CAMARADE Hélène, Ecritures de la Résistance, Le journal intime sous le Troisième Reich, préface de Peter Steinbach, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, collection "Interlangues", 2007, 423 pages.
Cet ouvrage d’Hélène Camarade, agrégée d’allemand, maître de conférences à l’université Michel de Montaigne à Bordeaux, est une très bonne analyse de journaux intimes écrits pendant la période nazie, cachés afin qu’ils échappent à la police et qu’ils parviennent à la postérité, et publiés après la Deuxième Guerre mondiale. Ces témoignages sont assez peu connus en France, à l’exception des deux volumes du magnifique Journal de Victor Klemperer publiés par le Seuil en 2000 (Mes soldats de papier. Journal 1933-1941) et en 2002 (Je veux témoigner jusqu’au bout. Journal 1942-1945), dont il faut lire aussi LTI, la langue du IIIe Reich. Carnet d’un philologue (Albin Michel, 1996). En dehors de Klemperer, seuls ont été traduits en français les textes de Theodor Haecker, Ulrich von Hassell et Friedrich Reck-Malleczewen. La plupart doivent être consultés dans la langue d’origine ; on en trouvera la liste dans le livre d’Hélène Camarade p. 397-398, accompagnée des biographies sommaires des auteurs, p. 387-396. Loin d’être uniformes, ces œuvres montrent le pluralisme de la pensée des résistants allemands et l’ambiguïté de la résistance des conservateurs, nationalistes, antibolcheviques, voire marqués par l’antisémitisme.
Dans l’ensemble, cependant, ces écrits ont constitué des instruments d’autodéfense dans une stratégie de survie. Dans un espace clandestin d’expression, ils ont servi d’exutoire à ceux qui ne pouvaient écrire ou parler librement en public. Dans le cas des juifs, ils ont été une tentative de contrecarrer l’objectif des nazis qui voulaient qu’aucune trace de leurs crimes ne subsiste. C’est bien ainsi qu’il faut lire ce livre : il concerne la résistance allemande au nazisme.
Mais il fournit aussi des éclairages et pose des questions sur l’écriture contestataire dans d’autres contextes, comme celui des tranchées en 1914-1918 (j’ai bien dit : « d’autres contextes » ; il faudrait être malintentionné pour interpréter cela comme une assimilation avec le nazisme). Toute situation dans laquelle l’individu est écrasé produit un recours à l’écriture de soi pour laisser une trace quand on est menacé de disparition totale, et/ou pour donner un sens à ce qui en apparence n’en a pas. Les combattants de 14-18 ont eu le souci de porter témoignage conforme à leur expérience et non à l’histoire officielle ; comme Klemperer, ils pouvaient constater le dévoiement des mots quand les journaux disaient « honneur » et « gloire » et qu’eux-mêmes voyaient « boucherie ». Ils écrivaient parfois pour une « postérité », floue, mais en qui ils avaient confiance pour retrouver dans leurs carnets les étapes de leur calvaire.
Dans la plupart des cas, en 14-18, les carnets personnels ne servaient pas de substituts épistolaires. Des milliards de lettres furent échangées, la plupart échappant à la censure. Reste ce qu’on n’osait tout de même pas écrire à sa famille et que l’on confiait à son carnet ; reste l’expérience des prisonniers qu’il valait mieux ne pas étaler dans une correspondance particulièrement surveillée (dans Les Carnets de captivité de Charles Gueugnier, on pourra noter l’obsession du sauvetage de notes prises clandestinement et toujours bien cachées). Lorsque la ligne de feu établissait une frontière hermétique entre le mari resté en territoire français envahi et sa famille réfugiée vers l’ouest, le carnet personnel devenait alors un vrai substitut, non seulement du courrier mais aussi de la conversation dans le cadre familial : celui d’Albert Denisse, brasseur à Etreux (Aisne), évoqué dans la revue Annales du Midi, n° 232, 2000, p. 436-438, en est un bon exemple.
Ces quelques paragraphes sont loin d’avoir résumé le livre d’Hélène Camarade dont la lecture est vivement recommandée à ceux qui ont à travailler sur le témoignage en histoire.
Rémy Cazals