Balique, Gabriel (1891-1980)

1. Le témoin
Gabriel Balique, né en 1891 à Solre-le-Château (Nord), est étudiant en droit à Paris au moment de la mobilisation. Incorporé à Avesnes au 84e RI, il fait ses classes en Dordogne et au camp de la Courtine (Creuse), puis assure l’instruction de la classe 15 ; promu aspirant en janvier 1915, il gagne le front avec le 417e RI. Passé sous-lieutenant en août 1915, il fréquente des secteurs de l’Oise et de l’Aisne, et est versé au 220e RI en avril 1916. Il combat à Verdun et, à la dissolution du 220e, il passe au 330e RI en décembre 1917 ; après une nouvelle dissolution en septembre 1918, il finit la guerre au 164e RI, avec le grade de lieutenant. Il décède en 1980 après une carrière de notaire à Martigues.
2. Le témoignage
Saisons de guerre, notes d’un combattant de la Grande Guerre, par Gabriel Balique, a paru aux éditions L’Harmattan en 2012 (197 pages). Les documents ont été réunis et présentés par son petit-fils Nicolas Balique. Il s’agissait à l’origine de huit petits carnets écrits au jour le jour, dont heureusement l’auteur avait rédigé une copie, car les originaux ont disparu dans les pillages de mai 1940. C’est un journal intime dans lequel l’auteur exprime ses sentiments, ses doutes et ses espoirs (décembre 1914, p. 22) : « ce carnet me suivra partout où je passerai, comme un ami fidèle (…) Pourrais-je plus tard en lire des extraits à mes enfants, au coin du feu, près d’une femme chérie ? » N. Balique estime que la reprise des notes d’origine a donné lieu à des filtrages, à quelques éléments d’autocensure (conversation téléphonique 02/2018).
3. Analyse
a. Le combat. G. Balique arrive sur le front seulement à la fin avril 1915, et il décrit d’abord son rôle de chef de section, dans un secteur relativement calme, si ce n’étaient les bombardements d’artillerie de tranchée (19 juillet 1915, p. 49) : « C’est lugubre d’entendre, du fond d’un abri, l’avertissement des sentinelles, répété de créneau en créneau dans la nuit, « attention, minen à droite » ou « minen à gauche ! », puis l’éclatement, formidable. Et ce cri « Rien, pas d’accident » transmis tout aussi régulièrement, quand ce n’est pas un autre. ». L’auteur combat à Verdun en septembre 1916, et l’entrée en matière, lorsque le bataillon est alerté, témoigne de la dureté de l’expérience (5 septembre 1916 Verdun p. 97): « Le capitaine Lagriffe revient, la face blême. Son discours est bref, et sa voix chargée d’émotion : « Mes amis, on nous envoie à une mort stupide et inutile. Nous attaquons sur un terrain inconnu, dans une direction vague, avec un objectif indéterminé. » Après s’être dit adieu, on fait contre mauvaise fortune bon cœur car les hommes sont là, qu’il ne faut pas décourager. » G. Balique, après avoir raconté les combats auxquels il participe, évoque les appels des mourants, le spectacle des cadavres (p. 100) : «Des masses informes gonflées, des bras, des jambes, des têtes et beaucoup de troncs sans tête, surtout chez les Boches car les nègres avaient attaqué la veille. » Pour lui, le plus dur de sa guerre réside dans l’expérience à Verdun des carrières du Bois Fumin, où s’entassent les combattants, cherchant un abri précaire au milieu des morts et des blessés (p. 98) : «Imaginez une carrière de petite dimension. Au milieu, une colline de macchabées avec en bas une centaine de blessés et d’agonisants. En voulant nous mettre à l’abri, nous sommes forcés de marcher sur les corps raidis. Des sentiers ont dû être tracés à travers cette colline humaine, cette Babel de cadavres arrosés de chaux et en décomposition d’où s’exhale une odeur épouvantable. » Avant et après Verdun, il occupe des secteurs plus calmes. Il participe aussi à un coup de main et en couche les préparatifs sur ses carnets, dans une forme testamentaire: il essaie ainsi de consoler ses parents par anticipation (p. 90 – 91) : « Je vous jure, et ainsi j’éviterai le plus petit reproche, que je n’ai pas été volontaire pour ce coup de main. J’ai tenu ma promesse fidèlement mais, aussitôt désigné, j’ai obéi comme un soldat doit le faire. » La fin de la guerre le voit engagé dans des combats violents (la Malmaison, 27 au 30 septembre 1918), et il n’est nullement enchanté de dépendre du général Mangin (p. 177) : « Je pus heureusement éviter pas mal de dégâts à la compagnie en sollicitant sa mise en réserve et en faisant des comptes rendus « un peu là » sur la situation. De la sorte, mes pertes furent beaucoup plus limitées que celles de la 6 et de la 7 qui se firent massacrer sans résultat et, à mon avis, un peu inconsidérément. Je suis, et resterai fier de ces pertes évitées, d’autant que je suis convaincu que cela a beaucoup tenu à moi. »
b. Le quotidien. En dehors de ces moments intenses, le quotidien reprend ses droits, interrompu par les permissions, à l’occasion desquelles G. Balique fait la découverte du cafard (p. 88) : « J’en étais à me croire malade. (….) Mais à présent cela va beaucoup mieux, le moral se retrempe, le cafard disparaît et bientôt « Y’aura bon bézef » ». Il reproche aux officiers de faire trop de politique, ce qui dans son sens signifie marchandage, favoritisme et recherche d’embuscage ; il s’indigne aussi de devoir rester deux ans dans son grade de sous-lieutenant (p. 138) : « J’espère qu’il y a encore des unités où l’attitude et l’aptitude au feu comptent plus que les salamalec, les courbettes, et la cour faite au colonel. »
L’auteur sert dans des régiments composés surtout de gens du Nord (84, 417 ou 330), ou de méridionaux (220) ; il apprécie ses compatriotes, souvent des mineurs, qu’il trouve très bons garçons et travailleurs, et il regrette qu’on les lui enlève pour les transférer dans le Génie. L’amalgame se fait aussi avec les Méridionaux et peut produire une ambiance fort joyeuse, qu’il décrit dans une lettre (p. 57), avec des « quolibets et apostrophes entre gens du Nord – Lille, Roubairio, Tourquennio – au parler gras, un peu lourd et chantant, si sympathiques à mes oreilles qui retrouvent un peu du pays perdu, et [des] gens du Midi, à la voix plus chantonnante encore, à l’accent si original, aux jurons si expressifs, « Milledious ! » et d’une saveur toute méridionale. » A la dissolution du 220, il retrouve au 330 beaucoup d’hommes des régions envahies et s’en réjouit (p. 157) : «Entendre le patois de chez nous m’a fait une belle émotion. Denain, Saint-Michel, Orchies, Maroilles: tous ces noms m’ont donné l’impression de revenir d’un long exil. Bref, je suis chez moi et non plus à Agen ou Toulouse comme au 220 où j’étais pourtant si bien avec mes hommes. »
c. Aviation. L’auteur est l’un de ces nombreux volontaires à avoir tenté de passer dans l’aviation, à avoir eu une formation au pilotage, et finalement à avoir été recalé pour insuffisance. Si les récits ne manquent pas pour les pilotes accomplis, les recalés ont été plus nombreux que les élus, et leurs témoignages sont plus rares. Détaché en formation de pilote d’avril à août 1918, il décrit au début les aviateurs de manière extrêmement laudative, de bons garçons, «les yeux droits et francs, des yeux qui n’ont jamais peur, sauf du mensonge. (…) Au fond, ce sont les meilleurs gars du monde, qui ne connaissent ni la méchanceté ni la rancune » (p. 165). Il ne parvient pas à apprendre à piloter convenablement, et finalement un supérieur le prend à part, lui conseillant de « laisser ça là » : il fait aussitôt une demande officielle de radiation. A la fois humilié et serein après cet échec, son jugement sur les aviateurs a radicalement changé, il décrit (p. 171) : «le milieu peu sympathique et surtout égoïste des aviateurs. Je m’étais bien trompé sur leur compte en en faisant un peu vite des chevaliers des temps modernes. »
d. Débats avec soi-même. G. Balique couche dans ses écrits des considérations intimes, des interrogations sur sa conduite morale et sur l’évolution de son caractère. Jeune bourgeois catholique, les questions religieuses reviennent souvent, comme par exemple l’éloignement de la pratique qu’il constate chez lui, et en même temps regrette. Il rate souvent l’office (p. 40, p. 69, p 73…) : «Quel païen je suis devenu avec la guerre » ; le jour de Noël 1915, il ne va pas à la messe de Minuit, dont il entend les cloches, et ce son joyeux lui fait honte (p. 73) : « Oh pardon petit Jésus de Noël, pardon Dieu de la crèche, ô vous que je semble oublier et que j’entends pourtant au fond de mon cœur. Je vous en prie, imposez-moi un peu de dévotion. Réchauffez cette foi qui s’endort, ranimez la flamme qui vacille mais qui ne veut pourtant pas s’éteindre. » En juin 1916, il note que la religion a déserté son âme, et il en est arrivé à penser que c’est «une chose à voir après la guerre. » C’est aussi un fait qu’il constate chez les autres (p.87) : « dans la troupe, l’idée religieuse est endormie, non pas morte, mais comme chloroformée. » Après deux ans de guerre, il se dit gai, mais dévergondé, et il s’inquiète d’une forme de régression intellectuelle. Il a le cœur dur comme de la pierre (p. 102) : «Beaucoup l’ont comme moi, et il faut les excuser, car tout aura été fait pour le leur endurcir. Seul l’amour et l’affection repétriront ces cœurs d’homme et en referont l’éducation. Plus tard. A présent : tout à la Patrie ! » Il évoque aussi, lors de permissions à Paris, la tentation sexuelle incarnée par la rencontre de prostituées. Il évoque sa victoire morale (p. 91) : «Je résiste aux tentations « Timor microbi » », mais ces notations sont ambigües car il dit ailleurs clairement que ses carnets sont destinés à sa famille: s’il avait succombé, l’aurait il inscrit dans ses notes ? Il reste aussi en contact épistolaire avec le père Plazenet, de la pension mariste du «104», le foyer de la rue de Vaugirard qui l’hébergeait avant-guerre. Celui-ci lui écrit pendant toute la guerre, et l’auteur attache de l’importance à cette correspondance (p. 158) : « Dans sa dernière lettre, le père Plazenet m’adressait un unique souhait, qui vaut aussi conseil : « Répondez chaque jour à la Grâce de chaque jour, en vous efforçant de donner à chacune de vos journées son maximum de valeur. Agir autrement, c’est gâcher son temps et voler Dieu. » C’est beau. »
e. La fin de la guerre. Son frère Francis est tué le 25 juillet 1918 dans l’Aisne, et la tristesse et la mélancolie envahissent dès lors les carnets. Il consigne les récits des habitants des régions libérées, raconte les dures conditions d’occupation, et un témoignage revient souvent (p. 182) : « le cri unanime, c’est que les boches crevaient de faim. ». Il évoque sa visite dans sa maison pillée à Solre, l’ambiance à Lille, sous administration anglaise, et la fin des carnets, après avoir décrit, à Béthune, le spectacle pitoyable de prisonniers allemands affamés lapant des restes, se termine par une note très sombre (p. 193) : « Quel triste spectacle, et faut-il être au 20ème siècle pour voir cela ! Mais au fond, n’est-ce pas eux, ces sales Boches, qui l’ont voulu ? N’est-ce pas eux qui m’ont tué Francis ? Si j’avais encore un peu de pitié pour eux avant, maintenant c’est fini (…) Et pourtant, ce sont des hommes comme nous, des pauvres types qui, pour la plupart, ont fait leur devoir sans avoir voulu la guerre. L’Evangile dit de rendre le bien pour le mal… Oui, mais pas aux Boches ! ».

Vincent Suard, mars 2018

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Courouble, Adolphe (1883-1915)

1. Le témoin
Adolphe Courouble appartient à une famille de la moyenne bourgeoisie catholique; il est à la mobilisation brasseur à Etroeungt (Nord), marié, a deux jeunes enfants. Incorporé à Cambrai, il est embarqué au Havre le 8 septembre 1914 et débarqué à La Palice le 11 ; Il rejoint Mourmelon puis les tranchées de Champagne avec le 126ème RI en octobre 1914. Passant dans la Woëvre d’avril à juin 1915, il est en secteur près d’Arras en juillet. Il est tué à Neuville-Saint-Vaast le 25 septembre 1915, premier jour de l’offensive (3ème bataille d’Artois). Né dans une famille de 10 enfants, il est le seul de 7 frères à avoir été tué.
2. Le témoignage
Un premier témoignage est constitué par un carnet, renvoyé par un camarade à la famille, et qui raconte sommairement la campagne d’A. Courouble. Disponible sur le site « chtimiste » (journal n° 10), le document a été retranscrit par Etienne Courouble et présenté par Michel Decaux, deux des petits-fils de l’auteur, et il occupe environ 18 pages A4. M. Decaux nous a fourni un second document plus dense, de 187 pages, achevé en septembre 2005 pour le 90ème anniversaire de la mort d’Adolphe. Il regroupe le carnet, une correspondance conséquente échangée avec la famille, et un dossier de lettres lié à la recherche du corps du soldat tué, déclaré disparu par son unité. Adolphe Courouble recopiait soigneusement au revers de son carnet de campagne toutes les lettres reçues, et les lettres envoyées furent gardées par la famille et regroupées dans ce recueil. Un exemplaire numérisé a été remis aux A.D. du Nord. Il existe aussi le témoignage de sa femme Lucienne Courouble, civile en territoire occupé, qui a tenu un journal pendant toute la guerre, et celui de son frère Alphonse Courouble, qui a laissé une chronique de l’occupation au Quesnoy pour les années 1914 à 1916 (voir ces deux notices).
3. Analyse
Adolphe Courouble consacrait son temps de liberté surtout à sa correspondance, et son journal tenu au 126ème RI est assez succinct. Ce qui transparaît le plus est la mention répétée de la souffrance de ne pas avoir de nouvelles de sa famille laissée en zone occupée, comme en novembre 1914, p. 7 : « Toujours pas de nouvelles de Lucienne, que c’est long ! » On trouve des mentions de lieux, de relèves. Il signale le 15 octobre 1914 : (p. 7) « Jeudi 15. Beau. On fusille un soldat. Triste événement. Partons pour les tranchées. » Le journal décrit un quotidien fait de boue et de lassitude. Le 18 mars 1915, l’auteur mentionne avoir reçu, après 7 mois d’attente, des nouvelles des siens : «Quelle joie débordante en tout mon être ! Oh ma chérie, combien je t’aime et te remercie d’avoir pu arriver à me donner ainsi de tes nouvelles. Que ne puis-je faire de même ? Tu dois être bien anxieuse de mon sort. » Au total, les carnets montrent qu’il aura en un an 3 fois de courtes nouvelles de sa femme et de ses enfants (2 ans et 6 mois en août 1914) : le 18 mars 1915, une petite carte le 20 juin et on sait que fin-août, il est en permission chez des amis qui ont pu recevoir du courrier de la zone occupée : il y a pu voir une photographie récente de ses enfants. Il est tué à Neuville-Saint-Vaast le 25 septembre 1915 (erreur de date sur la fiche « Mort pour la France»), et un mois plus tard, Lucienne écrit dans son journal le 25 octobre 1915 : « bonnes nouvelles d’Adolphe: a passé 6 jours chez les Fabre au 15 septembre, a reçu portrait des enfants. »
Si les carnets sont succincts, les courriers échangés nous donnent beaucoup plus d’éléments, les lettres nous montrant à la fois le ressenti et les préoccupations d’Adolphe au front, mais aussi, à travers les nombreux correspondants, l’habitus d’une famille de la moyenne bourgeoisie en guerre.
Un sang d’encre
Les poilus des régions occupées par les Allemands n’ont souvent aucune nouvelle des leurs, c’est une souffrance profonde, mais qui laisse en général peu de traces dans les sources. Le riche corpus de lettres permet ici de montrer l’inquiétude qui ronge A. Courouble et les solidarités qui s’organisent avec ses multiples correspondants. Cette angoisse sur le sort des siens est liée à la situation militaire, la dernière mention des siens étant une perte de contact, fin août, dans les désordres liés à la fuite devant les uhlans: l’inquiétude est évidemment renforcée par la relation dans les journaux des « atrocités allemandes ». Une lettre de mars 1915 décrit bien cet état d’esprit: 6 mars 1915, d’Adolphe à Monsieur Gilbert «Pourtant, il me serait si doux d’avoir quelques nouvelles de mes chers petits. Tous les jours, je me demande si tous ils n’ont pas trop à souffrir de l’invasion ou de quelques mauvais procédés de la part des Allemands. Et que de privations ne doivent-ils pas endurer ? Parfois, je pense à leur sort et le compare au mien et je vous assure que la comparaison n’est pas en mon honneur. Ne suis-je pas plus heureux qu’eux tous ? Je ne manque de rien en somme. (…) Mais eux, n’ont-ils pas trop à souffrir de la méchanceté germanique ? Mes enfants, ne les ont-ils pas fait souffrir directement ou indirectement ? Quand on a la relation de la cruauté allemande, ne faut-il pas s’attendre à tout ? Enfin je prie Dieu et j’espère qu’il aura pitié des miens. » Sa famille s’organise pour le soutenir: « Ecrivons-lui et tâchons de le consoler du mieux que nous pouvons. » (de son frère Géry à la famille)» et sa belle-sœur Marie-Thérèse essaye de le rassurer, en lui disant que l’absence de nouvelle est partagée par tous et que certaines atrocités citées par la presse ont été démenties depuis (p. 39).
La solitude au milieu du groupe
L’auteur a évoqué souvent dans son journal sa solitude, parmi ceux de ses camarades qui ont un contact régulier avec leurs proches : « On se tient prêt pour une attaque générale. Tous les copains écrivent chez eux. Que ne puis-je faire de même ?» (20 décembre 1914, p. 10) Il explicite ce sentiment dans une lettre à Madame Gilbert en mars 1915 (p. 81) « Mais l’épreuve est parfois dure surtout certains soirs où je vois les camarades ouvrir les lettres de leur femme ou quand ils me montrent des cartes où la main incertaine de leurs babys a tracé quelques mots. » Lorsqu’il a enfin des nouvelles des siens, il les partage et pense à ceux de ses camarades, nombreux, qui n’en ont pas : (p. 89) « Il me fallut faire part de la bonne nouvelle à mes officiers qui s’intéressent à moi, à mes camarades dont beaucoup, moins heureux, sont encore sans nouvelles de leurs aimés. »
La religion
Le secours principal apporté à Adolphe, outre la chaleur du courrier familial, « C’est si bon de se lire en famille ! On n’apprécie guère l’affection en temps ordinaire, mais il faut être éloigné, exposé pour le comprendre. » (Marie-Thérèse, p. 36), repose dans la religion, aide naturelle pour une famille catholique qui compte un frère prêtre. L’insistance vient souvent des femmes, comme en témoigne son frère Paul (p. 20) « Soyons comme Marie-Thérèse qui a laissé son mari [Alphonse, au Quesnoy] et sa sœur, elle a confiance et bon espoir, mais dit-elle, prions beaucoup. » L’implication passe aussi par des vœux familiaux, ainsi de Marie-Louise, femme de Jules, un autre frère prisonnier (p. 30), « Tu sais que Jules et Alphonse ainsi que Paul ont promis de faire bâtir une chapelle à la Sainte-Vierge si les 7 frères se retrouvaient après la guerre. ». Lorsque la famille apprend qu’Adolphe a enfin eu des nouvelles, Marie-Louise lui demande (p. 90) : « Aurais-tu fait une neuvaine efficace ? Si oui, dis-le moi et j’en rendrai compte au Directeur de l’oeuvre. ». La protection divine est aussi assurée par la prière des enfants : (de Marie Thérèse, p. 101) « Chaque soir mes petits enfants prient pour leurs oncles et tu as droit à un « ave » de plus puisque ton régiment est davantage en danger. »
Passer des nouvelles
On essaye sans succès de contourner les obstacles, d’activer des « réseaux » (ordres religieux, consulats, notaires, comités de réfugiés…). Des cartes de l’Union des femmes de France, en lien avec la Croix-Rouge, passent en juin 1915. Jules, un des frères prisonnier de guerre, voit ses cartes acheminées, mais elles ne contiennent que quelques mots et peuvent mettre 3 mois à arriver. Si on ajoute les nouvelles apportées par les réfugiées expulsées par la Suisse (cartes cachées ou messages appris par cœur), on voit qu’en 1915 certains biais peuvent permettre de donner un minimum de nouvelles (« allons bien ») dans le sens Nord occupé – France. L’autre direction est plus difficile, mais les occupés peuvent espérer recevoir des nouvelles indirectes s’ils ont un proche prisonnier de guerre, les communications sont ainsi relativement aisées entre Jules, le frère prisonnier en Allemagne, et sa belle-sœur Lucienne à Etroeungt.
Disparu : mort ? (1915 – 1931)
Ils étaient trois amis du 126ème RI à s’être promis mutuellement d’écrire à leur famille s’il leur arrivait quelque chose. La lettre de Désiré Dubroux, camarade d’Adolphe, à Paul Courouble, frère référent, a une formulation non exempte d’ambiguïté : « malheureusement notre pauvre Adolphe est resté sur le champ de bataille ». Le dépôt du 126 déclare Adolphe disparu. Paul finit par réussir à rencontrer D. Dubroux, blessé et évacué pendant l’action (décembre 1915) et en rend compte : « Ce n’est qu’hier que j’ai pu voir son camarade. Il a pour ainsi dire la conviction [il ne l’a pas vu directement] qu’Adolphe est mort frappé d’une balle au front entre la 3ème et la 4ème tranchée que les Français avaient pris. (…) « Quoique Dubroux n’ait plus d’espoir, je dirai : conservez-en un peu, l’on ne connaît pas les secrets de la providence. » p. 160. Après l’armistice, une lettre à Lucienne, envoyée par un ami de la famille, montre qu’il faut clore le temps long de l’absence de certitude (8 décembre 1918) p. 162 : « Malheureusement le temps a passé sans apporter aucune nouvelle rassurante et je t’avoue que je finis par ne pas oser conserver une lueur d’espoir. Aujourd’hui, sans pouvoir rien affirmer, je crois que tu dois courageusement t’attendre au pire. Nous avons bien souvent pensé à toi dans ton malheur et nous te plaignons beaucoup. Heureusement, nous te savons courageuse et croyante ; cela te donnera la force de supporter les calamités qui t’accablent. Tu t’appuieras sur tes enfants qui paraissent beaux et intelligents, et sur tes parents.» La recherche de la tombe se traduit par de nombreux courriers aux autorités françaises puis anglaises, les réponses négatives s’accumulant. Ce n’est qu’en 1931 que Lucienne apprend que le corps d’Adolphe repose au cimetière « Nine Elms » à Thélus, à son emplacement primitif, mais de 1918 à 1921 il portait le nom de « Couroubi » sur les registres, ce qui fait que les Anglais ont toujours donné des réponses négatives. Lorsqu’ils ont modifié le nom en « Courouble» en 1921, ils ne l’ont pas signalé à la famille.
Adolphe Courouble appartenait au groupe de la moyenne bourgeoisie catholique, ensemble surreprésenté dans nos sources régionales, à cause de l’aisance à l’écrit qui s’y rattache, et de l’importance attachée à une riche correspondance ou à la tenue d’un journal. Cet ensemble de lettres, qui permet une microstoria de l’intime, illustre bien ce thème spécifique de l’angoisse du combattant sans nouvelles des siens laissés dans les territoires envahis (voir aussi G. Castelain) ; il serait aussi intéressant de connaître sur ce point ce qu’ont pu éprouver des groupes de la région moins à l’aise avec l’écrit, mineurs et ouvriers par exemple.

Vincent Suard, juin 2017

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Tanquerel, André (1895-1916)

Le témoin
André Tanquerel est né en Tunisie où son père dirigeait une exploitation agricole. En 1914, il vit loin de sa famille, travaillant dans une imprimerie à Levallois. Il tisse des liens d’amitié avec les Thibault chez qui il loge à Colombes. Incorporé (classe 15) en novembre 1914 à Bourg-en-Bresse (Ain) au 23e RI, il y est instruit jusqu’en juin 1915. Passant au 158e RI, il monte au front en Artois en juillet 1915. Il participe à l’offensive de septembre 1915 devant Souchez (combats du Bois en Hache). En Champagne en février 1916, après une première hospitalisation, il combat à Verdun en mars-avril 1916. Transféré dans la Somme en août 1916, il est tué à Ablaincourt le 7 novembre 1916.
Le témoignage
Dominique Carrier, arrière-petite fille de Madeleine Thibault, la marraine de guerre d’André Tanquerel, a fait publier grâce à l’aide de l’universitaire François Crouzet, dans la collection « Histoire de la Défense » chez L’Harmattan, « On prend nos cris de détresse pour des éclats de rire », André Tanquerel, Lettres d’un poilu, 2008, 329 p.  Il s’agit d’un recueil de lettres et de documents divers échangés entre André et la famille Thibault. Isolé et venant de Tunis, ces gens de confiance sont devenus pour lui une sorte de famille de substitution. Ainsi, même s’il lui donne le titre affectueux de « marraine », Madeleine n’en est pas une au sens classique car ils se connaissent bien (les marraines de guerre sont souvent « recrutées » par petites annonces dans la presse). Outre Madeleine, les correspondants sont Joseph, son mari, dans la territoriale à Rodez, et leur fille Hélène, avec laquelle André se fiance à l’automne 1916. Il existe quelques lettres de ces personnes mais la grande majorité du corpus repose sur des lettres du front d’André, avec aussi des extraits d’un journal rapidement abandonné, quelques essais littéraires d’une page (prose) et de courts fragments d’un projet de livre. Une introduction historique inégale et une utile série de présentations familiales restituent le contexte de l’échange.
Analyse
Le premier intérêt du recueil réside dans la liberté du ton, originale parmi les correspondances de poilus, c’est-à-dire dans l’absence de l’autocensure habituelle pour ce type de courrier: est-ce parce que ses interlocuteurs ne sont pas sa vraie famille ? Cela tient-il à l’indignation de l’auteur ? En effet l’apport le plus marquant de ce témoignage réside dans la tonalité très critique des écrits d’A. Tanquerel, dans la formulation marquée et répétée du caractère injuste et cruel de la guerre, d’une indignation contre les coupables et les profiteurs, d’une condamnation toujours plus appuyée qui finit par se rapprocher du désespoir. Les lettres sont souvent d’abord composées de propos légers, amicaux, parfois tendres, qui traitent de la famille Thibaut, s’intéressant à la vie à Colombes ou à Rodez, au paysage du front, au vécu dans la tranchée ou à l’arrière. A ce contenu classique sont associées quelques phrases extrêmement critiques sur la guerre, sa conduite, les embusqués et l’horreur des combats. Un bon exemple de ces deux tonalités mêlées (Artois septembre 1915) : « Et ceux qui écrivent chez eux des lettres épatantes, sont de sinistres farceurs ou des vantards. Il n’y a pas de nature humaine qui puisse résister au spectacle d’une telle boucherie. J’ai prié constamment la Vierge, suivant le conseil de mon confesseur. Je ne sais pas comment je suis encore là… (…) Merci au patron pour son petit mot, et bonne santé. Un baiser à toute la maisonnée. Votre André »
En effet A. Tanquerel est un catholique pratiquant, qui aime le son des clochers de village : 1er novembre 1915, p. 140, Artois, «Hier c’était dimanche. On s’arrange toujours de nous faire passer des revues quelconques, juste aux heures des offices, pour nous empêcher d’y aller. » Il collectionne les médailles pieuses qu’il perd régulièrement, Madeleine lui en renvoie : 28 septembre 1915 p. 124 « je vous renvoie un Sacré-cœur et une autre médaille qu’Hélène a fait bénir aujourd’hui. »
Après deux mois de front, la teneur de la correspondance témoigne déjà d’un manque d’entrain (p. 120) « Enfin tout cela est idiot, idiot, idiot. », mais une rupture plus nette se produit avec l’expérience traumatisante de l’offensive d’Artois. Une page résume la journée d’attaque au Bois de la Hache devant Souchez (p. 126) et le récit décrit son enfouissement par un obus sous deux cadavres français tués quelques instants avant. Seul, il réussit à se dégager puis erre, hagard, avant de retrouver les siens. Les lettres suivantes témoignent de l’expérience : 28 septembre « Ce qui se passe ici est affreux. Je me demande comment je ne suis pas mort ou devenu fou» ou (30 septembre) « Je me demande quel crime nous avons commis pour être si cruellement punis ? » L’expérience de cette bataille donne à l’auteur un ton très critique et sombre qui durera en s’accentuant jusqu’à la fin. Il brave la censure avec des propos récurrents que celle-ci qualifierait de « défaitistes » (29 novembre 1915, p. 152) : « On préfère attendre une victoire problématique et sacrifier encore des milliers d’existences, bêtement, pour quelques bandits assoiffés d’or ! Ah ! Je vous supplie de ne plus me parler de Patrie, non, jamais. », mais curieusement, il respecte scrupuleusement les interdictions d’indiquer les lieux précis où il combat : (p. 120) « Ceux qui seraient pris à donner des détails, sont passibles de conseil de guerre. Or nous sommes suffisamment embêtés comme cela pour ne pas chercher à nous procurer d’autres embêtements. » C’est la même chose en 1916 où le lieu Verdun n’est pas nommé, alors que ses descriptions ne sont pas de nature à rassurer l’arrière. En Artois, A. Tanquerel tient une position à 5 km de celle de L. Barthas et les conditions très éprouvantes de la fin de l’automne rappellent celles des Carnets de guerre : Bois en Hache, 29 novembre 1915, p. 152 «  des glaçons flottaient et s’aggloméraient autour de nos jambes. 48 heures ainsi. »
Le ton de la presse, l’enthousiasme ou les mensonges des journaux révoltent l’auteur et il dénonce souvent les embusqués. A Verdun, il est révolté par la lecture des journaux qui annoncent la venue de Sarah Bernhard : 6 avril 1916 p. 188 « Oui c’est affreux (…) Et un sergent qui perd ses tripes, et un mitrailleur dont les pieds sont arrachés, et encore, encore, tant d’autres . (…) Et il continue avec une noire ironie : « Enfin ce qui me console c’est que Sarah Bernhard est venue ici pour nous encourager. » Il insiste beaucoup sur le fait que l’arrière ne connait pas la réalité de la situation du front, et que la guerre ne dure que grâce à cette ignorance.
D’après ses réponses à sa marraine, dont nous n’avons pas les lettres, on sent qu’elle lui fait des reproches, probablement pour le motiver, même si les divergences ne vont jamais jusqu’au conflit : Verdun 13 avril 1916 p. 200 « Non, Marraine, dites-moi que je suis ici, pour vous défendre vous, pour défendre Hélène et Jean (…) mais je vous en prie ne me parlez pas de grands mots, comme Droit, Liberté, etc., car ici on ne sait pas ce que c’est. » (…) « Nous ne souhaitons que la fin de la guerre. Pour nous, le « jusqu’au bout » et « on les aura » n’existe pas. » A. Tanquerel se défend d’être défaitiste, il ne veut pas qu’elle le prenne « pour un vilain révolutionnaire que je ne suis pas » (p. 226) et qu’elle pense qu’il est un lâche : « pourtant, si ma vie pouvait être le prix de la paix, je la donnerais avec joie pour faire cesser tout cela. » (p. 226) Evoquant très rarement les Allemands, il n’est pas politisé mais cite les propos prolétariens formulés par un camarade (septembre 1916 p. 263) « on cherche l’extermination de la classe ouvrière, qui commençait à devenir dangereuse, avec ses conceptions révolutionnaires…».
Sa conviction que la guerre est inutile est corrélée à des crises de cafard de plus en plus marquées ; en 1916, il s’écrie à Verdun (avril 1916 p. 201) : « La foi est morte. (…) Comprendra-t-on qu’il y en a assez ! Que le mot « Assez » pourrait s’écrire en lettres gigantesques dans le ciel, comme le cri suprême de l’armée ? » Ses fiançailles avec Hélène, la fille de Madeleine, améliorent un temps son moral, mais les crises de désespoir sont encore plus violentes dans la Somme (octobre 1916, p. 277), avec une page dramatique dont un extrait donne son titre à la publication « Autrefois je me révoltais, maintenant je n’en ai même plus la force. Le militarisme donne son fruit. Je suis abêti et abruti suffisamment pour me faire tuer sans rien dire. (…) Et c’est justement ce qui nous fait souffrir tous, c’est de penser que l’on prend nos cris de détresse pour des éclats de rire. » Le 7 novembre 1916 en début d’après-midi, lorsque sa compagnie est de soutien lors de l’attaque d’Ablaincourt, il est frappé par un obus et meurt sur le coup.
On a la chance, assez rare pour un simple soldat, d’avoir une citation des faits extérieure, glanée dans le récit du chef d’une autre section de la même compagnie du 158e RI (Carnets de Ferdinand Gilette, 7 novembre 1916, tranchée de Lethé, attaque d’Ablaincourt, site « chtimiste », Carnets de guerre, n° 151) : « Le canon fait rage et les obus passent et éclatent de tous côtés : nous sommes bien mal postés, car nous n’avons aucun abri. Un tombe dans la tranchée en plein dans la 2ème section, il tue 2 types : Tanquerel et Gardon et en blesse 2 autres. (…) Voilà un type : Tanquerel qui à chaque attaque se faisait évacuer et qui revenait ensuite nous rejoindre au repos, il a suffi qu’il vienne une fois dans la fournaise pour y rester. »
Le jugement est bien dur car l’aspirant Gillette n’est arrivé au 158e RI que le 25 avril 1916, et celui-ci néglige le fait que malgré ses trois évacuations (5 mois d’évacuation en 3 fois sur 2 ans de campagne) , A. Tanquerel a fait l’offensive d’Artois en 1ère ligne et surtout a supporté l’attaque sur le fort de Vaux à Verdun le 9 mars 1916.
A la fin de l’ouvrage D. Carrier, dont il faut souligner le travail précieux, a regroupé les documents (courriers privés, du maire, avis de citation à titre posthume [« soldat courageux…]) liés à l’annonce du décès. Sans nouvelles, Madeleine écrit au commandant de la Compagnie d’André, et celui-ci fait répondre par Aimé Desporte, un camarade : 26 novembre (p. 296) « Croyez que pour moi il est fort pénible de vous apprendre la triste réalité, et soyez assurée, Madame, que j’ai pleuré cet ami avec lequel je n’ai eu que de bonnes relations ; il fut regretté aussi bien de ses chefs que de ses camarades et tous nous aimions sa franche gaîté et son caractère ouvert. (…) Allons courage Madame et que Dieu vous garde.» Une lettre de l’aumônier, chargé de tenir le registre de l’emplacement des sépultures du régiment, termine le dossier : 16 janvier 1917 p. 301 « je vous adresse ci-joint le calque de la partie qui vous intéresse. (…) J’ai tout lieu d’espérer, le connaissant comme l’un de nous tous, qu’il était en règle avec le Bon Dieu. Abbé Friesenhauser ».
Donc un témoignage marquant, avec l’expression d’une intimité affective attachante, la formulation individuelle d’une profonde hostilité à la guerre et aussi – l’auteur soulignant souvent le fait que son indignation est partagée par ses camarades -, la formulation d’un ressenti collectif dans lequel le « nous » devient récurrent pour l’expression de cette souffrance.

Vincent Suard mai 2017

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Barjavel, Joseph (1889-1915)

Le témoin
Joseph Ferdinand Barjavel est né à Forcalquier le 18 février 1889. Famille paternelle de cultivateurs de la vallée du Jabron ; famille maternelle d’artisans et boutiquiers de la région de Forcalquier. Ecole primaire ; non titulaire du certificat d’études. Apprenti puis ouvrier boucher à Forcalquier puis à Aix-en-Provence. Service militaire au 23e bataillon de chasseurs alpins à Grasse. Sergent en avril 1913. Catholique (messe, prière à la Sainte Vierge, image du Sacré Cœur cousue dans son vêtement). Célibataire lors du départ en 1914.
Il arrive le 14 août dans la région de Nancy ; baptême du feu le 19 ; fortes pertes le 20 ; Joseph est blessé le 26 et évacué sur Antibes. Retour dans les Vosges le 13 janvier 1915, dans le froid, sous la neige, mais dans un paysage splendide. Tué lors d’une attaque, secteur de Metzeral, le 15 juin 1915.
Le témoignage
Son témoignage est constitué par une soixantaine de lettres adressées à sa famille et par un bref carnet de route. Il dit souvent qu’il écrit tous les jours, mais il y a des périodes parfois assez longues sans lettre (disparitions ?). Il demande l’envoi assez fréquent de petits colis car on ne trouve rien dans la montagne. Une fois, il écrit qu’il aurait bien des choses à dire, mais qu’il s’exprimera de vive voix. « Ne vous inquiétez pas, ayez courage », répète-t-il à sa famille dont il a plaisir à lire les courriers. Il note avec tristesse que Forcalquier compte de nombreux morts. Il souhaite recevoir le journal Le Bas-Alpin où il retrouve sa ville.
Catholique, patriote, il note qu’il faut combattre « les Prussiens », ennemis héréditaires, qu’il désire la victoire, que le 23e BCA se couvre de gloire, qu’il faut écraser la horde barbare. Cependant, le 20 janvier 1915, il demande : « Quand aura-t-elle fini cette triste guerre ? » et : « Priez bien surtout afin que Dieu fasse cesser ce fléau si terrible. » Il est impossible de dire de quel côté il aurait évolué.
Quelques aspects du contenu
– 16 août 1914 : des Français tirent par erreur sur d’autres Français
– 2 janvier 1915 : description détaillée du contenu du sac
– janvier 1915 : les Vosges, eau de vie excellente, traineaux sur les chemins gelés, couche de neige telle qu’il n’en avait jamais vue
– 28 janvier en Alsace : familles dont les hommes sont soldats allemands, pays où on ne parle que l’allemand [peut-être l’alsacien ?]
– février : exécution d’un soldat, triste cérémonie
– 31 mars : un commandant bon père de famille
– 2 mai : souhait de ne pas recommencer une campagne d’hiver
Ces deux derniers thèmes sont bien représentés dans les témoignages de combattants français, comme le montrent les témoignages analysés dans ce dictionnaire et dans le livre 500 Témoins de la Grande Guerre.
Le livre
Joseph Barjavel, De Forcalquier à Metzeral, carnet et lettres d’un chasseur alpin (1914-1915), présentés et annotés par Emmanuel Jeantet, Forcalquier, C’est-à-dire éditions, 2016, 236 pages. Dans ce livre, le témoignage proprement dit de Joseph Barjavel occupe une place réduite. Il est accompagné de nombreuses photos de Forcalquier au début du XXe siècle, de photos en rapport avec le 23e BCA, de la présentation du monument aux morts de Forcalquier, d’un texte sur « Forcalquier à l’épreuve de la guerre », d’un autre sur « Le 23e BCA au feu », etc. L’attaque au cours de laquelle est mort le sergent Barjavel est racontée par le soldat Jean Pouzoulet dont le témoignage est conservé aux Archives départementales de l’Hérault, cote 172 J 4.
Rémy Cazals, janvier 2017

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Castelain, Gabriel (1890-1915)

1. le témoin
Jean Gabriel Castelain est né à Santes (Nord) en 1890. Il grandit à Haubourdin, un faubourg de Lille, dans une famille catholique très pratiquante. Il a deux frères et deux sœurs : Emile, religieux et brancardier, est blessé grièvement en 1914, et Paul, classe 17, fait la guerre au 8e BCP à partir de 1916. Une sœur meurt de la grippe espagnole en 1918. Gabriel adolescent suit l’enseignement du petit séminaire d’Haubourdin, qui accueille aussi des élèves sans vocation ecclésiastique. Il fait son service militaire de 1911 à juin 1914 (loi des trois ans) puis se marie avec Suzanne le 21 juin 1914. Mobilisé comme sergent au 110e Régiment d’infanterie de Dunkerque, il combat en Belgique, devant Reims, puis sur l’Aisne (Bois de la Miette – ferme du Choléra) à l’automne 1914. Transféré en Champagne en décembre 1914, il est tué lors de la première grande offensive devant le Mesnil-les-Hurlus le 18 février 1915. Il est enterré au cimetière du village, mais les lieux seront totalement bouleversés par la seconde offensive de septembre 1915 : en 1917, son jeune frère Paul ne parviendra pas à retrouver sa tombe.
2. le témoignage
Les carnets furent rendus à sa veuve par l’autorité militaire en 1919. L’association « La Mémoire de Ronchin » a publié en février 2016 un livret (68 pages, ISBN 802 750 778 00010) reproduisant le « Journal de guerre 1914/1915 de Jean Gabriel Castelain ». Cette publication est la copie fidèle des calepins rédigés au jour le jour au crayon, dans la tranchée ou à l’arrière. Une double page présente une photographie de deux pages des carnets originaux en regard de leur transcription et montre le souci de véracité de la reproduction, la seule modification étant des italiques non présentes dans l’original. L’iconographie a été ajoutée par l’association.
3. analyse
Le journal relate les faits de guerre, mais son originalité tient d’abord à ce qu’il traduit des sentiments, des émotions. La rédaction sert un propos intime, un dialogue avec soi-même qui semble aussi destiné à être montré à sa femme après la campagne : « A la pensée que petite Suze lira bientôt ces quelques pages, véritable roman d’un cauchemar vécu, je me sens vaillant, Dieu est là c’est tangible. » (p. 29).
Les combats
Le premier domaine est celui de l’affrontement avec les « alboches », qui ne deviennent les « boches » qu’en octobre. Lors de la bataille de Charleroi, le spectacle des réfugiés fuyant les combats provoque compassion et colère (27 août) : « Que c’est triste : une jeune femme, chassée de la frontière par les alboches, tient dans ses bras une petite mioche qui se meurt. Derrière elles suivent un moussaillon de sept ans et une petite fille de huit ans, ils sont perdus et ne savent où aller, la mère est en haillons (…) quels bandits que ces alboches ! » p.13. La bataille de Guise (29 août) est un traumatisme (« la journée la plus terrible de ma vie ») ; l’affrontement dure toute la journée : «L’officier que je venais de tuer devant moi d’un coup bien ajusté m’avait rendu tout drôle. Que c’est donc terrible. » p. 17. Après la retraite et le combat d’arrêt du 6 septembre, c’est le recul allemand et la description classique du champ de bataille de la Marne qui se découvre aux combattants : «Je suis témoin d’un spectacle horrible, des cadavres par dizaines sont étendus partout, dans les bois, dans les fossés, ruisselant de sang, des têtes déchiquetées, des ventres ouverts, je regardai cela sans trop de haut-le-cœur, la guerre vous endurcit son homme. » p. 21. La reprise de contact à Pontavert devant l’Aisne est violente et l’ennemi ne veut pas déloger : (27 octobre) «par ordre du général, le 110e va être cité à l’ordre du jour : nous avons perdu 1128 hommes du 15 septembre au 15 octobre. Horrible chose que la guerre ! » p. 42. A partir de novembre les considérations personnelles dominent, mais le combat revient par épisodes, 1er février 1915 : «le caporal de demi-section qui avait remplacé celui blessé vendredi dernier tombe, tué d’une balle ou d’un éclat d’obus au cœur. Il dit « je suis blessé » et tombe raide mort près de moi. La mort plane autour de nous à toute seconde depuis le début de la guerre. C’est une compagne terrible, cruelle, ignoble, qui veut de nous à chaque pas (…) Sales boches, il faudra payer un jour toutes vos infamies et vos atrocités. » La dernière description est un tir trop court de préparation de 75 en vue d’un assaut. C’est l’épisode le plus dramatique du recueil (12 février au Mesnil-les-Hurlus) « Ah ! je comprends maintenant quelle doit être la terreur de ceux d’en face pour ces engins effroyables ! (…) un obus ennemi a, paraît-il, coupé le téléphone ; notre capitaine fait lancer plus de 20 fusées rouges pour avertir, rien n’y fait, un brouillard nous sépare. (…) Ils me regardent de côté, les yeux hagards, en répétant, fous d’horreur et de terreur « trop court, Sergent, trop court. » (…) L’horrible tragédie se déroule toujours. J’ai fait depuis quelques minutes le sacrifice de ma vie. A mes voisins immédiats, je crie « c’est le moment de bien mourir mes enfants, pensons à Dieu.» Un mourant me répond « Ah ! Quel malheur, mon Dieu, quel malheur. » Il a 3 enfants. (…) Le capitaine est à l’entrée de la tranchée. Il a les yeux humides et hagards. Fou du spectacle que j’ai vu, je passe, en allant je ne sais où (…) le capitaine me fait brutalement « Ah ! Combien ? Castelain, combien ? » Mon Capitaine, j’ai marché sur tous, mais tous ne doivent pas être morts.» p. 64. L’épisode fait une quinzaine de tués à la demi-section (il y a neuf survivants).
La chère femme
G. Castelain, 24 ans, est très épris de son épouse, et n’a eu qu’un mois de vie maritale jusqu’à la mobilisation. Son journal est jalonné de témoignages d’affection pour « sa petite Suze ». Cette intimité est en permanence reliée à un patronage religieux, à l’évocation d’une protection divine. (6 octobre 1914, courrier) « Quelle confiance quelle résignation, j’ai pu lire entre les lignes ! Oh merci mon Dieu, c’est ce qui m’a fait le plus plaisir ! (…) Ma confiance est sans bornes. Dieu est avec nous. » p. 34. Les dimanches sont importants car les époux se retrouvent réunis dans la communauté de la prière (6 septembre) «Il est dimanche 6 heures « Suze prie pour son Gaby » quel réconfort ! » p. 21 ou « Là-bas ils sont en prières et nous ici assis au soleil sur les bords de l’Aisne paisible (…) nous unissons notre prière à celles ferventes de là-bas, le doux nid familial où il nous tarde toujours de rentrer ! Que c’est réconfortant mon Dieu cette union de prière ! » p. 34
Le déchirement de l’occupation
Le soldat nordiste en campagne prend aussi progressivement conscience de l’envahissement des deux tiers du département (chute de Lille le 12 octobre) : aux tracas du front s’ajoute bientôt une autre inquiétude : (17 octobre) «On parle de l’arrivée des boches près de Lille. Serait-ce possible ? » p. 39. Le journal illustre ce tourment, sans aucunes nouvelles des proches : (22 octobre) « Les nouvelles sur Haubourdin et Lille nous arrivent. Que Dieu nous aide dans cette grande épreuve. Plus de lettres, comme c’est dur aussi, puis l’incertitude. Que c’est angoissant ! » 23 octobre : «le bruit court que Lille a souffert de l’invasion. (…) Ah, combien dure est l’épreuve ! » p. 40. Des communications postales avec des proches à Armentières le rassurent un peu, mais en 1915 les rumeurs et l’absence totale de nouvelles minent le moral du sergent : (19 janvier 1915) «Un nouveau bruit court encore sur la libération de Lille. J’écris une carte à Haubourdin à ma bien-aimée petite femme dont le cœur doit souffrir tant et dont l’idée de cette souffrance me poursuit nuit et jour, augmentant mon chagrin. »
Un croyant au combat
Ce témoignage d’un fervent catholique, dont le frère aîné est rédemptoriste, relève d’une conception d’une religion protectrice : 17 août « Dieu me garde, la bonne Vierge et Saint-Joseph sont là. Courage. ». La foi permet de tenir (à Pontavert) : « Quel épouvantable spectacle que ces morts, que ces hurlements de blessés dans la nuit. (…). Quel réconfort aussi d’avoir la foi en ces horribles moments !… » Le terme «Fiat !» (résignation et résolution) scande les carnets et apporte un calme moral, « fiat donc et patience » p. 29. Les centres d’intérêt sont religieux (après la messe de Minuit à son frère) : « J’écris à Emile une lettre de 6 pages lui donnant les détails de la belle cérémonie. ».
Pour lui la guerre a ramené les soldats vers Dieu, il s’en réjouit : (2 octobre) «Il est bon de remarquer combien le revirement dans la foi est profond. Les sorties d’églises ressemblent maintenant à des sorties de cinéma et ces derniers sont fermés. Alors la constatation est bonne et cela me réjouit fort. C’est sans nul doute ce que Dieu veut à tout prix et il a employé de grands moyens terribles. » p. 33. Ce mouvement touche surtout des croyants auparavant discrets sur leurs convictions : «beaucoup de ceux que l’on ne voyait jamais parler de Dieu, n’ont plus peur maintenant d’afficher leur foi et la plupart ont leur chapelet en main.» p.49. Le retour vers l’autel ne semble toutefois pas général : (28 octobre) «Que Dieu nous aide, nous en avons tous besoin ! Ah ! Qu’ils sont donc malheureux ceux qui n’ont pas la foi ! J’en entends, malgré tout, blasphémer : les malheureux, ce n’est guère le moment ! » p. 42. Pas d’évocation de croisade, mais la seule évocation positive des Allemands détestés est celle de la Toussaint dans la tranchée (1er novembre) «on s’attend à une attaque et à voir surgir des têtes. Non, des chants latins d’une musique douce comme la nôtre, parfois dans les paroles. C’est la Toussaint. Ils ne l’oublient pas, eux au moins. » p.43.
L’auteur est persuadé d’être personnellement protégé, ce qui lui apporte un grand réconfort moral : 28 novembre «La meilleure preuve que je suis protégé miraculeusement, la voici : je viens à l’instant d’échapper à une mort certaine, une fois de plus parmi toutes les autres fois. Je causais tranquillement au Caporal Cavrois (…) une balle boche avec le dzz habituel vient lui traverser la main et écorner ma pipe (…) Pour moi, quelles actions de grâces, n’ai-je pas immédiatement fait monter au ciel ! » p. 51. Le raisonnement poussé à l’extrême déroute un peu le statisticien contemporain: (11 décembre) «Une simple constatation éloquente entre toutes. Je reste à la compagnie le seul sergent réserviste parmi ceux partis de Dunkerque. N’est-ce pas consolant pour moi et encourageant ? » p. 54.
Au total donc un témoignage intéressant sur « ceux de 14 », sur l’expérience nordiste du combat et sur le vécu intime des plus fervents des catholiques flamands français, comme l’illustre encore ce dernier extrait : (1er janvier 1915) « Heureux de se trouver encore vivants, nous nous présentons mutuellement les souhaits de bonne année. Triste journée, quand même où, malgré moi, je me sens bien chagrin. Par la pensée, j’envoie à ma bien-aimée petite Suze mes meilleurs vœux avec mes plus tendres baisers ainsi qu’à mes parents bien-aimés dont de si douloureuses épreuves me séparent. Dieu seul me reste encore présent en moi. Vers lui, montent mon chagrin et toutes mes pensées. Vers lui, je crie ma confiance inébranlable, ma foi au retour cette année sans nul doute. Oh ! Que le découragement viendrait donc vite si Dieu, la bonne Vierge et Saint-Joseph n’étaient là. Chaque jour, là-bas, l’on pense et l’on prie. »
Vincent Suard, juin 2016

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Fournier, Valentin (1892-1969)

Valentin Edouard Fournier est né le 31 juillet 1892 à Ambialet (Tarn). Cultivateur, il a vraisemblablement vécu en Aveyron puisque son témoignage est publié dans La Main chaude, revue de l’association pour la promotion de l’histoire sociale millavoise, n° 2, 2016, p. 40-45. Valentin Fournier a rédigé son carnet (format 10 x 15) en captivité au camp de Friedrichsfeld, en Rhénanie du Nord. La courte présentation du texte signale qu’il comprend trois parties : la campagne de 1914 ; la capture ; « l’évocation, sous une forme poétique populaire, de plusieurs thèmes : les alliés, la victoire qui viendra, les plaisirs et, comme chez tous les prisonniers de toutes les époques, la nourriture, la bonne nourriture, le bien manger ». Son orthographe laisse beaucoup à désirer, mais les 27 pages reproduites en fac-similé sont parfaitement lisibles. Le texte retenu s’arrête à l’arrivée au camp de prisonniers, le 2 novembre 1914. Autres documents fournis : une photo de Valentin et la page biographique de son livret militaire. La suite du texte est annoncée pour le numéro de 2017 de cette revue annuelle. Le présentateur n’a pas bien suivi l’actualité éditoriale ; le livre collectif 500 Témoins de la Grande Guerre lui aurait montré que les témoignages de soldats peu lettrés sont plus nombreux que ce qu’il croit. Le témoignage de Valentin apporte peu d’informations. Celle qui me semble la plus importante, c’est le souci de garder une trace écrite des événements
Lors de l’annonce de la mobilisation, Valentin, célibataire, effectue le service militaire à la caserne d’Agde du 96e RI. Les premières pages énumèrent les villes traversées en train vers Lunéville. Les marches s’effectuent ensuite sous une forte chaleur, puis sous une pluie épouvantable. La nourriture est très insuffisante, bien loin de la ration théorique du troupier. Des attaques sont mentionnées les 17 et 18 août. Le 22, il signale l’échec d’un assaut à la baïonnette face au feu des mitrailleuses provoquant de lourdes pertes et la retraite. En septembre, toujours dans les parages de Lunéville, une balle traverse son sac et une autre le touche au pied, mais sans gravité ; il passe neuf jours sans manger chaud ; les périodes de repos dans les villages sont l’occasion de boire quelques bouteilles de vin.
Le 14 octobre, départ de Toul vers le Nord. En train, en autobus ou à pied, son régiment traverse le département de l’Aisne et arrive à Ypres. Valentin mentionne un grand couvent où les sœurs distribuent du café et des médailles. Le 30 octobre, au cours d’un violent combat, son groupe est cerné et capturé. Au cours de la traversée de la Belgique, la population leur apporte de la nourriture et les salue en criant « Vive la France ! »
Rémy Cazals, mai 2016

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Chansou, Joseph (1890-1983)

Né à Fronton (Haute-Garonne) le 7 décembre 1890 dans une famille très catholique dont plusieurs membres sont des religieux. Lui-même est ordonné prêtre le 22 août 1915. Il a fait toute la guerre dans l’artillerie, au 57e RAC.
Son témoignage est déposé aux Archives départementales de la Haute-Garonne ; il est publié par l’Association des Amis des Archives, décembre 2014, 118 pages format A4, sous le titre Un prêtre frontonnais dans la Grande Guerre, Joseph Chansou, Journal 1914-1918 : amis.archives@laposte.net

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Gardes, Simon (1893-1914)

Dans le cadre des activités de la bibliothèque patrimoniale du Grand Cahors, Didier Cambon et Sophie Villes ont recueilli des témoignages lotois sur la période de la Grande Guerre et les ont regroupés en chapitres thématiques : Didier Cambon et Sophie Villes, 1914-1918, Les Lotois dans la Grande Guerre, tome 1 Les Poilus, préface du général André Bach, Les Cahiers historiques du Grand Cahors, 2010, 197 p.
Simon Antonin Gardes est l’un d’eux. Il est né le 28 octobre 1893 à Payrac (Lot) et a été tué à l’ennemi le 20 décembre 1914 à Perthes-les-Hurlus, à l’âge de 21 ans. Sergent au 7e RI, il était passé au 207e RI. On a peu de choses de lui : une photo (p. 63 du livre) et quelques lettres adressées à ses parents et à sa sœur Marie. Certaines nous apprennent qu’il était catholique pratiquant : il assiste à la messe, aux vêpres. Le 2 novembre 1914, il écrit : « Des Cadurciens se trouvent au 207e. Ils n’osaient pas faire leur devoir de catholique à Cahors, ils le font à 5 km de l’ennemi. J’ai encore fait ma communion ce matin. »
Le 29 juillet, en pleine crise internationale, il avait écrit à Marie : « Je vois que tu as l’air de te faire beaucoup de mauvais sang pour moi à cause de la guerre. Tu sais que, si elle éclate, il faut que je parte et cela fait que si je vous sais tous à vous faire de la bile et pleurer, comment veux-tu que moi, qui n’ai besoin que de courage et de sang-froid, je résiste à tout cela ? Je puis t’affirmer que, s’il le faut, je partirai de bon cœur et avec du courage en main. Tu sais qu’entre l’Allemagne et nous il faut que ça casse une fois ou l’autre. Si l’heure est arrivée, nous verrons qui aura le dernier mot, mais nous ne craignons rien. » Cependant, dès le 14 octobre, il écrit : « Nous en avons soupé presque tous de la guerre. » Et il termine sa lettre du 18 décembre par un « Vivement la paix ! » Il sera tué deux jours plus tard.
Rémy Cazals, avril 2016

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Bergey, Daniel Vivien Michel (1881-1950)

Né le 19 avril 1881 à Saint-Trélody, près de Lesparre, dans le Médoc, département de la Gironde. Fils d’un bordier (salarié agricole) et d’une domestique. Vicaire de son oncle à Saint-Émilion en 1906, il lui succèdera comme curé en 1920 et le restera jusqu’à sa mort. Avant 1914, militant actif contre la loi de Séparation des Églises et de l’État et contre la franc-maçonnerie. Aumônier à la 36e DI pendant la guerre, blessé en janvier 1915 sur le Chemin des Dames. Créateur, principal auteur et éditeur du journal de liaison des poilus de Saint-Émilion et des environs (au sens large), Le Poilu St Émilionnais. Le premier numéro du journal n’est pas daté ; la première date apparaît avec le numéro 4, le 3 juillet 1915 ; son « tirage intermittent » le porte jusqu’en février-mars 1919, numéro qui annonce sa « mort joyeuse » puisque les combats ont cessé.
Le journal contient d’abord une série d’articles de fond, la plupart écrits par l’abbé Bergey lui-même. Ils établissent les bases du patriotisme ; ils défendent la famille et toutes les valeurs chrétiennes. Si certaines choses vont mal dans la guerre, ce n’est pas de la faute des chefs militaires, mais des hommes politiques. Amour de Dieu et Amour de la France ! Honneur au poilu et Honte aux embusqués ! On donne des nouvelles des poilus, vivants, blessés, prisonniers, et de la vie à Saint-Émilion. On signale les morts, en reproduisant parfois leur photo. Pour faire supporter les mauvaises conditions de vie pendant la guerre, des articles disent « mort au cafard ». On plaisante sur la nourriture et la boisson. À partir du n° 7, du 25 octobre 1915, le dessin-titre en première page montre un poilu agitant une bouteille de saint-émilion vers les lignes ennemies où les Boches paraissent prêts à se rendre pour venir en boire (variante du thème des Allemands qui se rendent pour une tartine de confiture). Des caricatures agrémentent les pages, ainsi que de petites histoires à l’humour appliqué signées de pseudonymes hilarants comme K. Lotin ou K. Rafon (on trouve même Bismuth comme pseudonyme !). À partir de Noël 1917, apparaissent des textes en basque, en patois béarnais et en patois du Médoc, mais la grande majorité des pages sont en français.
Ce journal conçu sur le front peut-il être qualifié de « journal de tranchée » ? D’une part, il est imprimé, et bien imprimé, à Bordeaux. D’autre part, si on estime son tirage à 200 exemplaires d’abord, puis peut-être 500, on ignore s’il était principalement lu dans les tranchées ou du côté de Saint-Émilion. On ne distingue sur les pages aucune trace de censure extérieure mais, bien sûr, l’autocensure du rédacteur est évidente. Il ne dit rien qui puisse fâcher les autorités militaires et il ne parle surtout pas des mécontentements profonds des soldats et des mutineries.
C’est une initiative très originale de la mairie de Saint-Émilion (Gironde) que d’avoir réuni en un volume de format 21 x 27 la collection complète en fac-similé du journal du front édité par l’abbé Bergey de 1915 à 1919, ainsi que ses suppléments Nos Filleuls et Le Rayon. Le livre a pour titre Le Poilu Saint-Émilionnais, présenté par Mireille Lucu, Saint-Quentin-de-Baron/Saint-Émilion, Les Éditions de l’Entre-deux-Mers/Ville de Saint-Émilion, 2014, 460 p. Le livre est présenté par un texte de 55 pages de Mireille Lucu, agrégée d’histoire. Il est bien documenté sur l’histoire locale de Saint-Émilion et sur la 36e DI en guerre, résumé qui n’occulte pas les mutineries de 1917. Le projet a reçu le label et le soutien de la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale.
Rémy Cazals, mars 2016

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Gamel, Roger (1896-1962)

Sur le livre Impressions de guerre 1914-1918, Carnet de guerre de Roger Gamel, poilu aveyronnais, pas de mention d’éditeur mais un ISBN 978-2-7466-7598-8. Si on retourne le livre, c’est une nouvelle couverture, celle des Impressions de guerre 1914-1918, Journal de guerre de Mimi Jacob (voir ce nom). Le livre double, imprimé en 2014, est le résultat d’un travail pédagogique réalisé au lycée Louis Querbes de Rodez (Fax 05 65 78 12 32) sous la direction de Jean-Michel Cosson, professeur d’histoire et de géographie, et de Sandrine Garriguet, documentaliste. Il semble hors commerce mais il est peut-être possible de se le procurer en s’adressant à ce lycée. Je l’ai moi-même reçu sans commentaire. Les deux témoins n’ont aucun rapport, l’un avec l’autre.
Roger Gamel est né à Rodez le 29 juin 1896. Deux lignes de son carnet (p. 51 et 91) nous apprennent qu’il était employé de commerce, ayant travaillé à Paris à la Samaritaine et aux Galeries Lafayette où il reprit du service lors de sa démobilisation en septembre 1919. Le fait que le cahier ait été trouvé par hasard dans un grenier à Lille est peut-être à mettre en rapport avec ses emplois successifs. Marié en 1920 à Deuil-la-Barre (actuellement dans le Val d’Oise), il mourut dans ce même département, à Belloy-en-France, le 26 octobre 1962. Roger Gamel ouvre son cahier en affirmant qu’il est la copie conforme des notes prises pendant la guerre, notes brèves pour la période du 16 avril 1915 (incorporation au 4e RIC) au 29 août 1916 (mutation au 23e RIC) et plus complètes ensuite. Quelques fautes d’orthographe de l’auteur ou de transcription. Les points de suspension dans les citations qui suivent sont de Roger Gamel.
Sans surprise, on trouve dans ce témoignage les habituelles descriptions concernant la vie des poilus. La pluie (p. 16) : « Ma capote tient debout toute seule tant elle a été mouillée. » Le froid (p. 29, 2 janvier 1917) : « Nos boules de pain nous arrivent gelées aussi faut-il nous servir de nos pelles bêches pour les partager en quatre, nous les faisons passer au feu vif pour pouvoir manger ce pain. » Les poux (p. 56) et les rats (p. 85) : « Un rat m’a mordu à la joue, teinture d’iode… » La boue (p. 56) : « Les boyaux ne sont plus que des canaux de boue dans lesquels on s’enfonce par endroit jusqu’à la poitrine. » Les mercantis (p. 27) « sans scrupules qui nous écorchaient de leurs prix excessifs ». L’aide aux paysans (p. 43) : « Blancs et noirs aident nos paysans dans les travaux des champs. Comme partout, on a craint l’arrivée des « Coloniaux » dont la mauvaise renommée n’a été répandue que par des curieux et des jaloux ; et quand les « Coloniaux » s’en vont, on les regrette et on ne se cache pas pour nous le dire. » En permission, l’accueil démoralisant des « civils très patriotes » qui ne comprennent pas ce qu’est la guerre (p. 62) ; et toujours, au moment de repartir, un terrible cafard. L’officier d’état-major, « très élégant et pommadé », qui, tout pâle, passe une heure avec les fantassins : « Il pourra en raconter long sur la vraie guerre ! » La peur au cours d’une patrouille, la vie au milieu des morts, la mauvaise surprise des obus à l’ypérite (p. 59). Plus originale, la situation du groupe à qui on ne peut faire parvenir de nourriture par voie terrestre (p. 34) : « Par signaux optiques, notre aviation est prévenue du danger que nous courons… une dizaine d’avions survolent notre secteur et nous jettent quelques boites de conserves qu’il nous est impossible de retrouver… »
Intéressante description d’une corvée de soupe (p. 57) avec cette précision très concrète : avant d’avoir à affronter le retour, chargés à l’excès, dans la boue et sous les obus, les hommes de corvée ont le plaisir de boire et manger chaud. Jules Puech (voir ce nom) et d’autres l’ont noté. Jules Puech et sa femme Marie-Louise ont également donné de nombreux exemples de prosélytisme catholique en particulier dans les hôpitaux. Roger Gamel en fournit un cas personnel (p. 59) : « Je quitte l’ambulance de Beaurieux… la sœur me coud à ma vareuse un scapulaire et me donne deux médailles elle m’embrasse et je remonte en ligne.»
Nommé observateur du régiment (7/12/1916), il assiste à la destruction du village d’Andéchy (13/12) ; ayant repéré un groupe de travailleurs ennemis, il les signale et a « la satisfaction à voir éclater 8 coups de 75 en plein but ». Il ajoute : « J’ai bien travaillé. » Lors du recul des Allemands dans l’Oise (21/03/1917), il note la joie des habitants sortant de leurs caves pour recevoir les soldats français, et il condamne les dévastations : « Nous voyons partout les arbres fruitiers sciés, les caves inondées, les puits bouchés avec du fumier… là, par ces abominables manières à faire la guerre on reconnaît l’âme boche… la destruction systématique de ce riche pays est complète… pourquoi avoir scié les arbres fruitiers ? est-ce cela qui arrête une armée ? »
Le 16 avril, son régiment est en réserve. Le 18, il décrit l’attaque du mont des Singes. En juin, secteur calme en Alsace. Une brève allusion aux troubles, le 22 juillet : « Quelques régiments se sont révoltés… ça barde… le 20e Corps qui occupe une partie du secteur a un mauvais moral… les pires canards circulent. » Retour vers le Chemin des Dames, fin juillet. Caverne du Dragon (p. 51), Hurtebise jusqu’en novembre (p. 51-61).
Montagne de Reims en février 1918 ; fort de la Pompelle en mars. Le 19 octobre, il est évacué, atteint de grippe espagnole, mais s’en sort rapidement. Le 11 novembre le surprend à Paris, retour de convalescence.

Rémy Cazals, septembre 2015

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