Caussade, Jean (1874-1918)

Jean Caussade est né à Villebrumier (Tarn-et-Garonne) le 14 janvier 1874, dans une famille paysanne. Lorsque la guerre éclate, il a une petite exploitation en polyculture vivrière (céréales, vigne, quelques bêtes). De son mariage avec Joséphine, il a un fils, Alban, trop jeune pour partir en guerre, mais capable d’effectuer les travaux agricoles en l’absence du père.
Jean est mobilisé en janvier 1915 au 132e RIT à Montauban ; il passe au 330e RIT de Marmande en juillet, et part pour le front en septembre. En février 1918, toujours 2e classe, il est au 73e RIT ; il est porté disparu le 27 mai 1918 au Chemin des Dames. Sa mort est enregistrée par jugement rendu le 14 octobre 1921 (Fiche tirée de Mémoire des Hommes). Joséphine ne se remarie pas et continue à gérer l’exploitation avec Alban.
La famille a conservé un peu plus de 500 cartes postales envoyées par Jean, certaines fournies par l’armée, d’autres représentant des scènes humoristiques. Les vues de villages sont parfois personnalisées (une croix indique son cantonnement, par exemple). Le mémoire de maîtrise de Cyril Bariou (Les correspondances de guerre d’un paysan, soldat de la Territoriale 1915-1918, Université de Toulouse-Le Mirail, 2005) en reproduit quelques-unes ainsi que les portraits de Jean, de Joséphine et d’Alban.
Cette correspondance illustre en particulier quelques thèmes.

L’amour conjugal
Comme beaucoup de témoignages présentés dans 500 Témoins de la Grande Guerre et dans ce dictionnaire du CRID 14-18, la correspondance de Jean Caussade montre l’existence du fort amour conjugal exprimé par cet homme qui n’est pas devenu une brute. Il dit à plusieurs reprises que sa seule consolation réside dans l’échange des lettres ; il emploie des termes sans équivoque : « Ma chérie », « Mille baisers », etc. Le 17 septembre 1917 : « Dans l’après-midi, je suis allé visiter un peu partout dans les jardins, et j’ai trouvé encore ces petites pensées toutes couvertes d’herbes dont j’ai ramassé très délicatement pour te les envoyer. Je les ramassais si précieusement qu’il me semblait te caresser à toi-même, mais hélas tu es cependant bien trop loin de moi pour cela. Il faut encore vivre dans l’espoir d’y arriver un jour, mais ce jour heureux, où est-il ?

Les conseils à la famille
En bon paysan, Jean se renseigne sur l’état des bœufs et donne des conseils pour la culture. Les conseils valent pour sa femme et pour son fils, avec cette précision du 9 mai 1915 : « Surtout, écoute ta mère, et je te recommande surtout ne la fais pas mettre en colère, parce qu’elle a un peu plus d’expérience que toi. » Parmi les quelques exemples, voici la carte du 25 mars 1915 : « Finissez la taille de la vigne, faites trèfle et sainfoin à Mourrât et la Ringue et au Clapié, trèfle. Et puis, s’il ne pleut pas, emporter le fumier et aller chercher le bois, puis labourer la Sanevielle et la Motelle, puis nous verrons. » Le 16 août : « Tu me donneras des nouvelles de la vigne et des raisins. Dis-moi comment vous devez effectuer le battage, comment vous vous êtes entendus pour dépiquer et si tu peux labourer. Si tu peux retourner un peu de terre, fais-le à cause de l’herbe. Tu pourrais avoir de plus belles récoltes. »
Le temps passant, il semble que le discours évolue. Ainsi, le 17 décembre 1915 : « Faites en sorte de faire pour le mieux en attendant que je revienne. » A son fils, le 14 octobre 1916 : « Ce que tu as de mieux à faire après toutes ces fatigues que tu supportes, c’est de te ménager. Couche-toi à bonne heure. » A sa femme, le 12 mai 1917 : « Suis toujours en bonne santé, et j’ai grand plaisir que tu en sois de même, et que tu ne souffres pas. C’est tout ce qui me préoccupe le plus. »
Des conseils plus précis à Alban concernent la chasse (29 août 1917) : « A ce sujet, je te dirai qu’il faut que tu sois prudent : ne pas jouer avec le fusil quand tu seras avec tes camarades ; faire bien attention de ne jamais tirer un coup de fusil horizontalement car, soit dans les maïs ou derrière une haie, il peut s’y trouver quelqu’un dont tu peux ignorer qu’il y soit, et ça serait bien malheureux que pour une caille tu fasses du mal à quelqu’un. »
Et à Joséphine, ils concernent l’allocation aux familles (23 février 1916) : « Puisque la femme de Rouquette a l’allocation, et du moment que c’est sûr, n’hésite pas un moment de plus. Va-t-en trouver le juge et réclame jusqu’à la gauche de ma part, car vous y avez le droit aussi bien comme elle et beaucoup plus. »

Au front
Il porte un jugement critique sur les gens du Nord. Il aime bien vivre en compagnie de camarades du « pays » qui sont dans le même régiment. Habile pêcheur, il gagne la sympathie de ses supérieurs en les faisant profiter de ses prises. Il participe à l’artisanat de tranchées (17 février 1917) : « Pour le moment, je suis en train à polir deux douilles du 75 court, pour que tu puisses faire deux vases à mettre sur ta cheminée et que je tâcherai de porter à mon retour. »
Le travail des territoriaux consiste en terrassements et entretien des routes, au transport de ravitaillement et de matériel près des lignes, ce qui n’est pas sans danger.
Les Boches restent les ennemis, et Jean Caussade n’est pas un grand contestataire. Cependant en 1917, on peut noter deux remarques. Sur la guerre, le 18 février : « Ce ne sera pas encore la fin de cette saloperie de guerre, mais qui pourtant faudra qu’elle finisse un jour et que nous serons heureux. » Sur les chefs, le 17 octobre, « ces messieurs lesquels je suis bien fatigué d’être sous leur direction ».
Rémy Cazals, septembre 2017

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Couraly, Pierre (1874-1937)

Pierre Couraly, Ce que nous avons eu de souffrances, Les éditions de Paris,  2014, 78 pages.

Le témoin
Pierre Couraly est tuilier à Varennes-sur-Tèche (Allier) en 1914. Marié, père de deux enfants, dont un déjà en apprentissage, il sert pendant tout le conflit dans des régiments territoriaux : 104e RIT d’août 1914 à septembre 1915 (à Roanne), 300e (09/1915 – 04/1917), puis 309e et 145e RIT. Il alterne périodes de travaux et de présence à la tranchée, et passe la plus grande partie de la guerre autour de Reims, mais aussi dans l’Aisne, à Verdun et en Lorraine. En 1918, il se fait détacher dans une compagnie des camps et cantonnements, il participe alors à la construction de baraquements pour les Américains et de camps d’aviation.
Le témoignage
Le petit-fils de l’auteur a découvert dans un tiroir un carnet 12x8cm, un journal de guerre (septembre 1915 – décembre 1918) qui a été édité en 2014 sous le titre Ce que nous avons eu de souffrances, carnet de la guerre 1914-1918, Editions de Paris (préface de Serge Vancina, initiateur de la publication). Chaque tête de chapitre présente en fac-similé la reproduction d’une page de l’original. L’iconographie a été ajoutée par les éditeurs.
Analyse
Le carnet, précis sur les lieux et les activités de P. Couraly à partir du 17 septembre 1915, est très synthétique : on y observe « les travaux et les jours », avec le terrassement, l’aménagement de baraques, de voies ferrées étroites, la garde de prisonniers… Par exemple, en juillet 1916 : « corvée de vingt hommes pour aller travailler au génie et poser des câbles électriques qui vont aux premières lignes et les réseaux de fil de fer barbelés. J’y ai travaillé pendant huit jours pour mon compte » p. 40. Comme le souligne la préface, le mot « travail » revient presque à chaque page, une ou plusieurs fois. L’auteur, qui peut aussi prétendre au statut de propriétaire cultivateur, obtient deux permissions agricoles qui se passent au travail : août 1917 « Je pars en permission de 20 jours agricoles. J’ai travaillé chez moi et chez Pouillon fermier au domaine de Baranthon» p. 63. Il monte souvent en 1ère ligne en 1915 (tenue de créneau ou ravitaillement). La tranchée peut être aussi un lieu de punition : 8 mai 1916 « j’ai attrapé 8 jours de prison c’est-à-dire de 1ère ligne pour n’avoir pas été planton au poste du Commandant (…) J’ai fait ma punition à l’ouvrage 500 en 1ère ligne » p. 34. À partir de 1917 il ne fait plus que des travaux à l’arrière (3e ligne, zone des étapes). Il raconte de manière succincte des faits saillants, les bombardements…. Il évoque par exemple de manière hostile, puis apaisée, des troupes indigènes : août 1916 « Commandé de corvée pour le nettoyage des rues de Verzenay que ces sales moricauds de Marocains ont salies depuis 5 heures du matin jusqu’à 4 heures du soir » p. 43, et 23 août « Les Marocains sont aux créneaux avec nous. Ils voudraient tirer tout le temps sans s’occuper de ce qu’il y a devant eux. Ils tireraient aussi bien sur les Français que sur les Boches. Avec beaucoup, on a de la peine à pouvoir se faire comprendre, mais à force on y arrivera » p. 43. Les remarques à propos de la qualité variable de la nourriture et du gîte sont nombreuses : Juillet 1917 (cycliste de liaison) «Je suis en subsistance à la 3e Cie de manœuvre du 309 où on est nourri comme des bourgeois et pas beaucoup de peine » p.62. Dépendant uniquement de l’ordinaire, Couraly ne peut améliorer de lui-même sa situation : Juillet 1918 « En arrivant nous avons resté deux jours sans être ravitaillés (…) Nous sommes très mal nourris et très mal couchés et nous travaillons à plein bras, cela ne peut durer longtemps. On a amené 100 Boches qui sont mieux nourris que nous. Nous, nous couchons sur la planche et les Boches couchent sur la paille » p. 76. Pas de considérations politiques ou religieuses, ni sur les Allemands et presque rien sur la vie privée ; P. Couraly reste en général d’humeur égale sauf à un moment avec son fils : « J’ai reçu une lettre que Léon est sorti de sa place [apprenti-plombier] mais je n’avais toujours rien dedans [de l’argent ?], aussi je n’ai pas rendu de réponse tout de suite car j’étais d’une colère que je ne me connaissais pas »p. 26.
Pour l’auteur, l’expérience de Verdun, en 1917, est la plus marquante de la guerre : « Jamais mes yeux n’ont vu pareil spectacle de ruines et de désolation, partout ce n’est que cadavres moitié enterrés et d’autres pas du tout, les sacs, les fusils, les grenades, les obus, tout cela est pêle-mêle sur le champs de bataille avec les corps morts. Je ne crois pas que la nature puisse produire quelque chose de plus terrifiant (p. 59) et au ravin de la Dame : « En pleine nuit aussi, à coups de pioche, nous ramenons à jour une tête, un bras humain, un fusil, français ou boche. Il y a beaucoup de Boches, je crois davantage que de Français. Je puis vivre longtemps, je me rappellerai toujours le spectacle effrayant que c’est à voir. » Il décrit ses nuits harassantes en juillet 1917 « C’est bien dans ces carrières [d’Haudremont] que j’ai le plus souffert depuis la guerre. (…) Nous transportons de l’eau potable, des fils de fer barbelés en première ligne, aux jeunes qui garantissent des Boches le terrain que nous venons de leur prendre au prix d’énormes sacrifices. Nous avons des carrières d’Haudremont au ravin Navaud 8 km aller, nous les faisons deux fois par nuit sous une pluie d’obus, de tir de barrages, de gaz asphyxiants, que lorsque je me trouve de rentrer la corvée finie, à 3 heures et souvent à 5 heures du matin, je me demande comment cela se fait que nous sommes encore vivants. Beaucoup de mes camarades sont été blessés. Jusqu’à ce temps je n’ai rien eu » (p. 64).
Le titre donné au carnet par les éditeurs s’inspire des deux dernières lignes, écrites en décembre 1918 : « Que celui qui lira ce petit calepin après moi le conserve, il verra dessus ce que nous avons eu de souffrances » (p. 78).

Vincent Suard, novembre 2016

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