BEURIER Joëlle, Images et violence 1914-1918. Quand Le Miroir racontait la Grande Guerre… , Paris, Nouveau monde éditions, 2007, 111 pages.
L’ouvrage, clair et abondamment pourvu d’exemples, s’intéresse à la presse illustrée pendant la guerre, en prenant à contre-pied une historiographie qui selon l’auteur, depuis les années d’après-guerre, accepterait facilement l’idée d’un conflit déréalisé pendant son déroulement même par l’œuvre de la censure et du « bourrage de crâne ». De là, un travail mené essentiellement à partir du dépouillement des numéros de guerre de l’hebdomadaire Le Miroir et centré sur le thème de la violence.
La photographie, perçue comme «miroir du réel », permet de saisir la guerre que le public « veut voir ». Cinq sources principales alimentent le journal et la course au cliché sensation, l’auteur soulignant la part importante des photographies envoyées par les combattants eux-mêmes, contre rémunération (concours de la meilleure photographie richement dotés dès 1915) et malgré l’interdiction de prendre des clichés au front souvent rappelée par l’autorité militaire, mais finalement peu efficace. Un des intérêts de l’ouvrage réside dans l’affirmation que la violence est visible dans les clichés publiés par la presse illustrée dès 1915, l’année 1915 étant présentée comme celle d’un changement de représentation de la guerre, plus réaliste, et des combattants, transformés en victimes (p. 40). La presse illustrée, et en particulier Le Miroir prennent alors le tournant du sensationnel afin que l’arrière puisse voir et connaître l’enfer du front, devienne « spectateur » de la guerre.
Ce qui pose problème, c’est bien les interprétations de l’historien face aux images, d’autant que des mises en statistiques manquent qui viendraient appuyer ces interprétations (par exemple l’analyse des paysages comparés de Verdun et de la Somme pp. 57-61). Alors même que l’auteur traque les « représentations mentales des Français » et leurs évolutions. Ce sont donc encore une fois les représentations qui sont sondées, sans que, par exemple, les stratégies d’édition ne soient approchées (la surenchère entre les titres et la course à la photographie la plus marquante). L’auteur présente la publication des photographies comme un vrai choix pédagogique : le crescendo des images de corps morts étant censé habituer peu à peu les lecteurs à la violence des combats. C’est prendre peu en compte les données de la guerre vécue, comme si les journaux connaissaient d’emblée la durée du conflit et en contrôlaient la temporalité… Peut-on affirmer que ces publications dont le tirage n’a fait que croître durant la guerre, démontrent que l’arrière, qui savait, a consenti à la guerre et à sa violence? (p. 97). Alors même qu’il semble qu’aucune propagande importante n'ait sous-tendu une « culture » de haine de l’ennemi dans la présentation de ses morts sur le champ de bataille (contradiction entre les propos des pages 27 et 87).
D’autre part, si l’originalité du cas français autour de la question du « réalisme de guerre » de la presse illustrée est posée dès l’introduction, on aurait aimé en mieux saisir la spécificité par comparaison avec d’autres titres étrangers, au-delà d’une censure française présentée comme « un organisme » tâtonnant, « aux mailles très larges ».
Il faudrait se pencher sur la réception de telles images par le public et les techniques qui permettraient de le mesurer. Mais également, de mieux saisir les étapes qui ont présidé au choix des clichés publiés.
Voir n’est pas forcément croire, et il n’est pas sûr que les lecteurs de l’époque, dans leur grande diversité, et sur le temps long de la guerre, aient, à tous les coups, accepté les visions d’horreur qui leur étaient proposées. Les quantités d’exemplaires vendus renvoient surtout au besoin et à la possibilité offerte de « voir », à une curiosité qui dépasse le simple environnement culturel de la Grande Guerre, et que d’ailleurs les médias aujourd’hui savent toujours entretenir.
Alexandre Lafon