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CRID 14-18












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sur la guerre
 
de 1914-1918






L'ossuaire de Douaumont

La recherche des disparus dans les régions libérées

La recherche des tombes après la guerre

La place des Ancients Combattants

Les monuments aux morts

Un poème sur les combattants et leur mort annoncée




Textes destinés à un usage pédagogique
La mémoire de la guerre: deuil, commémoration, mémoire officielle 

 L'ossuaire de Douaumont :

Jusqu’en septembre 1927, les restes des soldats tombés sur le champ de bataille de Verdun furent rassemblés dans un ossuaire provisoire constitué d’un baraquement Adrian qui se situait aux abords de l’ancienne ferme de Thiaumont, à quelques centaines de mètres de l’ossuaire actuel. Cet ossuaire provisoire était gardé par l’abbé Noël qui guidait les familles de disparus dans leurs recherches et accueillait pèlerins ou délégations venues rendre hommage « aux morts de Verdun ».

« (…) Pour terminer ce mois de septembre [1923], une grandiose et im­posante manifestation avait lieu à l'ossuaire.

Quinze cents hommes et jeunes gens de la Jeunesse catho­lique des Ardennes, convoqués par leur président, M. Emmanuel Dauchez, et leurs aumôniers, M. l'abbé Bihéry et M. l'abbé Artus, venaient, graves et recueillis, sous la présidence de Mgr Neveux, auxiliaire de Reims, apporter aux morts de Verdun un témoignage de leur pieux souvenir.

En raison du nombre des pèlerins qui s'étaient fait inscrire, la C ie des chemins de fer de l'Est avait organisé un train spécial Ce fut un magnifique spectacle de voir ces hommes, en cortège, traverser les rues de Verdun, pour monter à la cathédrale. Là, Mgr Neveux rappela, en quelques mots, aux Jeunes que la France compte sur eux pour réparer ses ruines et souhaita aux Anciens qui ont fait si vaillamment leur devoir pendant la guerre, beaucoup de courage civique et chrétien. Un assez grand nombre de ces pèlerins, malgré les fatigues du voyage, firent la sainte communion.

Après la messe, ils se rendirent tous au train meusien qui les amena à Douaumont où Mgr Neveux et leurs aumôniers les attendaient. A l'entrée de l'ossuaire, le Chapelain remercia les organisateurs et les pèlerins de la pensée chrétienne de recon­naissante vénération pour nos Héros, qui avait fait décider ce pèlerinage. Il redit ce que nous leurs devons et qu'ils attendent de nous. Tous eurent à coeur de montrer qu'ils avaient compris; car chacun voulut laisser son obole, dont le total sera consacré à une pierre gravée au nom de la Jeunesse catholique dés Ardennes.

La visite émue et recueillie de l'ossuaire se fit par un défilé qui dura plus d'une heure. Le repas champêtre suivit aussitôt, et ensuite le salut du Très Saint Sacrement fut donné dans la baraque Arian, transformée en chapelle pour la circonstance.

Le Président de la Jeunesse catholique des Ardennes prit là parole au milieu d'un religieux silence. Après avoir remercié les membres de la Jeunesse catholique d'être venus en pèlerins et non en touristes, M. Emmanuel Dauchez évoqua les tragiques souvenirs de Verdun. Citant l'un des héros de Verdun, Raymond Jubert, disparu en 1917 dans la région du Bois Le Chaume, et qui écrivit un livre palpitant sur Verdun, I'orateur rappela le mot du général Deville qui, réunissant ses officiers à l'Hôtel de Ville de Verdun, leur dit : « Messieurs, Verdun est menacé..., et vous êtes la brigade de Verdun... Je n'ai pas à vous cacher la vérité : Nous avons été surpris... Je n'ai pas à vous dissimuler les fautes. Nous avons à les réparer. Le secteur que nous prenons ? Un chaos. La vie qui nous y attend ? La bataille... Les tranchées ? Elles n'existent pas. Ne me demandez pas de matériel, je n'en ai pas. Des renforts ? je n'en ai pas. Bon courage, Messieurs ! » Et l'auteur d'ajouter : « Connaissez­-vous dans l'histoire militaire une harangue où palpite plus douloureusement la grande âme d'un chef donnant à des gens de coeur ce simple mot d'ordre : Faites-vous tuer ? »

L'auditoire, frémissant au souvenir des grandes journées héroïques, fit une véritable ovation à l'orateur quand il conclut : " Mes amis, en catholiques soumis, inclinons respectueusement la tête vers Rome. Et, de ce champ de bataille mémorable, saluons avec vénération celui qui, hier, voulut arrêter les hor­reurs de la guerre, celui qui, aujourd'hui, désire éviter toute nouvelle hécatombe et celui qui, demain, élèvera encore et toujours la voix au nom du Prince de la paix. »

A la fin de la cérémonie, le Chapelain remerciait de nouveau tous et chacun en exprimant le vif désir de voir se renouveler une aussi réconfortante manifestation, un si beau et pieux pèle­rinage à l'Ossuaire. »

Source : L’Echo de l’Ossuaire de Douaumont, septembre-octobre 1923, pp 136-138

L’Oeuvre du Souvenir des Morts de Verdun est née de la volonté conjointe de l’évêque de Verdun, Mgr Ginisty, du général Valantin, gouverneur de la place forte de Verdun, et de la princesse de Polignac, veuve de guerre dont le mari avait été tué en Champagne en 1915. Les membres fondateurs de l’Oeuvre se donnèrent pour mission de faire construire grâce à une vaste souscription nationale et internationale un édifice imposant, capable de contenir les ossements des disparus des cinquante-deux secteurs de l’ancien champ de bataille. Le premier million de la souscription fut atteint le 30 avril 1922. Cinq projets de monuments furent retenus. Le 4 mars 1923, le jury composé de dix-sept membres et présidé par le maréchal Pétain, décida de confier la réalisation de l’ossuaire de Douaumont aux architectes Azéma, Hardy et Edrei.

« La Maquette du Monument.

Elle a été exposée au 65 de la rue Mazel, à Verdun, et une copie va prochainement prendre place derrière l'Ossuaire de Douaumont. A Verdun, elle occupe une cabine étroite, où sont disposées 12 vues stéréoscopiques, très impressionnantes, du champ de bataille.

Mais ce qui retient la vue, c'est le monument lui-même. Pour n'être qu'un monument en raccourci, il donne l'idée exacte de ce que sera la réalité, « simple et sobre comme l'âme du soldat ; vaste et noble comme la grandeur du sacrifice ; durable, impé­rissable, comme le souvenir des Héros de Verdun ». Il semble bien, en effet, que les artistes aient réalisé cet admirable concept du maréchal Pétain. Le monument impressionne par son am­pleur et par l'harmonie de ses lignes, par la sobriété des décors et par le symbolisme expressif qui s'en dégage. C'est à la fois un monument de deuil et de victoire, de mort et d'immortalité : il a l'aspect d'une digue qui arrête les flots, et d'un fort qui domine et commande.

Mausolée funèbre, et arc de triomphe qui abritera des cen­taines de mille soldats inconnus, il sera, comme celui de Paris, le rendez-vous de pèlerins du monde entier.

La chapelle qui fait suite au grand portique, est de même style simple et sobre ; mais, par sa lumière discrète, par la pureté de ses lignes, elle sera le temple idéal du recueillement, de la méditation et de la prière.

L'imposante maquette mesure 3 m. 70 cent. de long et 0 m. 93 cent. de haut. Placée sur une table, à hauteur des yeux, elle ravit par son ensemble et ses proportions.

Et les visiteurs, impatients, voudraient la voir déjà posée sur la haute croupe de Douaumont, avec toute l'ampleur de son développement : 180 mètres de long et 45 mètres de hau­teur. Quelques-uns, parmi les plus pressés, .se demandent : a Que font les architectes ? Où sont les ouvriers ?... »

Les architectes travaillent, d'arrache-pied, à faire les plans, les épures, les devis, tout ce qui doit précéder et préparer une grande construction. Ces jours derniers, devant le Comité réuni, ils ont déployé leurs rouleaux de 3 à 4 mètres de long ; et chacun, en les admirant, de s'écrier : " Quel travail ! "

Une adjudication doit avoir lieu : il faut que les entrepre­neurs-concurrents aient sous les yeux tous les éléments d'exa­men et d'appréciation.

Les ouvriers ? Ils seront bientôt en carrière, occupés à extraire les centaines et centaines de mètres cubes de pierre. C'est en carrière que ces blocs seront taillés et tout préparés à être posés, de sorte que, lorsque le monument sera commencé, il sera bientôt..... fini.

Fini ! Oui, quant à la première partie, la partie centrale, le portique et le phare de Douaumont. Deux ou trois alvéoles le flanqueront de chaque côté, en attendant que le monument déploie toute l'envergure de ses ailes.

Jadis, nos pères mettaient des siècles à bâtir nos splendides cathédrales. Au siècle de la vapeur, de l'électricité, de la T. S. F. et du cinéma, il suffira de quelques mois, de quelques années, pour faire la « Cathédrale des Morts ». Cela dépendra..... des souscripteurs, plutôt que des ouvriers et des architectes. »

Source : L’Echo de l’Ossuaire de Douaumont, septembre-octobre 1923, pp 133-134

L’ossuaire définitif fut inauguré officiellement les 6, 7 et 8 août 1932. Nous reproduisons ici un extrait du discours prononcé par le maréchal Pétain à cette occasion.

« Qu'était donc ce soldat, qui force l'admiration du monde ?

« De ses vertus, nous voulons aujourd'hui retenir par-dessus tout son esprit de sacrifice. C'est par une acceptation consciente et sereine de l'épreuve, de la souffrance et de la mort, par une volonté que la durée de la bataille n'a pu entamer que le soldat de Verdun mérite son impérissable renom.

« Il avait compris que la chute de la vieille citadelle eût entraîné de redoutables conséquences, atteint le prestige de la France, ébranlé le bloc des Alliés, compromis irrémédiablement la victoire. « Ce n'était pas en vain qu'il appartenait à l'un des plus vieux peuples d'Europe.

« Dix siècles de vie nationale parlaient en lui, avec la France entière, celle du passé et celle du présent ; il communiait dans la résolution farouche de faire face au danger, de consacrer à l'ac­complissement de ce devoir toutes ses forces, toute son énergie, sa vie même.

« Il savait que, dans l'armée, tous les esprits, tous les efforts étaient tendus vers le même but. « Fantassins, sapeurs, artilleurs, bravant le déluge des projectiles et la morsure des gaz, aviateurs, infatigables patrouilleurs du ciel, brancardiers attentifs à leurs sanglants fardeaux tout ce monde de travailleurs s'exténuant pour assurer la montée régulière des ravitaillements et des renforts, tous combattaient ou se dépensaient pour que la France fût victorieuse.

« Comment ne pas dire aussi l'héroïsme de ces coureurs haletants sur les pistes chaotiques qu'ils arrosaient de leur sang.

« C'était ici, entre Thiaumont et Fleury, qu'un coureur portant un de ces papiers où quelques lignes griffonnées disent la situation, les besoins, les demandes des combattants, tombe mortellement frappé. Tandis que de ce corps mutilé, étendu en travers de la piste, la vie s'en va peu à peu, le mourant retire de sa cartouchière le papier froissé et sanglant. Crispant ses doigts sur la feuille sans douter un instant qu'un autre ne dût achever sa mission, il meurt tendant vers celui qui lui succédera sur le chemin tragique le message d'où dépend le sort de ses camarades.

« Tel fut le « soldat de Verdun ".

« Un pieux devoir nous a conduits devant ce tombeau. Notre visite serait stérile si nous ne demandions à nos morts la ligne de conduite à suivre pour rester dignes d'eux.

« Le sublime élan de dévouement envers la collectivité nationale a trop souvent fait place aux calculs égoïstes des intérêts particuliers.

Pour résoudre les difficultés de l'heure présente, pour faire triompher nos vues sur le terrain des négociations internationales, il importe que la France montre une résolution unanime.

« L'heure est grave, en effet ; aux obstacles imputables aux défauts de notre race s'ajoutent ceux que nous opposent les circonstances.

« Sans doute devons-nous persévérer dans l'attitude qui a été la nôtre jusqu'ici, car il est conforme au rôle séculaire de la France d'entraîner le monde dans la voie des initiatives généreuses. Mais tant que la justice n'aura pas triomphé, tant qu'un arbitrage incontesté n'aura pas consacré nos droits, nous avons le devoir de veiller à notre sécurité.

« Quelles que soient les charges qui en résulteront, ayons le courage de les accepter et de ne point abandonner - au nom d'un idéal pacifique- de réalisation incertaine les moyens de défendre notre sol.

« Mais il serait vain de consentir les sacrifices nécessaires à notre sauvegarde si nous laissions notre organisme national s'épuiser sous les rudes incidences économiques du moment.

« Une crise sans précédent ébranle le monde et menace jusque dans ses fondements notre civi­lisation. Il ne nous appartient pas d'en indiquer les causes ni de proposer les remèdes, mais il est hors de doute que le salut de notre pays exigera de tous des efforts et des renoncements ayant pour but le resserrement de nos liens nationaux, la sécurité de notre territoire, où le rétablissement économique et financier né sont point au-dessus de nos possibilités. 

« L'exemple de Verdun est là pour témoigner de la capacité d'abnégation, de ténacité et de persévérance de notre race. 

« Dans les moments d'angoisse ou d'incertitude qui font vaciller les plus fermes desseins, tournons nos pensées vers ce " soldat de Verdun » dont la vertu semblait sans limites ; nous puise­rons en lui la notion du devoir et la volonté de l'accomplir. "

Source : Inauguration de l’Ossuaire de Douaumont. 6-7-8 août 1932, Imprimeries réunies de Nancy, s.d. [1932], pp 49-50.

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 La recherche des disparus dans les régions libérées :

L’accès aux « Régions libérées » est, pour les familles dont l’un des membres est disparu pendant la guerre, un court moment d’espoir euphorique souvent rapidement déçu. La quête des disparus se transforme la plupart du temps en un pèlerinage où les maigres indices de localisation des corps patiemment recueillis auprès des camarades du disparu sont mis à mal par la nouvelle configuration de l’ancien champ de bataille. Les familles qui, dans la majorité des cas, ignorent l’ampleur des combats des tous derniers mois de guerre ou les déplacements de corps opérés après guerre par les services de l’état-civil du champ de bataille se heurtent à un ensemble d’informations erronées ou contradictoires qui les contraint à errer longuement et souvent vainement dans les contrées dévastées de l’ancien front. Au fil des rencontres et des déceptions, l’espoir de retrouver une tombe ou de ramener un corps s’amenuise. L’espérance première peut alors rapidement sombrer dans le découragement d’une quête aussi harassante qu’infructueuse.

« (…) le commandant Lespinasse, attaché à l’état-major de la place [de Verdun], citait ces chiffres : « Il y a 600 000 soldats français mais 30 000 à peine ont été identifiés (…) » Ah si l’on savait à quelles scènes touchantes assiste le pèlerin qui erre au milieu de ces motifs funéraires, où se répète la désignation du « soldat inconnu », si laconique, si administrative, hélas ! qu’elle fait involontairement songer à cette autre formule employée également par les P.T.T. « Parti sans laisser d’adresse ! » A quelques pas de la ferme anéantie de Thiaumont, un ossuaire s’élève. Baraquement en planches au toit duquel flottent nos couleurs (…) L’ossuaire est confié aux soins de Mademoiselle de Baye. C’est elle qui nous contait cette anecdote : « Chaque jour les visites se succèdent… Toujours les habits de deuil, toujours les veuves noires, toujours des visages en larmes… Une vingtaine de pauvres cercueils contiennent les restes auxquels ne s’attache d’autre renseignement que l’indication des lieux où ils furent exhumés… Parfois, lasses de recherches et comprenant l’inutilité du pénible voyage qu’elles firent à travers la France, une veuve ou une mère s’adressent à moi : « Ah ! sanglotent-elles, on nous a déjà dit qu’il était tombé à Fleury… Mais rien… Quel désastre ! Puisqu’une pieuse destination réunit dans le même cercueil ses camarades tués à Fleury, c’est donc sur eux que nous prierons… » Et les malheureuses s’agenouillent devant ces compagnons « inconnus » de leurs époux ou de leurs fils…

Sortons de cet enfer. Allons nous-en vers la Champagne. Le panorama devient plus sinistre. De Suippes à la Main de Massiges, une désolation immense…

Les services de l’état-civil ont fait de leur mieux pour mettre un peu d’ordre dans les registres… et dans les nécropoles. Pourtant des erreurs fréquentes se produisent. Au moment où nous visitons le cimetière militaire de Mesnils-les-Hurlus, une carriole amène un ménage de braves paysans, dont les bras s’encombrent de couronnes en perles et de vases fleuris. « Nous habitons dans le Morvan, explique la femme… L’an dernier on est déjà venus… Mais l’herbe était si haute, si épaisse qu’on a rien découvert… Nous avons « récrit » au bureau où les mêmes numéros de tombes et de tranchées nous ont été donnés… Pas d’erreur possible… » Les braves paysans se mirent à chercher. Ils tâtonnaient, revenaient sur leurs pas, lisant l’un après l’autre des épitaphes, consultaient les dates, s’étonnaient que le régiment de leur gars n’eût pas une seule tombe :

  • Pas d’erreur possible… répétaient-ils en examinant plus attentivement le chiffon de papier, auquel leur espoir s’attachait. Le voiturier se montrait sceptique. En avait-il conduit de ces familles qui s’en retourneraient le soir avec la détresse dans l’âme ! Par moments, sa pitié pour tant de misère était tentée de faire chorus avec les singulières consolations que prodigues les loustics, les esprits forts dans les estaminets de leur village :
  • On travaille au hasard dans les cimetières, comme qui dirait au petit bonheur… Peut-être qu’au lieu de « votre mort », on vous livrera son voisin…Au bout de six ans, allez donc vous y reconnaître !...

Hélas les deux paysans remontèrent en carriole, bien tristement. De loin, nous entendions leur guide :

  • Regardez bien c’te chapelle faite avec des rondins pendant la guerre, disait-il. A l’intérieur, des visiteurs ont crayonné sur l’autel, sur le tabernacle, partout où il y a une place grande comme la main, leurs regrets d’être venus à Mesnils-les-Hurlus pour rien…

Toutes ces lamentations, tous ces deuils, toutes ces douleurs forment un interminable cortège d’où monte une suprême invocation :

  • Dire qu’on aurait voulu mettre sur sa tombe ce bouquet-là ! Où est-il notre cher petit ? Le retrouverons-nous jamais ?... Seigneur, exaucez-nous…

Ossuaire de Verdun, chapelle de Mesnils-les-Hurlus, ô lieux sacrés où l’anonymat de leur glorieux sacrifice enveloppe nos héros tombés sans cris, sans plaintes, votre voûte est trop basse pour le Soldat inconnu : le Panthéon s’ajuste à sa taille. »

Source  : Le Journal du 29 octobre 1920. (Article signé Achille Liégeois et intitulé « Un pèlerinage aux tombes anonymes »)

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La recherche des tombes après la guerre :

« A ce moment, Serval et son compagnon aperçurent dans la carrière une femme qui allait et venait.
- En voilà encore une qui cherche une tombe ! fit le tireur de cailloux. J’en vois assez souvent monter ici, mais jamais pour se promener. Oui, elle cherche sûrement une tombe. Mais il n’y en a plus. On les a enlevés ! Tout de même, pas plus tard qu’hier, y a un laboureur de Maison-Rouge qui a « retourné » encore deux Anglais dans ce champ. Voulez-vous voir l’endroit ?
L’année dernière, car je travaille souvent sur ce plateau, il y a un lieutenant, un ancien officier comme vous, qui est venu par ici. Il cherchait la tombe d’un poilu pour la montrer à sa veuve. A la nuit, il ne l’avait pas encore trouvée. Il m’a dit qu’il coucherait plutôt dans une ancienne sape, que de s’en aller sans avoir retrouvé son copain.
Ah ! Ceux qu’on voit revenir là-dessus, ne ressemblent guère à des vivants ! C’est comme qui dirait les copains des morts. Entre nous, Monsieur, sans vous offenser, j’aime mieux pas les rencontrer trop souvent - un revenant ça fait peur, on a beau dire. Et je suis toujours seul ici, dans mon trou.
Après tout, j’crois qu’il vaudrait mieux oublier tout ça !...
- Peut-être, dit Serval, et il s’éloigna dans la direction de la carrière.
Il voulait savoir quelle était cette femme qui hantait ainsi le calvaire de sa compagnie. »

Paul Flamant, Le Réveil des vivants, Editions du Nord-Est, 1924, p 23

Le Réveil des vivants a été publié peu de temps après le célèbre roman de Roland Dorgelès, Le Réveil des morts. Comme ce dernier, avec sans doute un peu moins de pessimisme, il décrit la renaissance du Chemin des Dames de l’après guerre. Ce  passage évoque la quête d’une femme sur l’ancien  champ de bataille, à la recherche du corps d’un proche. On y trouve en filigrane un thème littéraire très répandu dans les années 20, celui du « revenant ». Nombre d’écrits d’anciens combattants – ceux dont Clemenceau avait dit qu’  ils avaient « des droits »  sur les autres -  utilisent ce sujet en lui attribuant une teneur contestatrice.

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La place des anciens combattants : la dichotomie entre le monde de l’avant et de l’arrière se prolonge dans la société d’après guerre :

« Les combattants devenaient vite des intrigants après avoir été longtemps des « poires » et on leur reprochait de s’affilier à de grandes associations qui, disait-on pour les affaiblir, poursuivaient des buts politiques, de vouloir prendre trop de place dans la nation, eux sur qui, pendant quatre ans, s’étaient reposées les lâches espérances de l’arrière, de rappeler à tout propos qu’ils avaient sauvé le pays, que leurs blessures n’étaient pas payées et qu’un grand vieillard avait dit : « Ils ont des droits sur nous. » On leur en voulait d’avoir tant de droits, alors que pendant quatre ans ils n’avaient eu que des devoirs et de durs devoirs. Est-ce que cela n’aurait pas pu continuer ? Est-ce que cela n’était pas bien ainsi ? La France coupée en deux : les combattants d’un côté, souffrant, peinant, travaillant à gagner la paix après avoir gagné la guerre ; les embusqués d’un autre, vivant, s’enrichissant, trahissant pour s’enrichir plus vite, et bavant des blasphèmes sur la patrie et sur la victoire, par lâcheté, par peur et par fanfaronnade. »

Abel Moreau, Le Fou, Edgar Malfère, Bibliothèque du Hérisson, 1926, pp 134-135.

Abel Moreau se fait ici le porte-parole du monde ancien combattant qui souffre parfois de ce que certains d’entre eux  appellent, « la nostalgie du front ». Certains anciens combattants  furent au lendemain de la guerre des « désadaptés » (Montherlant). Le monde auquel ils sont confrontés avec le retour de la paix n’est pas forcément celui pour lequel ils s’étaient battus. Ils  maintinrent donc dans leurs discours et dans leur façon de penser la société la césure qu’avait inaugurée la guerre entre le monde des combattants et celui de l’arrière.

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Les monuments aux morts :

« Sur les places de nos villages, à côté de la fontaine bruissante, où, dans leur abreuvoir de pierre, viennent boire, le soir, les bêtes indolentes et paisibles, tout prêt de l’église, qui a vu naître et mourir des générations, un à un se dressent les monuments aux morts.
Le soin de les ériger est confié, dans de modestes bourgades, à l’artisan local. Ils sont alors humbles, pauvres et simples comme ceux qu’ils glorifient : pierres droites, sans vaines sculptures, vous rappellerez au passant que des hommes vigoureux, qui n’avaient pas d’autre désir que de finir leurs jours laborieux sous les tuiles moussues de ces quelques toits groupés là, les ont quitté… et ne sont point revenus.
Souvent, hélas ! les libéralités des notables permettent de faire mieux les choses. Le monument, noblesse oblige, sera l’œuvre d’un artiste.
Une stèle, c’est trop peu coûteux. Il faut une statue !
Combien sont-ils, de par notre France, ces soldats de bronze, qui ressemblent comme des frères, dans leur triste et pompeuse banalité ?
En tenue de campagne, pans de capote relevés, baïonnette au canon, Croix de guerre à la poitrine, visage mangé par un casque trop lourd, ils montent encore la garde, à perpétuité condamnés…
Sortis du même moule, économiquement fabriqués en série, ils entendront sans tressaillir, par delà les siècles les politiciens et les arrivistes offenser impunément leur sacrifice.
Cruel destin ! Les quatre coins de leur entourage de fer sont flanqués d’obus monstrueux, soigneusement peints, instruments même de leur assassinat et qui suscitent la plus respectueuse des admirations (…)
Non, ils n’étaient pas ainsi…, ils étaient humains, tout bonnement, et, quand vous avez voulu les glorifier, quand vous avez voulu dans la pierre ou dans le bronze, fixer leurs traits, une fois de plus, vous les avez méconnus, une fois de plus vous les avez trahis. »

René Naegelen, Jacques Féroul, Editions Baudinière, 1927, p 97-99.

L’inauguration du monument aux morts est un des moments importants de l’après guerre où peut s’exprimer le deuil public. Les petites communes aux moyens limités  ne peuvent financer et faire ériger des œuvres originales commandées auprès  d’artistes locaux. Elles font donc appel à des firmes spécialisées qui vendent sur catalogue des modèles de monuments aux morts standardisés. René Naegelen se fait ici l’avocat de certaines associations d’anciens combattants ayant une  sensibilité politique de gauche et qui, comme par exemple l’A.R.A.C., dénonçaient le sens de ces cérémonies.

Une jolie chose à Paris, c’est qu’il n’y a pas de monuments aux morts. La capitale a échappé à l’épidémie de navets. On est las, jusqu’à l’écoeurement, en voyant dans chaque village le coq de pierre, la palme de bronze, la victoire de granit, encadrés de quatre obus, s’ériger sur la place. Ah ! décidément, on les aura exploités les Morts ! Depuis la fonderie qui offre la Victoire et le Poilu à partir de 200, 250 et 300 francs rendus franco sur la place de l’Eglise jusqu’à l’orateur qui vient inaugurer le monument et parler d’une guerre qu’il n’a pas faite ! Et les exhumations ! Le scandale des camionnettes ! Les corps vendus aux familles ! C’est dont le sort éternel des champs de bataille de voir s’abattre sur eux des corbeaux ?

« Les monuments aux morts » par André Dahl, Almanach du combattant , 1923, p. 41.

André Dahl (1886-1932) est écrivain et ancien combattant.

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Un poème sur les combattants et leur mort annoncée

(…)
On part Dieu sait pour où Ça tient du mauvais rêve
On glissera le long de la ligne de feu
Quelque part ça commence à n'être plus du jeu
Les bonshommes là-bas attendent la relève
(…)
Et nous vers l’est à nouveau qui roulons Voyez
La cargaison de chair que notre marche entraîne
Vers le fade parfum qu’eshalent les gangrènes
Au long pourrissement des entonnoirs noyés
 

Tu n'en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j'ai vu battre le coeur à nu
Quand j'ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n'en reviendras pas vieux joueur de manille
 

Qu'un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu'il avait un jeu du tonnerre
Et toi le tatoué l'ancien Légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage sans yeux
 

Roule au loin roule train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que ta danse secoue
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac la laine et la sueur
 

Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées
(…)
Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit
Déjà vous n'êtes plus qu'un nom d'or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s'efface
Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri

Louis Aragon, « La guerre et ce qui s’ensuivit » (extraits), Le roman inachevé, 1956

Poète surréaliste puis communiste, Louis Aragon (1897-1982) fait l’expérience du combat dans les derniers mois de 1918 au 355e RI, engagé notamment dans l’Aisne. Ce poème écrit près de quarante ans après les événements est à la fois une évocation réaliste (avec les termes « relève » ou «  entonnoir » et l’accent mis sur l’atrocité des blessures) et une reconstruction mémorielle qui retrace l’expérience de la guerre à la lumière du deuil postérieur. La dernière strophe est ainsi une référence directe aux monuments aux morts qui sont créés dans toutes les communes de France. L’originalité du texte est bien sa construction temporelle, faite d’un retour dans le passé qui est en même temps projection dans le futur (« tu n’en reviendras pas » ; « vos destinées »). A noter que ce poème a été mis en musique et chanté par Léo Ferré.

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