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La trêve de Noël 1914 vue par un caporal Français
« Le
26.12.14
Mes chers
Parents,
Encore 36 heures de tranchées de faites,
mais celles-ci se sont passées dans des conditions particulières que je vais
vous raconter.
Nous étions cette fois à 25 m des tranchées allemandes, que nous distinguions très
nettement. Ceux que nous relevions nous dirent: depuis 36 heures que nous
sommes là ils n'ont pas tiré un seul coup de fusil pour ne pas être ennuyés par une
fusillade inutile. C'était sensément un accord entre nous et eux
Dans
la journée, j'avais entendu dire qu'ils nous avaient causé, échangé des
journaux, des cigarettes même. Je ne voulais le croire tant que je n'en aurais
pas eu la preuve par moi-même.
Au
jour, je risque vivement un oeil par dessus la tranchée, enhardi par le calme
qui régnait des 2
côtés. Je recommence à regarder plus attentivement. A mon grand
étonnement, j'aperçois un Bavarois (car ce sont eux qui étaient en face de
nous) sortir de sa tranchée, aller au devant d'un des nôtres qui lui
aussi avait quitté la sienne et échanger des journaux et une solide
poignée de main. Le fait se renouvela plusieurs fois dans le courant du jour.
Un Alsacien qui se trouvait près de nous échangea
avec eux une courte conversation par laquelle les Bavarois lui apprirent qu'ils ne voulaient plus tirer un coup de
fusil, qu'ils étaient toujours en première ligne et qu'ils en avaient assez.
Ils nous ont prévenus
qu'ils seraient bientôt relevés par les Prussiens et qu'alors il faudrait faire
bien attention, mais qu'avec eux il n'y avait rien à craindre. En effet, ça
fait 4 ,jours qu'à 25
m l'un de l'autre il ne s'est pas échangé un seul coup de fusil.
Nous étions amis des 2 côtés, bien sincères, et quand notre artillerie tirait sur
leur ligne nous étions ennuyés pour eux et s'il avait fallu aller à l'assaut de leurs
tranchées, je ne sais
pas ce qui se serait passé. .
Dans la dernière attaque que nous
avions faite, une vingtaine de nos morts sont restés,à quelques pas de leurs
tranchées. Très poliment, un officier nous invita à aller les chercher, et que
nous pouvions être certains. Nous avons refusé ... Ils ont soigné nos blessés
sans les faire prisonniers, l'un d'eux fut soigné pendant 5 jours. Vers le
soir, c'était le 24, un Bavarois remit une lettre que notre Capitaine
conserve précieusement,
elle était conçue ainsi, autant que je m'en rappelle: "Chers Camarades, c'est
demain Noël, nous voulons la paix. Vous n'êtes pas nos ennemis. Ils sont de l'autre côté (probablement
les Anglais). Nous admirons la grande Nation Française. Vive la France, bien
des salutations. Signé: les Bavarois dits les Barbares"
Juges...
La nuit vient interrompre
nos échanges amicaux et minuit approche.
Tout à coup,
tout près de nous on entend chanter au son de flûtes et d'un harmonium.
C'étaient les Bavarois qui fêtaient Noël. Quelle impression ! D'un côté des chants religieux, de l'autre la fusillade, et tout ça sous un
beau clair de lune en pleins champs, tout recouverts de neige. Quand ils eurent
fini nous poussâmes des hourrah, hourrah ...
A notre tour, le Capitaine le 1er,
nous entonnâmes d'une seule voix: Minuit Chrétien, puis il est né le Divin
Enfant. Ils nous écoutèrent, puis eux poussèrent des applaudissements et des
bravos. Enfin, trois qui savaient très bien
l'Allemand chantèrent deux cantiques en choeur avec les Bavarois.
On m'aurait raconté cela
je ne l'aurais pas
cru, mais les faits sont là et ils se produisent un peu partout, mais malheureusement,
ne serviront à rien.[…]|
….Cette lettre vous parviendra peut être l'année
prochaine, dans cette circonstance je m'empresse de vous offrir mes meilleurs
vœux pour 1915. J'espère que cette 'année reconstituera tout ce que 1914 a
détruit, bonheur, foyers et espérances, et qu'elle apporte la paix, le travail et la
récompense tant méritée par les sacrifices que cette guerre nous a forcés à faire.
J'aurais voulu vous écrire hier,
mais nous avons été obligés d'aller nous réfugier dans la cave, à
cause des percutants
qui tombaient dans Villers aux Bois, petit pays où nous nous reposons, avant
d'aller aux tranchées.[…]
Merci encore de
toutes vos bontés.
Recevez, mes chers Parents, mes meilleurs voeux de bonheur et de santé pour la
nouvelle année et mes plus sincères baisers[…].
Votre fils qui vous aime. »
Marcel Decobert, lettre à ses parents, Document
multigraphié intitulé « F.M. Franchise Militaire » confectionné par
AXO Service PAU au 2° trimestre 1986 sur commande de la famille. Il contient
après une courte introduction par les fils
de l’auteur ( André et Jacques) un extrait des lettres conservées par sa
jeune sœur, ( Madeleine) courant sur la période août 1914-août 1915 période de
la deuxième hospitalisation de ce caporal après blessure.
Marcel Decobert est né en 1893 à Paris, aîné de 6 enfants.
Appelé en 1913, il a alors écrit à ses
parents qu’il s’est « haussé sous la toise » pour être reconnu
« bon pour le service ». Incorporé au 69° RI, régiment appartenant à
la 11° Division au sein du XX° Corps d’armée, corps estimé comme d’élite et
commandé en 1914 par le général Foch, il est blessé le 30 août 1914. Il est soigné du 2 au 11 septembre à l’hôpital auxiliaire 204 à
Orléans avant de rejoindre le dépôt du 69° RI à Autun. Il est alors affecté au
269° RI, ( 70° Division, commandée par le général Fayolle) régiment composé des
réservistes du 69° RI, qu’il rejoint sur le front en Artois le 8 novembre 1914
dans la région de Carency à une quinzaine de kilomètres d’Arras. Son régiment a
attaqué le village de Carency le 18
décembre, une compagnie du régiment y a été à cette occasion faite prisonnière
comme il le raconte dans une lettre du dimanche 20 décembre. Il raconte ici son
expérience de la « trêve de Noël » 1914.
Cependant
les fraternisations, accords tacites, arrangements entre ennemis
et manifestations du « Live
and let live » (« vivre
et laisser vivre ») ne concernent pas que la période
de Noël 1914. Ces faits constituent un phénomène
récurrent et structuré tout au long de la guerre,
comme l’ont montré les contributions de Rémy
Cazals et Olaf Muller à M. Ferro (et al.), Frères
de tranchée (Paris, Perrin, 2005). Avec la collaboration
de Yann Prouillet, on peut dresser un inventaire rapide des moments
et des circonstances de ces ententes et accords, à travers
des textes contemporains de combattants.
Echanges de
nourriture…
« Sur le front, les soldats se trouvent à 30 mètres
des Allemands, et naturellement, peu à peu, ils fraternisent avec eux. Les
dialogues de tranchées à tranchées s’établissent fréquemment. Les nôtres,
toujours farceurs, interrogent leurs adversaires sur mille détails curieux. Les
Allemands, de leur côté, paraissent être toujours préoccupés de questions
d’alimentation ».
Gomez-Carillo, Parmi
les ruines. De la Marne au Grand
Couronné, Paris, Berger-Levrault, 1915, p. 94.
« Un autre jour, un compatriote de notre adjudant
étant venu le voir, nous offrit des cigares qui lui avaient été donnés par un
Allemand. La nuit précédente, étant de garde sur un bord du canal, il avait
aperçu quelque mouvement sur la rive opposée. Plaçant son casque au bout de son
fusil, il l’agita hors de la tranchée, et le même signal répondit d’autre part.
Enhardi, il risqua un œil, le voisin en fit autant, notre troupier lui fit voir
son bidon, l’autre tendit son quart. Comprenant aussi bien l’un que l’autre la
signification de ce code secret, ils sortirent ensemble de leurs tranchées
respectives, et se joignirent au centre du canal asséché. « Prosit ! » « A la tienne ! ». Ils
trinquèrent fraternellement et, en échange de son vin français, notre soldat
remportant une bonne poignée de cigares allemands. »
H. Vaubourg, O crux
Ave, Le Val d’Ajol, chez l’auteur, 1930, p. 172.
…de tabac et
autres douceurs…
Un homme, par bravade, veut aller dans le no man’s land
pour récupérer un casque à pointe :
« Doucement !
ordonne le lieutenant. Tu sais bien
que c’est l’heure où l’on ne tire pas… » Nous sommes, en effet, en
pleine trêve (…). Jusqu’à 2 heures du soir, quiconque le veut peut se montrer
impunément et sortir la poitrine au dehors.
Lorsque les tranchées sont plus rapprochées (…) il n’est
pas rare de voir un Allemand s’approcher jusqu’au bord du fossé pour demander
un peu de tabac ou une allumette. Les nôtres leur rendent la visite sous le
même prétexte. Et lorsque, par hasard, il y a quelqu’un d’ici qui parle
allemand ou quelqu’un de là-bas qui parle français, les colloques arrivent à
prendre des formes amicales. Il y a peu de temps, les relations avaient fini
par devenir si cordiales entre les deux tranchées, qu’un capitaine prussien
demanda à son chef le déplacement de ses hommes. Avant de s’en aller, les
Allemands dirent aux nôtres de faire attention à ceux qui allaient les
remplacer, car c’étaient des Silésiens qui venaient de la frontière russe, et
qui ne connaissaient pas les « coutumes françaises ».
Gomez-Carillo, op. cit., p. 206.
Aux Cavaliers de Courcy, devant Reims, le 25 juin 1917,
secteur tranquille à cette époque :
« La
consigne tacite et respectée dans les deux
camps, était de rester calme, dans une sorte de trêve
officieuse. C’est ainsi
que nous pûmes construire des réseaux de protection, en
travaillant hors des
tranchées, à côté des Allemands qui
s’occupaient de leur côté. L’un d’eux
s’étant approché, tendant des cigarettes à
nos travailleurs, il fallut le
menacer pour qu’il s’éloignât, sans avoir
l’air de prendre la menace au
sérieux. »
H. Vaubourg,
op. cit., p. 172.
Le 21 juillet 1916 en Champagne :
« Quelquefois, il y avait des échanges de politesse,
c’étaient des paquets de tabac de troupe de la Régie française qui allaient
alimenter les grosses pipes allemandes ou bien des délicieuses cigarettes « Made in Germany » qui
tombaient dans le poste français. On se faisait passer également chargeurs,
boutons, journaux, pain. »
Louis Barthas, Carnets
de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918, Paris, François Maspéro,
1978, p. 357.
Quelques jours plus tard, le 25 juillet 1916 au
Bois-le-Prêtre :
« Ce secteur est tenu depuis 18 mois par les mêmes
troupes ; celles-ci avaient pris leurs habitudes. Troupes de réserves qui
ne se la foulaient pas ; on allait même jusqu’à fraterniser avec les
boches. On se passait des cigarettes de tranchée à tranchée, on faisait de la
musique en commun. C’était le calme. Notre division a ordre de faire cesser cet
état de choses et de talonner le boche. »
Henri Désagneaux, Journal
de guerre, Paris, Denoël, 1971, p. 96.
En février 1915 à Flirey (Meurthe-et-Moselle) :
« Un loustic est allé la nuit en rampant jusqu’à la
tranchée boche, il a parlé à un Boche en lui disant de venir, qu’on était très
bien en France : « Un litre de
vin par jour, mon vieux Boche ! En veux-tu ? – Ja ! » Il
lui donne à boire de son bidon, le boche lui donne des cigarettes et ils se
séparent. Chacun retourne à sa place, reprend son fusil et la guerre
continue…
Telle autre compagnie, la 24ème, a une sape qui
va à l’encontre d’une sape boche. Les deux extrémités se trouvent à 25 ou 30
mètres. On y fait la conversation, on échange vin et tabac ».
Bernard de Ligonnès, Un
commandant bleu horizon, souvenirs de
guerre de Bernard de Ligonnes. 1914-1917, Paris, éditions de Paris, 1998,
pp. 92 et 94.
… la musique…
Récit d’un capitaine :
« La semaine passée, ayant appris que dans une
tranchée en face de la nôtre se trouvait un prince bavarois (…) nous décidâmes
de lui donner une sérénade en règle. (…) J’écris le programme, et (…) nous le
lançâmes, enroulé autour d’une pierre aux Allemands. A 4 heures sonnantes,
après un roulement de rataplan, rataplan, le concert commença. Les Boches, de
l’autre côté, applaudissaient sans oser sortir la tête. (…) A la fin, je
m’assis sur le parapet, sans armes, le bâton d’orchestre à la main, dirigeant
la Marseillaise que tous les gars chantèrent ensemble. Alors, il se passa une
chose inouïe et très belle. A 30 mètres, un officier ennemi, d’un saut se mit
debout et, la main à son casque, saluant martialement, il écouta notre chant.
Je le voyais là, tout près, droit, tranquille, sans la moindre crainte. Si nous
avions voulu, nous l’aurions tué, c’est évident ; mais loin de là, les
gars, à la fin de leur morceau de musique, lui crièrent : « Bravo le Boche !... » Je
le saluai, en me mettant debout aussi… »
Gomez-Carillo, op. cit., p. 124.
… le travail…
16 avril 1915 en Meuse :
« Sur certains points, près d’Etain, les soldats
sortant sans armes de leurs tranchées réparent en commun les réseaux de fil de
fer. Ailleurs, on se donne des concerts. Certains petits postes ne tirent
jamais ; c’est là que se rendent les déserteurs. »
Eric Labayle, Carnets
de guerre d’Alexis Callies (1914-1918), Château-Thierry, E.L., 1999, p.
228.
Au cours d’une corvée de nuit au printemps 1915 à
Saint-Maurice (plaine de la Woëvre, Meuse) au 20ème R.I.T. :
« Quelques-uns se sont accroupis et malgré la défense
font feu de leur briquet pour allumer leur pipe. Je m’étonne que devant ce sans
gêne les boches qui sont à courte distance ne nous sonnent pas. Nous bordons en
effet un petit cours d’eau appelé l’Orne qui se trouve dans le bas fond. A même
distance sur l’autre versant, les boches ne sont pas sans s’être aperçus de
notre présence. Il est étrange qu’ils nous laissent si tranquilles : nous
en avons bientôt l’explication en entendant des coups sourds de l’autre côté de
l’eau, nous devinons qu’ils confectionnent un réseau de fil de fer car nous
entendons nettement le bruit des maillets frappant les pieux, c’est pourquoi il
y a trêve de la fusillade. Curieuse guerre, où deux ennemis face à face à
quelques cent mètres, par une sorte d’accord tacite, s’incrustent au sol pour
avoir plus de peine à s’y déloger par la suite. Petit à petit la tranchée se
creuse et après quelques heures d’effort, notre tâche pour cette nuit est
terminée et, sans accroc, nous reprenons nos fusils et à la file indienne nous
repartons bien heureux d’en avoir terminé et d’aller dormir un peu. »
Gaston Lavy, Ma
Grande Guerre, Paris, Hachette, 2001, 318-XV pages, p. 46.
Chemin des Dames, 1er juillet 1917 :
« La nuit, devant les postes, la pose des fils de fer
se fait d’accord avec les deux adversaires, l’un passant parfois ce qui manque
de matériel à l’autre. Quand il y a des coups de main projetés, les deux hommes
s’avertissent et se montrant leurs grenades respectives font des signes qui
veulent dire qu’ils n’entendent pas prendre part à la fête sanglante. »
Paul Rimbault, Propos
d’un marmité (1915-1917), Paris, Fournier, 1920, p. 96.
… les morts…
30 juin 1917 devant Avocourt, Meuse :
« Je suis allé aujourd’hui sur le terrain, avec une
croix rouge, rechercher les blessés. Les Boches ont été très chics : ils
m’ont seulement dit, à 30 mètres, de ne pas approcher davantage et de m’en
retourner. »
La scène se reproduira le 8 avril 1918 aux environs de
Lunéville.
Jean Pottecher, Lettres
d’un fils (1914 - 1918). Un infirmier de chasseurs à pied à Verdun et dans
l'Aisne, Paris, Emile-Paul Frères, 1926 - Louviers, Ysec, 2003, p. 113.
Communication et organisation du « Live and let live »
Chemin des Dames, 1er juillet 1917 :
« Certains petits postes se trouvent à 8 mètres des
postes ennemis. Les gens qui, de part et d’autre, les occupent ne veulent rien
savoir pour se lancer des grenades. Il y a une trêve tacite entre les deux
partis, le Boche fumant sa pipe assis sur son parapet, et le Français écrivant
sa correspondance dans la même posture. Quand un chef vient, l’Allemand fait
signe à son adversaire et les deux hommes rentrent dans leur trou. Parfois,
quand l’artillerie ennemie donne, les Boches sachant qu’il y aura représailles,
crient aux Français : « Nos
artilleurs… assassins ! »
Paul Rimbault, op. cit., p. 96.
17 décembre 1916 dans la Somme :
« Si la censure ouvre cette lettre, j’aurai
évidemment des ennuis : je viens de faire une chose innocente et pourtant
énorme, et qui me laisse comme au sortir d’un rêve : j’ai parlé à Fritz.
Une section de la 7ème, juste devant nous, est à 20 mètres environ
des sentinelles boches ; ils échangent des promesses : « Vous pas tirer, nous pas tirer ».
Je suis allé les voir. Malheureusement des sous-officiers ou
d’autres, un peu
avant moi, leur avaient crié qu’on les aurait, et leur
avaient annoncé à
grandes exclamations les succès de Verdun, qu’ils
ignoraient. En outre, j’avais
affaire à un sous-officier boche, et j’étais
à côté d’un sous-lieutenant
français, ancien adjudant rengagé, et qui
m’arrêtait à chaque instant : si
bien que j’ai été gêné et que la
confiance n’a pas régné. On voyait la tête de
deux Boches, en calot, en assez bonne forme, mais sales comme moi,
l’un tout
jeune, l’autre, un sous-officier, de 25 à 30 ans. Ils
regardaient le
sous-lieutenant français et le célèbre Garrier,
qui leur faisait signe de
boire.
J’arrive et je crie : « Guten tag ! Geht’s gut ? » Ils n’entendent
pas, et je répète « Geht’s
gut ? » Ils répondent tous deux : « Nein, s’ist nicht gut » et me montrent leur boue. Je
leur demande : Ihr habt Wasser und
Kot ? » Ils répondent d’un geste indifférent, et me font signe de
venir : « Vous venir. Komm ! »
- Unmœglich !
Ils insistent beaucoup. Je
demande :
- Wann wird es friede ?
C’est là qu’ils m’ont épaté par un nouveau geste
indifférent. Sans me gêner, je continue : « Wir hoffen alle dass es bald ist. »
- Ja.
Je montre mon brassard.
- Sie sind der Arltz ? me demandent-ils.
- Ja. (pour éviter trop d’explications : je ne sais pas dire « infirmier »).
A la demande du sous-lieutenant, je m’en vais. Je fiche
quelques touches de teinture d’iode à des bronchiteux de la 7ème,
qui ne voient jamais leur infirmier et toussent à fendre l’âme, et je reviens
au poste élevé. Je les rappelle.
- Woher seid ihr ? Von welcher Deutschland’s teil kommt ihr
her ?
Je n’ai pas compris la réponse. Je
demande :
-Giebt es keiner von Bayern, von Munchen ? Ich habe einen monat
lang zu Munchen zugebracht.
- Nein, est giebt keiner.
Je répète :
- Seid ihr von Sachsen ? Schlesien ? Preussen ?...
Ils répondent :
- Das darf man nicht sagen.
Le sous-lieutenant me pressant, je leur dis :
- S’macht nichts ! Auf wiedersehen ! Ade !
Ils me saluent d’un geste à demi-amical.
Et voilà tout ! Quel mal à s’entendre, et quel bien
ce serait ! »
Jean Pottecher, op. cit., pp. 76 à 78.
Traduction : Bonjour.
Cela va-t-il bien ? Non, cela ne va pas bien. Avez-vous à boire et à
manger ? Impossible ! Quand la paix viendra-t-elle ? Nous
espérons tous que ce sera bientôt. Vous êtes le médecin ? D’où
êtes-vous ? De quelle partie de l’Allemagne venez-vous ? N’y a-t-il
parmi vous personne de la Bavière, de Munich. J’ai passé tout un mois à Munich.
Non, personne. Etes-vous de la Saxe ? Du Schleswig ? De la
Prusse ? On ne doit pas le dire. Cela ne fait rien. Au revoir.
Adieu !
Des arrangements
liés aux circonstances : trop d’eau…
En 1915 dans le secteur de Neuville-Saint-Vaast :
« Le lendemain 10 décembre en maints endroits de la
première ligne les soldats durent sortir des tranchées pour ne pas s’y
noyer ; les Allemands furent contraints d’en faire de même et l’on eut
alors ce singulier spectacle : deux armées ennemies face à face sans se
tirer un coup de fusil. (…) Français et Allemands se regardèrent, virent qu’ils
étaient des hommes tous pareils. Ils se sourirent, des propos s’échangèrent,
des mains se tendirent et s’étreignirent, on se partagea le tabac, un quart de
jus ou de pinard. »
Louis Barthas, op. cit., p. 215.
Extrait d’une lettre adressée par Léon Fresse, de
Gérardmer, Vosges, le 6 décembre 1915 :
« Nous avons eu la trêve de la boue. A certain
moment, récent, des deux côtés, les hommes sont sortis de leurs retranchements.
Echange de cigarettes, de chocolat, de pain. Les Bavarois et les chasseurs,
fatigués au plus haut point, étaient arrivés à une entente tacite : on ne
tirait plus. »
Paul Gaudillière, L’enfer
de 14 et de 15 vécu par des chasseurs du 10ème B.C.P.,
Mâcon, Imprimerie Buguet-Comptour, 1974, p. 112.
… ou pas assez.
Secteur de Tahure (Marne) le 20 juillet 1917.
Consignes passées au cours des relèves : « Vous avez un puits entre les lignes,
eux y viennent aussi, mais faut y aller déséquipés et rester peinards. Si les
Boches y sont, attendez qu’ils partent… Y feront comme vous. Pas la peine de se
bouffer le nez, ou bien il faudra aller chercher la flotte à des
kilomètres ! »
Emile Morin, Combattant
de la Guerre 1914-1918, Besançon, Cêtre, 2002, p. 175.
Fragilité des
ententes et interventions de la hiérarchie
« La guerre de tranchées où les deux partis sont à
quelques mètres l’un de l’autre amène entre eux des rapports et des ententes
tacites. En certains points les réseaux de fil de fer communs sont placés de
compte à demi. On dit même que parfois des contestations ont été réglées à
coups de poing entre Français et Boches. Mais la trêve ne concerne pas les
officiers. Si l’un d’eux paraît il est aussitôt descendu ».
Eric Labayle, op. cit., p. 205.
En Argonne, devant Vienne-le-Château, le 28 juin 1916 :
« 26 juin 1916 : Nous voilà sur de nouvelles
positions dans le secteur de Vienne-le-Château ; tout est calme dans le
secteur et le 58ème que nous avons relevé nous a dit : « Ici c’est pépère, pas de risque, les cagnas
sont bien aménagées ». Cela me rappelle Blanc-Sablon. On s’installe le
mieux que l’on peut.
28 juin 1916 : Ordre nouveau avec le nouveau
capitaine. Je quitte la 4ème pièce et je suis à nouveau versé à la 5ème pièce « poste observation ». (…) Il fait beau, nous montons avec le
capitaine au poste d’observation pour régler la batterie. Les premières lignes
sont à nos pieds, à 600 mètres environ. Il y a 3 lignes de tranchées et des
boyaux à n’en plus finir ; plus loin, la plaine cultivée. On voit des
paysans travailler à moins d’un kilomètre du front entre les lignes : ça
c’est unique ! Les uns passent les lignes boches pour atteindre leur champ
et d’autres traversent nos lignes pour rejoindre les leurs ! La nuit, les
patrouilles les remplacent. Les gars du 58ème avaient leur raison
quand ils nous ont dit que depuis 3 mois ils n’avaient pas tiré un seul coup de
canon et pas reçu le moindre obus. Derrière la troisième tranchée allemande,
sur la crête, je m’amuse à regarder les Fritz faire l’exercice. Le capitaine
Gobert m’interroge : « N’est-ce
pas les Boches qui paradent à gauche du bois ?
- Oui mon capitaine,
il y a un moment que je me rince l’œil.
- Vous ne pouviez
pas me le dire, nom de Dieu.
- Et pourquoi ?
Qu’y a-t-il d’extraordinaire à cela, les poilus que nous avons relevés nous ont
bien avertis que l’arrêt des hostilités était complet dans le secteur.
- Eh bien, je vous
dis, moi, que cela va changer et je vais les utiliser à fond les munitions qui
sont allouées comme tir de réglage. Alertez la batterie et passez-moi le
tableau de réglage ».
J’obéis en me demandant s’il n’est pas cinglé. Le réglage fait avec des fusants
n’émotionne pas plus les paysans que les Fritz mais là où cela se gâte, c’est
quand, ayant terminé ses corrections, il commande : « Obus explosifs 2 850 mètres, correction
80 à gauche. A mon commandement les quatre pièces : feu ! »
- Mais mon capitaine
vous allez tirer dessus ? »
Il me foudroie du regard et répond « Mais j’y compte bien ! » et il
commande : « Fauchez par
quatre : feu ! » Bon dieu ! quelle salade ! En
moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, les 16 obus sont arrivés, les
corrections étaient bonnes et la débandade complète. Tout s’est volatilisé, il
ne reste plus que des tâches grises çà et là, des morts ou des mourants. Je ne
puis m’empêcher de murmurer : « C’est
du propre ! »
- Que
dites-vous ? »
- Rien mon
capitaine. »
- Sachez que nous
sommes ici pour nous battre, vaincre ou mourir, tenez-vous le pour dit, et
souvenez-vous en. »
Je reste avec lui à la batterie sans dire un mot de plus
mais je n’en pense pas moins. Il ne m’a pas en odeur de sainteté, le nouveau
capitaine, mois moi je pense au lendemain. Le lendemain ? Laissez-moi
rire, c’est le soir même qu’il fallait dire, qu’est-ce qu’ils nous ont
mis ! De 22 heures à minuit, inutile d’essayer de mettre le nez hors des
cagnas, ils nous ont retourné la position avec du 150 alterné avec des 77, en 2
heures tout était enterré. Nous nous sommes dégagés comme on a pu de nos trous
de rat, pas de victime à la batterie mais des territoriaux qui montaient en ligne
pour ravitailler ont écopé aux premières rafales et ont subi des pertes. Un 75
est hors d’usage et tous les abris à moitié démolis. Dans les tranchées, pas un
coup de feu. (…)
14 juillet 1916 : (…) Le secteur est redevenu calme,
à part les tirs de réglage courant ; le croquant ne s’est plus manifesté,
il a dû se faire sonner les cloches à l’Etat-major car six territoriaux ont
payé de leur vie sa connerie du 29 (sic) juin. On ne voit plus les Boches faire
l’exercice mais les paysans ramassent leur récolte. »
Jean-Ernest Tucoo-Chala, 1914-1919, Carnets de route d’un artilleur, Biarritz, J&D
éditions, 1996, pp. 43 à 46.
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