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Sortir de la guerre

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Prisons et prisonniers militaires, par Valériane Milloz


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Sommaire:  les mutations de la société - les veuves de guerre - mutilés et invalides - le retour à la vie civile - les anciens combattants - ne pas oublier - persistance du "bourrage de crânes" - la reconstruction

Le soldat démobilisé redécouvre un monde qu’un long séjour sur le front lui a rendu étranger. Déjà pendant le conflit, au cours des permissions, son regard sur l’arrière avait été ironique et même ouvertement critique. Dans leur immense majorité, les vétérans porteront le même type de regard sur la société de l’après guerre. Ce sont souvent des hommes quelque peu désabusés et aigris par le spectacle de ce qu’ils voient ou entendent qui rentrent dans leurs foyers. Ils vont devoir faire face à une société en mutation, qui n’a pas forcément attendu leur retour pour aller de l’avant. Une petite partie d’entre eux deviendront ces membres « d’une élite de remplacement (…) due essentiellement à la guerre, et qui se manifeste au moment où les classes dirigeantes semblent incapables de rétablir la situation. Cette élite se recrute parmi les éléments les plus « mobiles » de la société de l’après guerre, parmi les déclassés et les laissés-pour-compte de la société industrielle, surtout lorsque la guerre leur a permis de développer des « qualités » qui ne sont nullement celles de la classe dirigeante traditionnelle (…) » (P. Milza et M. Benteli)

Un constat irrite particulièrement les anciens combattants. Alors qu’ils accomplissaient leur devoir sur le front, toute une catégorie de « profiteurs » et d’« embusqués » se sont enrichis à leurs détriments. Les femmes se sont émancipées et ont pris (volé ?) leur place sur le marché du travail. Cette vision de la femme émancipée par la guerre est aussi caricaturale qu’inexacte ainsi que l’ont montré les travaux de Françoise Thébaud. Pourtant, c’est bien ce regard du vétéran sur la femme qui semble s’être transmis jusqu’à nos jours dans l’image de la femme libérée par la guerre, le travail et le mari parti se battre sur le front…

De la même façon, les anciens combattants portèrent, au nom de leurs camarades morts à la guerre, un regard normatif sur la femme et tout particulièrement sur la veuve de guerre. S’ils lui accordent du bout des lèvres le droit de se remarier, ils ne peuvent encore lire le monde de l’immédiate après guerre qu’au travers du prisme de la souffrance et des deuils qu’ils ont endurés dans les tranchées. Ils ont donc des difficultés à accepter l’image de la « veuve joyeuse »,  celle qui a si vite oublié le « camarade » mort à la guerre. Car « l’esprit du front » a survécu au-delà de la signature du traité de paix et se maintiendra – parfois plus dans les mots que dans les gestes - au sein des associations d’anciens combattants.

Le retour à la vie civile est souvent ressenti comme un nouveau parcours du combattant pour le démobilisé qui découvre ou redécouvre soudainement le monde tel qu’il est. Avec ses lois du marché, sa concurrence, un constant souci d’efficacité et de rentabilité. L’époque de l’immédiate après guerre est moins celle de la réadaptation que celle de la reconstruction des dix départements dont certains ont été ravagés par les diverses offensives de l’année 18. Si le droit oblige un patron à reprendre l’employé ou l’ouvrier libéré, qu’en est-il pour celui qui revient couvert de décorations mais mutilé dans sa chair ou son esprit ? La société de l’après guerre se sent-elle suffisamment redevable envers ceux qui ont sacrifié une partie d’eux même pour la victoire du pays ? S’est-elle vraiment préparée à recevoir ces hommes qui avaient mis tant d’espoir dans un monde où la  paix avait été si chèrement gagnée ?  Faute d’avoir su justement mesurer les enjeux pour lesquels ces hommes avaient tenu, ne risque-t-elle pas de les plonger, au sortir d’une  guerre où l’on s’était battu « pour le droit et la liberté » dans l’amertume et la désillusion ?

 

Les mutations de la société.

 
Un monde où « la femme veut vivre sa vie »… et où elle a pris la place des combattants…

 « Pauvre fou que j’étais !... J’ignorais qu’une absence de cinq années avait complètement transformé les caractères, les habitudes, les mœurs et l’âme de beaucoup de femmes. Et que selon le principe à la mode, la mienne voulait vivre sa vie !... J'ai consacré à mon désespoir une page dans ce livre, mais c'est un ouvrage qu'il me faudrait écrire pour raconter ce que furent pour moi les premières années de l'après-guerre... »
SOURCE : P.J. Mézières, La voix des Morts, Eugène Figuière, 1926, pp 127-128

 
« Depuis longtemps, en effet, les femmes jouissaient dans les administrations, dans les ministères et dans toutes les firmes commerciales ou industrielles, d’avantages que ne connaissaient plus les hommes… Des milliers d’emplois furent occupés par elles dès la déclaration de guerre ; leur main-d’œuvre et leur aptitude furent appréciées très favorablement en maints endroits où elles parvinrent même quelquefois à diriger un nombreux personnel… On tenait à les conserver. Et, d’autre part, la guerre étant finie, l’Egoïsme et l’Oubli s’allièrent bien vite contre les anciens combattants qui voulaient supplanter le sexe faible. Dans cette lutte, ils furent vaincus !... Enfin, leurs demandes d’emplois traînaient durant des mois dans divers bureaux directoriaux avant de recevoir satisfaction… »
SOURCE : P.J. Mézières, La voix des Morts, Eugène Figuière, 1926, pp 141-142.

 
Le divorce.

 « Je devais, ainsi que tant de camarades désabusés, connaître un jour les surprises et les amertumes du divorce, tout ce calvaire dou­loureux que gravissent durant des mois et des mois ceux dont le foyer est brisé et dont l'âme meurtrie ressemble à une pauvre chose pante­lante que la guerre a tuée... »
SOURCE : P.J. Mézières, La voix des Morts, Eugène Figuière, 1926, p 128

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 SOURCE : Almanach Hachette (1920), p 147.

 

Les veuves de guerre.

 Les veuves de guerre : les bonnes et les mauvaises…

« Elle [l’administration française] m’a permis, d’autre part, pendant quelques mois d’être en rapport constant avec un effectif imposant de veuves de guerre… Je puis donc affirmer que je crois les connaître. C’est pourquoi je les ai classées en deux catégories bien distinctes : celles qui oublient et celles qui n’oublient pas !...
Hélas ! tout le monde le sait aujourd’hui, la première catégorie est de beaucoup la plus importante...
Je revois en cet instant, les braves poilus qui ne manquaient jamais, même au feu, d’envoyer à leurs compagnes la lettre journalière où se répétait si souvent la recommandation suprême : « Si je tombe, pense à moi ! »
Ils sont tombés, ces braves ; leurs compagnes se sont remariées et, parmi elles, il y en a dont la pensée, jamais, ne s’envole vers la pauvre croix de bois perdue au milieu des lignes sanglantes du Front… Elles ont bien autre chose à faire ! Cheveux courts, jupes courtes, cigarettes, cannes, redingotes, chapeaux cloches et perception régulière de la pension du mort, tout cela leur semble suffisant pour occuper leurs petites âmes, sans parler du reste !...
Par contre, il y a des veuves aux cœurs élevés et qui, malgré une seconde union nécessitée par les exigences même de la vie actuelle, conservent pieusement en elles le souvenir du héros. Celles-là seulement qui portent sincèrement leur deuil jusqu’au plus profond de leur âme sont vraiment veuves et, si je m’appelais le Droit, c’est à celles-là seulement que je servirais une pension !... » 
SOURCE : P.J. Mézières, La voix des Morts, Eugène Figuière, 1926, pp 117-118

 « La véritable veuve… »

« La véritable veuve est celle qui aime son mari et dont l’attachement subsiste jusqu’au moment où le trépas, de nouveau, vient l’unir au repos du héros. C’est pour de semblables femmes que le soldat tombe vaillamment et qu’il meurt content, sachant qu’elles ne l’oublieront pas. »
SOURCE : P.J. Mézières, La voix des Morts, Eugène Figuière, 1926, p 123.

 

Mutilés et invalides.

Mendier une pension.

« Que de visites, que de formalité il me fallut subir préalablement ! J’ai assisté au lamentable défilé, sous les baraquements de la caserne de Latour-Maubourg, des mutilés, des veuves, des orphelins, de toutes les victimes de la guerre qui venaient, timidement, mendier un morceau de pain. »
SOURCE : P.J. Mézières, La voix des Morts, Eugène Figuière, 1926, p 116.

Le ministère des Pensions.

 « Mon service m’occupait moi-même dans les bureaux du Ministère des Pensions et c’est là que j’ai pu étudier également les différents rouages d’une administration demeurée vieillotte, défectueuse et dont les travaux étaient confiés à quelques mutilés et à un certain nombre de veuves de guerre. Mais, comme partout et comme toujours, la plupart des postes intéressants et rémunérateurs, étaient, au détriment de ces deux catégories de victimes de guerre, attribués à des incapables ou à des parents, à des protégés de divers chefs de service… Il en résultait que le travail se faisait mal et lentement, malgré les réclamations continuelles de milliers de réformés. »
SOURCE : P.J. Mézières, La voix des Morts, Eugène Figuière, 1926, pp 116-117.

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SOURCE : Almanach illustré du Petit Parisien (1919), p VII.

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SOURCE : Almanach illustré du Petit Parisien (1919), p VII

 

Le retour des soldats à la vie civile.

 Le dur retour…

 « Je devais apprendre que la vie civile ne ressemble en rien à la vie militaire et que le pain quotidien est souvent bien dur à gagner. Que de démarches il me fallut accomplir, d'abord pour pouvoir me constituer un dos­sier de recommandations, ensuite pour recru­ter un emploi me permettant de vivre !...
Seul, sans appui, souvent découragé, déses­péré, j'ai connu les pires amertumes; les pires détresses...
J'ai connu la faim et les nuits sans asile... j'ai couché l'été sur la terre nue, comme un mendiant. J'ai été repoussé par ceux-là mêmes que j'avais défendus avec tant d'amour et de sincérité, et, par eux, j'ai bu le calice jusqu'à la lie !...
Durant ces heures de misère infinie, ma prière montait vers Dieu et vers les morts dont je souhaitais le sort, et je leur demandais de m’accorder le droit de dormir de leur sommeil. »
Source : P.J. Mézières, La voix des Morts, Eugène Figuière, 1926, pp 128-129.

« Jamais les morts de la guerre ne viendraient frapper à leurs volets, afin d’y troubler leurs nouveaux hôtes ; car ils sentent bien qu’ils sont tombés pour cela : pour que les maisons revivent, elles aussi, et soient heureuses ; pour qu’elles ne restent pas en proie au pâle démon qui semblait les hanter quand la guerre grondait sur leurs toits troués.
Malgré cela, beaucoup d’anciens combattants se posent, sous leurs toits roses, cette question : « La guerre pour nous, n’était-ce pas le bon temps ? »
La réadaptation aux mille soucis de la paix fut certes plus pénible que de courir à l’assaut et de braver la mort dans une seconde d’enthousiasme et de ruée collective.
La lutte continue certes ; mais ce n’est qu’un entre-déchirement. On campe à travers les idées ; on se retranche derrière ses opinions ; on lutte pour la vérité et pour le mensonge indistinctement.  L’intérêt personnel est devenu le seul guide.
Il n’y a plus d’idéal. »
SOURCE : Paul Flamant, Le Réveil des vivants, Editions du Nord-Est, 1924, p 55.

Les associations d’anciens combattants.

S’unir pour faire valoir ses droits.

 « C'est à cette époque que j'ai assisté à la formation des Sociétés d'anciens combattants. Je les divise, elles aussi, en deux catégories : celles qui ne servent à rien et celles qui sont utiles aux différentes victimes de la guerre.
Les premières n'ont qu'un but, mais il est bien déterminé : permettre à ceux qui les ont créées ou qui les dirigent de vivre ou d'amé­liorer leur situation au détriment de camara­des, ces derniers n'étant intéressants que par leurs dons ou leurs cotisations...
Les secondes, dirigées par des hommes de coeur, constituent heureusement la majorité et se perfectionnent chaque année... Elles possèdent des caisses de secours, d'épargne, d'assurances mutuelles... Elles aident de cent façons les nécessiteux ; elles procurent des emplois...
Au moment où je fus démobilisé, en 1919, leur organisation ne leur permettait point en­core de secourir efficacement les anciens com­battants. Elles étaient, du reste, assaillies par des milliers de démobilisés et de prisonniers de guerre réclamant du travail. »
SOURCE : P.J. Mézières, La voix des Morts, Eugène Figuière, 1926, p 126.

Les morts et les (sur)vivants.

 La dichotomie entre le monde de l’avant et de l’arrière se prolonge dans la société d’après guerre. Abel Moreau se fait ici le porte-parole du monde ancien combattant qui souffre parfois de ce que certains d’entre eux  appellent, « la nostalgie du front ». Certains anciens combattants  furent au lendemain de la guerre des « désadaptés » (Montherlant). Le monde auquel ils sont confrontés avec le retour de la paix n’est pas forcément celui pour lequel ils s’étaient battus. Ils  maintinrent donc dans leurs discours et dans leur façon de penser la société la césure qu’avait inaugurée la guerre entre le monde des combattants et celui de l’arrière.

 « Les combattants devenaient vite des intrigants après avoir été longtemps des « poires » et on leur reprochait de s’affilier à de grandes associations qui, disait-on pour les affaiblir, poursuivaient des buts politiques, de vouloir prendre trop de place dans la nation, eux sur qui, pendant quatre ans, s’étaient reposées les lâches espérances de l’arrière, de rappeler à tout propos qu’ils avaient sauvé le pays, que leurs blessures n’étaient pas payées et qu’un grand vieillard avait dit : « Ils ont des droits sur nous. » On leur en voulait d’avoir tant de droits, alors que pendant quatre ans ils n’avaient eu que des devoirs et de durs devoirs. Est-ce que cela n’aurait pas pu continuer ? Est-ce que cela n’était pas bien ainsi ? La France coupée en deux : les combattants d’un côté, souffrant, peinant, travaillant à gagner la paix après avoir gagné la guerre ; les embusqués d’un autre, vivant, s’enrichissant, trahissant pour s’enrichir plus vite, et bavant des blasphèmes sur la patrie et sur la victoire, par lâcheté, par peur et par fanfaronnade. »
SOURCE : Abel Moreau, Le Fou, Edgar Malfère, Bibliothèque du Hérisson, 1926, pp 134-135.

Jouir quand même de la vie.

 Pour toute une génération d’hommes et de femmes jeunes, la guerre ne fut que souffrances, attentes et deuils. Au lendemain du conflit émerge une « soif de vivre » et un désir de « rattraper le temps perdu de (sa) jeunesse » dont témoigne cet encart publicitaire qui annonce « les années folles » :

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SOURCE : Almanach illustré du Petit Parisien (1919), p VI.

Retrouver un travail et retourner à la vie civile.

L’une des toutes premières préoccupations du démobilisé est de trouver ou de retrouver un travail et de pouvoir à nouveau subvenir aux besoins de sa famille. Le moratoire sur les loyers disparaît avec la guerre. Pour l’aider dans cette tâche, l’Etat a légiféré en sa faveur. Pourtant, malgré cette précaution, le retour à la vie civile est semé d’embûches et de tracasseries administratives qui agaceront les vétérans.
Nous reproduisons ici dans son intégralité un fascicule émanant du ministère de la Guerre adressé aux soldats en instance de retour à la vie civile.

« LE DÉMOBILISÉ DANS LA VIE CIVILE.

 Au moment où vous rentrez dans la vie civile, après avoir bien servi votre pays, les Pouvoirs publics vous maintiennent leur assistance et vous facilitent, dans toute la mesure possible, l'accomplissement de votre tâche nouvelle.
En lisant l'exposé des droits qui vous sont réservés, vous n'oublierez pas qu'il n'y a pas de droits sans devoirs. Vous vous rappellerez toujours que votre devoir est de ne réclamer le bénéfice de vos droits que dans la mesure où votre situation vous l'impose.

I

COMMENT TROUVER UN EMPLOI ?

1 ° EN AVIEZ-VOUS UN AU MOMENT DE LA MOBILISATION?
Si vous étiez employé dans une administration ou dans une entreprise publique ou privée, et si vous êtes demeuré apte à votre emploi, votre patron est tenu de vous reprendre â des conditions qui ne peuvent être inférieures â celles qui vous étaient faites. Pour rentrer chez lui, vous devez lui en adresser la demande, par lettre recommandée, dans un délai de quinze jours à dater, soit de votre libération, soit de la remise en marche de l'entreprise.
Si tous les ouvriers démobilisés appartenant â l'entre­prise ne peuvent y rentrer simultanément, leur retour s'opère progressivement par ordre d'ancienneté, et, dans l'ancienneté, par ordre de charges de famille.
Si votre patron s'est trouvé obligé d'engager un nouvel employé pendant votre absence, il ne peut invoquer ce motif pour se refuser à vous reprendre.
Si votre patron prétend qu'il lui est impossible de vous reprendre à nouveau, c'est lui qui devra faire la preuve de cette impossibilité et, s'il ne peut la faire, il sera tenu envers vous à des dommages-intérets.
Ainsi en a décidé la loi du 22 novembre 1918.

2° VOUS N'AVIEZ. PAS D’EMPLOI OU VOUS PREFEREZ NE PAS REPRENDRE L’EMPLOI QUE VOUS AVIEZ A LA MOBILISATION.
La liste et les adresses des Offices de placements gra­tuits, institués dans tous les départements, vous sont remis par le dépôt démobilisateur.
Au dépôt démobilisateur, vous trouverez également l'indication de la plus prochaine succursale de l'OEUVRE DES FOYERS DU SOLDAT. Si vous ne la trouviez pas, réclamez-la.
La FÉDÉRATION DES FOYERS DU SOLDAT et L'UNION FRANCO-AMERICAINE ont créé des foyers dans toutes les localités où fonctionne un dépôt démobilisateur. Ce Foyer est chargé de vous mettre en rapport avec l’OFFICE DEPARTEMENTAL DE PLACEMENT ou, s’il le peut, de vous procurer lui-même un emploi.
Il comporte un service de consultations juridiques qui vous donnera gratuitement tous renseignements de détail sur les devoirs qui vous incombent et les droits dont vous bénéficiez à votre retour dans la vie civile.
Pendant votre court séjour au dépôt démobilisateur, toutes facilités vous seront données pour vous rendre au Foyer du Soldat.

II

 SI, EN DEPIT DE VOTRE DESIR, VOUS NE TROUVIEZ PAS DE TRAVAIL IMMEDIATEMENT, COMMENT LES POUVOIRS PUBLICS VOUS PRETENT-ILS LEUR CONCOURS ?
lls ont ajouté aux allocations et majorations stipulées par la loi du 5 août 1914 les indemnités de chômage. Les allocations et majorations sont maintenues à votre famille pendant une période de 6 mois à compter de votre démobilisation.
Elles sont réglées suivant un taux dégressif ainsi fixé :
Si votre famille touchait 1 fr. 5o au titre des allo­cations principales de la première série, elle recevra cette même somme pendant les 1er et 2e mois ;
1 franc pendant les 3e et 4e mois ;
0 fr. 50 pendant les 5e et 6e mois.
Si elle touchait 1 fr. 75 au titre des allocations prin­cipales de la deuxième série, elle recevra cette même somme pendant les 1er et 2e mois.
1 fr. 25 pendant les 3e et 4e mois ;
0 fr. 75 pendant les 5e et 6e mois.
Si elle touchait 1 franc, 1 fr. 25 ou 1 fr. 5o au titre des majorations pour enfants, elle recevra cette même somme pendant les 1er et 2e mois et touchera respectivement :
o fr. 75 et 1 franc pendant les 3e et 4e mois, et 0 fr. 50 pendant les 5e et 6e mois.       
Elle touchera enfin les allocations additionnelle aux taux habituels de :
0 fr. 75 pendant les 1er et 20 mois;
0 fr. 50 pendant les 3e et 4e mois ; 0 fr. 25 pendant les 5e et 6e mois.
Vous pouvez cumuler les allocations, dont il vient d'être question, avec l'Indemnité de Chômage attribuée au chef de ménage.
Vous devez adresser votre demande, s'il y a lieu, à la Mairie de votre domicile, avec justifications à l'appui. Vous toucherez comme chef de ménage, 2 fr. 25, et vous pourrez obtenir, en plus, pour votre femme 4 franc, pour chacun de vos enfants, âgés de moins de 6 ans, sans travail, ou gagnant moins de r franc par jour, et 0 fr. 75 pour votre père et votre mère, sans travail, et à votre charge.
Vous ne pourrez toutefois obtenir un secours quoti­dien total supérieur à 6 francs.

III

COMMENT REGLEREZ-VOUS VOS RAPPORTS S AVEC VOTRE PROPRIETAIRE ?

1° EN CE QUI CONCERNE LE PAYEMENT DES LOYERS.
a) Si vous rentrez dans la catégorie des petits loca­taires, définie par article 15 de la loi du 9 mars 1918 et déterminée par le taux de votre lover et le chiffre de la population de la commune dans laquelle vous demeurez, vous êtes exonéré de plein droit du paye­ment des sommes que vous pourriez devoir à votre propriétaire pour la durée des hostilités et les six mois suivants.
b) Si vous ne rentrez pas dans cette catégorie, vous pourrez obtenir des réductions sur le prix de votre loyer, et même, exceptionnellement, une exonération totale.
Au cas où il serait décidé que vous pouvez totale­ment ou partiellement payer vos termes échus, des délais pourront vous être accordés, pour vous faciliter ce payement. 

2° PROLONGATION DU BAIL OU DE LA LOCATION VERBALE.
Si vous êtes titulaire d'un bail commercial, industriel ou professionnel, vous avez droit à cette prolongation pour une durée égale à la période comprise entre le décret: de mobilisation et le décret fixant la cessation des hostilités.
Si vous êtes titulaire d'un bail pour des locaux d'habitation, ou si vous avez loué sans bail, vous avez droit à une prolongation de DEUX ANNÉES.
Si vous rentrez dans la catégorie des petits locataires et si vous êtes restés plus de deux ans sous les dra­peaux, la prolongation sera égale à la durée de votre mobilisation.
Dans tous ces cas, vous devez faire connaître votre volonté à votre propriétaire, au plus tard dans les trois mois qui suivront le décret fixant la date de la cessation des hostilités, sinon vous perdriez votre droit à cette prolongation.
Si, au contraire, vous désirez obtenir la résiliation de votre bail, parce que la guerre a modifié votre situation, vous devez formuler cette demande dans les trois mois suivant le décret de cessation des hostilités. 

3° PAR QUI SONT TRANCHEES CES DIVERSES QUESTIONS.
Par les Commissions arbitrales et vous ne pourrez être appelé à comparaître devant elles qu'à l'expiration d'un délai de six mois à compter du jour où vous aurez été démobilisé.

IV

 
SI VOUS ETES VOUS-MEME PROPRIÉTAIRE. 
et si votre revenu net total ne dépasse pas un chiffre fixé par la loi, variant entre 5,ooo et 1 o,ooo francs, suivant la commune et si vos locataires ont été dispensés en tout ou en partie du payement de leur loyer, vous pourrez solliciter une réduction de vos impôts et une indemnité.

V

 N'OUBLIEZ PAS VOS DEVOIRS MILITAIRES QUAND VOUS SEREZ RENTRÉS DANS VOS FOYERS.
Quand vous arriverez chez vous, vous devrez vous présenter, munis de vos pièces militaires et dans le plus bref délai possible, à la brigade de gendarmerie dont vous dépendez. Si vous changez de domicile, vous devez en faire la déclaration à la nouvelle brigade de gendarmerie dont vous relevez. En omettant cette simple formalité, vous vous exposeriez à des sanctions disciplinaires. »
SOURCE : Guide du démobilisé dans la vie civile, Imprimerie nationale, 1919, 8 pages.
 

Ne pas oublier. Ne rien oublier…

 Pour tenter de  justifier le nombre de morts, de blessés, de mutilés, l’énormité des dévastations dans l’ancienne zone de front et l’immensité des dépenses de guerre, la propagande d’après guerre se contente de ressusciter les  vieux thèmes qu’elle avait déjà largement surexploités durant le conflit. En 1919 comme en 1914, la dénonciation des « Barbares sanguinaires », des « Huns » qui s’en prennent aux civils pour assouvir leur vengeance, qui ont bafoué impunément les conventions de la Haye et de Genève suffit à entretenir la haine passée et à venir « du Boche » sur le mode du « N’oubliez jamais… »

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SOURCE : Almanach illustré du Petit Parisien (1919), 4e de couverture.

 
Autre moyen de « ne pas oublier », renommer les rues. En 1919, à Paris comme dans presque toutes les villes et villages de France, on continue à les débaptiser et rebaptiser. L’invention de cette nouvelle toponymie a une double visée. D’abord faire disparaître tous les noms de rues qui, de près ou de loin, ont servi à désigner l’ennemi vaincu. Ensuite honorer la mémoire de ceux qui se sont illustrés durant la guerre, rendre hommage aux « martyrs victimes de la barbarie allemande » ou mettre en relief le rôle des Alliés qui ont contribué à la victoire.

“LES RUES DE PARIS REBAPTISÉES.

 Jadis, les rues devaient leur nom soit aux corps de métier qui y fréquentaient, soit à des causes diverses et locales ; c'étaient les rues de la Ferronnerie, de la Grande-Truanderie, de l'Arbre-Sec, des Archives, du Pas-de-la-Mule ; et nul parti politique ne songeait à s'en offusquer, aucune inimitié de races n'y trouvait à redire. Mais, depuis, l'usage a été adopté de donner aux rues de la capitale des noms de villes et de pays étrangers ou de personnages plus ou moins célèbres, de toutes nationalités. Et cet usage a eu pour conséquence inévitable, à certaines époques de l'histoire et dans des circonstances particulières, d'amener les municipalités à changer ces noms et à les remplacer par d'autres que l'on juge plus dignes d'une immortalité relative.
La guerre vient ainsi de faire transformer la rue de Saint-Pétersbourg en rue de Petro­grad, la rue de Berlin en rue de Liège, l'ave­nue Jean-Jaurès a pris la place de la rue d'Allemagne ; une rue de la Plaine est deve­nue Benoît-Malon et la rue Richard-Wagner s'appellera désormais Albéric-Magnard, le musicien français que les Allemands, en 1914, assassinèrent dans sa propriété. Une autre rue n'a subi qu'une modification partielle ; elle était simplement Michel-Bizot ; mais, comme on l'a complantée d'arbres, elle est devenue avenue et a conquis par ce simple fait un grade supérieur : désormais, elle s'appellera avenue du Général-Michel-Bizot.
D'autres noms ont été choisis par nos édiles pour avoir leur plaque dans les carrefours parisiens : Paul-Déroulède, Edith­Cavell, Emile-Després, Général-Baratier; mais les voies qu'ils doivent illustrer n'étaient pas encore désignées an mois d'août.
Plus heureux sont le Président Wilson qui a donné son nom à l'avenue du Trocadéro : le général Gallieni ; à l'avenue non dénom­mée allant du pont Alexandre-III à l'Hôtel des Invalides et le très regretté aviateur Guynemer à la rue du Luxembourg.
Pour honorer, enfin, les souverains des puissances alliées, le Conseil municipal a décidé que le quartier de l'Alma serait le quartier des Alliés. Le quai de la Conférence est devenu le cours Albert-Ier ; l'avenue d'Antin, avenue Victor-Emmanuel-III l'avenue de l'Alma, avenue George-V ; le quai de Billy, quai de Tokio ; et la partie de la rue Pierre-Charron qui va de la place d'Iéna à l'avenue Marceau, a reçu la déno­mination de rue Pierre-Ier-de-Serbie. »
SOURCE : Almanach illustré du Petit Parisien (1919), p 16.

Regard rétrospectif sur la guerre : une apocalypse joyeuse?

 Le « bourrage de crâne » ne disparaît pas avec l’armistice. Loin s’en faut… Fidèles à la prose d’antan, les « plumitifs de l’arrière » poursuivent avec un même enthousiasme légèrement teinté de cynisme l’entreprise de déréalisation et d’euphémisation de la guerre. A les lire, on a parfois l’impression que, rétrospectivement, la guerre ne fut tout au plus qu’un épisode de tragi-comédie, un moment de théâtre de boulevard où le poilu - comique-troupier de toujours - a joué le rôle qu’on attendait de lui. A les entendre, il ne restera bientôt plus dans la mémoire des vétérans que ces joyeux moments de repos où le soldat « ne s’en faisait pas », ces instants où il s’amusait, où il plaisantait, même sous les bombardements les plus intenses…

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« Il ne faut pas s’en faire ont dit nos braves troupiers ; et ce précepte est devenu, désormais, la première phrase du bréviaire du soldat. C’est en l’observant rigoureusement que, dans la tranchée du front comme au cantonnement, qu’au repos ou dans la bataille, le moral reste bon et que la joyeuse humeur, une autre forme de courage, n’abandonne jamais nos hommes, même au plus fort de la mêlée ou sous le plus terrible marmitage.
On a déjà cité le mot de ce commandant de poste, qui au cours d’un bombardement acharné de plusieurs heures, reçoit la visite d’un officier de liaison et écoute sa conversation tout en continuant à regarder, par le dernier soupirail restant de la cave qui lui a servi d’abri, les ravages que causent autour de son poste les gros projectiles de l’artillerie ennemie.
- Vous voilà bien placé, mon commandant, pour voir tomber les 218, dit l’officier de liaison, avec un  sourire un peu ironique.
- Je vous loue ma dernière fenêtre, répond le commandant avec cette même verve gouailleuse qu’il aurait eue s’il s’était agi de voir défiler sur les boulevards le cortège de Mi-Carême. Et cependant la mort hurlait à chaque pas ; mais ce sont de pareils exemples qui apprennent au soldat le mépris du danger. D’autre part, l’accoutumance même de ce danger fait que, bientôt, c’est avec insouciance qu’on l’affronte. L’ouvrier, dans son usine, circule sans effroi, sans appréhension, sans y songer, au milieu des courroies de transmission qui peuvent à chaque instant le happer au passage. De même, le soldat, qui « ne s’en fait plus », ne tourne plus la tête au passage de la balle et posément, reconnaît, au bruit de l’explosion, le calibre de l’obus qui vient de tomber à quelques mètres de lui.
Il n’est donc pas étonnant que, dès que le service lui laisse quelques instant de répit, il songe  à se distraire et, pour cela, à reconstituer les jeux qui l’ont amusé aux heures de sa prime jeunesse. Le héros redevient un enfant (…) »
SOURCE : Almanach illustré du Petit Parisien (1919), pp 159-160 .

 

« Les pays aplatis » et la reconstruction.

 La zone rouge.

 « Rien n’arrivait à décourager le nouveau fermier. Lorsqu’il avait vu remettre en culture les champs de la zone rouge,- cette zone que l’administration considérait comme morte, - les fonctionnaires du génie rural étaient venus le chicaner.
Vous n’aurez pas un sou de crédit pour ces travaux là. Il y a bien assez d’ouvrage ailleurs. Les instructions du ministère sont formelles...
Et l’un avait même ajouté :
- Nous avons assez de mal comme ça à délimiter une zone rouge.
Didier Roger ne s’était pas fâché. Un peu moqueur, il avait seulement demandé au plus malveillant :
- Vous n’exigerez pas que je remette les champs dans l’état où je les ai pris au moins ? C’est surtout à cause des obus que ça m’ennuierait.
Puis, s’adressant à un autre :
-Croyez moi, monsieur, votre zone rouge va fondre comme du sucre. Avant dix ans il n’en restera plus un arpent. Alors autant s’y mettre tout de suite. »
  SOURCE : Roland Dorgelès, Le Réveil des morts, Albin Michel, 1923,pp 25-26 

Le retour des réfugiés dans les ruines.

 « Les retours dans les villages sinistrés s’amorcent dès les débuts de 1919. On dénombre en janvier 35 habitants à Suzoy. A Passel, sur 186 habitants avant la guerre, on en comptera 10 en janvier 1919 et 22 en mars. A Amy sur 480 avant la guerre, on en trouvera 36 en février 1919 et 59 en avril.
Les retours seraient plus importants s’il y avait possibilité de se loger mais on rentre dans les ruines. Il se trouve des communes comme Autrêches surnommé le « village fantôme » où pas une ancienne maison n’est habitable. Des 105 demeures de Bailly, il ne subsiste que des ruines. Les premiers revenus y sont des cultivateurs, Mr et Mame Jules Dumont, qui vivent dans une ancienne cagna des troupes françaises, une construction hétéroclite composée de pierres, de sacs de terre et de rondins. L’humour des combattants avait quelquefois donné des noms à ces abris de fortune et au-dessus de la porte de l’un d’eux, à Bailly, pouvait encore se lire : « Villa des As ».
En d’autres bourgs, on a recours aux caves. C’est ce qui se passe à Lassigny où, dès mars 1919, 40 personnes vivent en sous-sol ; les soirs de pluie il faut dresser un barrage en avant des marches de chaque cave. Bientôt quelques baraques édifiées à la hâte viendront s’ajouter à ces abris précaires.
A la bravoure des soldats pour chasser l’envahisseur a succédé la ténacité des habitants venant prendre possession du sol reconquis. On avait appelé ces cultivateurs revenus dans les ruines de la première heure, « les habitants du désert. » 
SOURCE : Témoignage de Louis Duquesnay en date du 27 avril 1985 (inédit).

 Survivre dans les  Régions libérées.

« Après avoir écouté le récit du soldat qui lui avait conté le récit de chaque pierre, de chaque chemin, de chaque motte de la terre martyre ; après avoir tout su de la destruction et de la lutte, l’artiste promu ingénieur, architecte, entrepreneur,  administrateur et surtout homme d’action, dit à son tour, au visiteur les efforts d’une coopérative de reconstruction.
C’est d’abord le laisser-aller brutal et soudain de la démobilisation : l’organisation de guerre s’effondre brusquement et ne laisse rien derrière elle. Il faut rétablir la vie civile ; mais les préoccupations sont ailleurs, autour du tapis vert des plénipotentiaires de la paix ; les choses tirent en longueur (...)
Pendant ce temps, les habitants des R.L. se débattent dans les ruines. Les Chinois lymphatiques, venus de l’arrière anglais, et les prisonniers allemands, moins courageux encore, essayent bien de soulever quelques pierres au commandement mais ils les laissent retomber aussitôt - elles leur paraissent trop lourdes.
C’est la vie dans le cloaque, à tous les points de vue.
Les poilus ne sont plus là pour entretenir les sapes. Le paysan y trouve cependant un refuge, en attendant mieux.
(...) Non, le bon sens l’emporte : l’habitant des R.L. dans un sursaut d’énergie ne pense qu’à rebâtir sa maison. Aide-toi, le ciel t’aidera! La Victoire, un instant en danger, va suivre le maçon ! Le Boche, machiavélique aurait voulu nous enliser dans nos ruines : nous échappons à ce nouveau tombeau ! Ainsi donc, après avoir souffert cinquante mois sur la ligne de feu, les sinistrés auront combattu, pour l’édification de la paix, pendant cinquante autres mois, dans la boue des Régions dévastées.
Après les poilus, ils auront sauvé leur pays, pour la deuxième fois.
La terre des morts est redevenue la terre des vivants. »
SOURCE : Paul Flamant, Le Réveil des vivants, Editions du Nord-Est, 1924, p 76

 Le Service des Travaux de Première Urgence et le Service des Travaux d’Etat.

 « Le district n’avait bien fait qu’une chose : ses propres baraques. Quand le commandant estima qu’il avait assez de bureaux et de magasins de toutes sortes et que le bungalow qu’il s’était fait installer à flanc de coteau fut aménagé jusqu’au dernier clou, il trouva quelque chose à faire de plus urgent que les retapages qu’on lui demandait : il exigea un atelier de réparation pour ses voitures, puis une forge, puis une scierie pour débiter le bois. Pendant ce temps, les sinistrés attendaient toujours qu’on travaillât pour eux. Il fallait une journée de démarche pour obtenir un cent de clous et si l’on réclamait des travaux sérieux, c’était alors une telle série de formalités et de  paperasses que les employés ne s’y retrouvaient plus eux mêmes.
Comme il en était ainsi tout le long de la zone dévastée, le scandale finit par éclater. Des populations manifestèrent au passage dun ministre, on signa des protestations, les journaux s’en mêlèrent, et le gouvernement, inquiet de cette exploration, finit par prendre la mesure que tous les sinistrés réclamaient : on supprima le S.T.P.U.
La joie des habitants ne fut pas de longue durée. Le S.T.P.U. était dissous, c’est vrai, mais on avait créé par le même décret, le Service des Travaux d’Etat, lequel, était installé dans les mêmes baraques, avec le même personnel et les mêmes pouvoirs, si bien qu’il n’y avait, en somme, rien de changé, que les initiales sur les paperasses et le titre sur le panneau de l’entrée. A Crécy, la réforme la plus sérieuse fut que le commandant, au lieu de garder l’uniforme, s’habilla désormais en civil. »
SOURCE : Roland Dorgelès, Le Réveil des morts, Albin Michel, 1923,pp 89-90.

 Main d’œuvre chinoise.

« Le district, qui commençait à fonctionner cahin-caha, n’employait guère comme ouvriers que des prisonniers de guerre et des Chinois, et tandis que ceux-ci, bien nourris, chaudement vêtus, flânaient dans le pays, se mettant quatre pour conduire une brouette vide et restant assis des heures sur les tas de décombres qu’ils devaient enlever, les habitants privés de tout, s’aigrissaient dans le désoeuvrement.
Les Chinois étaient devenus les maîtres dans la contrée. On en trouvait des camps tout au long de la vallée, à Chassemy, à Couvrelles, et, exepté les commerçants qui vivaient d’eux, tout le monde les regardaient comme un fléau. Silencieux, invisibles, ils se faufilaient partout, pas plus gênés pour pousser une porte que pour grimper un mur, et à tout moment, des habitants rentrant chez eux en trouvaient d’installés à leur table, pas menaçants du tout, l’air avenant, au contraire, et qui écoutaient brailler leur hôte avec des yeux plissés d’astuce  et une longue bouche qui se moquait du monde. Les déloger était impossible : ils faisaient semblant de ne pas comprendre et babillaient gentiment en chinois des choses qui étaient probablement des insultes, tandis que le sinistré, cramoisi de colère, s’égosillait en vain.
Que voulait vous que j’y fasse, répondait invariablement le chef du camp aux plaignants qui se présentaient. Il y a un surveillant par équipe de trente-cinq, et  il en  faudrait plutôt trente-cinq pour en garder un seul, tant ces rosards-là sont nés malins... Etes-vous  mécontents de leur travail ? Cela regarde les Régions libérées... Si ce sont des déprédations que vous leur reprochez, il faudra adresser votre  réclamation aux Affaires étrangères, car ils ne sont soumis qu’aux lois chinoises. Maintenant, moi, je dépends de la Guerre. A vous de choisir.
Et pour finir, il ajoutait en manière de consolation :
- Souhaitez donc qu’ils ne se mutinent pas ; j’ai dix soldats pour garder tout le camp, et, comme ils sont onze cents avec des grenades et des fusils cachés dans tous les coins...
Mais se mutiner, les Chinois n’y pensaient pas, ils étaient trop heureux en France, et leur seule crainte était, au contraire, de rentrer chez eux. C’étaient pour la plupart des vauriens racolés dans les ports, des coolies qui n’avaient jamais tenu une pioche, quelques étudiants pauvres, aussi, qui avaient trouvé ce moyen d’apprendre le français et de connaître l’Europe sans qu’il leur en coûtât un taël. Pendant deux ans ils avaient travaillé à Lyon dans les usines de guerre, et il fallait les employer encore un an ou deux pour achever leur contrat (...) Ils arrivaient bien, pierre à pierre, à déblayer quelques rues, à combler quelques tranchées, mais cela s’accomplissait en quelque sorte malgré eux, par la force du temps, et parce qu’il était physiquement impossible d’en faire moins. Pour l’enlèvement des obus, ils y avaient tout de suite renoncé, trouvant la tache trop périlleuse, et les explosifs attendaient dans les champs la venue d’artificiers français, à moins qu’ils n’éclatassent au passage d’un brabant , mettant en pièce le cultivateur, le cheval et la charrue.
Quand il faisait beau, les Chinois étendus sommeillaient autour d’un bon feu ; dès qu’il pleuvait, ils s’enfuyaient aux premières gouttes, laissant là leurs outils, et ils allaient se cacher dans les cagnas, où ils jouaient aux cartes jusqu'à l’heure du retour. »
SOURCE : Roland Dorgelès, Le Réveil des morts, Albin Michel, 1923,pp 49-52.

L’architecture régionaliste.

La reconstruction des maisons individuelles se fait sous le signe du régionalisme, un peu comme si derrière ce choix la France de l’après guerre mettait en valeur le « ce pour quoi on s’est battu ».

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SOURCE : Almanach illustré du Petit Parisien (1919), p 24.

Tourisme de guerre : le voir pour le croire…

 « Un Voyage à Verdun. 
Un officier supérieur me disait dernièrement: « J'ai vu le front en feu, depuis l'Alsace jusqu'à Nieuport. La Marne et le Chemin des Dames, la Somme et la Bassée, Ypres et l'Yser ne donnent pas une impression aussi complète de la guerre que Verdun: c'est à Verdun qu'il faut se rendre compte de l'épouvantable massacre; c'est là que les Allemands n'ont cessé d'attaquer, c'est là qu'ils ont usé leurs meilleures forces et qu'ils ont déployé toutes les ressources de leur génie militaire; c'est là aussi que les Français ont subi les pertes les, plus sensibles. Verdun résume toute l'horreur de la guerre ».
Je reviens de Verdun et je consigne ici quelques impressions, quelques indications aussi qui pourront servir à ceux de nos sociétaires que ce voyage tenterait.
Les Belges ont le choix entre deux lignes de chemin de fer, celle de la Meuse par Namur, Givet et Charleville ou bien celle par Arlon, Longuyon et Conflans-Jarny. On pourrait choisir cette dernière à l'aller et revenir par l'autre, après avoir jeté un coup d'oeil sur Reims.
En quittant Arlon par le train de 4 h. 56, on arrive à Verdun vers 1 heure après-midi. Aussitôt dépassée la frontière, l'on 'a le sentiment très net qu'il y a quelque chose de changé depuis 1914. C'est d'abord le service du chemin de fer qui semble anormal: dans certaines directions, il n'y a plus qu'un ou deux trains par jour; les trains partent ou arrivent avec des retards; ils circulent d'ailleurs lentement. Cela s'explique: le service des transports a énormément souffert; le matériel manque, les voies ont été détruites ou endommagées en maints endroits; on les a rétablies tant bien que mal, on a remplacé des ponts de pierre ou de fer rompus par des ponts en bois sur madriers; on comprend que les trains n'avancent, aux endroits particulièrement dangereux, qu'à l'allure du pas d'homme.
C'est ensuite l'aspect du pays qui est modifié. Jusque Athus, la région traversée par le chemin de fer n'accuse pas de ruines, mais dès Longwy la dévastation apparaît. Longwy se compose de deux parties: Longwy-Haut et Longwy-Bas. Toute l'agglomération haute est rasée. Les immenses usines et ateliers de la Providence, qui occupaient des milliers d'ouvriers, sont vides: la destruction a été systématique, rien ne subsiste des installations industrielles le long de la voie ferrée; les machines; l'outillage, tout a disparu, les toitures mêlées ont été enlevées. Les ouvriers, que j'interpelle, m'affirment que plus de vingt-cinq fourneaux étaient en activité avant la guerre et que, malgré l'énergie remarquable de la Société, quatre ou cinq seulement ont pu être remis en exploitation.
Gonflans-Jarny. - Le train de Nancy laisse ici les voyageurs pour Verdun. Entre deux trains, il est possible de déjeuner et de visiter rapidement Jarny et Conflans, très éprouvées l'une et l'autre; nombre de maisons sont en ruines, des hôtels ont gardé leurs enseignes, mais les bâtiments, à moitié démolis, sont inoccupés. Et malgré ce bouleversement la vie suit son cours naturel: les cultivateurs font la fenaison, la rivière continue à couler sous le vieux pont de pierre et la population circule dans les rues tortueuses de Conflans.
Le train part avec quarante minutes de retard, il arrive cahin-caha à Etain, où rien n'est resté debout: nous sommes dans la zone de feu, on a édifié des baraquements provisoires pour remplacer la gare; la voie ferrée n'est séparée de la route, par aucune clôture, les voyageurs montent dans le train des deux côtés, d'autres descendent et se promènent parmi les décombres jusqu'au signal du départ. On a l'impression que, par crainte d'un déraillement, la vitesse du train ne doit pas excéder quinze kilomètres à l'heure. Et cette allure modérée, coupée par des arrêts en pleine campagne, permet de voir superficiellement la région jusqu'à l'arrivée en gare de Verdun.
Quelle désolation! A perte de vue les champs de bataille, creusés par d'innombrables trous d'obus et par d'interminables tranchées, hérissés de chevaux de frise et de sextuples réseaux de fils de fer barbelés, protégés par des abris bétonnés. Les entonnoirs se succèdent à quelques mètres les uns des autres; tout ce sol a été arrosé de bombes, pas un pouce de terrain n'a été épargné par la mitraille et partout le sang a coulé... Partout l'on voit des débris, des casques, des chaussures, des masques asphyxiants, des gourdes, des obus, tout un fouillis d'objets disparates, réunis en tas ou épars et isolés; des amas considérables de fils de fer déjà arrachés du sol, des masses de fonte ou d'acier en forme de cloches pour servir à la construction d'abris; des galeries souterraines, en partie écroulées, des camouflages de haies, et aussi de modestes croix de bois éparpillées sur toute la surface de l'immense plaine ou des ossuaires provisoires. Et parmi ces traces de la plus épouvantable saignée que le monde ait connue, croissent les chardons et les épines, comme des symboles de ruine. Les collines, jadis couvertes de sapinières, ne sont plus que des crêtes pelées, des terres flues et chauves où çà et là se dressent encore quelques troncs d'arbres squelettiques: c'est tout ce qui reste des bois qui entouraient Verdun.
Ce spectacle émouvant ravive les souvenirs de la grande offensive allemande, les combats autour de Douaumont, la prise du fort de Vaux, le siège du fort de Tavannes que l'on aperçoit avant d'entrer dans le tunnel de ce nom. Comme nous avons suivi anxieusement ces combats où se jouait le sort de la France et le nôtre! Comme nous avons vécu passionnément ces heures tragiques et angoissantes! Comme tout cela, loin déjà de nous, est encore présent à notre pensée!
Verdun même est plus qu'aux trois quarts détruite: des rues entières, telle la rue conduisant de la ville basse à la citadelle, ne sont plus que des pierres écroulées; ailleurs, quelques pans de murs subsistent, mais il faudra les abattre pour reconstruire; la cathédrale a été relativement épargnée: la nef droite est à peu près intacte. Sous le soleil brûlant d'un jour d'été la ville, toute blanche parmi ses plâtres et ses gravats, où accèdent des escaliers et d'étroites rues, donne l'aspect d'une ville du Midi, Grasse, par exemple, ou mieux, Arles ou Avignon, fameuses par les vestiges de leurs monuments romains.
La ville, si détruite soit-elle, est très animée, elle est l'objet! d'un pèlerinage pieux de la part de toutes les familles françaises qui ont perdu un de leurs membres: père, fils, frère, fiancé... On voit des foules endeuillées se rendre aux lieux où leurs chers héros sont tombés, où ils dorment leur glorieux repos. Ce que l'on voit, en France, de gens portant le deuil de leurs parents est inimaginable! Dans cette fantastique boucherie, la France s'est sacrifiée sans compter: elle a subi le poids de la guerre plus qu'aucun peuple, elle a saigné par mille plaies sans un moment de défaillance: vaillante à l'heure des périls, elle ne désespère pas de ses ruines après la victoire. Les veuves, les mères et les jeunes filles en vêtements de deuil, les officiers et soldats mutilés, - combien nombreux, - les civils, qui furent mobilisés et qui ont repris le travail, ne parlent que de la grande guerre: ils se racontent les épreuves, les combats meurtriers, les morts de parents ou d'amis, telle revue passée par le général Pétain, telle visite faite au front par Clemenceau, et aussi les jours de victoire et d'allégresse. Dix mois après l'armistice, la guerre n'a pas cessé d'être l'objet principal de leurs conversations. Mais tous concluent unanimement: « Il faut maintenant organiser la paix, défions-nous des Boches et prémunissons-nous contre leur désir de revanche. Ayons foi en l'avenir, mais n'oublions point le passé ». La France a trop souffert pour oublier. L'oubli n'est facile qu'à ceux à qui la guerre n'a rien coûté.
On fait un louable effort de reconstitution, on débarrasse les champs de batailles des engins non explosés, on comble les boyaux et les entonnoirs; on extirpe les fils de fer barbelés, on crée des baraquements en bois, des huttes, on répare les désastres autant que possible. A ces travaux on emploie dé nombreux prisonniers allemands: juste retour des crimes qu'ils ont commis!
Le Conseil municipal de Verdun, réuni à Paris, le 20 novembre 1916, a commémoré la gloire de la ville par la création d'une médaille, due au ciseau de Vernier et figurant d'un côté un poilu, l'épée à-la main, et la légende: « On ne passe pas », et au revers la forteresse de Verdun avec la date: 21 février 1916. La délibération est ainsi conçue: « Aux grands, chefs, aux officiers, aux soldats, à tous, Héros connus et anonymes, vivants et morts, qui ont triomphé de l'avalanche des barbares et immortalisé son nom à travers le monde et pour les siècles futurs, la ville de Verdun inviolée et debout sur ses ruines, dédie cette médaille en témoignage de sa reconnaissance ».
Pour faciliter le tourisme aux zones de bataille, les buffets-hôtels des gares de chemin de fer se rouvrent, tel celui de Verdun. Bien entendu, les logements ne sont pas adéquats à l'affluence des voyageurs: la plupart de ceux-ci doivent se léger aux environs: à Commercy, à Toul, à Bar-le-Duc, etc., où les hôtels sont pleins chaque soir, mais à peu près vides chaque matin; il est donc possible d'y trouver place en y arrivant tôt ou en retenant sa chambre. L'alimentation ne laisse rien à désirer; sans doute, le pain est gris, les pommes de terre sont rares, mais c'est encore toujours la bonne cuisine française et les prix sont moins élevés qu'en Belgique, puisqu'un repas composé de hors-d'œuvre ou de potage, de deux plats, avec fromage et dessert, ne coûte, vin ou bière compris, que de cinq à huit francs.
De Verdun à Commercy, le chemin de fer remonte la rive gauche de la Meuse : partout, les villages sont anéantis, on traverse un pays de décombres. Saint-Mihiel est en ruines aussi. L'aspect dévasté du pays ne change qu'en arrivant à Commercy, où quelques maisons seulement ont subi les effets du bombardement. C'est une détente des nerfs que de voir enfin des rues bordées de maisons et des habitants. La petite ville est propre et jolie, elle possède un beau palais, le château Stanislas, converti en caserne et une agréable promenade le long de la Meuse. Elle possède aussi - s'en doute-t-elle - un organiste distingué en la personne d'un prêtre, que j'eus la bonne fortune d'entendre jouer des études de musique française sur les orgues de son église où j'étais entré par hasard : ce fut un concert artistique que j'écoutai avec ravissement.
De Commercy, des trains express permettent le retour par Nancy ou par Châlons-sur-Marne d'où on peut se diriger sur Charleville après un arrêt à Reims. »
SOURCE : Touring Club de Belgique, numéro 10, octobre 1919.

 

 

e

 SOURCE : Guide illustré Michelin des champs de bataille. Le Chemin des Dames, 1920.

 

Q

SOURCE : Les champs de batailles de France, Les Chemins de Fer du Nord et de l’Est, s.d., p 44.

 

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