POURCHER Yves, « Les clichés de la Grande Guerre » in Terrain n° 34, mars 2000
La perception de l’entrée en guerre du côté français. L’auteur s’appuie sur les travaux pionniers de Jean-Jacques Becker (1977) et de Charles Petit-Dutaillis (1915). Avec le regard de l’ethnologue, il met en garde l’historien contre certains pièges interprétatifs du témoignage car « la réaction des populations à l’annonce de la guerre, qui a tant frappé les instituteurs et les autres témoins, mêle les champs de l’individuel et du collectif ». Les manifestations de sentiments (émotion, stupeur, sidération, prostration, peur, enthousiasme, etc…) exprimés et observés à la déclaration de guerre puis « mis en mots » par les témoins de cette période ont pu fluctuer et varier fortement dans un laps de temps très court. Il ressort de ce fait que l’impression que donnent les témoignages ponctuels peut être trompeuse. Une prudence interprétative s’impose donc lorsqu’on s’appuie sur ce type d’écrits anthropologiques. Ils ne sont que des « interprétations (…) de deuxième et troisième ordre (…) des fictions au sens où ils sont « fabriqués » ou « façonnés ». La dernière partie de l’article nous paraît particulièrement intéressante. L’auteur s’attache à mettre en évidence comment est né et s’est imposé par la suite le cliché littéraire du basculement dans la guerre et de « la fin d’un monde ». Il montre avec beaucoup de finesse combien le rôle du cliché littéraire est important pour pallier les silences de l’archive ou du témoignage lorsque ces derniers ne disent rien ou presque rien : « les clichés sont placés aux points limites de l’histoire quant elle s’avère incapable de recomposer la scène, quand elle ne peut pas rendre les sentiments. »
J.F. Jagielski