Né le 2 juin 1894 à Paris dans un milieu très modeste, Gaston Mourlot entre en apprentissage dès 14 ans chez Abel Bataillard ferronnier d’art après avoir obtenu le certificat d’études. Incorporé à 20 ans avec sa classe par anticipation en septembre 1914, il n’a pas connu la vie de caserne avant guerre. D’abord fantassin au 65e RI, il intègre le génie à partir de 1915 et met à profit sa formation technique au profit de l’organisation matérielle et logistique du front.
Il connaît d’abord le front de la Somme en novembre 1914, puis successivement la Champagne, la Marne et l’Aisne, puis l’Argonne. Il passe par deux fois par le front de Verdun. Il stationne dans le tunnel de Tavannes dans les derniers mois de l’année 1916 et en donne une description qu’il est intéressant de croiser avec celle du capitaine Charles Delvert. Il est ensuite sur le Chemin des Dames début 1917 et le 16 avril. Mobilisé un peu à l’arrière du front, il voit arriver les premiers blessés, et avec eux le récit d’un échec. Cette période se révèle encore plus pénible que Verdun. On peut lire alors ce type de passage : « Cette déveine ne va pas donner un atout de plus à la réussite de l’attaque : d’abord le terrain sera quelque peu détrempé, et par suite d’une nuit passée sous la lance, l’ardeur des assaillants sera sûrement émoussée. » (16 avril 1917). Des Vosges, il revient avec son unité dans la Marne en septembre 1918 où il participe à l’avance française. Il sera finalement démobilisé en février 1919.
Gaston Mourlot a consigné d’une écriture serrée sa guerre dans dix carnets, a correspondu avec plusieurs personnes dont parfois des combattants comme lui, a dessiné, pris ou récupéré des photographies pendant toute la durée de sa mobilisation. L’historien se trouve devant un témoignage multiforme et cohérent, issu d’une unique expérience de guerre. Cet ensemble apparaît même témoigner d’une « culture » en guerre plutôt que d’une « culture de guerre ».
Il change très souvent de secteur bien qu’il partage son temps de guerre essentiellement entre le front de la Marne, de la Meuse et de l’Aisne. Il change également très souvent de groupe : de l’infanterie au génie, de simple soldat à sapeur, puis sergent. Ainsi, il décrit une vie de nomade qui fait ressembler finalement la guerre de siège à une guerre de mouvements pour les unités combattantes. Elles se trouvent ainsi ballotées de secteurs en secteurs sans jamais ou presque savoir par avance leur destination. Deux types d’activité guerrière peuvent rendre un secteur actif : les grandes offensives et attaques d’envergures longuement planifiées, et le harcèlement par des tirs de mines et tirs d’artillerie constants ou périodiques et autres coups de mains qui tiennent les unités en alerte. Ces « temps » apparaissent très variables en durée et en intensité. Quant aux secteurs tranquilles, ils se caractérisent par une activité guerrière réduite permettant une certaine oisiveté (fin juillet 1916). Mais on est d’abord saisi, comme à la lecture d’autres témoignages de fantassins, de la place prise par les travaux d’aménagements dans le temps combattant. D’abord fantassin, Mourlot utilise davantage la pioche et la pelle que son fusil. Devenu sapeur, il devient un véritable ouvrier du champ de bataille, creusant des puits, construisant des ouvrages de fortification, dirigeant des travaux de restauration de tranchées ou de « gourbis ». Des mots et expression comme « chantier », « collègue », même si ce dernier terme renvoie aussi à la notion plus simple de camarade, « aller au travail », « travailleurs », « équipe », « mes associés », montrent que Mourlot aborde peu à peu sa guerre comme un métier. Les temps d’attente dans les tranchées ou au cantonnement sont mis à profit pour écrire, s’adonner à la sculpture ou à la photographie, au sport aussi et à certaines autres pratiques collectives comme la pêche ou la navigation. L’ouvrier Mourlot en profite également pour s’initier à la typographie. Ces pratiques, méticuleuses, constantes, sont à l’image de l’écriture très descriptive de Mourlot qui s’applique durant toute son expérience de guerre à noter scrupuleusement les petits « faits » du quotidien, au ras de la tranchée.
Que retient Gaston Mourlot des combats dans le long récit de plus de quatre années de guerre qu’il a laissé ? A la première lecture, on peut s’étonner de trouver si peu de notes à ce sujet alors qu’il écrivit assez longuement tous les jours. Certes, nous savons que toutes les divisions de l’armée française n’ont pas également été utilisées durant le conflit, et certaines deviennent plus combattantes que d’autres, notamment les unités d’infanterie coloniale et d’Afrique en général : « Rencontre des troupes noires et des zouaves qui ne doivent pas être là pour rien et si la fantaisie prenait aux boches d’avancer ils trouveraient à qui parler » (février 1916). Intégré dans le génie, il ne participe pas directement aux attaques, mais évoque des moments clés du conflit, comme la préparation de l’offensive de septembre 1915 en Champagne. Il témoigne alors de l’agitation des troupes, de la difficulté pour les hommes de base de comprendre l’organisation de la bataille, la nervosité aussi des fantassins (24 septembre 1915). Le 25 septembre, jour du lancement de l’offensive, est de ce point de vue marquant : nombreux morts et blessés, les infirmiers débordés, les cadavres, un blessé allemand secouru, la difficulté à conserver des repères clairs. « Petit à petit, l’on se retrouve », note-t-il seulement le lendemain.
Finalement, l’accumulation des notes et des photographies prises par Gaston Mourlot donne à comprendre un peu mieux la réalité des différents temps de guerre, des parcours et des expériences combattantes qui, décidément, ne peuvent se résumer en quelques généralités trop vite assenées.
Alexandre Lafon, avril 2013
Source : Un ouvrier artisan en guerre. Les témoignages de Gaston Mourlot 1914-1919, Moyenmoutier, Edhisto, 2012, 560 p.