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Recension: J. Maurin et R. Pech, 1907, Les mutins de la République

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Rémy Pech et Jules Maurin, 1907, Les mutins de la république. La révolte du midi viticole, Préface de Maurice Agulhon,  Toulouse , Editions Privat, 2007, 330 pages.

Voilà un livre qui traite d’un événement antérieur à la Grande Guerre mais dont le déroulement et le dénouement sont fascinants à découvrir quand on s’intéresse à la « grogne »  de l’année 1917.
Tout d’abord cet ouvrage milite pour qu’une attention plus grande soit portée à la longue durée en histoire. Les mobilisés de 1914  avaient déjà derrière eux une histoire personnelle. Les quelques 600 mutins des classes 1903 à 1905 du régiment de Béziers sont pour la plupart partis en 1914 pour la guerre et 106 d’entre eux  y ont trouvé la mort.
Dans une première partie le professeur Jules Maurin brosse en particulier un panorama de l’institution militaire, montrant  et démontrant combien à cette époque le recrutement est local et homogène, facilitant les solidarités.( 80% originaires de la subdivision militaire de Béziers,, 7% de l’Aude, , 5%  du Tarn, 3% de l’Aveyron…., 60% travaillant dans l’agriculture, 27% dans l’artisanat et le commerce, secteurs liés en grande  partie  à la viticulture et en dépendant ).  Ce qui est dit là peut facilement être transposé dans toutes les régions de France avant 1914 avec pour seule différence un autre contexte socio-économique et ne doit pas être perdu de vue quand on étudie la première année de guerre.
En ce qui concerne le déroulement des incidents, on ne  peut que  faire des parallèles   entre 1907 et 1917. En voici quelques-uns : l’absence de meneurs politisés  préalablement chez les mutins, la prudence de l’autorité militaire dans le règlement de la crise, la prudence équivalente des « meneurs » soucieux d’éviter l’irréparable, le dialogue avec le commandement.
Ce constat ouvre des pistes de recherche. Il semble y avoir alors une gestion disons  « républicaine »   de la mutinerie militaire française et on peut se dire que la manière dont les deux parties se gardent d’en arriver aux extrêmes : non-agression des cadres  et contrôle des débordements d’un côté, refus d’appliquer automatiquement les consignes réglementaires de répression de l’autre, mises en œuvre en temps de paix, se sont retrouvées en temps de guerre.
On imagine mal en Allemagne par exemple un général commandant de corps d’armée comme le général Bailloud, demandant à entendre  les délégués de la troupe et négociant avec eux, ce qui a lieu pourtant à Béziers. De même en 1917 on trouve rapidement des scènes de discussions entre mutins et généraux de corps d’armée comme avec le général Lebrun, sans que cela choque les deux parties devenues momentanément antagonistes
L’institution militaire de la III° République semble avoir prédisposé à ces types de relations assez insolites , eu égard à la dureté  et à la sévérité formelles des règlements,  phénomène observable en 1917, mais aussi ici aussi, dix ans auparavant.
Est-ce du en particulier à ce que dit Montéhus dans le 2° couplet de son célèbre chant du 17° :

« Comme les autres, vous aimez la France
J’en suis sûr, même vous l’aimez bien
Mais sous votre pantalon garance
Vous êtes restés des citoyens »
Ou bien est-ce seulement une partie de la réponse ?

En ce qui concerne le dénouement, à l’initiative des autorités, on retrouve les mêmes procédés que ceux utilisés à l’encontre des mutins du 36° et 129° RI en 1917 : Tout d’abord un enlèvement surprise par voie ferrée de l’ensemble du régiment en le délocalisant loin des événements, une recherche  rapide  des «  mutins », leur isolement et leur départ immédiat pour une contrée lointaine : la Tunisie. Tout ceci fait penser aux 300 « indésirables »  du 36° RI isolés et expédiés sur Marseille et Bordeaux pour départ quasi immédiat pour le Tonkin ou l’Afrique, là aussi sans passage par le Conseil de Guerre.
Pour ce faire il y a comme en 1917 rapidité de prise de décision et mobilisation des moyens en un temps record, ici l’envoi de deux croiseurs au large de Villefranche sur Mer, avec embarquement nocturne.
Un deuxième puissant intérêt du livre réside dans l’utilisation intelligente des témoignages de mutins. Neuf récits, richement annotés sont présentés par le professeur Rémy Pech.
Nous qui au Crid militons pour la prise en compte du témoignage ne pouvons que nous trouver confortés dans notre attitude à la lecture de la richesse historique contenu dans les souvenirs de ces mutins et à tout ce qu’ils nous font connaître des détails des événements et des sentiments de ceux qui y ont participé.
Nous le pouvons d’autant plus que ces témoignages sont particulièrement étudiés dans leur contexte et critiqués comparativement entre eux, conditions sine qua non pour devenir du matériau historique.
Ils permettent en particulier de se faire une opinion sur la réalité et sur la nature de la répression à l’issue de la mutinerie, points sur lesquels courent encore des légendes et des rumeurs.
Tous ceux qui comme certains d’entre nous s’interrogent sur le phénomène des mutineries et des formes de désobéissance dans l’armée française au cours du premier conflit mondial se doivent de lire cet ouvrage qui, par son coté chronologique décalé projette sur les événements de 1917 une lumière rasante bien propre à faire percevoir certaines constantes troublantes dans les comportements. Analysés et interprétés, ils ne peuvent que  faire avancer la  connaissance dans ce domaine qui pour l’instant reste, et c’est heureux, l’objet de débats.
A consommer sans modération.

André Bach

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