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Recensions : Charles Ridel, Les embusqués

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RIDEL Charles, Les embusqués, Paris, Armand Colin, 2007, 350 p., préface de Stéphane Audoin-Rouzeau.

RIDEL Charles, Les embusqués en France pendant la Première Guerre mondiale (1914-1918). Figures et pratiques d’un refus de guerre,thèse de doctoratsoutenue à l’EHESS le 14 novembre 2005, 3 volumes, 698 p. Thèse dirigée par Monsieur Stéphane Audoin-Rouzeau

Recension de l'ouvrage par François Bouloc

Recension de la thèse par Emmanuel Saint-Fuscien

Recension par François Bouloc:

Les embusqués, ceux qui prennent part au premier conflit mondial en jouissant d’affectations protégées à des degrés divers, forment un objet d’histoire stimulant à plus d’un titre, d’où l’intérêt du livre de Charles Ridel (pour une synthèse du propos de l’ouvrage, je renvoie à Charles. RIDEL, « La chasse aux embusqués », L’Histoire, 325, novembre 2007, pp. 38-44). Ils interrogent en effet les représentations et les pratiques de l’ensemble de la population de l’époque, mobilisée ou non, en tant que la présence au front concerne directement ou indirectement tou(te)s les Français(es) d’alors.
La stigmatisation, venue de l’arrière comme de l’avant, se répand par suite très rapidement à leur encontre. Sont pointées la lâcheté, l’inutilité, l’absence de compassion, le cynisme de ces « jouisseurs de l’arrière », comme les dénomme un correspondant de Maurice Barrès (cit. p. 25). Faible en un temps où la fermeté virile face à l’ennemi prévaut, l’embusqué a peur, aussi, et/ou ne sait pas surmonter les angoisses de mères ou d’épouses soucieuses de ne pas exposer l’être cher – souci au demeurant banal, mais rendu anormal par la guerre. Celui qui n’est pas au front alors qu’il devrait y être incarne encore d’autres périls, comme l’imposture (ne s’approprie-t-il pas les faits d’armes des vrais combattants pour briller en société ?), ou l’adultère (il serait profiteur de l’absence des hommes, en somme). La dénonciation atteint toutefois ses limites en les peignant comme d’élégants efféminés (cf. le riche cahier iconographique couleur) : « trop décrire ces êtres cacochymes », en effet, « n’est-ce pas en réalité justifier leur mise à l’écart du conflit ou leur réforme ? » (p. 33). Cet aspect rejoint celui de la disqualification des armées allemandes par la propagande (obus qui n’explosent pas, etc.), approche qui diminue indirectement les mérites des armées alliées qui font face à un si piètre ennemi.
Pour Charles Ridel, la catégorie subjective des embusqués se présente comme une définition en négatif des mérites du soldat-citoyen, dont il rappelle, citant Bruno Cabanes, le « désir pathologique, inextinguible de reconnaissance » (p. 49) – ou légitime aspiration, c’est selon. La culpabilisation en résultant est fortement éprouvée, selon l’auteur, au point qu’elle peut toucher les premiers concernés, soit les embusqués eux-mêmes. Se référant à Jacques Bainville, pour qui « le non-combattant n’est plus rien. Il le sent, il le sait » (17 août 1914, cit. p. 53), Charles Ridel extrapole à partir de divers témoignages une conclusion discutable, à savoir : « les non-combattants ont en grande partie intériorisé et accepté le système de valeurs au nom duquel on les juge et ils se jugent eux-mêmes coupables. Il y a là le signe indéniable d’une culture de guerre partagée » (p. 58). L’utilisation de ce concept n’emporte qu’en partie l’adhésion tant il écarte de la compréhension des occurrences significatives. Par exemple, lorsqu’il est question de l’embusquage d’Henri Massis, détaché au Ministère des Affaires Etrangères, n’est-il pas possible de pousser l’analyse critique plus avant que la remarque suivante : « étonnante présence en effet que celle de ces hommes incapables de se conformer aux modèles de comportement qu’ils appelaient de leurs vœux avant le conflit. Henri Massis, coauteur de l’enquête Les Jeunes Gens d’aujourd’hui en 1912, n’a visiblement pas le goût de l’action qu’il avait cru déceler et admirer dans la jeunesse française d’avant-guerre » (p. 178). Etonnant, certes, et nous n’en saurons pas davantage. Ce décalage entre le dire et le faire aurait certainement mérité de se voir consacré un plus long développement, d’autant que les cas ne sont pas rares de tels dédoublements. Est ainsi cité Robert de Jouvenel, lequel met à profit les réseaux de la République des camarades par lui décriée pour faire la plus grande partie de la guerre à la Maison de la Presse, officine bien abritée de surveillance de l’information. On pourrait également citer, entre bien d’autres, le cas du rédacteur en chef de L’Union catholique de l’Aveyron, tonitruant patriote mobilisant ses relations (préfet, député) pour conserver son sursis de journaliste au cours de l’année 1917 (Cf. François BOULOC, « L’Union sacrée des Aveyronnais », Annales du Midi, 232, oct.-déc. 2000, pp. 447-462, cf. p 458 sq).
La part est par ailleurs faite, à juste titre, par l’auteur des sentiments ambivalents de jalousie et d’envie à l’égard des embusqués. Seulement, en quoi cela entre-t-il dans le champ conceptuel de la « culture de guerre » ? Le problème ici délimité est le suivant : pourquoi faudrait-il que la dénonciation de situations privilégiées pendant le conflit soit au fond imputable au référent patriotique officiel ? N’est-ce pas un parti pris discutable que de poser le discours dominant en norme acceptée grosso modo par l’ensemble de la population, et acceptée au point d’être le seul cadre de compréhension et de lecture de l’événement par les contemporains ? La société en guerre conserve ses antagonismes, ses classes sociales, ses inégalités… Charles Ridel montre bien d’ailleurs que la dénonciation des embusqués est souvent de fait celle des « riches », des « bourgeois », des individus nantis d’un fort capital social et symbolique, pour tout dire. Qu’un tel amalgame ne soit pas toujours fondé sur des faits véridiques n’interdit en rien, surtout pour un travail d’histoire culturelle, d’approfondir les représentations ainsi exprimées, d’en creuser la charge sociale et politique surtout. Il est certainement possible d’imaginer un renversement de prolégomènes à l’analyse de tels phénomènes : la société française en guerre doit-elle absolument être considérée comme consensuelle (avec des exceptions) ? Ne peut-on inverser le préalable, en réfléchissant à partir d’une communauté travaillée par les forces du dissensus (avec des exceptions) ?
Les embusqués s’inscrivent aussi très bien, semble-t-il, dans l’histoire longue des stratégies d’évitement des devoirs vis-à-vis de la communauté politique à laquelle individus ou groupes sont rattachés. Les soldats-citoyens de 1914-1918 sont aussi pour la plupart d’anciens conscrits de temps de paix, ayant pu à ce titre chercher à bénéficier par relations de dispenses, réformes ou affectations avantageuses pour leur service militaire, de telles pratiques n’ayant de fait cessé qu’avec la mise en place de l’armée de métier… Si le temps de guerre ne voit pas ces habitudes disparaître, il faut réinterroger la façon dont il pèse sur les contemporains. Ce qui se joue entre le mobilisé manœuvrier et l’institution militaire, est-il, pour emprunter un autre axe de comparaison, si différent de ce qui modèle en partie les rapports socio-économiques ? Les salariés décidant, tacitement bien sûr, de modérer leurs cadences ou de les conformer unilatéralement à la perception qu’ils ont de leur rémunération n’agissent peut-être de façon pas très éloignée du mobilisable faisant la balance entre l’attachement à son pays et à sa propre existence. Et beaucoup de mobilisés entre 1914 et 1918 étaient des salariés peu de temps avant : d’où les résurgences de pratiques “grévistes” (mutineries), ou de sabot       age dans l’acception anarcho-syndicaliste répandue alors (le système de proportionnality disséqué par Leonard V. Smith est peut-être une manière de transposition aux tranchées de la tactique « go canny », soit « travaillons à la douce » en fonction de la paie, communément répandue (Cf. par exemple Emile POUGET, Le sabotage, Paris, Mille et une nuits, 2004, [1911-1912].)). Préférer ses droits à ses devoirs n’est certes pas la meilleure façon de donner corps à l’Union sacrée, mais justement, peut-être est-ce le consensus national tel qu’officiellement posé qui doit se situer à la marge d’une compréhension équilibrée de la Grande Guerre. Le parcours de Fernand Léger, minutieusement reconstitué par Charles Ridel, n’est ainsi peut-être pas le cas d’école de refus de guerre exceptionnel que le chapitre lui étant consacré tend à peindre.
Si l’on peut, ainsi, discuter l’interprétation de la portée du phénomène, il faut en revanche saluer la précision du travail empirique, et les considérables apports du travail de Charles Ridel. Celui-ci a notamment établi une courbe chronologique et quantitative de la présence des embusqués dans l’espace public. Il relève ainsi un gonflement continu de la “rumeur” jusqu’en 1916, date à laquelle le phénomène s’essouffle, remplacé par d’autres facettes du dissensus (crise du moral à l’avant et à l’arrière, par exemple), en même temps que se font sentir les effets de la loi Dalbiez du 17 août 1915 (345.889 hommes récupérés au 1er septembre 1916). Ce texte, ainsi que la loi Mourier du 10 août 1917, font l’objet d’analyses détaillées qui achèvent de rendre ce livre dense indispensable aux travaux en cours ou à venir sur l’arrière dans la Grande Guerre.

François Bouloc

Recension par Emmanuel Saint-Fuscien :

 «(…) les dimensions nouvelles et le caractère total du premier conflit mondial auraient produit une forme originale de refus de la guerre : l’embusquage. Cette thèse a pour objectif d’interroger les représentations, d’évaluer l’ampleur et les pratiques de l’embusquage en France au cours de la Première Guerre mondiale. » (p.17)

Voici clairement exposé dans l’introduction générale un des enjeux majeurs de cette thèse soutenue à l’EHESS en novembre 2005. Charles Ridel précise rapidement son approche : l’obsession pour l’embusqué est à replacer dans un souci d’égalité face à « l’impôt du sang ». Il peut donc s’intégrer dans le cadre plus large d’une adhésion politique, « républicaine » à la guerre ou à ses motifs :
« Comment le régime républicain peut-il organiser et garantir la participation démocratique des Français à l’effort de guerre ? (…) désormais (…) l’égalité ne se mesure plus qu’à l’aune du sang versé. » (p. 20)

Outre l’immense intérêt d’une étude approfondie de certaines formes de refus, la méthode intéresse l’ensemble des chercheurs et des doctorants qui travaillent autour de la Première Guerre mondiale. L’intention de ce travail est en effet de confronter les représentations à « la réalité » des pratiques de l’embusquage. Cette confrontation est permise grâce au croisement d’un large éventail de sources : des milliers d’exemplaires de la presse ordinaire et de la presse de tranchées, un corpus inédit des lettres reçues par Maurice Barrès, les archives judiciaires du 3ème Conseil de guerre de Paris, des archives privées (notamment celles de Jules Jeanneney) et des sources plus classiques : contrôle postal, témoignages, documents de principes, lois, circulaires, décrets… Ce Corpus d’une grande densité permet à l’auteur de nous faire comprendre les liens entre « figures » et pratiques.

L’embusqué est d’abord « une figure au cœur de la culture de guerre du premier conflit mondial » (première partie). C’est une figure fonctionnelle de cette culture qui évolue avec la guerre elle-même. Presque 70% des articles concernant ou évoquant l’embusquage sont écrit en 1915 et 1916. A partir de 1917, l’image de l’embusqué évolue, souvent dans le sens d’une réhabilitation. Celle-ci pourrait être permise par la compréhension des exigences d’une guerre totale qui entraîne la multiplication des services périphériques aux combats qu’elle entraîne. Enfin, le thème des embusqués disparaît presque en 1918 (p. 33). Après avoir démontré ces variations chronologiques des représentations, le premier chapitre insiste sur l’opposition presque terme à terme entre l’embusqué « élégant », « décoré », parfois « efféminé » et le poilu « sale », humble et « viril ». L’évocation de l’embusqué servirait alors de « repoussoir patriotique ». Les lectures de onze grands quotidiens, de douze titres de périodiques et de trente cinq titres de presse de tranchées ont permis à Charles Ridel de dresser une typologie complète de l’embusqué. Pour résumer et simplifier cette typologie on peut dire que c’est une figure à géométrie variable : « On est toujours l’embusqué de quelqu’un » comme le décrit Dorgelès dans un très beau texte publié dans Le Bachofage en juillet 1917 (p. 90)

            Ces représentations de l’embusqué sont ensuite confrontées à une autre source, originale et inédite : les lettres reçues par l’écrivain et député nationaliste Maurice Barrès au cours de la guerre. Cette thèse nous offre une synthèse des figures de l’embusqué évoquées dans ce corpus de 15 362 lettres. La comparaison conforte l’essentiel des conclusions du premier chapitre. Les figures sont multiples : embusqués du front, embusqués de l’arrière, embusqués civils, mais toutes méprisables au début du conflit. Elles viennent par ailleurs se confronter à « l’affaire  Philippe Barrès ». Le fils de l’écrivain se trouve en effet au coeur d’une campagne de presse qui l’accuse (à tort semble-t-il) d’être un embusqué. L’ensemble des images contenues dans cette correspondance croise une autre figure importante : celle des « embusqués malgré eux » (p. 67) qui se retrouvent à des postes sans danger et qui souffrent de ne pouvoir participer au seul véritable effort de guerre : le combat. Quatre vingt quinze mobilisés de l’arrière demandent au député d’intervenir pour changer d’affectation et accéder à la ligne de feu. L’inverse se lit également et permet de renseigner sur le sens des pratiques : on demande à Maurice Barrès d’intervenir pour avoir une place moins exposée. Sur 15 362 lettres, cent cinquante contiennent des demandes de recommandation pour s’éloigner du feu…

            L’ensemble de ces représentations fait des embusqués « un front intérieur de la Grande Guerre » (2ème partie). Dès le début du conflit, la question des embusqués intéresse la presse, le gouvernement et le parlement. Le phénomène des embusqués pourrait être au centre d’une « crise républicaine » (chapitre 3). Clemenceau se déchaîne contre « la grande embuscade nationale » (p. 229) et le gouvernement est vite sensibilisé au risque qu’aurait cette thématique pour l’Union sacrée. Jusqu’au tournant de 1916, « embusquage » et « embuscomanie » donnent un écho particulier au problème des députés mobilisables, (p. 270 et suivantes) et des pratiques de recommandations (p. 275). Ce « front intérieur » semble au cours de la guerre se pacifier. Les débats encore vifs lors de l’élaboration des deux lois qui dessinent les nouveaux contours de l’égalité de l’impôt du sang (Loi Dalbiez 1915 et Loi Mourier 1917) laissent petit à petit la place à une sorte de consensus devant les impératifs de la guerre industrielle. Ce consensus n’a pas empêché l’établissement d’un arsenal législatif et réglementaire impressionnant pour éviter l’embusquage. Cet arsenal est d’ailleurs souvent inefficace et rappelle ce qu’Emmanuelle Cronier décrit dans sa thèse [CRONIER, Emmanuelle, L'échappée belle : permissions et permissionnaires du front à Paris pendant la Première Guerre mondiale , Thèse de Doctorat soutenue à l’Université de Paris 1, 2005, 3 vol., 983 p.] sur les quantités de circulaires censées rationaliser le déplacement des permissionnaires. La masse de documents de principe rencontrés dans nos recherches sur la Grande Guerre est souvent impressionnante : 14-18 se traduit aussi par une « exubérance de l’état » [BOCK, Fabienne, « L’exubérance de l’Etat en France de 1914 à 1918 », Vingtième siècle Revue d’histoire, n°3 juillet 1984, pp. 41-51 (citée par l’auteur)] que nous pourrions réinterroger.
Cet arsenal législatif et réglementaire (surveillance des hommes du service auxiliaire, des réformés, loi Dalbiez, loi Mourier, création de la Commission de Contrôle des Effectifs, inspections des usines et des dépôts) participe d’une  « chasse aux embusqués » (chapitre 4) lourde et à l’efficacité discutable.
Pour confronter l’ensemble des perceptions de l’embusqué (perception de la presse, des combattants, des électeurs ou des lecteurs de Barrès, perception des législateurs, des ministres, des officiers généraux) aux pratiques de l’embusquage, Charles Ridel se tourne vers la micro-histoire. Il présente ainsi dans une troisième et dernière partie les « apports et limites d’une micro-histoire de l’embusquage ». Le chapitre 5, grâce au dépouillement des archives du procès des réformes frauduleuses (3ème conseil de guerre de Paris 1915-1916) nous fait comprendre le fonctionnement d’un réseau, d’une « agence », qui grâce à de fausses signatures, à la complicité d’un médecin major et contre le versement d’une importante somme d’argent, obtenait des séjours prolongés à l’hôpital. Cette agence fut infiltrée, démantelée et ses membres furent jugés à Paris ainsi que trente mobilisés retrouvés qui ont eut recours à ses services.
L’âge moyen de l’embusqué, d’après ce « micro-corpus » est de trente quatre ans et demi, vingt d’entre eux sont mariés et quinze sont pères de famille. La profession type est celle de commerçant, petit négociant ou artisan (vingt sept sur trente). La raison professionnelle, la volonté de ne pas fermer la boutique, est évoquée le plus souvent comme mobile. L’apport ici passionnant, même si l’échantillon est mince, est qu’aucun de ces prévenus n’appartient aux deux classes suspectées de fournir le gros des embusqués : les ouvriers et les membres de la grande bourgeoisie ou des élites économiques ou culturelles.
Le dernier chapitre se penche sur les parcours (en lien avec l’embusquage) de quatre mobilisés.  Charles Ridel analyse de très près les positions de Lucien Laby, Robert Hertz, Fernand Léger et Raymond Stern. Quatre figures singulières mais quatre individus « enserrés dans un système de contraintes morales et institutionnelles au sein duquel chacun définit sa position ou son rôle dans une négociation intime permanente » (p. 597). A eux quatre, presque toutes les perceptions mais aussi pratiques et stratégies liées à l’embusquage se révèlent. D’abord des « embusqués du front » comme Hertz ou Laby qui le vivent mal et souhaitent se rapprocher des combats. Ils obtiennent tous les deux satisfactions. Hertz meurt, on le sait, lors de son premier combat en avril 1915. Le second s’expose presque deux ans avant de ressentir une solitude et une lassitude qui le poussent à accepter un poste protégé. Fernand Léger lui ne pense qu’à trouver le bon filon. Pour échapper au front, il use de toutes les possibilités : réseau, recommandations, soutiens,… Le dernier parcours, celui de Raymond Stern, montre toutes les difficultés que recèle une analyse des représentations et des pratiques soumises à des variations importantes sur le temps très court de la guerre. « Embusqué malgré lui », il évoque ses responsabilités familiales pour ne pas se rapprocher de la ligne de feu. Automobiliste, c’est la vision qu’il a de lui-même qui évolue. Il ne se perçoit bientôt plus comme embusqué. En effet, la place centrale et exposée d’automobiliste, notamment après Verdun, n’est plus perçue à la fin de 1916 comme celle des « embusqués du front ».
Les positions de ces quatre acteurs sont rendues intelligibles par les chapitres précédents qui donnent une force singulière aux analyses de l’auteur.

            Au total, la thèse de Charles Ridel éclaire une pratique et un terme que nous croisons tous dans nos recherches. Travail passionnant et utile sur un phénomène jusque là mal connu il permet d’approcher une pratique complexe et de comprendre les enjeux et les fonctions des discours sur l’embusqué. Pour susciter de riches débats qui ne manqueront pas d’enrichir l’histoire de la Première Guerre mondiale,  j’extrais une phrase de la conclusion qui résume assez bien l’esprit général de l’ouvrage :
« Sous l’épaisseur et la profondeur du consentement à la guerre, derrière l’homogénéisation des expériences de guerre, il y a une prodigieuse variété des comportements et d’ambiguïtés. »

Emmanuel Saint-Fuscien.

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