Saint-Pierre (famille : 6 témoins)

Les six frères Saint-Pierre qui ont fait la guerre sont nés à Nantua (Ain) dans une famille bourgeoise propriétaire de vignes. Marin (1875-1949), médecin dans cette ville, épouse en 1908 la fille d’un général ; deux filles du couple deviendront religieuses. Clément (1877-1936), avoué à Belley, épouse une fille de médecin en 1905. Amand (1879-1932), notaire à Yenne en Savoie, se marie en mai 1914. Jean (1883-1963) est ordonné prêtre en 1908 ; incorporé en 1915 et très marqué par la Grande Guerre, il écrit jusqu’à la fin de ses jours sur des cartes postales représentant le maréchal Foch. Joseph (1885-1965) devient médecin, et la guerre lui impose de terribles travaux pratiques. La famille compte un dernier frère, Antoine (1895-1972), bachelier en juillet 14, envisageant des études de médecine qu’il achève après-guerre pour s’installer à Oyonnax. Le témoignage familial est : La Grande Guerre entre les lignes, Correspondances, journaux intimes et photographies de la famille Saint-Pierre réunis et annotés par Dominique Saint-Pierre, Tome I : 1er août 1914 – 30 septembre 1916, Tome II : 1er octobre 1916 – 31 décembre 1918, Bourg-en-Bresse, M&G éditions, 2006, 794 et 825 p. Le corpus est formé de 3 journaux et 2 491 lettres et cartes postales. Le journal d’Amand va du 2 août 1914 au 18 octobre 1918, tenu au jour le jour et non réécrit. Celui de Joseph se compose de notes quotidiennes du 31 juillet 1914 au 12 avril 1915 et d’un texte réécrit en 1940, alors qu’il est à nouveau mobilisé à Chambéry ; ce dernier couvre la période du 12 avril 1915 à sa démobilisation en 1919 et comporte des dates décalées et des confusions de situations corrigées par le présentateur. Antoine a écrit trois tomes d’une autobiographie intitulée « Journal de ma vie », dont seules 22 pages concernent la Grande Guerre. Amand écrivait chaque jour à Marguerite, son épouse, une lettre qu’il appelle (6-1-18) « la lettre de notre promesse », lien vital avec la civilisation pour le bonheur et le plaisir qu’elle procure, ainsi qu’à la famille dans le Bugey, soit 1 277 lettres. Marin a laissé 397 courriers et Jean 673 lettres et cartes postales. Enfin 144 courriers ont été échangés entre les frères. Joseph et Amand sont les deux personnages les plus représentés dans l’ouvrage.
La guerre des frères Saint-Pierre
Le parcours militaire de chacun des frères, non exposé dans l’ouvrage, est difficile à suivre et doit être recomposé avec les éléments fournis par les témoins eux-mêmes. Le 1er août 1914, Joseph est affecté au 2e bataillon du 23e RI à Bourg-en-Bresse comme médecin aide-major de 1ère classe. Le jour de l’attaque allemande qui occasionne la prise de la colline de La Fontenelle, dans les Vosges, il se dit « déprimé et à bout de forces » et se retrouve le lendemain à l’hôpital de Saint-Dié, souffrant de fièvre. Alors qu’il demande à revenir immédiatement au front, il apprend qu’il est remplacé et envoyé à l’arrière. Au Thillot, il est reçu par un officier qui lui déclare : « Ah, vous arrivez du front. Eh bien, dites-moi, c’est donc vrai que tous les officiers sont des lâches ? » Cet incident interrompt son journal jusqu’au 15 décembre 1915. Sa « faiblesse » sous le feu ne lui permettra jamais de revenir au 23e. Il sera toutefois cité 6 fois et recevra la Légion d’honneur avec palme le 5 février 1919 alors qu’il a terminé sa guerre dans le 116e BCA.
Amand, âgé de 36 ans à la déclaration de guerre, est affecté au 56e RIT de Belley. Après avoir un temps tenu le camp retranché de Belfort, son régiment, le front stabilisé, est en ligne dans le Sundgau. En octobre 1914, Amand occupe le poste de secrétaire du général commandant le secteur de Bessoncourt et nous renseigne sur ce service d’état-major en relation avec les pouvoirs civils et la population alsacienne. Le 11 octobre 1915, brigadier, il passe au 7e escadron du Train. En janvier 1918, il est sergent, secrétaire d’état-major de la 133e division et passe à la section colombophile. Il se trouve à proximité de ses frères Jean et Joseph mais, en février 1918, Amand passe maréchal des logis au 9e régiment d’artillerie à pied. Marin est médecin aide-major de 1ère classe à l’infirmerie militaire de Bosmont, Territoire de Belfort. Jean termine la guerre au 265e RAC. Antoine est nommé en juillet 1918 sous-lieutenant au 73e RI et se trouve dans le secteur de Montbéliard.
La composition du témoignage
Le présentateur des écrits des frères Saint-Pierre nous renseigne dans son préambule sur le travail réalisé pour la publication des deux volumes, qui ont représenté 15 années d’un véritable « travail de bénédictin : transcrire les textes manuscrits, retrouver leur orthographe, émonder les lettres des passages trop intimes et inintéressants, repérer les lieux de combat et tranchées sur les cartes d’état-major et les plans directeurs au 1/50 000 ; identifier les individus et les événements, rédiger des notes. Les journaux ont été conservés dans leur intégralité, les lettres ont été réduites de moitié environ. Le choix a été fait de ne pas se limiter aux faits de guerre et de conserver ce qui a trait à la vie familiale et à la société de cette époque, afin que le document garde son caractère sociologique. » Les correspondances et journaux multiples sont particulièrement riches d’enseignements (voir les notices Papillon et Verly). Dans le cas des frères Saint-Pierre, il s’agit de transmettre l’expérience de la Grande Guerre en consacrant la cohésion familiale. Tous ont conscience de vivre une expérience extraordinaire et de participer à l’écriture d’une guerre aussi complexe et foisonnante.
Connectés aux mondes littéraire (Julien Arène, Frantz Adam, les dessinateurs Hansi ou Zislin), ecclésiastique, militaire ou médical, ils sont des témoins précieux, lettrés et sensibles au monde qui les entoure. Amand surtout, introspectif, s’autocensure peu. L’analyse de ses propos dans ses lettres et dans son journal permet une opportune comparaison. À Marguerite, son épouse, il dit (4-5-17) : « Ne parle pas de tout cela à Nantua, car à toi seule je dis tout ce qu’il en est. » Dès lors, il ne cache rien de ses états d’âme, parsemés de secrets militaires qu’il jure de garder mais divulgue finalement à sa femme, de sournoiseries d’état-major et de lassitude d’une guerre interminable. Certes, il est refusé comme candidat officier, ce qui pourrait expliquer une éventuelle frustration, mais il rapporte un sentiment général si l’on en croit une lettre reçue par Amand : « J’ai été encore une fois cité à l’ordre du jour, jusqu’à ce que je sois décoré de la croix – de bois. »
Joseph aussi est réaliste, donc pessimiste. Le 1er août 1914, il déclare : « Qu’est-ce que la guerre moderne ? Je connais les récits des guerres anciennes. Je ne doute pas qu’une guerre actuelle soit exactement une boucherie. J’ai la ferme conviction que je n’en reviendrai pas et pour ne pas exagérer, j’émets l’avis que j’ai au maximum 50 % de chance d’en revenir. » Passionné de photo, Joseph utilise son appareil très tôt (septembre 14). Il est ainsi l’un des premiers à photographier la guerre dans les Vosges, aussi ses clichés sont connus en dehors du cercle familial ; il vend des images à L’Illustration et l’on en retrouve dans l’historique régimentaire du 23e. Il use pour cela des techniques particulières telle une photo « aérienne » prise de la tranchée, l’appareil placé au bout d’une perche. Joseph contribue ainsi, avec Frantz Adam et Loys Roux (voir ces noms), au fait que le 23e RI soit surnommé « le régiment des photographes ».
Une encyclopédie de la guerre
L’ouvrage nous plonge dans la guerre avec une multiplicité d’impressions ressenties et décrites. Des impressions sonores : sifflement d’une balle perdue ; son différent d’éclatement des obus selon le sol ; bruit infernal qui endort puis réveille ; éclats imitant des cris d’animaux ; « souffle immensément puissant d’un monstre endormi » quand il s’agit d’un bombardement lent et régulier ; rafales comme des « lancées de mal de dent » ; écho lointain de la bataille de Verdun à 60 km de distance et même jusqu’à Montbéliard. Dans l’air qui « mugit », les raids d’avions produisent une impression éprouvante, qu’Amand décrit à Marguerite : « Je t’assure qu’il n’y a rien d’agréable à se trouver là-dessous : les avions volant très bas, leurs moteurs font entendre un ronflement menaçant d’un lancinant sans nom ; vous sentez les appareils qui vous survolent en vous cherchant, les bombes éclatent épouvantablement, les obus explosent autour des avions, les mitrailleuses crépitent, les débris retombent de partout. » Dans cette guerre, le tonnerre naturel « perd ses droits et devient tout simplement ridicule ».
Des impressions olfactives comme l’odeur du front des Vosges : « La puanteur atroce mêlée à l’odeur résineuse des sapins hachés par les bombardements. » Des impressions physiques, comme l’accoutumance physiologique aux tranchées et aux conditions de vie. Ainsi Joseph : « Un soir, ne sachant où coucher, j’avise un tas de cailloux : lui au moins est relativement sec… Il me servira de lit. C’est un nouveau genre. J’ai déjà goûté du pré, du bois, du plancher, du sillon de labour et, ma foi, on n’y est pas trop mal : les cailloux se moulant un peu sous le poids du corps. » Il revient à plusieurs reprises sur cette « déshabitude du lit ».
C’est surtout la souffrance du soldat qui transpire de ces analyses ; les punitions imbéciles sont notées ; les affirmations cyniques, ainsi cette phrase d’un officier supérieur en août 1916 considérant que fournir des vêtements n’est pas nécessaire puisque les trois quarts des hommes vont y rester. Cette ambiance d’oppression est permanente. Elle découle du fossé qui sépare soldats et officiers. Amand se plaint également de l’ambiance morale : « Par exemple, quelles mœurs, quelle débauche, c’est effrayant, dégoûtant, écœurant… Je ne puis rien en écrire, ça dépasse l’imagination. » La condition ouvrière non plus n’est pas épargnée par Amand, surtout après les grèves du Rhône de 1917 : « Qu’on demande à ceux du front s’ils consentiraient à prendre à l’intérieur la place de ceux qui se plaignent et l’on verra le résultat ! » Même les Parisiens sont décriés (Amand, 4-2-18) : « Oui, j’ai lu le raid des aéros sur Paris et les croix de guerre que cela a fait distribuer dans la capitale. Je regrette qu’il y ait eu des victimes, mais le fait en lui-même rappellera un peu aux Parisiens que la guerre existe […]. C’est malheureux à dire, mais on est obligé de constater dans la masse des poilus, avec un sentiment sincère pour les victimes, une sorte de presque satisfaction de ce fait-là ! » Bref, le fossé entre l’avant et l’arrière est profond et universel à la lecture des frères Saint-Pierre. Et pourtant, les soldats ont conscience de devoir aller jusqu’au bout : « Le temps ne changera rien au résultat final, l’écrasement des Boches, tant pis si on paye des impôts », déclare Marin à sa mère. L’emploi de nouveaux gaz par les Allemands déchaine la volonté de vengeance d’Amand, en juillet 17 : « Il faudrait étripailler tous les Boches, mâles et femelles, petits et grands ! »
Les fraternisations sont le plus souvent représentées par les échanges les plus divers (sifflets, boules de neige, insultes au porte-voix, cigarettes), par l’entente tacite ou simplement par des attitudes d’humanité (ainsi le 24 décembre 1914 au col d’Hermanpaire, dans les Vosges, où un ténor entonne un Minuit chrétien religieusement écouté par les soldats allemands qui applaudissent.
Le bourrage de crâne n’est pas absent : pieds coupés par les Allemands pour éviter les évasions ; blessés achevés ; Boches dépeceurs ; mais aussi Allemands tuant leurs officiers pour se rendre ; officiers autrichiens qui, « pour exciter les hommes, déclarent que le pillage et le viol seront autorisés » en Italie conquise. Autres thèmes récurrents, les charges violentes contre les soldats du midi, le 15e corps, les gendarmes imbéciles, l’espionnite. Et les poncifs comme « La France aura toujours le dernier sou, l’Angleterre le dernier vaisseau, la Russie le dernier homme » ou la motivation alimentaire des désertions allemandes.
Le tout est ponctué de belles descriptions : une remise de décoration ; les bleus « nerveux du fusil » ; une attaque de nuit ; le terrible travail des brancardiers sur le Linge. La boue « comme de la crème », qui empeste le gaz et dans laquelle on peut mourir noyé ; la vue panoramique d’une attaque à Verdun. Verdun, « cette fois, c’est la vraie guerre » et le témoignage justifie sa place particulière dans l’expérience combattante avec la vision traumatique d’une mort individuelle dans la mort de masse.
La victoire
Les six frères Saint-Pierre, tous survivants, non blessés, vivent la victoire avec des sentiments nuancés. Joseph, le 11 novembre à 11 heures, déclare : « Messieurs, vous êtes joyeux, moi non ! Nous devions aller en Allemagne pour confirmer notre victoire. L’affaire n’est pas terminée, dans vingt ans il faudra recommencer. » Antoine est en permission à Nantua à cette date et revient au front, s’étonnant qu’il ne soit plus létal : « Par un clair de lune splendide, je pouvais marcher à découvert sur ce qui avait été le champ de bataille. Je ne pouvais croire au total silence qui régnait sur ces lieux dévastés. » Amand quant à lui « est tout désorienté à l’idée de la démobilisation » et « tout troublé à l’idée du retour ». Après que Joseph ait échappé au minage des caves et des routes lors de la poursuite d’octobre 18, c’est Amand qui manque encore de mourir à cause d’un « fil gros comme un crayon, solidement attaché à deux arbres et traversant la route juste à hauteur de la gorge », tendu de nuit le 14 décembre 1918 à Heimersdorf, dans le Sundgau. Il revient plus loin sur cette insécurité en Alsace. Par contre : « Réveillé par le sifflement très proche d’un obus de gros calibre, j’ai dressé l’oreille pour écouter l’éclatement et juger de la distance de la chute, mais rien. J’avais dû rêver et je m’en suis aperçu de suite, comme tu penses. » C’était le 30 novembre 1918 ! La guerre restera pour tous un traumatisme au-delà du cauchemar.
Yann Prouillet

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Caillavel, Jean (1895-1915)

Fils d’un voyageur de commerce devenu petit entrepreneur, Jean Caillavel est né à Toulouse le 11 janvier 1895. Dans cette famille de moyenne bourgeoisie, on prend des vacances à la montagne ou à la mer, et on étudie au lycée. Titulaire du baccalauréat, Jean commence à travailler avec son père et fréquente une jeune coiffeuse, mais il est appelé au 50e RI à Périgueux en décembre 1914. Ses lettres décrivent un rata infect, un rude entraînement à la marche, une épidémie de rougeole qui fait trois morts. Il est promu caporal, « un sale grade » parce qu’on y est très embêté, puis sergent en juin 1915. Il arrive sur le front du côté de Souchez en Artois en juillet, au 21e RI. Là, il découvre et décrit tranchées et cagnas, « les différents sons des calibres », la protection contre les gaz, la soif, la fabrication des bagues, des gradés froussards. Il est heureux de recevoir des colis du pays, de rencontrer un Toulousain. Au repos, « on se sent renaître littéralement » car on peut se laver et devenir « aussi frais que le plus haut de nos embusqués ». Le thème des embusqués rejoint celui de l’incrédulité de l’arrière devant les souffrances des poilus ; les permissionnaires sont « unanimes à dire : « Que les gens sont loin de la guerre ! » » Ayant lu dans La Dépêche du 15 juillet le récit d’une manifestation patriotique aux Variétés et au Grand Café de la Comédie à Toulouse, il réplique : « Au sujet de cette guerre, si tu connais quelqu’un qui a des accès de vaillance, des humeurs de combat, qu’il vienne donc faire un tour par ici et il verra où pourra s’arrêter son enthousiasme de guerre vue de bien loin, et à ce propos, tous ces vieux revanchards, tous ces embusqués qui vont écouter la Marseillaise ou le chant du Départ aux Variétés, tête nue, qu’ils viennent seulement à l’arrière de nos lignes et nous les verrons un peu. »
Il estime nécessaire l’offensive du 25 septembre 1915 afin qu’il n’y ait pas de campagne d’hiver, et au début il la croit victorieuse. Mais, le 1er octobre, l’atmosphère de la lettre a changé : « Mon pauvre Papa, j’ai vécu des minutes horribles. […] Tous mes copains, sous-offs, caporaux ou soldats sont ou blessés ou morts. […] Je me demande encore comment j’ai pu en réchapper. […] Excuse mon style, je suis encore un peu hébété des spectacles que je viens de voir. » La dernière lettre de Jean est du 3 octobre. La boîte de chaussures réceptacle du corpus contient plusieurs lettres adressées à Jean par sa mère et retournées faute d’avoir pu atteindre le destinataire. Jean Tirefort a été tué à Souchez le 6 octobre 1915 ; son corps n’a pas été retrouvé ; il n’a jamais vu sa fille Raymonde, née le 20 mai.
Rémy Cazals
*Roger Gau, Jean, classe 1915 ou Lettres volées à l’oubli, Toulouse, Les Amis des Archives de la Haute-Garonne, 1998, 159 p.

Une édition libre accès a été créée par la suite par Roger Gau sur le liste Calaméo : https://fr.calameo.com/books/00026641321c954c09b87

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Decressac, Jean (1896-1989)

De l’émouvante rencontre, lors de l’année scolaire 1984-85, entre l’ancien combattant de 14-18 Jean Decressac et les élèves du lycée Guez de Balzac d’Angoulême, lycée qu’il avait lui-même fréquenté au début du XXe siècle, est sorti un PAE (Projet d’action éducative), passionnant pour ceux qui l’ont réalisé comme pour ceux qui en ont eu connaissance.
Jean Decressac avait 18 ans en 1914. Lui et son frère jumeau Georges, fils de médecin, étaient nés à Angoulême le 17 juin 1896. Brillants élèves, ils avaient remporté plusieurs prix, parmi lesquels on peut noter le 1er prix de géographie de Jean en classe de philosophie quelques jours avant la mobilisation. Les jumeaux étaient destinés à « faire médecine ». En décembre, conscient que la guerre allait durer et que les risques étaient trop grands dans l’infanterie, leur père leur conseilla de devancer l’appel, ce qui donnait le droit de choisir l’arme, pour eux l’artillerie. Après avoir fait leurs classes, ils arrivèrent sur le front en Artois, au 52e RAC. Jean Decressac fut blessé à Verdun le 10 mai 1916, évacué vers Angoulême où il fut opéré par son père. Il revint au front en mars 1917, entra en juin à l’école d’application de Fontainebleau pour devenir officier. Sous-lieutenant, il combattit de janvier 1918 jusqu’à l’armistice, tandis que son frère Georges était envoyé en Orient. Les deux frères firent partie des survivants.
Jean Decressac tenait régulièrement ses carnets de notes. Il les mit au propre en 1919, puis les recopia en 1927-28. Dans le cadre du PAE, les originaux ont été reproduits en quelques exemplaires déposés aux Archives départementales de la Charente, à la Bibliothèque municipale d’Angoulême, au CDDP (qui a d’autre part publié une pochette de 24 diapos à partir des 300 photos du combattant), etc. La publication citée ci-dessous expose également la méthode de travail et l’histoire d’un PAE exemplaire (on retiendra, par exemple, les textes sur la description des paysages, sur l’univers auditif du combat, sur l’omniprésence de la blessure et de la mort).
Quelques passages significatifs peuvent encore être relevés : l’arrivée à Angoulême des premiers blessés, le 25 août 1914, dont la plupart n’avaient pas vu un seul Allemand ; la distribution de gnole, signe qui ne trompe pas à la veille de l’attaque du 25 septembre 1915 ; les Allemands capturés qui « riaient et semblaient enchantés d’être prisonniers » (29 octobre 1915) ; l’officier (Jean Decressac lui-même) qui ne traduit pas en conseil de guerre trois soldats qui ont abandonné leur poste de veille pour aller boire un coup (1er juillet 1918). Ce dernier cas est représentatif du caractère aléatoire de la justice militaire.
Après la guerre, Jean et Georges ont repris leurs études et sont devenus médecins. En mars 1985, après l’expérience du PAE, ils ont adressé une lettre aux élèves du lycée pour les remercier de leur avoir fait revivre « des heures inoubliables » (p. 81 du compte rendu de PAE).
Rémy Cazals
*14-18 : les carnets de guerre d’un combattant, par la classe de 1ère A2 du Lycée Guez de Balzac, Angoulême, CDDP, 1985, 235 p.

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