la guerre. D’où la nécessité de mener une réflexion épistémologique sur la place de la photographie dans la production des discours historiques. Les nombreuses interventions ont toutes posée, selon des orientations différentes, la question des apports possibles de cette source, mais aussi des limites de son utilisation.

Frédéric Rousseau a ouvert la réflexion en montrant comment la célèbre photographie de l’enfant du ghetto de Varsovie, bras levé et regard inquiet, avait fait l’objet d’interprétations, et donc d’utilisations différentes depuis le Deuxième Guerre mondiale. Il existe donc une histoire de la réceptions des clichés, l’époque façonnant le regard de celui qui les découvre. Cette histoire de la réception, Jean-Louis Robert invite à l’intégrer aux interrogations préalables que l’historien utilisateur de la photographie doit impérativement mener. L’histoire par la photographie ne peut se réaliser qu’à l’interface de réflexions sur la technique et l’esthétique, qui doivent précéder une véritable histoire culturelle de la photographie, invitant à s’interroger sur l’auteur, son sujet, le public visé.... Pour Jean-Louis Robert, les historiens sont encore trop dépendants de ce qu’on pourrait appeler le hors-cadre (notamment la légende qui accompagne l’image), et peinent à trouver les outils d’appréhension des significations de la photographie, par et en elle-même. L’historien Clément Chéroux nous offre de nombreux éléments pour comprendre et tenter de dépasser cette difficulté. Les épreuves ont une valeur historique double, car elles enregistrent et produisent de l’histoire, elles nous confronte donc à la fois à une production et à une reproduction. Un cliché du Général de Gaulle en visite dans une ville fournit l’occasion d’un constat : chaque détail de l’image peut faire l’objet d’une analyse, donner naissance à une histoire. Cette profusion de significations nous montre que la photographie « épuise » le réel, ce qui constitue peut-être l’un des aspects du problème théorique qu’elle pose à l’histoire. S’inspirant des analyses de Roland Barthes ( lire son remarquable essai La Chambre claire), Clément Chéroux explique que cette source pose essentiellement aux historiens la question de la référentialité. Pour Barthes, une  photo-choc - comme celle des corps détruits par les obus - est par nature insignifiante. C’est une image sans valeur, sans savoir, le type-même de la photographie qui n’a rien à dire. Elle remettrait donc en cause le discours de l’histoire en lui-même, où prime la toute-puissance du référent. Face à la photographie, l’historien se trouve donc démuni, lui qui cherche à extraire la valeur-savoir de ces inscriptions du passé que constituent les documents qu’il convoque. Pour dépasser cette forme d’impasse et saisir le document photographique dans sa totalité, il convient de travailler sur ce que Clément Chéroux appelle le système photographique, pour ne pas rester prisonnier de la force de signifiance de l’image, et l’insérer dans une démarche plus large, intégrant, comme y invitait Jean-Louis Robert, les recherches sur le dispositif technique, l’auteur, l’éditeur, ou encore le référent du cliché.

Les interventions de François Cochet sur la ville de Reims (dont la capture par l’image a participé à l’élaboration d’un discours sur le martyre subi par la communauté rémoise), ou celles de Bill Rawing sur l’armée Canadienne, de Luigi Tomassini sur le cas italien, et de Denis Roland sur André Vergnol, photographe des armées, ont toutes fait écho aux réflexions développées précédemment. Leurs études de cas ont chacune montré tout l’intérêt et la difficulté de l’utilisation de la photographie par l’historien. François Cochet a en outre rappelé de manière forte comment la production de clichés par le Service Photographique de l’Armée était encadrée, participant d’une propagande organisée : ses photographes fixaient avant tout sur le papier ce qu’on leur demandait de saisir. Alexandre Lafon a posé les bases d’une réflexion saluée par Nicolas Offenstadt comme la promesse d’une véritable étude anthropologique de la vie dans les tranchées, en abordant la camaraderie du front à travers ses représentations photographiques.

Enfin, il faut remercier Thérèse Blondet-Bisch, Irène Paillard et Geneviève Dreyfus-Armand, pour être venues rappeler la richesse du fonds photographique de la BDIC, et inviter les chercheurs à venir se nourrir de la confrontation aux milliers de clichés du fonds Valois, ou des albums personnels qu’elles conservent.

Dans le même temps, de nombreux membres du CRID 14-18, dont Emmanuelle Picard, Julien Mary, André Loez ou Marie Llosa assistaient, sur le plateau de Californie, à la cérémonie organisée pour la réérection du monument d’Haïm Kern, Ils n’ont pas choisi leur sépulture, mise à terre et dégradé il y a peu (photo ci-dessus). A cette occasion, Madame le Préfet de l’Aisne a prononcé un discours remarqué (photo ci-dessous).

Le soir, l’Eglise de Craonne se transformait en cinéma pour la projection du très beau film de Gabriel le Bomin, Les Fragments d’Antonin (voir l’interview du réalisateur). Les spectateurs ont pu découvrir que les blessures dues à la guerre pouvaient aussi être intérieures, alors que le regard très documentée de le Bomin nous donnait à voir les balbutiements de la psychiatrie militaire naissante. Le film a été suivi d’un débat animé par Nicolas Offenstadt.

Le dimanche 12 novembre s’ouvrait la désormais traditionnelle journée du livre 1914-1918 de Craonne. Le Canada fut à l’honneur la matin, avec la présentation des ouvrages publiés par la maison d’éditions québécoise Athéna. Sa directrice, Andrée Laprise, a commencé par raconter les difficultés rencontrées pour éditer des ouvrages d’histoire militaire dans son pays, difficultés qui n’entament en rien sa détermination, partagée par Pierre Lhotelin. Editer ces ouvrages, de grande qualité, nécessite une forme de passion, et l’on ne peut que saluer la volonté des éditions d’Athéna de la faire vivre au quotidien.

Le propos fut varié. Bill Rawling a parlé de ses ouvrages sur la guerre technologique en 1914-1918. L’archiviste Marcelle Cinq-Mars nous a fait découvrir le témoignage d’un officier québécois. Cédric Marty a présenté de manière très complète l’ouvrage de Desmond Morton, Billet pour le front. Une histoire sociale des volontaires canadiens, rappelant tout l’intérêt (et pourquoi ne pas l’écrire, le caractère indispensable) des études intégrant les acquis et les méthodologies de l’histoire sociale. C’est d’ailleurs le principal reproche que l’on pourrait adresser au beau livre de Jonathan Vance, Mourir en héros. Mémoire et mythe de la Première Guerre mondiale. Brillant essai d’histoire culturelle, qui nous raconte comment l’élaboration d’un véritable mythe a confisqué la mémoire canadienne de la guerre, l’analyse passe malheureusement sous silence les conditions sociales de production et de réception de ce mythe. Pour clore cette matinée, André Bach et Christian Chevandier ont relevé, sur les thèmes de la justice militaire et du parcours des infirmières canadiennes en guerre, tout le courage de publier ces travaux d’une richesse réelle que constituent les mémoires de maîtrise et qui, en dépit d’approximations ou d’erreurs minimes liées à leur statut de première recherche, sont à même d’enrichir la connaissance du conflit.

L’après-midi, place à l’actualité la plus récente de la production historique. Double actualité pour Frédéric Rousseau, qui a évoqué les rééditions remarquées de Témoins de Jean Norton Cru, et de la correspondance d’Henri Barbusse avec sa femme. Fabrice Pappola nous a fait découvrir le sergent Arnaud Pomiro, dont l’édition des carnets dans la nouvelle collection « Témoignages pour l’histoire » des éditions Privat, offre un regard riche sur un événement peu appréhendé par les récits de combattants, à savoir l’expédition des Dardanelles. Rémy Cazals a introduit le beau volume Paroles de paix en temps de guerre, qui compile les actes du colloque organisé à Carcassonne au mois d’avril dernier. Comme celui consacré aux prisonniers de guerre ou à l’idée de défaite, tout l’intérêt de ce colloque résidait dans la confrontation de communications offertes par des historiens des quatre périodes historiques. Quatre interventions portaient spécifiquement sur la Grande Guerre, celles de Mona Siegel, Rémy Cazals, Philippe Olivera et Christian Scharnefski.  Deux autres membres du CRID 14-18, Olaf Müller et Denis Rolland, ont présenté leurs derniers ouvrages, alors que Pierre Schoentjes, de l’Université de Gand, rappelait toute la richesse de l’oeuvre de Max Deauville, à (re)découvrir grâce à la réédition partielle qu’il en donne chez Labor, sous le titre La Boue des Flandres et autres récits de la Grande Guerre.

Au-delà de l’intérêt scientifique présenté par ces trois journées de travail, il convient de saluer l’ambiance chaleureuse de ce week-end. Tout le village s’est une fois de plus démené pour accueillir les participants et le public. Le CRID 14-18 ne saurait trop remercier Noël Genteur, maire de Craonne, pour son engagement et sa participation à la réussite de ces manifestations.  Rendez-vous est bien sûr pris pour l’année prochaine, pour une autre séquence de travail et de rencontres autour de la Première Guerre mondiale avec notamment le colloque Obéir/Désobéir. Les mutineries de 1917 en perspective.

Pour le CRID 14-18, Benoist Couliou

    


 




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