Les Fragments d'Antonin, film de Gabriel Le Bomin (2006), sortie en DVD en septembre 2008 (Mk2), comprenant dans les suppléments des entretiens avec le psychiatre des névroses de guerre Louis Crocq et l'historien Nicolas Offenstadt. Ci-dessous, les réponses de G. Le Bomin aux questions de N. Offenstadt à l'occasion de la sortie du film en 2006.
D'où vient votre intérêt pour la Grande Guerre ?
J’ai eu la chance de travailler sur le fonds iconographique de l’Ecpad très riche sur cette période. En approfondissant mes recherches, j’ai accédé à des travaux d’historiens passionnants et à des histoires humaines très denses, très fortes. Comme beaucoup de personnes, je trouve cette période incroyablement riche, si proche d’un point de vue des générations et si lointaine déjà pour ce qui est des mentalités.
Comment prépare-t-on, du point de vue du contenu, un film sur la Grande Guerre ? Que lit-on ? Que voit-on etc.?
Avec le chef opérateur et le chef décorateur, nous avons travaillé sur des images de cette période (film et photo) mais aussi sur des photos-reportages contemporains pour ce qui est de la forme.
Pour le fond, notamment pour le thème principal du film, j’ai travaillé avec des psychiatres militaires du Val-de-Grâce et me suis appuyé sur les travaux écrits du professeur Crocq (« les traumatismes psychiques de guerre » ed. Odile Jacob)
Pour ce qui est des autres thèmes j’ai découvert les travaux de jeunes historiens qui apportent un regard singulier et passionnant sur la période
Quelle place donnez-vous au réalisme dans votre projet ?
Dans un film de cinéma, et a fortiori dans un film historique, le réalisme doit être la préoccupation principale. Il faut rendre vivantes des choses que l’on filme et qui sont par nature artificielles (décors, costumes, accessoires...) Mais il faut s’appuyer sur le réalisme pour le dépasser et réussir à créer une réalité propre au film, lui donner sur des bases vraies une identité singulière et vraisemblable.
Pour ce qui est du fond, c’est à dire du scénario, le travail d’écriture s’appuie sur une réalité historique incontestable.
Les séquences que le film met en scène (triage, exécution, soins des blessés psychiques…) ont été construites à partir d’une documentation historique puis d’un travail de « mise en fiction » afin d’incarner les faits, de les faire vivre par des personnages et réussir à éloigner le film du principe documentaire.
Pourquoi ce thème du traumatisme psychologique ?
J’ai découvert totalement ce sujet en 1997 lors de la réalisation d’une série documentaire pour le musée du service des armées au Val-de-Grâce.
J’ai été particulièrement sensible aux images que je découvrais dans les archives et dont une infime partie compose le générique du film.
Elles ont été tournées durant le conflit ou juste après et nous montrent de façon froide et scientifique les dégâts de la guerre sur les âmes. Des hommes qui tremblent, au regard halluciné, d’autres dans des états de sidération, d’abattement.
On ne peut que s’interroger sur le « hors-champ » de ces images. Qu’ont-ils fait ? Qu’ont-ils vu pour que leur esprit ne puisse pas revenir dans le temps de la paix ?
Je trouvais aussi que ce thème était abordable dans tous les conflits jusqu’aux plus actuels et que le film pouvait se détacher de la guerre de 14 et trouver une thématique plus large.
Pourquoi avoir choisi un soldat colombophile ? Comment avez-vous travaillé tout l’aspect colombophile du film?
Je me souviens d’une lecture qui m’apprenait qu’en 1914, l’armée française ne possédait que 50 postes radio et avait en revanche réquisitionné plus de 300 000 pigeons voyageurs. Je trouvais cela révélateur de cette société, encore ancrée dans le XIXe siècle et qui a une vision surréaliste de la guerre à venir.
Cette fonction de colombophile est aussi riche de symbole, de poésie et de façon très pragmatique pour le scénario elle permet au personnage de se déplacer au gré de ces missions ce qui facilite la construction.
Pourquoi tant de scènes sur les aspects les plus terribles de la guerre (sélection des blessés, exécution, exécution sommaire) ?
Le film évoque les épisodes, les rencontres qu’Antonin, jeune instituteur, patriote et désireux d’en découdre, va connaître au cours de son itinérance sur le front. Ce qu’il découvre et que nous montrons sont des évènements inconcevable pour lui. L’ami, le camarade de tranchée qui tombe sous les balles de son lieutenant, le médecin ne pouvant pas sauver tout le monde, l’allemand qui s’avère être son « double »…
Ce que je trouvais intéressant s’était de montrer les paradoxes que la situation de guerre engendre alors que sur le papier tout devrait être simple. D’un côté les bons de l’autre les méchants.
C’est cette accumulation de situations tendues et paradoxales qui amènent Antonin vers le point de rupture émotionnel.
Les Allemands apparaissent surtout sous forme de marginaux, pourquoi ?
C’est très étonnant, je n’en avais vraiment pas pris conscience. Je n’ai aucune explication. Votre remarque est très juste à la différence d’une scène d’attaque au corps à corps dans la tranchée où les allemands sont des soldats tout à fait « réguliers ».
Avez-vous d’autres projets autour de 14/18 ?
J’ai tourné en 2001 un court métrage (« Le puits ») qui évoquait une fraternisation [inclus dans le DVD de 2008]. Puis sont venus les « Fragments d’Antonin » et entre les deux une série pour France 5 intitulé « histoire de l’armée française » qui, bien sûr, aborde la Grande Guerre. Même si la période est riche d’histoire, mon désir m’amène à explorer d’autres univers.