logoCollectif de Recherche International et de Débat sur la Guerre de 1914-1918

Recension : Sylvain Venayre, La gloire de l'aventure

Articles récents :

Prisons et prisonniers militaires, par Valériane Milloz


RSS Actualités :

RSS Dernières recensions:

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

VENAYRE Sylvain, La gloire de l’aventure. Genèse d’une mystique moderne. 1850-1940, Paris, Aubier, coll. Historique, 2002, 350 p.

Dans la lignée d’Alain Corbin qui érigea le « désir du rivage » en objet d’étude [CORBIN Alain, Le territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage (1750-1840), Paris, Aubier, coll. Historique, 1988, 411p.], l’auteur entend historiciser le désir d’aventure. Pour lui, « l’aventure est le fruit d’un regard posé sur l’évènement, une représentation du fait plutôt que le fait lui-même. » (p.14) Ainsi l’auteur place-t-il d’emblée son travail dans le champ des représentations. Pour autant, conscient que l’historien est tributaire des sources, il rappelle que l’histoire de l’aventure est avant tout « l’histoire du discours sur l’aventure ». (p.16) Cette histoire concerne donc, par-delà quelques emblématiques vies d’aventuriers, « l’imaginaire social » c'est-à-dire l’ensemble de la société tout à la fois productrice de ce discours et réceptrice de ces envies.

1) Comment est né et s’est développé le désir d’aventure ?

La naissance de la littérature d’aventure en tant que genre peut être datée du XIXe siècle. A travers quatre portraits, S. Venayre esquisse une « généalogie de l’aventurier ». Le sens de ce mot a beaucoup évolué depuis son apparition au XIVe siècle. D’un « homme venu d’ailleurs », il a fini par désigner celui qui va ailleurs. Les héros des Voyages extraordinaires dans les mondes connus et inconnus de J. Vernes s’aventurent toujours dans des espaces lointains. Mais, si l’éloignement est fondamental, peu importe sa localisation. L’aventure absolue demeure toutefois celle qui se déroule dans des contrées encore inexplorées, dans les « blancs » de la carte, que l’imaginaire peut dessiner et redessiner à loisir (l’intérieur de l’Afrique, par exemple, qui, jusqu’à la fin du XIXe siècle, reste partiellement inconnue). La nature y est dangereuse, et les peuples sauvages, d’où un double éloignement : le récit se déroule loin des contrées civilisées et loin dans le temps, rappelant la sauvagerie que l’on prête aux siècles passés. Face à ces peuples sauvages présentés comme des enfants se dessine peu à peu la figure de l’homme blanc comme aventurier-roi.

Pour autant, les discours d’aventure ne font pas de l’aventure leur finalité première. De 1850 à 1940, une finalité pédagogique les sous-tend : ils sont censés faciliter l’apprentissage des connaissances par l’enfant en captant son attention. Les ouvrages offerts lors des remises de prix ou les mouvements scouts s’appuient sur le goût des jeunes pour les aventures, marquant ainsi un changement de regard sur l’enfant.
Pourquoi une utilisation aussi massive de la thématique des aventures ? S. Venayre y voit deux raisons : en premier lieu, l’idée que la jeunesse est par nature irrésistiblement attirée par l’aventure, qui s’accordait bien avec l’esthétique romantique, est tenace ; par ailleurs, le désir d’aventure s’accorde avec nombre de valeurs jugées utiles pour les jeunes garçons – public explicitement visé par ce type de littérature, d’où la morale virile. En effet, l'idée que les héros sont toujours des hommes ou que l’aventure en fait des hommes marque souvent ces récits.

L’aventure ne reste pour autant pas limitée aux seuls ouvrages et, dès les années 1920 se multiplient les récits d’aventures vécues. L’aventurier est plus que jamais une figure héroïsée. Pourtant, on sent que croît dans le même temps une « nostalgie de l’espace ». En effet, à partir du tournant des XIXe et XXe siècle, l’émergence de la mystique aventurière moderne peut être interprétée comme une réaction nostalgique à la disparition supposée de l’espace qui, précisément, semble autoriser l’aventure.
S. Venayre esquisse alors une histoire du sentiment nostalgique, en relation avec son objet d’étude premier. Dès le XIXe siècle, avec la rétraction de l’espace-temps, avec les innovations en matière de transport qui autorisent des déplacements plus faciles, avec la fin des explorations, naît un regret du « mystère des lieux » (p.145) De plus, le processus rapide de civilisation aux Etats-Unis semble favoriser la diffusion d’un discours nostalgique sur l’espace « sauvage ». La Belle Epoque signe la fin des aventures, notamment en comblant les blancs de la carte. Le regard ambivalent porté sur la figure emblématique de l’explorateur illustre clairement cette nostalgie : elle est tout à la fois attractive comme symbole de la découverte de nouveaux horizons, et répulsive puisque, sitôt découverts, ces espaces ne sont plus inconnus. Cette nostalgie débouche dans les années 1920 et 1930 sur la recherche de nouveaux espaces où l’aventure serait possible : le développement de récits de voyages interplanétaires, l’idée que l’aventure est « au coin de la rue », ou le simple désir de recréer l’espace de l’aventure par un refus de la modernité et de la « civilisation » sont autant de réponses à cette quête de nouveaux horizons. Le sport offre également de nouveaux aventuriers, notamment à travers la figure de l’alpiniste.

2) Une mystique de l’aventure

L ’auteur cherche ensuite à définir la mystique de l’aventure. Elle se caractérise, d’après lui, par le culte du désintéressement (p.203), l’accomplissement de soi (p.217), la saisie du destin (p.220) et le dévoilement du sens caché du monde (p.228). Pour autant, cette mystique de l’aventure s’affranchit de la réalité : en effet, les auteurs de récits d’aventure ne s’attardent guère sur la description des préparatifs du voyage ; de même, ceux qui sont partis pour la vie d’aventure disent volontiers leur déception dans la confrontation de leurs représentations à la réalité : « l’aventure n’existe pas. Elle est dans l’esprit de celui qui la poursuit, et dès qu’il peut la toucher du doigt, elle s’évanouit. » (p.228) En effet, les aventuriers, nourris des récits de leurs prédécesseurs, abordent avec un modèle romanesque préexistant leur périple, qu’ils entendent donc vivre « comme un roman ».

Mais s’il existe une mystique de l’aventure, l’auteur entend réfléchir à ses implications en politique. L’idéologie de l’aventure – « idéologie » entendu ici comme logique d’une idée – est tournée toute entière vers l’affirmation de l’individu contre les masses – « l’horreur du troupeau » – et contre un certain nombre de valeurs bourgeoises et de conventions sociales comme le mariage, etc. (p.248) Dans leur génie ou dans leur folie, les aventurier se démarquent toujours de la collectivité, constituant ainsi une élite, « celle des oseurs » (p.262)

Tout en rappelant que « les liens entre faits culturels, dont ressort l’histoire de l’aventure, et faits politiques sont infiniment plus complexes qu’un simple rapport de cause à effet » (p.280), l’auteur s’interroge : y a-t-il, dans la mystique de l’aventure, telle qu’elle triomphe à partir du tournant des XIXe et XXe siècles, des éléments qui auraient conduits ses adeptes vers des idées, sinon des engagements politiques particuliers ?
Non, répond l’auteur. En dépit d’indéniables traits que l’on pourrait attribuer à telle ou telle tendance politique, en soi, l’aventure ne s’accommode d’aucune idée politique précise, d’aucune « Utopie ». Cette dernière, quelle que soit son contenu, prend en politique une dimension collective qui va à l’encontre de l’Aventure, entreprise individuelle par excellence. Toutefois, les deux peuvent s’associer dans l’instant de la lutte.

Certes, le travail de S. Venayre aurait sans doute était plus complet encore s’il s’était un peu plus attardé sur la réception dans les milieux populaires de ces discours sur l’aventure. Pour autant, sa réflexion n’en est pas moins extrêmement stimulante et éclairante pour un travail sur la Grande Guerre.

3) L’aventure dans la Grande Guerre : pistes de réflexion.

Soulignons l’accent mis par l’auteur sur la composante individuelle de l’aventure : prenant pour exemple les récits d’aventures de guerre, S. Venayre montre que tous les héros occupent dans l’armée une situation marginale, leur permettant de conserver sur le champ de bataille toute leur individualité. Or, la Grande Guerre, comme les guerres modernes où s’affirme chaque fois davantage le rôle décisif de l’artillerie, est très loin de réunir les conditions idéales d’une affirmation possible de l’individu. Pourtant, l’aventure reste possible : l’imaginaire se focalise sur les situations dans lesquelles l’individu peut briller individuellement (comme par exemple l'aviation).
La Grande Guerre n’a donc pas modifié le système de représentations préexistant qui voulait que les aventures ne soient possibles que lorsque les individus accédaient à une situation marginale au sein de l’armée. En ce sens, elle ne constitue pas, selon l’auteur, une rupture.
Allons plus loin dans cette comparaison: la rupture est sans doute à chercher, chez les combattants, au moment de leur baptême du feu, dans la découverte brutale de leur impuissance face à la puissance de l’artillerie ennemie. De même que les aventuriers soulignaient leur désillusion lorsqu’ils entraient en contact avec la réalité, les combattants ont rapporté dans leurs témoignages la prise de conscience douloureuse de l’inadéquation de leur système de représentations – que cet ouvrage extrêmement stimulant contribue à éclairer – à la guerre moderne. Ainsi Jean Galtier-Boissière, le 22 juin 1914 :

« Soudain, des sifflements stridents qui se terminent en ricanements rageurs nous précipitent face contre terre, épouvantés. La rafale vient d’éclater au-dessus de nous. […] Les hommes à genoux, recroquevillés, le sac sur la tête, tendant le dos, se soudent les uns aux autres […] La tête sous le sac, je jette un coup d’oeil sur mes voisins : haletants, secoués de tremblements nerveux, la bouche contractée par un affreux rictus, tous claquent des dents. […] Cette attente de la mort est terrible. Combien de temps ce supplice va-t-il durer ? Pourquoi ne nous déplaçons-nous pas ? Allons-nous rester là, immobiles, pour nous faire hacher sans utilité ? […] Non, nous ne sommes pas des soldats de carton ! mais notre premier contact avec la guerre a été une surprise assez rude. Dans leur riante insouciance, la plupart de mes camarades n’avaient jamais réfléchi aux horreurs de la guerre. Ils ne voyaient la bataille qu’à travers des chromos patriotiques. […] Persuadés de l’écrasante supériorité de notre artillerie et de notre aviation, nous nous représentions naïvement la campagne comme une promenade militaire, une succession rapide de victoires faciles et éclatantes » [GALTIER-BOISSIERE Jean, La fleur au fusil, Paris, éd. Baudinière, 1928, pp.98-101.]

Marty Cédric.

Imprimer Version imprimable