Rostin, Marcel (1877-1952)

1. Le témoin

Né à Sassenage (Isère) le 18 février 1877, le jeune Marcel Rostin fait son collège à Grasse, en pension chez son oncle (capitaine au 23e bataillon de chasseurs alpins), avec lequel il entretiendra toute sa vie une relation privilégiée. Engagé volontaire le 14 octobre 1896, il sert au 75e RI jusqu’en 1903, date à laquelle il intègre Saint-Maixent (promotion El Moungar). Nommé sous-lieutenant au 30e RI d’Annecy le 1er avril 1904, il passe lieutenant deux ans plus tard. Provençal d’adoption, il est incorporé sur sa demande au 112e RI le 14 octobre 1910.

A la mobilisation, le lieutenant Rostin commande une section de la 5e Cie. En août 1914, en Lorraine, il participe aux combats de Moncourt et de Dieuze, ainsi qu’à la fameuse retraite du même nom. En août et septembre, son unité est engagée dans la bataille de la Trouée des Charmes, puis dans celle de la Marne (région de Bar-le-Duc). Le 8 septembre, à Vassincourt, il est blessé à la main gauche et évacué, quatre jours après avoir été nommé capitaine à titre temporaire (nomination définitive en janvier 1915).

Le 5 décembre, il est de retour à la tête de la 9e compagnie dont il avait pris le commandement fin août 1914 : son régiment couvre le secteur d’Avocourt-Malancourt (Verdun) jusqu’en juin 1915. En mars de la même année, nommé à la tête de la compagnie de mitrailleuses du régiment, il est contraint de quitter sa chère 9e compagnie. Le 15 juin 1915, désormais rattaché à la 251e brigade de la 126e DI, le 112e RI quitte Verdun pour l’Argonne (secteurs du bois de la Gruerie puis du bois de Lachalade). En août, à Craonne, le 112e RI participe aux préparatifs de l’offensive de Champagne, avant de rejoindre les secteurs de Pontavert (septembre-octobre 1915), puis de Sillery, près de Reims. En novembre, le régiment part au grand repos à Hautvillers (Marne). De retour en décembre, le 112e occupe les tranchées de la Butte-du-Mesnil (Champagne) jusqu’en mai 1916, date à laquelle il est envoyé couvrir la Cote 304 et le Mort-Homme.

Evacué le 16 juillet 1916, le capitaine Rostin ne retournera plus au 112e RI. Début 1917, il est nommé instructeur au Centre des mitrailleurs de la IVe région. Après un nouveau séjour à l’hôpital, il rejoint la direction du centre régional d’instruction de mitrailleuses des XVe et XVIe régions à Brignoles. Le 25 avril 1919, il est nommé instructeur au Centre d’instruction pour élèves aspirants (CIEA) de Montélimar, quelques jours avant d’être affecté au 140e RI. Nommé à la Commission militaire interalliée de contrôle (CMIC) en septembre 1919, il demeure en Allemagne jusqu’en janvier 1923 (24e puis 167e RI), où il participe au désarmement allemand. Réaffecté au 140e RI en mars 1923, il est mis en non-activité par retrait d’emploi le mois suivant. Rappelé en 1925, on lui confie le commandement de la 2e Cie du 3e bataillon de mitrailleurs. En novembre, il est envoyé en Syrie pour contenir l’insurrection dans le Djebel druze. Le 16 juillet 1926, il est nommé adjoint au chef de secteur du Liban sud. Après un court passage au 18e RI, il est rapatrié et affecté, en mars 1927, au 3e bataillon du 3e RI d’Antibes. Hospitalisé pour paludisme aigu, il finit sa carrière au 141e RIA de Nice. Atteint par la limite d’âge le 18 janvier 1930, il est admis à la retraite et se retire à Nice, où il décède le 1er juin 1952.

2. Le témoignage

Un officier du 15e corps, Carnets de route et lettres de guerre de Marcel Rostin (1914-1916), présentés et annotés par Olivier Gaget avec une postface de Jean-Marie Guillon, Saint-Michel l’Observatoire, C’est-à-dire éditions, 2008.

La présente édition compile les carnets de guerre de Marcel Rostin pour la période allant du 7 août au 13 septembre 1914 (la douzaine de carnets postérieurs n’ayant pas été retrouvés) et la correspondance (117 lettres), irrégulière et parfois lacunaire, entretenue par Rostin et son oncle, le commandant en retraite François Meurs, entre le 6 décembre 1914 et le 1er juillet 1916.

Le témoignage de Rostin est issu du fonds Belleudy (bibliothèque de Cessole, musée Massena de Nice) ; selon Olivier Gaget – l’initiateur de la publication du témoignage de Rostin –, il représente 231 pièces manuscrites décomposées comme suit : un feuillet recto-verso et 71 feuillets recto pour la partie carnets, 130 pour les lettres, ainsi que quelques annotations de Belleudy et autres lettres de Rostin au préfet.

Jules Belleudy, journaliste, écrivain et préfet, a été l’un des plus fervents défenseurs du 15e Corps – essentiellement composé de méridionaux –, injustement accusé de lâcheté et jugé responsable, en août 1914, de l’échec de la bataille de Lorraine. En 1916, il fait paraître une brochure censurée intitulée La Légende du XVe Corps d’Armée. L’Affaire de Dieuze. Avec l’aide du général Carbillet, ancien commandant d’une des deux divisions du 15e CA, Belleudy recueille les pièces qui constitueront bientôt le fonds éponyme.

Dans la première lettre qu’il écrit à Jules Belleudy, en date du 3 mai 1917, le capitaine Rostin propose au préfet de lui confier ses carnets (il lui remet ainsi les deux premiers entre le 8 et le 11 mai 1917) afin qu’il puisse compléter sa brochure au jour du vécu d’un officier du 15e Corps : « Je sais, écrit Rostin, que je suis le seul des officiers de mon régiment qui ait eu la constance de noter les faits à leur heure, durant deux années de combats presque ininterrompus. Je possède donc un journal exact, émaillé, il est vrai, de réflexions personnelles parfois délicates mais toujours sincères. » (p. 23) La famille ayant dispersé les archives de Rostin à la mort de ce dernier, les carnets conservés dans le fonds niçois ne sont pas des originaux, mais des copies de Jules Belleudy lui-même. Pour O. Gaget, seule la partie relative aux évènements relatifs à la retraite du 15e CA à Dieuze avait sans doute vocation à être publiée, et ce en tant qu’acte de défense. Dans cet optique, Belleudy avait d’ailleurs rédigé une préface, conservée dans le fonds et intégralement reproduite dans la présente édition : « Nous saurons ainsi, écrit J. Belleudy, les défaites d’une action et en particulier comment le soldat français de Provence s’est comporté au feu dans cette période du 14 août au 14 septembre 1914. » (cité p. 27) La publication du témoignage de Rostin demeurera cependant à l’état de projet, J. Belleudy se contentant d’en citer quelques passages dans son Que faut-il penser du XVe corps ? publié en 1921.

Les carnets reproduits dans la présente édition n’ont donc pas été retravaillés par Rostin après le conflit, puisque immédiatement recopiés par Belleudy. En revanche, s’il est à peu près certain que le fonds de ces carnets ait été rédigé au jour le jour – c’est du moins ce qu’il écrit à son oncle le 29 janvier 1915 : ces carnets sont composés de « descriptions vécues et faites sur le vif » (p. 113) –, difficile de savoir s’ils ont été retravaillés ou non par leur auteur entre septembre 1914 et mai 1917, Rostin ayant été évacué deux fois, du 9 septembre au 5 décembre 1914 et du 16 juillet 1916 à la mi-janvier 1917, et ayant eu par conséquent le loisir de reprendre son texte. Tenant à ses carnets « comme à mes yeux » (lettre du 25 juillet 1915, p. 154) et, afin qu’ils ne se perdent pas, les faisant régulièrement parvenir à son oncle, l’on est cependant conduit à douter de cette éventualité.

Les lettres que Rostin écrit à son oncle ont une tonalité notablement différente des carnets. Cherchant la complicité de son parent, vétéran de la guerre de 1870, semblant lui confier ses expériences afin de les exorciser, il s’y livre de manière plus sensible, notamment en  parlant ouvertement de ses peurs et angoisses, comme ici dans sa lettre du 6 janvier 1915 : « Vous dirais-je que le moral s’en ressent et que l’enthousiasme se meurt ? Et puis, malgré que notre tempérament sache s’adapter à tout, nous souffrons d’un tel état : nous ne sommes pas faits pour cette lutte de patience, d’entêtement et de boucherie passive. Personnellement, je vis dans les transes, dans l’appréhension de l’heure horrible où je recevrai l’ordre de marcher tête basse contre une muraille bastionnée. » (p. 107).

3. Analyse

L’intérêt du témoignage du capitaine Rostin réside notamment dans le fait qu’il est un militaire d’active, officier issu de la troupe et fantassin de première ligne. Pour l’historien Jean-Marie Guillon, auteur de la postface, Rostin « voit la guerre en militaire » (p. 247). Officier répondant de ses hommes, enfant adoptif de la petite patrie provençale, il se sent par exemple « humilié lorsque les Méridionaux sont vilipendés ou lorsqu’ils ne se montrent pas à la hauteur » (Id.). A l’inverse, le 11 juillet 1915, il confie à son oncle sa fierté et son émotion à la vue du colonel épinglant « sur les poitrines de certains des miens l’emblème de la bravoure. […] Cela, plus que la mitraille et les charniers, donne la chair de poule. » (p. 151) Mais voyant effectivement la guerre en militaire, Rostin semble plus encore la voir en guerrier. Le 10 mai 1915, il avoue ainsi sa fébrilité à l’idée de la prochaine attaque allemande : « Ah ! tuer des Boches, en tuer beaucoup, loyalement, proprement, comme ce doit être bon ! On doit, après toutes leurs cruautés, éprouver un divin plaisir à exterminer cette vermine comme on écrase une punaise ou une araignée velue. Je deviens sanguinaire et vindicatif et, paré dans mon service pour l’attaque que l’on soupçonne, j’éprouvais ce matin une joie de bourreau à vérifier dans les tranchées, le jeu de mes engins blottis pour leur œuvre de mort. » (lettre du 10 mai 1915, p. 133)

Le 28 août 1914, il fait le point sur les combats depuis l’entrée en guerre et constate le puissant décalage entre guerre imaginée et guerre vécue. Et si pour lui des « erreurs graves » (carnets, p. 56) ont été commises, il doute de la capacité du commandement à en tirer des leçons : « Nous avons confondu l’offensive avec une vitesse grisante et folle, nous avons considéré les premiers engagements comme de grandes manœuvres, n’oubliant qu’une chose : les balles des fusils et surtout les obus et les canons. » (Id.) Quelques jours plus tard, il enfonce le clou, sa guerre n’est pas celle à laquelle on l’armée l’a préparé : « tous les enseignements dont on me nourrit, dont on me gave depuis 18 ans que je suis militaire, tout cela trouve ici, à chaque instant, sa contradiction même » (carnets, 2 septembre 1914, p. 75).

Mais la guerre n’en est pas pour autant laide. Non, pour Rostin, elle est aussi belle que féroce. C’est ce qu’il écrit à son oncle, le 14 décembre 1914 : « Au fond, c’est beau la guerre, car si près de la mort, l’homme se révèle tel qu’il est. Notre race possède des trésors de vertus que la guerre seule pouvait révéler. Comme on est fier ici d’être Français ! » (p. 100) ; puis à nouveau le 24 juin 1915, au bois de la Gruerie : « Horreurs et beautés, tueries sans nom d’où s’élève la gloire. » (p. 146) ; puis encore le 17 juillet suivant : « C’est terrible la guerre, mais c’est aussi beau. […] Vous pouvez être jaloux, les non-combattants, vous n’avez pas vu, espéré, souffert, ri, pleuré ; vous n’avez pas connu les grands frissons. » (p. 153) Car la guerre, il l’attend depuis longtemps, et si parfois elle le surprend, le déprime, ou même l’effraye, elle ne le déçoit fondamentalement pas : il vit pour connaître ces moments. En revanche, ce qui chez Rostin s’effondre bel et bien, c’est son espoir d’une guerre courte, et surtout celui d’une guerre noble, d’une guerre de mouvement, à découvert, là « où la lutte est loyale » (carnets, 8 septembre 1914, p. 82) : « Dans les luttes du début, on succombait, c’est vrai, mais on mourait noblement, on avait de l’air, on voyait devant soi ; tandis qu’à cette heure, où sur un front réduit, des milliers d’hommes, séparés de 20 à 50 mètres, se jettent les uns contre les autres, dans l’enchevêtrement des fils de fer et des embûches, sous une mitraille que l’imagination a peine à concevoir : c’est une boucherie ! » (lettre du 6 juillet 1915, p. 149) Mais si pour Rostin la guerre perd en noblesse, sa cause, elle, n’en est que plus belle. Il en en persuadé et n’a de cesse d’en convaincre ses hommes : « j’ai toujours cru et je crois encore fermement que la victoire sera pour nous qui défendons la seule, la vraie, la bonne, la grande cause. Et je le dis autour de moi, j’insuffle tout mon espoir à ces hommes que le pays m’a confié » (carnets, 2 septembre 1914, p. 76). Le 20 janvier 1915, il écrit à son oncle : « Je m’efforce d’enfoncer cette idée réconfortante dans l’âme de tous les braves gens qui m’entourent et qui croient à la parole de leur capitaine comme à l’Evangile. Mais parfois leurs forces physiques épuisées laissent faiblir leurs espoirs. […] Par instant j’ai peur. Puis, vite, je me secoue, je reprends le dessus et connaissant bien la mentalité du soldat, je le remonte, je le ravigote et, quand je le peux, je le comble de tous les soins matériels qui sont en mon pouvoir. » (p. 112)

Dans ses carnets comme dans sa correspondance, le paternaliste capitaine Rostin, volontiers condescendant, n’a ainsi de cesse de parler de ces puissants leviers moraux que sont le regard et l’affection de ceux qu’il appelle fréquemment ses « braves gens ». Dès le début du conflit en effet, il décrit ce « bien-être infime à me réchauffer dans cette promiscuité touchante du champ de bataille. […] Mes hommes sont mes frères, j’ai besoin d’eux autant qu’ils ont besoin de moi ; ils veillent plus à ma vie qu’à leur sécurité personnelle. » (carnets, 16 août 1914, p. 42) Le 29 mars 1915, revenant d’une visite à son ancienne compagnie, il s’écrie : « Ah ! les braves gens ! Non, une telle affection n’est pas possible, j’en suis tout bouleversé. Il est heureux que les grades ne se donnent plus à l’élection ; ces gens-là dans leur fois aveugle, feraient des folies. » (lettre du 29 mars 1915, p. 126). Mais si cette affection agit chez Rostin comme un puissant levier moral, elle représente également une pression terrible… Dans sa lettre du 2 janvier 1915, il confie ainsi à son oncle : « Je ne dors presque jamais, surtout la nuit. Tous mes nerfs sont tendus : ma responsabilité est grande, mais j’ai une grande confiance dans ma compagnie » (p. 106). A nouveau, le 29 mars 1915 : « Mes nerfs sont un peu malades, non parce que je tremble pour ma pauvre carcasse, mais la vie de mes gens m’est précieuse et je ne voudrais pas les perdre. » (pp. 142-143) Le 24 août 1914, à l’heure d’une réorganisation des compagnies, Rostin exprime ainsi sa crainte de ne pas retrouver les hommes de sa 5e Cie. Une crainte qu’il dissipe le jour même, se livrant alors à une description des retrouvailles des plus théâtrales : malade, cela suffit à le guérir ; quant à ses hommes, ce ne sont que « cris de joie » (carnets, p. 50), « explosion de joie » (Id.), et Rostin et sa troupe de se retrouver à nouveau en « famille » (Id.)… Ses hommes, il écrit ainsi les aimer, en bon père de famille voire en bon roi : « Mon attachement aux miens me tue : quand je perds un de mes gars, j’en ai pour des jours à me consoler. Je tremble pour eux, car je les aime. » (lettre du 16 juin 1916, p. 202) En échange de ses soins et de sa protection, ses hommes, écrit-il, lui vouent un véritable « culte » (carnets, 27 août 1914, p. 61) et semblent à son service comme à celui d’un seigneur : « les escouades défilent ; les unes m’apportent du café chaud, de la soupe ou de belles tranches de viande rôtie embaumée parfois – quel luxe ! – d’un parfum d’ail ou d’oignon. Je n’ai jamais vu répartir des aliments sans qu’ils m’aient été présentés pour en prélever ma part. » (carnets, 3 septembre 1914, p. 78) Mais tout ceci a un prix : attachant l’homme au chef, l’incitation par l’exemple expose aujourd’hui l’officier à une mort quasi-certaine. Ainsi les hommes en arrivent-ils, écrit Rostin, « à gronder leurs chefs imprudents » (lettre du 8 novembre 1915, p. 165) : « ce qu’ils n’oublient jamais c’est la physionomie, le mot, le geste du chef qui les conduit. Leurs yeux sont autant d’oreilles qui nous rentrent dans l’âme et cela nous explique la mort de tant d’officiers qui, pour prêcher d’exemple, se sont fait tuer peut-être inutilement en fait, mais utilement pour la galerie. C’est bien français ça, mais nous finissons par comprendre que dans cette guerre méthodiquement, scientifiquement meurtrière, c’est trop crâne, trop cocardier, trop chevaleresque. Nos hommes sont les premiers à nous le crier. » (Id.)

La lâcheté, pour lui, est l’apanage quasi-exclusif des Allemands, qu’il dénigre énergiquement, les traitant tour à tour de « boches », de « vandales », de « pillards » et même de « cochons » (carnets, 29 août 1914, p. 65), d’ « assassins » (lettre du 1er juillet 1915, p. 147) ou de « bêtes casquées » (lettre du 8 novembre 1915, p. 164), etc. : « leurs capitaines, écrit-il à son oncle le 29 octobre 1915, font des chaînes pour attacher leurs mitrailleurs peureux à leurs pieds. Quelle différence entre eux et nous ! Nos mentalités, nos races, nos conceptions de la discipline sont aux antipodes les unes des autres. Et c’est là une garantie de notre supériorité, une certitude, pour nous, de vaincre. » (p. 161) Rostin écrit ainsi inlassablement toute son admiration pour ses hommes, qui sont pour lui une source d’orgueil inépuisable : le soldat français est tout à la fois intelligent, curieux, courageux, gaiement résigné, etc. Selon lui, c’est même par cette dernière « vertu qu’on tiendra et qu’on les aura. » (lettre du 1er novembre 1915, p. 163). Avec de tels soldats, confie-t-il à son oncle, la discipline de guerre est bien plus forte que la discipline de paix, d’autant que la guerre représente pour lui la meilleure école d’ « instruction du peuple » (lettre du 8 novembre, p. 165).

Mais quand il décèle un laisser-aller dans les rangs français, la bonté cède alors la place à la sévérité. Lors du recul de l’armée française, à Dieuze, il écrit ainsi avoir été obligé d’employer « tous les moyens inconnus du temps de paix » (carnets, 22 août 1914, p. 45) pour maintenir sa troupe calme et ordonnée sous le feu ennemi. Et le 31 décembre 1914, il confie à son oncle : « Cette fois, je suis à 25 mètres des Boches et les fusils crépitent du matin au soir. Les brigands ont toutes les audaces. A l’instant où je vous écris dans mon trou, on me rend compte que les misérables font des signes d’amitié à mes hommes et leur crient, en leur montrant des cigares : « Komm ! Komm ! Viens, viens ! » Je suis indigné, furieux, et je donne l’ordre de fusiller toute tête boche qui se montre. Ils répondent les gredins, mais je préfère de la casse à un relâchement dans la discipline. » S’interdire de voir l’homme derrière l’ennemi et entretenir à tout prix la combativité de ses hommes, tels sont deux des principaux leitmotivs du capitaine Rostin. Le 6 janvier 1915, il confie ainsi à son oncle : « Je prendrai mon revolver et je ferai moi-même justice des flancheurs, s’il en existe autour de moi. Voilà où il faut en venir ou du moins voilà à quel geste il faut se préparer pour essayer de sauver l’honneur. » (p. 109) Cependant, affirmant à plusieurs reprises avoir toute confiance en sa troupe et en sa faculté de les tenir en main, Rostin doute devoir un jour avoir recours à ce genre de procédé.

Sa manière de commander, telle qu’il la décrit, est d’ailleurs exemplaire de la formation des officiers d’avant-guerre. Il part au combat avec une troupe qu’il – et qui – le connaît, et qu’il – et qui – l’aime. Certains de ses soldats ont ainsi l’honneur de figurer dans ses carnets : il en connaît le nom et en apprécie la valeur. Mais ses effectifs fondant, Rostin avoue connaître quelques problèmes de discipline. La cause, pour lui, est évidente : il se retrouve à devoir commander à des hommes qu’il n’a pas formés et qu’il connaît à peine… Rostin peste également contre ce nouveau type de guerre auquel il est confronté et qui représente un handicap certain pour diriger ses hommes : « Tout commandement effectif est impossible de mon poste placé sous terre à la lisière du bois. Je ne sais rien de mes unités réparties sur un front de 1500 mètres. » (lettre du 14 décembre 1914, pp. 99-100)

Dès le premier mois de la guerre, il écrit déjà ressentir l’habitude de la mort : « Le spectacle est devenu familier. […] A cette heure-là, la vie vaut si peu ! On en fait le sacrifice presque inconscient » (carnets, 22 août 1914, p. 47). Mais le 23 août, quand vient le moment de s’enterrer, il confie être déprimé : la guerre de tranchées, replongeant les combattants au Moyen-Âge, va pour lui à l’encontre du tempérament français. Le 8 décembre 1914, il confie ainsi à son oncle son profond désarroi face à cette « vie de taupes plutôt que de troglodytes, puisque tout mouvement à l’air libre et lumineux étant dangereux est, par suite, interdit. […] Cette guerre de tranchées nous ramène des siècles en arrière. On se jette des pétards de mélinite, des grenades à main. Bientôt on se versera sur la tête de l’huile bouillante, on se jettera des cailloux. » (p. 99) En 1914, Rostin éprouve ainsi des difficultés à se résoudre à cette guerre qui, consacrant les progrès de l’armement, semble nier un quelconque progrès de l’art de la guerre.

Durant la bataille de la Trouée des Charmes, il confie également à ses carnets sa révolte face au manque d’informations dont souffrent les officiers et au handicap que cette carence représente pour établir et maintenir leur autorité sur leurs hommes. Après l’épisode du recul de Dieuze, il prend la défense des gens du midi, mais également des officiers, selon lui injustement décriés avant-guerre et aujourd’hui arbitrairement tenus pour responsables des échecs du champ de bataille. Il déplore les « coûteuses tentatives » (lettre du 6 janvier 1915, p. 107) improductives, les « ordres incohérents » (lettre du 25 octobre 1915, p. 160), les déplacements incessants, et ce système d’ordres et de contre-ordres, cause notamment d’une fatigue inutile pour la troupe. Sur le papier, il s’indigne également de l’infâme besogne administrative, de l’excessive méfiance des médecins-majors, de la propagande des journaux, qu’il juge néanmoins utile « parce que ces mensonges qui ne coûtent pas cher rassurent les familles » (lettre du 21-22 décembre 1915, p. 177), etc. Dans ses carnets, il se révolte même contre certains de ces chefs, tantôt qualifiés de « gâteux » (29 août 1914, p. 63) ou de « chien de quartier » (6 septembre 1914, p. 80), et dont la futilité des exigences l’exècre. Au fond, ce qui heurte son âme de chef de guerre, ce sont les préventions prises à l’égard de la troupe et les brimades que des officiers trop tatillons font subir aux hommes, qui rappellent par trop la vie de caserne. Pour de tels officiers, « la confiance et l’affection sont mortes » (lettre du 22 novembre 1915, p. 169) ; ils ne valent dès lors pas mieux que les « brutes » d’en face. Il rapporte les effets dévastateurs d’une artillerie française qui tire trop court, et massacre ses fantassins et le moral des survivants. Quelques mois plus tard, le 13 mai 1915, il célèbre pourtant la « liaison entre les deux armes » (lettre du 13 mai 1915, p. 135). En bon chroniqueur, Rostin raconte ses rencontres avec les civils de la zone de front, leur inquiétude, leur inconscience, la chaleur ou la froideur de leur accueil, etc. Il raconte également les souffrances liées à la pluie, au froid, à la boue, à la soif, aux rats, « pire que les Boches » (lettre du 7 décembre 1915, p. 172)…, mais aussi au spectacle des cadavres français pourrissant entre les lignes. Le 30 mars 1915, il demande ainsi à son oncle de bien vouloir lui envoyer une série de petits drapeaux à planter sur les tombes françaises, afin tout à la fois d’honorer les morts et d’évangéliser les troupes (vœu qui sera bientôt suivi des faits) : « Mon idée mériterait d’être répandue. L’effet moral de ces drapeaux symboliques flottant sur nos morts serait grand » (p. 127).

Le 13 septembre 1914, évacué, il se livre à une condamnation ironique des planqués, assimilés aux citadins, et à une apologie lyrique des paysans-combattants. Le deuxième carnet s’achève ainsi sur ces mots : « l’on se bat là-bas et l’on se tue, mais la majorité de ceux qui luttent et qui meurent n’est pas composée, ô Patrie, de tes citadins : ce sont tes glorieux paysans (…). Ô Patrie, tes vrais défenseurs, les voilà : c’est par eux surtout que tu seras sauvée, grande et plus que jamais glorieuse. » (p. 90) « Ainsi, écrit-il à son oncle le 29 octobre 1915, dans un pays d’égalité, la guerre sera impuissante à amener cette égalité. » (p. 162) Cette inégalité, il la dénonce avec plus de force encore lorsqu’il s’agit de décrire certains officiers d’état-major, qualifiés de « loques humaines » (lettre du 22 mai 1915, p. 138). Pour Rostin, le sort de ces officiers « planqués » n’est pas enviable, bien au contraire… Car pour lui le front est une école morale, d’où l’on sort grandi : « L’officier et le soldat : même danger, même litière, même gamelle, mêmes souffrances, mêmes angoisses, mêmes espoirs. Et quelle camaraderie sublime les serre l’un près de l’autre, alors que le premier voit dans cette promiscuité grandir son prestige et le second se décupler sa confiance et son affection. » (p. 174)…

4. Autres informations

La présente édition comporte une présentation générale, un épilogue et deux introductions (carnets de route et lettres de guerre) d’Olivier Gaget, ainsi qu’une postface de Jean-Marie Guillon, rapprochant les expériences de guerre de Marcel Rostin, Jean Norton Cru et Jules Isaac.

L’ouvrage comporte également trois annexes. La première, particulièrement intéressante pour se faire une idée de l’imaginaire professionnel d’un officier de carrière avant-guerre, reproduit le texte de la conférence intitulée Le soldat français et le soldat allemand : deux mentalités, deux dressages et tenue par le lieutenant Rostin aux officiers de réserve et territoriale de l’arrondissement de Grasse, à Cannes, le 8 février 1914 (Cannes, Imprimerie F. Robaudy, 1914). La deuxième annexe présente une série d’extraits de l’ouvrage de Maurice Mistre, Des Républicains diffamés pour l’exemple, La légende noire du 15e corps d’armée (Edimaf, 2004). La troisième annexe reproduit enfin le Journal des marches et opérations de la 57e brigade d’infanterie, du 10 au 28 février 1915.

Outre une série de photographies, on trouve également, insérés dans le texte, sept encarts :

–         un tableau présentant l’encadrement du 112e régiment d’infanterie à la mobilisation ;

–         une carte matérialisant l’avancée, puis la retraite du 112e RI autour de Lunéville entre le 11 et le 26 août 1914 ;

–         un tableau présentant la reconstitution du régiment après la bataille de la Trouée des Charmes ;

–         un court texte, à la toute fin des carnets, discutant la dimension « de masse » conférée par la presse aux exécutions de septembre 1914 ;

–         une transcription du compte-rendu du capitaine Rostin sur la journée du 23 décembre 1914 ;

–         un tableau présentant la répartition des mitrailleuses à partir du 11 mai 1915 ;

–         une chronologie 1915-1916 des diverses positions occupées par la compagnie de mitrailleuses devenue 1ère compagnie de mitrailleuses ;

–         un compte-rendu du capitaine Rostin en date du 29 avril 1916 au sujet des planchettes de tir auprès des mitrailleuses.

A noter : le livre comporte enfin deux précieux index des noms de personnes et de lieux évoqués dans l’ouvrage, ainsi qu’une bibliographie et un état des sources utilisées.

Rapprochements bibliographiques (témoignages publiés sur le 112e RI) :

–        Un Haut-Provençal dans la Grande guerre : Jean Barruol, Les Alpes de Lumière, collection « Les Cahiers de Haute-Provence » n°1, 2004.

–        François Mazel, Le Journal d’un poilu, « au fil du rasoir… », Nîmes, Editions Lacour, 2005.

Julien Mary, février 2009

Autre notice « Rostin Marcel » dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 398, par Rémy Cazals.

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Porchon, Robert (1894-1915)

1. Le témoin.
Robert Porchon, originaire du Loiret, est né le 23 janvier 1894 dans une famille bourgeoise. Intégré à l’école des officiers de Saint-Cyr en 1913, il est rapidement affecté comme sous-lieutenant d’active au 106e RI où il se trouve en compagnie d’un ancien élève du même lycée que lui du nom de Maurice Genevoix. Participant aux combats dans la Meuse autour de Verdun à partir de la fin août 1914, il s’enterre rapidement avec son unité dans les tranchées face aux Allemands. Il décède le 19 (ou 20) février 1915 à la suite d’une blessure par éclat d’obus reçue aux violents « combats des Eparges ». Combats qui durèrent durant près de deux mois pour la conquête d’une crête au Sud-Est de Verdun dominant la plaine de la Woëvre. Le corps de Robert Porchon repose dans le cimetière militaire du Trottoir, au pied de la crête où il est tombé.

2. Le témoignage
Pour Michel Bernard, Robert Porchon apparaît comme «l’un des morts les mieux connus de la Grande Guerre » (Préface de Carnet de route du sous-lieutenant Robert Porchon, p. 9). En effet, Maurice Genevoix, que Jean Norton Cru place au rang de grand témoin, a su dans les cinq livres de ce qui forme l’œuvre Ceux de 14, élever un monument du souvenir à ses camarades de misère, dont le principal, « le frère de sang » comme il le rappelle dans une lettre à Mme Porchon, fut son ami Robert. Le carnet et les lettres publiées viennent heureusement éclairer et compléter le témoignage littéraire de Genevoix. C’est encore une fois le deuil qui frappa par deux fois la belle-mère de Robert Porchon (le plus âgé, Marcel, mourut la même année, le 6 avril en Argonne), qui poussa celle-ci à rassembler les témoignages de la guerre et de la mort de son jeune fils : tout d’abord en recopiant ses écrits, puis en collectant les récits et témoignages des camarades ou supérieurs de son fils et les circonstances de sa mort. Comme beaucoup de soldats, Robert a tenu un carnet de guerre mais sur une courte période du 25 août au 3 octobre 1914 et a écrit à sa famille (avant la guerre et jusqu’en février 1915), la correspondance prenant rapidement le pas sur tout autre forme d’écriture.
Cette volonté de conservation de la mémoire du défunt, que l’on retrouve dans le cas du combattant Henri Despeyrières par exemple, permet de pouvoir aujourd’hui lire l’expérience de guerre du sous-lieutenant Porchon, qui, de personnage de littérature, s’incarne désormais à travers ses propres écrits publiés.
Il faut souligner ici la qualité de l’édition de cet ensemble documentaire (lettres et carnets de Robert Porchon, lettres de camarades réunies par sa belle- mère après sa mort), Une partie « Mise en perspective historique » replace heureusement le parcours du jeune Porchon et celui de son régiment (106e RI) en évoquant les différents combats auxquels il a pu prendre part. Les cartes proposées sont d’une grande clarté et d’une grande utilité, notamment pour comprendre les « combats des Eparges ».
PORCHON Robert (sous-lieutenant), Carnet de route suivi de lettres de Maurice Genevoix et autres documents, Paris, La Table Ronde, 2008, 207 p.

3. Analyse
Une lecture attentive de ses lettres, parfois mises en relation avec les pages de son carnets plus personnel et plus « réaliste », révèle une importante autocensure (« les boches sont de mauvais tireurs », lettre du 7 novembre), sans que la description des corps meurtris ne soit épargnée au destinataire (quand il s’agit des Allemands). Car il veut faire montre d’un détachement certain face à son quotidien de fantassins, entre combats et période de vraie tranquillité, afin de rassurer sa principale correspondante : sa mère. Il n’en reste pas moins que la fraîcheur de l’écriture de Porchon rend son témoignage attachant et traversé par une grande sincérité.
Robert Porchon témoigne dans ses lettres comme dans son journal de deux identités fondamentales : il est un soldat, et un officier saint-cyrien de l’active, soucieux du service. Il affirme plusieurs fois son appartenance à ce corps qui construit un « nous » solide, opposé aux réservistes. L’officier Porchon développe un discours propre à son action dans la guerre, différent de celui d’un caporal ou d’un sergent comme Valéry Capot, qui fustige les multiples revues que l’on inflige aux hommes. Pour le lieutenant Porchon : « Si l’on n’y veillait pas, tout ne tarderait pas à être inutilisable » (lettre du 23 janvier 1915, p. 136). Mais il reste pour lui des points aveugles, il ne connaît par exemple que bien plus tard de la bataille de la Marne et de son résultat.
Il ne manque pas de s’élever contre les officiers « pommadés » qui reculent devant la boue et offre des modèles peu scrupuleux et disciplinés (p. 69). Il peut développer également un regard assez dur sur « ses hommes », mais se plaint du traitement qui leur est fait lorsqu’ils sont en réserve et corvéables à merci. Il trouve des astuces tout de même pour faire travailler, tout en soignant son air « détaché ». Il prend à cœur son rôle « social », d’écoute et de conseiller qu’il incarne pour des hommes parfois plus âgés que lui. Les soldats qu’il commande reconnaissaient dans ce jeune officier un cadre efficace (les lettres en fin de volume, après la mort de Porchon, sont à ce sujet tout à fait éclairantes).
Il n’en reste pas moins officier, et à ce titre, logé dans de meilleures conditions que ces hommes, que ce soit en première ligne, en réserve ou au repos. Il partage le quotidien avec les officiers de la compagnie ou du régiment, et notamment avec Maurice Genevoix, comme lui à la 7e, qui devient plus qu’un camarade, l’ami qui permet de tenir sans trop se poser de questions : « si j’étais resté seul à la compagnie, j’aurais certainement piqué de la neurasthénie », (Lettre du 18 décembre 1914, p. 116). Son témoignage apporte un éclairage intéressant sur les questions posées par le rapport âge/statut militaire dans leur comportement et leurs attitudes face aux autres. Jeunes officiers, vieux réservistes, jeunes recrues… l’ensemble des soldats doit aussi composer avec ces différences.
Il ne cache pas les sentiments ressentis face aux combats : il dit avoir eu peur, notamment lors de la première épreuve du feu, mentionne la transformation/atténuation de cette peur avec la multiplication des combats auxquels il a pu prendre part. Du quotidien le plus banal, aux réflexions justes et fines sur la figure de l’ennemi, à qui il faut faire la guerre, mais qui n’est jamais une source de haine, Robert Porchon trace bien du début de la guerre un tableau « au ras du sol ». Un passage intéressant, extrait d’une lettre du 10 octobre à sa mère, évoque, avec un intérêt rétrospectif évident, l’installation des hommes dans les tranchées : « Des deux côtés, Français et Allemands, on se retranche à qui mieux- mieux. Tranchées, réseaux, abattis, etc. – si bien que les positions deviennent imprenables, si bien que l’action se borne à des canonnades qui vous force à rester terrés au fond des tranchées (…) » (p. 99). Le Saint-Cyrien Porchon n’a sans doute pas imaginé de devoir combattre et mourir dans de telles conditions subies par des millions d’hommes pendant plusieurs années.

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Tremblay, Thomas-Louis (1886-1951)

1.   Le témoin

Thomas-Louis Tremblay est né le 16 mai 1886 à Chicoutimi (Québec) ; père capitaine de navire ; pendant ses études secondaires, Thomas-Louis Tremblay  est simple soldat dans la milice de Lévis. En 1904, choix plutôt rare de la part des Canadiens français, il s’inscrit au Collège militaire royal de Kingston (Ontario), dont la fonction est de fournir à la fois des officiers et des ingénieurs ; après trois ans d’études, il obtient en 1907 le diplôme d’ingénieur civil. Il devient alors employé par le chemin de fer Transcontinental ; en 1913, il est arpenteur-géomètre auprès de la province de Québec. Pendant toutes ces années, il demeure très actif dans la milice.

Au moment où débute la guerre, Tremblay rejoint l’active ; d’abord adjudant de la 1ère Colonne de munitions divisionnaire, il rejoint en mars 1915 le 22e bataillon (canadien français) en tant que commandant en second, avec le grade de lieutenant-colonel. Après plusieurs mois d’entraînement, départ du Canada pour l’Angleterre en mai 1915 où se prolonge la préparation ; le 15 septembre 1915, départ de Folkestone pour Boulogne. Arrivée en secteur de tranchées le 20 septembre, près de Kemmel, dans le saillant d’Ypres. Secteur de Flandres jusqu’à la fin août 1916 ; puis transfert dans la Somme et préparation d’attaque à partir du 10 septembre 1916 entre Albert et Bouzincourt ; 15 septembre, attaque de Courcelette grand succès des Canadiens français (p. 151) ; évacué pour maladie (hémorroïdes) et subir une opération, le 22 septembre 1916 ; après 4 mois d’absence, il retrouve son bataillon le 14 février 1917 en secteur  à Neuville-Saint-Vaast. 1er juillet 1917, secteur de Liévin. 15 août 1917, attaque de la cote 70 qui domine Lens. 18 octobre, transfert sur Ypres et Randhoeck, secteur qu’a déjà occupé le bataillon lors de son arrivée en France. 6 novembre 1917, force d’appui et de réserve durant l’attaque de Passchendaele dans un océan de boue ; 17 novembre 1917 retour sur Neuville-saint-Vaast ; durant l’offensive allemande d’avril 1918, le bataillon est déplacé pour boucher des brèches dans le dispositif anglais ; nouvelle évacuation de Tremblay pour raisons médicales du 15 avril au 31 mai et du 3 juin au 25 juillet 1918. Dans le secteur d’Amiens, préparation avec l’appui de chars (31 juillet-début août 1918) et participation à l’offensive générale ; entrée dans Cambrai le 9 octobre 1918 ; etc.

Il devient Brigadier-général à la 5e Brigade d’infanterie du 10 août 1918 au 9 mai 1919,  à la veille de l’embarquement pour le voyage de retour ; les hommes du bataillon sont démobilisés dix jours plus tard.

Après la guerre (1922), Tremblay retourne à la vie civile et occupe le poste d’ingénieur en chef et de directeur du Port de Québec jusqu’en 1936. Depuis 1931 jusqu’à sa mort en 1951, il est colonel honoraire de son régiment. Il reprend du service actif pendant la Seconde Guerre mondiale en tant qu’inspecteur-général pour l’est du Canada. Il décède à l’âge de 64 ans.

2.   Le témoignage

Thomas-Louis Tremblay commence son journal au moment de son affectation au 22e bataillon, le 11 mars 1915 et le clôt à la date du 20 décembre 1918 alors que son unité est stationnée à Bonn, en Allemagne.

Le document original est constitué d’une double série de carnets écrits en parallèle, sans doute pour des raisons de sécurité ; pour l’essentiel, les deux versions coïncident et, lorsqu’elles diffèrent, l’éditrice identifie le texte supplémentaire par un astérisque.

Conservé aux archives du Musée du Royal 22e Régiment, ce journal était resté inédit jusqu’à sa publication par Marcelle Cinq Mars, archiviste au Musée du 22e Royal Régiment, sous le titre : Thomas-Louis Tremblay, Journal de guerre (1915-1918), texte établi et annoté par Marcelle Cinq Mars, Outremont (Québec), Athéna éditions, 2006. L’éditrice précise que ce Journal n’a pas été rédigé pour être publié : « il le fait pour se remémorer et non pour expliquer » (p. 11). Cette caractéristique explique pourquoi un certain nombre d’annotations sembleront au lecteur un peu laconiques. D’autres silences sont en revanche un peu plus surprenants. Fort heureusement, l’édition de ce témoignage d’officier canadien est enrichie par le croisement d’éléments du Journal avec des extraits d’autres témoignages provenant de combattants ayant appartenu à la même unité, ainsi que par une mise en contexte à l’aide d’extraits d’ouvrages d’historiens.

Par ailleurs, le lecteur français s’étonnera peut-être du grand nombre de termes ou d’expressions anglais dans le texte ; cela témoigne de la prédominance de la langue anglaise dans l’armée canadienne.

3.   Analyse

Jusqu’à l’arrivée sur le sol français en septembre 1915, le Journal relate les préparatifs des Canadiens. L’arrivée de ces « Britanniques » parlant et chantant français à Boulogne suscite l’étonnement puis l’enthousiasme de la population. Ce débarquement « épatait les gens » dit sobrement Tremblay… « Le 22e bataillon fait sensation » écrit un autre acteur-témoin, Joseph Chaballe (p. 61). Les relations avec les civils sont globalement excellentes.

Au fil des mois les liens noués avec les civils dans les cantonnements sont forts : « Le pays où nous sommes est très familier aux anciens du bataillon ; nous renouvelons de vieilles connaissances parmi la population civile. […] Ces endroits nous rappellent de vieux souvenirs ; il reste un bien petit nombre des anciens. La population civile, surtout des femmes, est anxieuse de savoir où est un tel… tel autre… ces pauvres personnes pleurent en apprenant qu’au cours des deux dernières années, leurs vieux amis se sont fait tuer les uns après les autres en défendant leur liberté » (3 novembre 1917, p. 245).

L’honneur des Canadiens francophones : un enjeu spécifique du chef du 22e bataillon (et au-delà du premier ministre canadien, Cf. p. 283) ; un but de guerre…

L’un des premiers soucis de Tremblay, outre la bonne santé de ses hommes, consiste dans la « bonne tenue » de son unité ; faire honneur au Canada francophone ici placé sous le regard des Britanniques et des Canadiens anglophones est un des principaux buts de guerre des volontaires québécois : 20-21 septembre 1915 ; nommé officiellement Lieutenant-colonel le 26 février 1916, Tremblay est fier du comportement de son bataillon : « Mon bataillon représente toute une race [N.B. « race » est ici employé au sens de nation], la tâche est lourde » (p. 100)

Quelles que soient les situations, tout vaut mieux que de paraître flancher : à la veille de l’attaque de Courcelette Tremblay note dans son Journal : « Nous comprenons très bien que nous allons à la boucherie, la tâche paraît presque impossible avec si peu de préparation dans un pays que nous ne connaissons pas du tout. Cependant le moral est extraordinaire, et nous sommes déterminés de prouver que les « Canayens » ne sont pas des « slackers » [paresseux]. […] C’est notre première grande attaque, il faut qu’elle soit un succès pour l’honneur de tous les Canadiens français que nous représentons en France. Je peux facilement voir sur la figure de mes hommes ce qu’ils ne peuvent dire : leur enthousiasme, leur détermination. Tous mes officiers sont remplis d’ardeur, et il y a parmi eux des entraîneurs [meneurs] d’hommes parfaits » (15 septembre 1916, p. 153) ; voir également sur ce thème notes du 18 septembre 1916, p. 166 ; celles du 27 septembre 1916, du 12 octobre 1916, 27 novembre 1917 ; le 1er de l’an 1918 il écrit encore : « comme l’année dernière et l’année précédente, je leur souhaite de passer le nouvel an dans leur famille ; les anciens ont un sourire d’incrédulité ; ils se rappellent mes souhaits des années passées. Ces vieux soldats sont encore parmi les plus solides, ils sentent que l’honneur du bataillon repose surtout sur leurs épaules. Bah ! ils ont tellement sacrifié pour le bataillon, que le sacrifice est devenu une seconde nature chez eux. Leurs compatriotes comprendront-ils jamais la tâche pénible, dangereuse qu’ils se sont imposée afin que leur race ne soit pas considérée par les peuples au niveau ignominieux prêché par Lord Beaverbrook » (1er janvier 1918, p. 259) ; au moment où se joue la phase ultime de la guerre, Tremblay se plaint du rôle assigné à son bataillon : « Notre bataillon ne fait que suivre l’attaque, il est en réserve. Alors que nous devions être à l’attaque. […] La situation pratique au pays est peut-être la cause de ce désappointement ! ! » (5 août 1918, p. 281) Tremblay fait ici allusion à l’opposition violente des Québécois envers la loi instituant la conscription en mars 1918 (Cf. p. 283)

Autre facteur important dans la conduite des hommes, le sens de l’honneur viril : deux éclaireurs du bataillon ont placé des explosifs sous les barbelés allemands : « deux canayens (canadiens) avec du poil aux pattes » (1er mars 1916) ; l’un d’eux est ensuite décoré par un général français ; après avoir été félicité par Tremblay, il se serait écrié : « Colonel y a pu rien à faire, y faut que je me fasse casser la gueule », une phrase que le colonel considère digne d’être consignée dans son carnet.

Tremblay est un chef respecté et admiré ; sa bravoure n’est pas mise ne doute par ses hommes ; de fait, il est très attentif à leurs conditions de vie et à leur moral : Tremblay visite régulièrement les tranchées ; il organise les travaux de mise en état de défense des tranchées ; il alterne visites des tranchées et travaux de bureau. Il proteste par exemple contre la mise en mouvement de ses troupes qui, venant d’être vaccinées contre la paratyphoïde, sont malades et pour beaucoup en proie à la fièvre ; il fait observer qu’ « il n’est pas humain de demander aux hommes une marche semblable. Ces démarches de ma part n’ont pas de succès…. » (2 avril 1916) ; il fait alors en sorte que des autobus et des ambulances suivent le bataillon durant sa marche ; il montre constamment l’exemple : « j’ai marché moi-même en tête du bataillon suivi de mon cheval… » (3 avril 1916) ; lors de l’attaque de Courcelette, il guide ses hommes jusqu’à leurs positions de départ sous le barrage allemand (15 septembre 1916, p. 152). Visite plusieurs fois par jour ses hommes qui tiennent les tranchées sous une avalanche d’obus asphyxiant (29 avril 1917, p. 208)

Cependant en tant que chef, d’autres préoccupations sont présentes : l’esprit de compétition et la course à la gloire règne parmi les commandants, Cf. notes du 27 mars 1917, p. 199 ; celles du 1er juillet 1917, p. 219 ; les soucis de promotion sont également exprimés : « Je crois que la raison pour laquelle Ross me passe par-dessus est qu’il y a trois bataillons anglais dans la brigade contre un seul bataillon de Canadiens français. La Franc-maçonnerie a aussi dû jouer une grande influence… » (23 juillet 1917, p. 225)

Alliés : frictions entre Anglais et Canadiens : des rixes fréquentes opposent des soldats des deux nations, Cf. notes du 24 octobre 1915 ; idem, 17 juillet 1916.

Au Havre, du 24 janvier au 11 février 1917, Tremblay voit arriver le contingent portugais : « j’ai vu un grand nombre de ces Portugais, et ils ne m’inspirent pas confiance : ce sont généralement de tous petits hommes chétifs ; sales, hautains ; qui se réclament beaucoup de leur histoire militaire, et qui sont destinés à gagner la guerre. Je me demande quelle tenue ils auront sous une avalanche de Bertha Krupp. Pauvres diables ils ne savent pas encore ce que c’est que la guerre ! ! » (p. 189)

L’absence de remarques et de commentaires concernant les autres secteurs du front, à l’exception de celui tenu par les Britanniques est notable. Ainsi, alors que la prise de Vimy le 9 avril 1917 est décrite et saluée comme un grand succès canadien, on ne trouve aucun écho de l’offensive Nivelle sur le Chemin des Dames.

La lutte contre l’eau et la boue qui envahissent les tranchées et les rend intenables (novembre 1915) ; boue jusqu’au ventre (12 mars 1917) ; début novembre 1917, attaque de Passchendaele dans une mer de boue ;

Premier Noël sur le front : « Après cette messe, les hommes ont leur réveillon dans leurs quartiers respectifs, et les officiers au couvent de Locre » (24 décembre 1915) ; « Les hommes ont reçu aujourd’hui leurs cadeaux de Noël, et tous sont heureux comme des princes » (25 décembre) ; troisième Noël : « […] Les nouveaux hommes sont bruyants, les anciens plus ou moins moroses ; ils commencent à croire que cette maudite guerre ne finira jamais. Comme l’année dernière et l’année précédente, je leur souhaite de passer le nouvel an dans leur famille ; les anciens ont un sourire d’incrédulité… » (1er janvier 1917) ; la lassitude est perceptible et perçue chez les volontaires des premiers jours.

Les différences pouvant exister entre les secteurs sont parfois importantes : « Le bataillon que nous avons visité (des Ecossais) perd en moyenne 80 hommes par tour de tranchée : nous sommes habitués à n’en perdre que cinq ou six. L’avenir ne s’avère pas brillant… » (19 mars 1916)

Description du secteur de Saint-Eloi durant la bataille des cratères : tranchées quasi inexistantes ; plus de végétation ; « air saturé d’une odeur qui prend  à la gorge, en raison de tous ces morts que l’on voit partout, et qui sont déjà en décomposition… » (10 avril 1916)

L’effet des informations sur le moral des troupes : « […] les Russes ont remporté une grande victoire en Galicie […]. La joie est dans le camp, toutes nos fatigues sont oubliées. » (12 juin 1916) ; à noter que la bataille de la Somme engagée le 1er juillet n’est pas mentionnée avant le 25 août 1916 : « nous nous préparons maintenant à notre départ prochain pour la Somme où les hommes se font tuer par milliers ». (p. 143)

Pratique sportive : matchs de base-ball entre officiers de plusieurs bataillons (22 juin 1916).

Gaz : à cause des vents fort changeants, Tremblay doit renoncer à lancer les gaz accumulés dans sa tranchée : « […] avec regret, car elle promettait bien. Tous les soirs il y a une centaine d’Allemands qui travaillent à « Picadilly Farm » : nous aurions gazé tous ces gens-là et aurions dû faire un bon nombre de prisonniers » (14 juillet 1916) ; mais le port prolongé du masque « aigrit les hommes » (p. 208)…

Combinaisons infanterie-aviation (16 août 1916) grâce à des chandelles allumées dans des trous de la tranchée (p. 140)

Violence et sur-violence

Plusieurs cas de shell-shock (8-10 juin 1916) ; 19 septembre 1916 ; 1er mai 1917 ; 24 septembre 1917 ;

Combat rapproché ; patrouille dans le no man’s land : « La patrouille du Sgt. Pouliot a rencontré une patrouille allemande de la même force dans le No Man’s Land en face du cratère N°1. Sans hésitation nos hommes ont attaqué les Allemands à coups de grenades et de revolvers, leur prenant deux prisonniers et en blessant une couple d’autres qui ont réussi à se sauver » (4 juillet 1916) ; décorations et primes pour les hommes de la patrouille (p. 132, note 74) ; attaque de Courcelette : « Nous avons presque immédiatement rencontré des Boches, qui n’ont pas souffert longtemps. [un autre témoin relate que les Allemands qui se rendent sont systématiquement massacrés, Cf. note 100, p. 155] Les hommes ont la rage au cœur et pour cause. N’avons-nous pas vu hacher le tiers du bataillon, nos camarades, au cours de la dernière demi-heure… » (15 septembre 1916, p. 155) ; il faut relever le lien établi entre un taux de pertes extrêmement élevé subi par cette unité durant son approche sous le barrage allemand et la fureur destructrice qui suit immédiatement la prise de contact ; ce combat est la première véritable attaque des hommes de Tremblay ; la terreur emmagasinée durant une approche particulièrement meurtrière se libère et conduit de nombreux hommes à massacrer des hommes désireux de se rendre ; cependant, ce moment de paroxysme dépassé, on fait à nouveau des prisonniers (Cf. p. 156-157, 159 et photographie p. 159) ; voir aussi p. 232. À noter que lors de la libération de Valenciennes : « la population civile est tellement montée contre les Boches qu’elle bat les prisonniers au passage » (5 novembre 1918, p. 303)

Prisonniers allemands bombardés par leur artillerie alors qu’ils transportent des blessés canadiens : « Afin de protéger nos blessés, j’ai donné [précise Tremblay] un pavillon de la Croix-Rouge à un sergent-major allemand avec instruction de le porter haut afin qu’il soit bien vu. Comme escorte, il y a deux messagers à la tête de la colonne et deux hommes fermant la marche. Ils n’étaient pas plutôt partis qu’ils ont été aperçus par les Allemands, qui ont raccourci leur barrage d’artillerie tuant ou blessant une trentaine de prisonniers et finissant plusieurs de nos blessés… » (bataille de Courcelette, 16 septembre 1916); que penser de cette action ? Les tirs sur les blessés et les antennes de la Croix Rouge sont souvent avancés pour attester de l’hyperviolence de la guerre structurée autour d’une haine profonde de l’ennemi. Dans le cas ici rapporté, il est peu probable que les artilleurs allemands aient déclenché ce tir en toute connaissance de cause, c’est-à-dire en sachant qu’ils tiraient sur leurs propres hommes. Plus en arrière, à l’hôpital de campagne, « le Sgt. Casgrain est en charge de l’hôpital où il y a plus de 200 blessés, il dirige très intelligemment ses subordonnés qui sont les deux docteurs allemands et dix brancardiers allemands que nous avons gardés avec nous… » (p. 160) ; Tremblay « fraternise » avec ces deux médecins (17 septembre 1916, p. 163).

Comme beaucoup d’autres témoins, il arrive à Tremblay de plaindre l’ennemi : « […] je plains presque les Boches qui se font massacrer, comme nous un jour… Ce trouble n’a cependant pas été de longue durée et nous avons suivi cette opération avec le plus grand intérêt… » (28 avril 1917, p. 207).

Autres contacts furtifs avec l’ennemi :

Saint-Sylvestre 1915 : « À minuit ce soir nous entendons chanter dans les lignes allemandes, et certains instruments de musique. Les Boches fêtent la nouvelle année, mais du moment qu’ils se montrent la tête pardessus le parapet, nous les saluons par une volée et avec nos mitrailleuses ».

1er janvier 1916 : « L’artillerie a été assez active, cependant l’infanterie n’a pas tiré un seul coup de feu. Le soldat Brunelle qui fait de l’observation pour la brigade a traversé le No Man’s Land froidement en plein jour. Il a causé pendant quelques instants avec les Boches, il nous est revenu chargé de boutons, badges, etc. ce qui identifie l’ennemi en face de nous. Son but était de reconnaître un endroit dans la tranchée ennemie que nous soupçonnons près du Petit Bois. Il rapporte l’entrée d’un puits à  cet endroit probablement une mine. Brunelle a été très hardi, il l’a fait dans un bon but ; cependant, il est sous arrêt ce soir. Il lui fallait une autorisation… »

Un propos désabusé sur la guerre : « On me rapporte que la brigade compte à peine la valeur d’un bataillon. Enfin une ère de folie règne en Europe : il est impossible de raisonner les causes de tels sacrifices. On se fiche tout simplement de la logique, on ne raisonne pas. » (26 octobre 1916, p. 178) ; d’autres notations contredisent ce je m’en foutisme.

Révolte contre les attaques « criminelles » : ce matin, nous avons été témoins d’une scène terrible, criminelle… Il y a des centaines de morts, et de blessés dans la No Man’s Land et jusque dans les fils barbelés allemands. Les survivants de ce massacre nous racontent qu’ils ont subi un bombardement terrible avant l’attaque, et que pendant l’attaque, ils ont marché sous un feu intense de mitrailleuses. Ceux qui ont réussi à se rendre aux tranchées allemandes les ont trouvées remplies de Boches prêts à les recevoir au bout de la baïonnette. Vers les 10 heures du matin, un colonel Bavarois a offert un armistice de quelques heures qui a été accepté afin de permettre l’évacuation des blessés. Les Allemands transportent nos blessés jusqu’au milieu du No Man’s Land où nos hommes vont les chercher… » (28 février 1917, p. 194)

La discipline : après Courcelette, et pendant son congé de maladie, Tremblay ne cesse de prendre des nouvelles de son bataillon ; il s’inquiète à plusieurs reprises d’un relâchement de la discipline attribué aux renforts venus combler les pertes causées au bataillon et à la présence de « femmes légères » (14 novembre 1916, p. 179) : « Le nouveau bataillon a dans ses cadres un trop grand nombre d’hommes plutôt dégénérés, qui n’ont pas l’esprit de corps que nous avions développé chez nos hommes jusqu’à Courcelette » ; le bataillon est alors à Bully-Grenay à quelques milles au nord de Lens. Ce secteur est très tranquille et les pertes sont légères. Fosse 10 où le bataillon va cantonner quand il est en réserve a trop d’attraction et cause toujours beaucoup d’ennui » (20-31 décembre 1916, p. 185)

« Le 9 janvier [1917] j’ai passé mon deuxième examen médical et me suis fait déclarer « fit » [apte au service] quoique je ne sois pas complètement guéri, étant encore sous traitement. Il y a beaucoup d’absences sans permission au 22e et le général Turner est anxieux que je retourne en France au plus vite » (p 187). Une lettre qui valut à son auteur 4 mois de travaux forcés apporte d’autres éléments d’explication : le soldat exprime le sentiment d’abandon ressenti par les hommes quand des chefs comme Tremblay s’absentent durablement du bataillon ; les nouveaux chefs n’ont pas l’aura ni la réputation de compétence de leurs prédécesseurs ; enfin, la colère contre les Anglais est toujours là ; les Canadiens ont le sentiment d’être systématiquement sacrifiés aux missions les plus meurtrières par le commandement britannique (Cf. extrait de lettre, p. 192).

Reprise en mains du bataillon : « inspection minutieuse du bataillon, qui n’est pas du tout satisfaisante, suivie d’instructions sévères sur la tenue, la discipline, l’équipement, les absences sans permissions. L’esprit de corps si remarquable au 22e avant la Somme n’existe pas, il faut de toute nécessité le ressusciter » (2 mars 1917) ; « Exercices toute la journée en vue de raidir la discipline. Inspection… […] Réunion spéciale des officiers […] Instructions sévères rappelant aux officiers le devoir de chacun, attirant leur attention sur l’état pitoyable du bataillon, leur indiquant les moyens à prendre pour remédier à cet état de choses et les avertissant que des mesures sévères seront prises contre les officiers ne remplissant pas leurs fonctions pleinement » (3 mars 1917) ; deux soldats exécutés le 3 juillet 1917 (on peut noter le silence de Tremblay sur ce point) ; la reprise en mains continue : « Messe à 11 hrs ce matin sur la lisière du bois de Riaumont. Le sermon est fait par le major Fortier qui, sur ma demande, traite des absences sans permission qui sont encore nombreuses. Après la messe, je parle au bataillon moi-même sur ce sujet indiquant aux hommes la gravité de cette offense, et les peines terribles encourues par ceux qui s’absentent sans permission. À l’avenir tous les absents sans permission seront traduits devant une cour martiale pour la première offense. Trop de braves gens ont sacrifié leur vie pour l’honneur de leur bataillon pour qu’aujourd’hui on permette à quelques insoumis de le déshonorer. Le sermon du père Fortier a créé une forte impression sur tous les membres du bataillon. Un grand nombre de femmes de mœurs très légères sont la cause du mal : la grande majorité du bataillon se comporte très bien. C’est le petit nombre qui nous cause tous ces ennuis » (15 juillet 1917, p. 222-223). Autres silences sur l’exécution de deux soldats le 3 juillet 1917, jugés coupables de désertion ; et sur celle d’un autre (exécuté le 15 mars 1918) ;

En permission à Paris : « Nous n’avons pas tous le même sort. Quel contraste entre la vue d’ici et celle du front. Même en temps de paix, je ne désirerais rien de mieux que de passer ma vie ici au grand Opéra ce soir. » (26 mai 1916) ; Tremblay passera plusieurs permissions à Paris, ville qu’il affectionne particulièrement. Tremblay assiste aux funérailles de Galliéni (1er juin 1916) ; nouvelles notes sur les Parisiens, le 24 novembre 1916 : « J’avoue que j’ai été grandement surpris, et que je n’aurais jamais cru que les Français aient pu devenir si froids… » (p. 182). Apprenant le succès de Verdun : « Le peuple lisait les placards sur les boulevards, et tout naturellement, sans la moindre émotion visible, témoignait froidement de son contentement. « On les aura », était le dicton populaire… « Un corps d’armée de moins », disaient d’autres… et ainsi de suite Réellement j’aime bien les Français » (p. 182)

Tremblay poursuit ce qu’il appelle son analyse du moral des Parisiens qu’il assimile aux Français : « Les Français suivent la guerre de très près, ce qui est bien naturel car chaque jour des centaines des leurs se font hacher par la mitraille. Ils réalisent [comprennent] qu’ils leur faut gagner cette guerre ou devenir les esclaves des Allemands. Les Français préfèrent la mort, si […] la ruine totale de leur pays, à l’esclavage… » ; on se gardera de tirer des conclusions générales de ces affirmations ; comme de nombreuses autres du même type, cette analyse ne vaut que pour l’étroit milieu fréquenté par Tremblay durant sa convalescence et nous renseigne assez peu sur le moral et les sentiments des Français ; dans quelques mois, de nombreux Français vont d’ailleurs apporter un cinglant démenti à l’affirmation selon laquelle ils « préfèrent la mort ».

Femmes : « Les hommes sont cantonnés la majorité dans des granges couchant sur la paille. Les officiers sont dans des maisons couchant dans des lits. Quel luxe ! ! On sent que tout le monde est heureux et il fait tellement beau ; nous sommes dans la pleine campagne, et jouissons de la plus grande tranquillité sans responsabilité etc., etc. Les jeunes femmes et les jeunes filles sont très recherchées. Elles sont presque toutes très laides, cependant nous sommes aveuglés, nous les trouvons très bien ! ! Elles nous rappellent de si bon souvenirs… ne reverra-t-on jamais le pays ! ! ! ! C’est très amusant de voir l’empressement de tous ces hommes à vouloir rendre service, se rendre utiles à nos cousins de France ; attraper un regard, un sourire… Enfin ils sont comme le chien fidèle qui regarde son maître prêt à tout faire pour lui procurer son attachement. Ces sentiments sont bien compréhensibles ; car ces hommes ont vécu une vie qui n’est pas humaine et le contraste est tellement grand… » (2 juin 1917, p. 213)

Maladies vénériennes (9 août 1917, p. 227) ;

Femmes fantasmées : « […] presque toutes nos tranchées portent le nom des actrices les plus populaires en Angleterre. J’ai visité aujourd’hui Piggy-Gaby-Gladdys-Doris-Dorothy-Doris […] Les dug-outs sont remplis de photos, de ces fameuses artistes, dans leurs poses les plus populaires ; ce sont des reines muettes qui se font faire la cour par les centaines d’hommes qui se succèdent sans interruption jour et nuit… » (21 septembre 1917, p.240)

Début novembre 1917, attaque de Passchendaele dans une mer de boue ; de nombreuses pertes mais le 22e bataillon ne prend pas part à l’attaque; Tremblay visite un hôpital : « Plusieurs officiers [blessés] me souhaitent la chance qu’ils ont eue « un beau blighty » [équivalent de la fine blessure, suffisante pour être évacué, mais à la gravité modérée] » (6 novembre 1917, p. 247)

Tir « ami » de l’artillerie (p. 265)

Angoisse perceptible lorsque se déclenche l’offensive allemande : « l’avance allemande est phénoménal » (23 mars) ; « leur offensive a été formidable, elle a pratiquement annihilé la 5e Armée anglaise. La situation est grave ; nous nous attendons de partir d’un moment à l’autre pour le théâtre où se joue probablement la partie décisive » (25 mars 1918)

Propagande : prises de vues scénographiées pour les actualités cinématographiques (2 juin 1918, p. 278).

Frédéric Rousseau, octobre 2008.

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Constantin-Weyer, Maurice (1881-1964)

1. Le témoin

Né le 24 avril 1881 à Bourbonne-les-Bains ; décédé à Vichy le 18 octobre 1964.

A émigré au Canada en 1904 dans le Manitoba ; installé comme agriculteur, il fait faillite puis survit difficilement en tant que journalier jusqu’au déclenchement de la guerre.

Les renseignements rapportés ci-dessous sont ceux distillés par l’auteur tout au long de son ouvrage : « J’étais venu d’Amérique (Canada), abandonnant là-bas tout ce que je possédais. J’avais gagné ma médaille militaire, la première de la division, devant Saint-Mihiel et Chauvoncourt, le commandement d’une section d’infanterie… » (p. 67-68).

« Fils et petit-fils d’officier, j’avais été élevé dans le culte de l’armée » (p. 67).

Sous-lieutenant en février 1915. Lieutenant en 1916. Capitaine, commandant la 9e compagnie du 58e R.I. le 31 janvier 1917 (p. 53).

1915 : Champagne

Eté 1916 : Verdun ; « du 22 juin au 16 août 1915 » (en fait, 1916), p. 48.

Novembre 1916 : secteur du Chemin des Dames ; 58e R.I., 30e Division, 15e Corps.

Envoi du régiment en Orient, Salonique : « 17 décembre 1916. Oulchy-Breny. Ordres et contre-ordres. Méconnaissance totale de l’âme de la troupe. Trop peu de permission » (retranscription du carnet, p 29).

Embarquement à Marseille le 16 janvier 1917. Débarquement à Salonique le 25 janvier.

Séjour de 3 semaines à la prison de Salonique après une altercation avec des soldats ivres. Affecté le 19 février 1917 au 284e R.I.

10 mai 1917, attaque au Srka di Legen à la tête de sa compagnie ; blessé grièvement ; après dix mois d’hôpital, à sa demande, est affecté au 19e bataillon de chars.

Devenu journaliste et écrivain à succès après la guerre, auteur de 9 livres au moment où paraît P.C. de Compagnie. Prix Goncourt 1928 pour Un homme se penche sur son passé, Ed. Rieder.

Une biographie : Roger Motut, Maurice Constantin-Weyer, Saint-Boniface, Manitoba, Canada, Ed. des Plaines, 1982.

2. Le témoignage

P.C. de compagnie, Paris, Les Editions Rieder, 1930, 231 pages.

Le livre est dédié à Joseph Jolinon, l’auteur du Valet de gloire.

« Voici des pages sur la guerre. Elles sont extraites de mon carnet de route », indique l’auteur p. 11. L’objet du livre est explicité par l’auteur : celui-ci estime que le livre de Jolinon « est incomplet. Il partage, avec la plupart des livres qui ont été écrits sur la guerre, cette méconnaissance du rôle de l’officier qui atteint son maximum dans le Feu de Barbusse… » (p.15); « j’ai feuilleté mon vieux carnet de route, devenu presque illisible. J’y ai choisi, justement, ce qui a trait au commandement d’une compagnie d’infanterie. Un Dorgelès, un Duhamel, un Jolinon ont apporté sur l’homme d’extraordinaires et émouvants documents. Mais on ignore encore ce que pouvait souffrir un officier » (p. 16).

3. Analyse

L’auteur revient sur les « légendes » qui ont couru sur le 15e Corps à l’entrée de la campagne en Lorraine (p. 20-26). Constantin-Weyer attribue la défaillance du début de la guerre à la politique de recrutement régional : « la 15e région fait partie de celles où l’instruction militaire est la moins poussée. […] Le niveau moyen des officiers, au début de la guerre, était certainement moins élevé au 15e corps qu’au 20e ou qu’au 21e corps. Et me voici revenu à l’un des points principaux que je prétends prouver ici : c’est qu’on ne démocratise pas l’armée. L’officier doit toujours être un homme de l’élite. Un aristocrate. J’emploie le mot dans son sens étymologique le plus large, me rappelant la fière devise que Glaucos, fils d’Hippolochos, reçut de son père : « Toujours exceller et s’élever au dessus des autres ». Favoriser l’avènement des médiocres, c’est, de tout temps, préparer de terribles destinées à ceux dont ils seront les chefs » (p. 25-26).

Embarquement à Marseille, destination Salonique : « Il y eut, à l’embarquement […], le nombre habituel de déserteurs. Un ou deux par compagnie, je crois. J’appris que ce déchet était largement prévu par les services d’Etat-major » (p. 32).

25 janvier 1917 : Salonique, camp de Zeitenlick. Troupes françaises, britanniques, italiennes, russes et serbes.

Armée et religion :

L’armée française en Orient était commandée par le général Sarrail : « Dès les premiers jours qui suivirent notre arrivée, je remarquai de curieuses évolutions dans la façon d’agir de certains de nos camarades ou de nos chefs. A la 5e armée, d’où nous venions, du front français), il était, paraît-il, bien porté d’aller à la messe. Ces mêmes, exactement, qui, il y avait un mois à peine, nous faisaient à M. et à moi, reproche de notre tiédeur, et qui affectaient de mal comprendre que nous profitassions de la liberté des dimanches matin au cantonnement pour tenter de gagner quelques heures de sommeil, cessèrent d’afficher leur zèle religieux. Nous eûmes même la surprise, dès le premier dimanche, de recevoir un tableau d’exercices pour la matinée, combiné de telle façon qu’il devenait impossible d’entendre le moindre office. C’est que nous étions à l’armée Sarrail. […] Quoi qu’il en soit, à l’égard de mes hommes, même aussi peu religieux que fussent la plupart d’entre eux, la chose prenait la proportion d’une brimade… »

Constantin-Weyer effectue un séjour à la prison de Salonique. Deux femmes sont alors en cellule, « une espionne serbe et une Française. L’histoire de la Française était singulière. Cette femme, toute jeune, s’était éprise d’un aspirant du 61e de ligne au moment où la division avait cantonné à Marseille. Elle avait obtenu, je ne sais comment, des effets de soldat, un sac, un fusil. Ainsi équipée, elle s’était jointe à la compagnie de son amant, et avait embarqué en fraude sur le navire. Au débarquement, le pot-aux-roses fut découvert, l’aspirant avait été cassé, la jeune femme mise en prison, en attendant d’être rapatriée en France… » (p. 76).

La vie nocturne à Salonique : p. 129-133.

25 février 17 : En secteur à Lioumnitza, la « Montagne Rouge » : « Au sud, son pied trempait dans la branche droite de la Lioumnitza, maigre affluent du Vardar. […] Sur le versant nord, entre nous et la branche gauche de la Lioumnitza, les tranchées bulgares, à 400 mètres de nous, environ. » (p. 153). Nombreux hommes malades du paludisme.

Considérations sur le métier de « commandant de compagnie » (p. 198-200).

L’attaque, le 10 mai 1917, des positions bulgares du Srka di Legen (p. 208-216): échec ; tirs trop courts de l’infanterie française ; pertes chez les assaillants ; contre-attaque bulgare ; débandade et une exécution sommaire pour mettre un terme à la panique : « Je m’avance vers le premier fuyard : « Demi-tour et au combat. » Une bouche hagarde me crie une injure. L’homme cherche à passer. Tirer sur lui… Un Français… Dieu ! que mon bras est lourd ! J’arrache d’un coup sec le poids de mon browning. Coup de fouet. Le pauvre diable se tord sur un genévrier… Instantanément, dix, vingt, trente fuyards s’arrêtent. Ils ont vu. Et c’est de moi seul, maintenant, qu’ils ont peur. Plus que les balles et les schrapnells, je domine le champ de bataille. Toujours escorté de Maguin, je les place méthodiquement. Je colmate le front, entre Cussac et moi. Et, dès les premiers coups de feu de cette ligne improvisée, la chaîne des tirailleurs ennemis tourbillonne et flotte… Partie gagnée. Ce n’est pas le moment, pour moi, qui viens d’exercer l’acte le plus terrible de commandement, de demeurer coi. A vingt pas en avant des hommes, droit sur un sol de marbre, je m’expose à la vue de mes hommes Je n’ai plus qu’une chose à faire : servir d’exemple » (p. 215-216) ; Constantin-Weyer est alors atteint d’un projectile. Sauvé par ses hommes ; rapatrié à l’arrière avec un trajet de 5 heures, « ficelé sur un mulet » torturé par ses blessures (p. 226-229).

Frédéric Rousseau, avril 2008.

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Clavel, Marcel (1894-1976)

1. Le témoin

Marcel Clavel vient d’une famille assez aisée et très instruite et cultivée. Son père est percepteur à Toulouse. En juillet 1914, Marcel est admis à l’Ecole Normale Supérieure. Il est mobilisé le 5 septembre et rejoint le 15e RI à Albi. Puis il part près de Pézenas pour suivre une formation d’officier réservée aux élèves des grandes écoles. Le 5 décembre, il est promu sous-lieutenant et affecté au 164e régiment d’infanterie. Sorti premier du peloton d’instruction, il part pour le front le 10 janvier 1915, à Ypres, pour une période de deux ans et demi, dans une unité de première ligne, le 81e RI de Montpellier. Le 8 juin 1915, il est nommé lieutenant. Le 10 octobre 1915, il est promu au grade de capitaine.

Il a reçu trois citations, la première pour les attaques de mars 1915 à Beauséjour, la seconde pour l’offensive de septembre 1915 dans les secteurs de Souain et de Tahure, et la dernière pour les attaques de Thiaumont en août 1916, où il a été blessé à l’épaule gauche. En 1917, il part, en tant qu’officier détaché du 81e RI, s’occuper de l’instruction de divisions américaines. Le 25 février 1919, il est démobilisé.

Il part à Oxford pour préparer un diplôme sur l’armée anglaise vue par Kipling. En 1920, il retourne à l’Ecole Normale pour passer l’agrégation d’anglais, qu’il obtient brillamment, et il est nommé chevalier de la Légion d’Honneur à titre militaire pour faits de guerre. Il débute sa carrière à l’université de Michigan aux États-Unis en tant qu’agrégé d’anglais détaché. Pendant quatre ans il rédige sa thèse sur Fenimore Cooper. En 1925, il revient en France, il est d’abord nommé au Grand Lycée de Marseille, puis il devient professeur de langue et de littérature anglaise à la faculté des Lettres de l’université d’Aix-Marseille. Il est proposé pour le grade d’officier comme chef de bataillon d’infanterie attaché à la mission de Liaison auprès de l’Armée britannique en 1940. Plus tard, il quitte l’armée comme lieutenant-colonel de réserve.

2. Le témoignage

– Lettres et cartes originales : Archives départementales de la Haute-Garonne, sous-série 1J 181 (710 pièces).

– Deux versions dactylographiées de la correspondance, intitulées Ultime témoignage sur la première guerre mondiale par un conscrit de la classe 14, normalien de la promo 14 à l’Ecole normale supérieure, agrémentées de documents divers : Archives départementales de la Haute-Garonne, sous-série 1J 182 ; Bibliothèque municipale de Toulouse (598 p.).

– RIONDET Aurore, « Ultime témoignage sur la Première Guerre mondiale par un conscrit de la classe 14 » : La correspondance de Marcel Clavel (1914-1917), mémoire de Master 1 sous la direction de Rémy Cazals, Toulouse II Le Mirail, 2006, 276 p (144 p. de lettres retranscrites).

3. Analyse

(Référence aux pages du mémoire d’Aurore Riondet)

Expérience combattante :

– découverte de nouvelles régions et des populations locales : p. 199-200,

– sur l’ingéniosité des Belges et leurs coutumes, voir la lettre du 21 janvier 1915, p. 75.

– descriptions précises des secteurs occupés : p. 200,

– pour une description d’une tranchée et des informations sur son organisation, voir la lettre du 23 janvier 1915, p. 76

– vie quotidienne dans les tranchées (conditions de vie, temps de détente et repos) : p. 201-203,

– sur le travail incessant dans les tranchées, voir la lettre du 30 octobre 1916, p. 179.

– rôle du chef (moral combattant, privilèges, courage et protection) : p.204-207.

Sentiments d’un jeune combattant :

– relations familiales (lien affectif, demandes d’informations, sentiment national) : p. 209-211,

– sur son enthousiasme à partir sur le front, voir la lettre du 7 septembre 1914, p.49.

– perceptions de la violence (perte de camarades, force morale, soutien spirituel) : p.212-215,

– sur la douleur de la perte d’un camarade proche, voir la lettre du 17 août 1916, p.172.

– perception des « autres » (rapports avec le Commandement, avec l’ennemi, avec les civils), p.216-219,

– sur l’attribution des récompenses militaires, voir la lettre du 17 août 1916, p. 173.

4. Autres informations

– Registre matricule : Archives départementales de la Haute-Garonne, série 5416W6.

Historique du 81e Régiment d’Infanterie (campagne 1914-1917), par le caporal Gabriel Boissy, 1918, aux Impressions Mistral Cavaillon, numérisé par Lucie Alle, consultable sur www.1914-18.org, rubrique Historiques-Régiment d’infanterie.

– Documents relatifs à la vie de Marcel Clavel (articles, brochures…) : Archives départementales de la Haute-Garonne, sous-série 1J 183.

Aurore Riondet, 12/2007

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