- GABARD Ernest, Carnet de guerre, Aquarelles, novembre 1915 – avril 1916, Pau, CDDP des Pyrénées Atlantiques, 1995, 60 p. ISBN 2-903736-04-9
- MAIRE Marcel, Sac au dos, Chroniques de guerre 1914-1918, Sainte-Croix (Suisse), Les Presses du Belvédère, 2006, 235 p. ISBN 288419088-0
- PERROUD Marius, Mes mémoires de la guerre 1914-1918, 2006, édité par P. Perroud, 1352 route de Bellecombette, 73000 Jacob-Bellecombette.
Ernest Gabard (1879-1957) était sculpteur à Pau (Basses-Pyrénées, aujourd’hui Pyrénées Atlantiques). Sergent au 270 e RI, il avait sur lui un petit carnet (format 18x14), support de 42 aquarelles qui donnent à voir les tranchées, les sapes et les abris, les bombardements, la protection contre les gaz, le cantonnement et les loisirs, les blessés et les postes de secours, l’appel après une attaque. En Argonne, entre Sainte-Ménehould et Verdun (carte de localisation, p. 51). Après la guerre, de retour dans le Sud-Ouest, il réalise une quinzaine de monuments aux morts qui, d’après les éditeurs du livre, participent « de la réprobation silencieuse de cet artiste patriote face à la guerre ».
Marcel Maire (1891-1974) était fils de commerçants aisés d’Ornans (Doubs). Sergent en février 1914, en guerre avec le 172 e RI en Alsace, en Champagne lors de l’offensive de septembre 1915. Sous-lieutenant en juin 1916. Blessé à Verdun le 4 juillet, il ne retourne pas au front. Après la guerre, il reprend le magasin de « Confections pour hommes et garçonnets, Chapellerie, Chaussures », dans la Grande Rue à Ornans. Il rédige tardivement, à partir de son carnet de notes, un texte intitulé « Sac au dos », destiné à ses enfants et petits-enfants.
Marius Perroud (1881-1951) était en 1914 métayer à Seysolaz (Haute-Savoie), marié, père de trois enfants. Au 230 e RI, en Lorraine, à Verdun, en Champagne. Quitte le front en décembre 1917 en s’engageant dans la gendarmerie. A la retraite en 1930. Dix ans plus tard, il rédige ses mémoires de guerre pour ses petits-enfants, une première partie, jusqu’à octobre 1915, d’après un carnet de route conservé, et la deuxième partie d’après sa mémoire : « Ayant égaré le 2 e carnet, je me vois obligé de faire appel à ma mémoire et à m’en reporter aux principaux faits sans pouvoir en préciser les dates exactes. »
On remarquera d’abord les conditions d’édition de ces trois volumes : pour Ernest Gabard, le travail de professeurs d’histoire et de géographie et d’arts plastiques, avec le concours du CDDP de Pau ; pour Marcel Maire, deux professeurs d’histoire et géographie, une classe de 3 e, travaillant dans le cadre du concours sur les Poilus jurassiens organisé par Le Progrès, et un éditeur suisse ; pour Marius Perroud, une initiative familiale pour une édition non commercialisée.
Aquarelle numéro 12 des carnets d'Ernest Gabard, 27 décembre 1915
Les deux aquarelles d’Ernest Gabard qui illustrent ce compte rendu donnent une idée de la qualité de l’ensemble. Elles sont ainsi légendées : (12) La Harazée, 27 décembre 1915, Sape 1 occupée par ma ½ section à son arrivée. Et : (14) 29 décembre 1915, un paysage vu de la « porte » de la Sape 1. Quant aux textes de Marcel Maire et Marius Perroud, ils apportent des éléments utiles, dont je retiens ici quelques-uns.
Marius Perroud montre bien son appartenance au monde rural : le 2 août 14, sachant qu’il devait partir, plusieurs habitants du village viennent l’aider à rentrer le blé ; à proximité du front, il va aider les cultivateurs à rentrer l’avoine, à arracher les betteraves ; il trouve « pitoyable à voir » que les gradés fassent faire l’exercice dans les champs en détruisant les récoltes (« un crève-cœur pour un cultivateur comme moi ») ; il estime navrant de passer des journées à jouer aux cartes alors qu’il y a « tant de travail à la maison ». Rien de tel dans le texte de Marcel Maire. Celui-ci rapporte une altercation avec le colonel Nivelle en août 1914 ; une farce faite à Maurice Barrès en visite au front en novembre 1915…Marcel Maire semble dépourvu de toute sensibilité, mais c’est peut-être parce qu’il affiche l’intention d’écrire le JMO de sa section. Il est passionné par les décorations et s’étonne de voir un soldat refuser la Médaille militaire, tandis que Marius Perroud s’indigne de voir que, après une attaque, on a décoré de la Croix de guerre les deux soldats qui avaient gardé les sacs.
On trouve une bonne illustration du rôle du « regard des autres » en octobre 1916 à Verdun dans le récit de Marius Perroud : le commandant fait un discours patriotique et demande s’il y a des soldats qui ont peur et qui ne veulent pas aller à l’attaque. Et personne ne bouge. Les deux textes contiennent des récits intéressants et assez détaillés de fraternisations : à l’occasion de Noël en 1914 (Marcel Maire) ; à l’occasion de l’inondation des tranchées en décembre 1915 (Marius Perroud).
Installés à l’arrière, les deux hommes poursuivent leur récit. Brièvement pour Marius Perroud, content d’avoir « réussi à fuir le front », devenu gendarme, en butte à l’animosité des anciens du métier. Un peu plus longuement pour Marcel Maire, qui décrit les ravages de la grippe espagnole, avec des enterrements de nuit « afin de ne pas démoraliser les habitants », et les grèves à l’arsenal de Roanne en mai 1918 au cours desquelles les femmes crient : « A bas la guerre ! Rendez-nous nos maris ! », « Vive les soldats ! A bas leurs chefs ! » Officier, Marcel Maire est giflé ; un prêtre est hué. On chante L’Internationale.
Rémy Cazals.
Aquarelle numéro 14 des carnets d'Ernest Gabard, 29 décembre 1915