L'ossuaire de Douaumont :
Jusqu’en septembre 1927, les restes des soldats tombés sur le champ de
bataille de Verdun furent rassemblés dans un ossuaire provisoire
constitué d’un baraquement Adrian qui se situait aux abords de
l’ancienne ferme de Thiaumont, à quelques centaines de mètres de
l’ossuaire actuel. Cet ossuaire provisoire était gardé par l’abbé Noël
qui guidait les familles de disparus dans leurs recherches et
accueillait pèlerins ou délégations venues rendre hommage « aux morts
de Verdun ».
« (…) Pour terminer ce mois de septembre [1923], une grandiose et imposante manifestation avait lieu à l'ossuaire.
Quinze cents hommes et jeunes gens de la Jeunesse catholique des
Ardennes, convoqués par leur président, M. Emmanuel Dauchez, et leurs
aumôniers, M. l'abbé Bihéry et M. l'abbé Artus, venaient, graves et
recueillis, sous la présidence de Mgr Neveux, auxiliaire de Reims,
apporter aux morts de Verdun un témoignage de leur pieux souvenir.
En raison du nombre des pèlerins qui s'étaient fait inscrire, la C ie
des chemins de fer de l'Est avait organisé un train spécial Ce fut un
magnifique spectacle de voir ces hommes, en cortège, traverser les rues
de Verdun, pour monter à la cathédrale. Là, Mgr Neveux rappela, en
quelques mots, aux Jeunes que la France compte sur eux pour réparer ses
ruines et souhaita aux Anciens qui ont fait si vaillamment leur devoir
pendant la guerre, beaucoup de courage civique et chrétien. Un assez
grand nombre de ces pèlerins, malgré les fatigues du voyage, firent la
sainte communion.
Après
la messe, ils se rendirent tous au train meusien qui les amena à
Douaumont où Mgr Neveux et leurs aumôniers les attendaient. A l'entrée
de l'ossuaire, le Chapelain remercia les organisateurs et les pèlerins
de la pensée chrétienne de reconnaissante vénération pour nos Héros,
qui avait fait décider ce pèlerinage. Il redit ce que nous leurs devons
et qu'ils attendent de nous. Tous eurent à coeur de montrer qu'ils
avaient compris; car chacun voulut laisser son obole, dont le total
sera consacré à une pierre gravée au nom de la Jeunesse catholique dés
Ardennes.
La visite émue
et recueillie de l'ossuaire se fit par un défilé qui dura plus d'une
heure. Le repas champêtre suivit aussitôt, et ensuite le salut du Très
Saint Sacrement fut donné dans la baraque Arian, transformée en
chapelle pour la circonstance.
Le Président de la Jeunesse catholique des Ardennes prit là parole au
milieu d'un religieux silence. Après avoir remercié les membres de la
Jeunesse catholique d'être venus en pèlerins et non en touristes, M.
Emmanuel Dauchez évoqua les tragiques souvenirs de Verdun. Citant l'un
des héros de Verdun, Raymond Jubert, disparu en 1917 dans la région du
Bois Le Chaume, et qui écrivit un livre palpitant sur Verdun, I'orateur
rappela le mot du général Deville qui, réunissant ses officiers à
l'Hôtel de Ville de Verdun, leur dit : « Messieurs, Verdun est
menacé..., et vous êtes la brigade de Verdun... Je n'ai pas à vous
cacher la vérité : Nous avons été surpris... Je n'ai pas à vous
dissimuler les fautes. Nous avons à les réparer. Le secteur que nous
prenons ? Un chaos. La vie qui nous y attend ? La bataille... Les
tranchées ? Elles n'existent pas. Ne me demandez pas de matériel, je
n'en ai pas. Des renforts ? je n'en ai pas. Bon courage, Messieurs ! »
Et l'auteur d'ajouter : « Connaissez-vous dans l'histoire militaire
une harangue où palpite plus douloureusement la grande âme d'un chef
donnant à des gens de coeur ce simple mot d'ordre : Faites-vous tuer ?
»
L'auditoire,
frémissant au souvenir des grandes journées héroïques, fit une
véritable ovation à l'orateur quand il conclut : " Mes amis, en
catholiques soumis, inclinons respectueusement la tête vers Rome. Et,
de ce champ de bataille mémorable, saluons avec vénération celui qui,
hier, voulut arrêter les horreurs de la guerre, celui qui,
aujourd'hui, désire éviter toute nouvelle hécatombe et celui qui,
demain, élèvera encore et toujours la voix au nom du Prince de la paix.
»
A la fin de la
cérémonie, le Chapelain remerciait de nouveau tous et chacun en
exprimant le vif désir de voir se renouveler une aussi réconfortante
manifestation, un si beau et pieux pèlerinage à l'Ossuaire. »
Source : L’Echo de l’Ossuaire de Douaumont, septembre-octobre 1923, pp 136-138
L’Oeuvre du Souvenir des Morts de Verdun est
née de la volonté conjointe de l’évêque de Verdun, Mgr Ginisty, du
général Valantin, gouverneur de la place forte de Verdun, et de la
princesse de Polignac, veuve de guerre dont le mari avait été tué en
Champagne en 1915. Les membres fondateurs de l’Oeuvre se
donnèrent pour mission de faire construire grâce à une vaste
souscription nationale et internationale un édifice imposant, capable
de contenir les ossements des disparus des cinquante-deux secteurs de
l’ancien champ de bataille. Le premier million de la souscription fut
atteint le 30 avril 1922. Cinq projets de monuments furent retenus. Le
4 mars 1923, le jury composé de dix-sept membres et présidé par le
maréchal Pétain, décida de confier la réalisation de l’ossuaire de
Douaumont aux architectes Azéma, Hardy et Edrei.
« La Maquette du Monument.
Elle a été exposée au 65 de la rue Mazel, à Verdun, et une copie va
prochainement prendre place derrière l'Ossuaire de Douaumont. A Verdun,
elle occupe une cabine étroite, où sont disposées 12 vues
stéréoscopiques, très impressionnantes, du champ de bataille.
Mais ce qui retient la vue, c'est le monument lui-même. Pour n'être
qu'un monument en raccourci, il donne l'idée exacte de ce que sera la
réalité, « simple et sobre comme l'âme du soldat ; vaste et noble comme
la grandeur du sacrifice ; durable, impérissable, comme le souvenir
des Héros de Verdun ». Il semble bien, en effet, que les artistes aient
réalisé cet admirable concept du maréchal Pétain. Le monument
impressionne par son ampleur et par l'harmonie de ses lignes, par la
sobriété des décors et par le symbolisme expressif qui s'en dégage.
C'est à la fois un monument de deuil et de victoire, de mort et
d'immortalité : il a l'aspect d'une digue qui arrête les flots, et d'un
fort qui domine et commande.
Mausolée funèbre, et arc de triomphe qui abritera des centaines de
mille soldats inconnus, il sera, comme celui de Paris, le rendez-vous
de pèlerins du monde entier.
La chapelle qui fait suite au grand portique, est de même style simple
et sobre ; mais, par sa lumière discrète, par la pureté de ses lignes,
elle sera le temple idéal du recueillement, de la méditation et de la
prière.
L'imposante maquette mesure 3 m. 70 cent. de long et 0 m. 93 cent. de haut. Placée sur une table, à hauteur des yeux, elle ravit par son ensemble et ses proportions.
Et les visiteurs, impatients, voudraient la voir déjà posée sur la
haute croupe de Douaumont, avec toute l'ampleur de son développement :
180 mètres de long et 45 mètres de hauteur. Quelques-uns, parmi les
plus pressés, .se demandent : a Que font les architectes ? Où sont les
ouvriers ?... »
Les
architectes travaillent, d'arrache-pied, à faire les plans, les épures,
les devis, tout ce qui doit précéder et préparer une grande
construction. Ces jours derniers, devant le Comité réuni, ils ont
déployé leurs rouleaux de 3 à 4 mètres de long ; et chacun, en les
admirant, de s'écrier : " Quel travail ! "
Une adjudication doit avoir lieu : il faut que les
entrepreneurs-concurrents aient sous les yeux tous les éléments
d'examen et d'appréciation.
Les ouvriers ? Ils seront bientôt en carrière, occupés à extraire les
centaines et centaines de mètres cubes de pierre. C'est en carrière que
ces blocs seront taillés et tout préparés à être posés, de sorte que,
lorsque le monument sera commencé, il sera bientôt..... fini.
Fini ! Oui, quant à la première partie, la partie centrale, le portique
et le phare de Douaumont. Deux ou trois alvéoles le flanqueront de
chaque côté, en attendant que le monument déploie toute l'envergure de
ses ailes.
Jadis, nos
pères mettaient des siècles à bâtir nos splendides cathédrales. Au
siècle de la vapeur, de l'électricité, de la T. S. F. et du cinéma, il
suffira de quelques mois, de quelques années, pour faire la «
Cathédrale des Morts ». Cela dépendra..... des souscripteurs, plutôt
que des ouvriers et des architectes. »
Source : L’Echo de l’Ossuaire de Douaumont, septembre-octobre 1923, pp 133-134
L’ossuaire définitif fut inauguré officiellement les 6, 7 et 8 août
1932. Nous reproduisons ici un extrait du discours prononcé par le
maréchal Pétain à cette occasion.
« Qu'était donc ce soldat, qui force l'admiration du monde ?
« De ses vertus, nous voulons aujourd'hui retenir par-dessus tout son
esprit de sacrifice. C'est par une acceptation consciente et sereine de
l'épreuve, de la souffrance et de la mort, par une volonté que la durée
de la bataille n'a pu entamer que le soldat de Verdun mérite son
impérissable renom.
« Il
avait compris que la chute de la vieille citadelle eût entraîné de
redoutables conséquences, atteint le prestige de la France, ébranlé le
bloc des Alliés, compromis irrémédiablement la victoire. « Ce n'était
pas en vain qu'il appartenait à l'un des plus vieux peuples d'Europe.
« Dix siècles de vie nationale parlaient en lui, avec la France
entière, celle du passé et celle du présent ; il communiait dans la
résolution farouche de faire face au danger, de consacrer à
l'accomplissement de ce devoir toutes ses forces, toute son énergie,
sa vie même.
« Il savait
que, dans l'armée, tous les esprits, tous les efforts étaient tendus
vers le même but. « Fantassins, sapeurs, artilleurs, bravant le déluge
des projectiles et la morsure des gaz, aviateurs, infatigables
patrouilleurs du ciel, brancardiers attentifs à leurs sanglants
fardeaux tout ce monde de travailleurs s'exténuant pour assurer la
montée régulière des ravitaillements et des renforts, tous combattaient
ou se dépensaient pour que la France fût victorieuse.
« Comment ne pas dire
aussi l'héroïsme de ces coureurs haletants sur les pistes
chaotiques qu'ils arrosaient de leur sang.
« C'était ici, entre Thiaumont et Fleury, qu'un coureur portant un de
ces papiers où quelques lignes griffonnées disent la situation, les
besoins, les demandes des combattants, tombe mortellement frappé.
Tandis que de ce corps mutilé, étendu en travers de la piste, la vie
s'en va peu à peu, le mourant retire de sa cartouchière le papier
froissé et sanglant. Crispant ses doigts sur la feuille sans douter un
instant qu'un autre ne dût achever sa mission, il meurt tendant vers
celui qui lui succédera sur le chemin tragique le message d'où dépend
le sort de ses camarades.
« Tel fut le « soldat de Verdun ".
« Un pieux devoir nous a conduits devant ce tombeau. Notre visite
serait stérile si nous ne demandions à nos morts la ligne de conduite à
suivre pour rester dignes d'eux.
« Le sublime élan de dévouement envers la collectivité nationale a trop
souvent fait place aux calculs égoïstes des intérêts particuliers.
Pour résoudre les difficultés de l'heure présente, pour faire triompher
nos vues sur le terrain des négociations internationales, il importe
que la France montre une résolution unanime.
« L'heure est grave, en effet ; aux obstacles imputables aux défauts de
notre race s'ajoutent ceux que nous opposent les circonstances.
« Sans doute devons-nous persévérer dans l'attitude qui a été la nôtre
jusqu'ici, car il est conforme au rôle séculaire de la France
d'entraîner le monde dans la voie des initiatives généreuses. Mais tant
que la justice n'aura pas triomphé, tant qu'un arbitrage incontesté
n'aura pas consacré nos droits, nous avons le devoir de veiller à notre
sécurité.
« Quelles que
soient les charges qui en résulteront, ayons le courage de les accepter
et de ne point abandonner - au nom d'un idéal pacifique- de réalisation
incertaine les moyens de défendre notre sol.
« Mais il serait vain de consentir les sacrifices nécessaires à notre
sauvegarde si nous laissions notre organisme national s'épuiser sous
les rudes incidences économiques du moment.
« Une crise sans précédent ébranle le monde et menace jusque dans ses
fondements notre civilisation. Il ne nous appartient pas d'en indiquer
les causes ni de proposer les remèdes, mais il est hors de doute que le
salut de notre pays exigera de tous des efforts et des renoncements
ayant pour but le resserrement de nos liens nationaux, la sécurité de
notre territoire, où le rétablissement économique et financier né sont
point au-dessus de nos possibilités.
« L'exemple de Verdun
est là pour témoigner de la capacité
d'abnégation, de ténacité et de
persévérance de notre race.
« Dans les moments d'angoisse ou d'incertitude qui font vaciller les
plus fermes desseins, tournons nos pensées vers ce " soldat de Verdun »
dont la vertu semblait sans limites ; nous puiserons en lui la notion
du devoir et la volonté de l'accomplir. "
Source : Inauguration de l’Ossuaire de Douaumont. 6-7-8 août 1932, Imprimeries réunies de Nancy, s.d. [1932], pp 49-50.
Haut de la page |