Ses parents sont originaires de l’Ariège et du Quercy mais, au hasard de la carrière de professeur de lettres de son père, Maurice est né à Saint-Servan (Ille-et-Vilaine) le 16 janvier 1891. Normalien, agrégé, il est sous-lieutenant au 249e RI en 1914, blessé le 20 septembre au Chemin des Dames, après avoir connu Charleroi et la Marne. Il a écrit des poèmes inspirés par la vie des combattants (par exemple : « Douaumont »), que la comtesse de Noailles trouvait magnifiques. Il était soutenu par un amour « interdit » pour une cousine bien plus âgée, morte en 1917. Lui-même fut tué au 39e RI dans la Somme, à Rubescourt, le 26 avril 1918.
RC
*Biographie et choix de poèmes dans Maurice Greslé-Bouignol, « Maurice Bouignol, poète et combattant », in Revue du Tarn, n° 196, hiver 2004, p. 597-633.
Compagnon, Auguste (1879-1915)
1. Le témoin
Auguste Compagnon est né le 12 mai 1879 à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) « d’une très honnête famille de travailleurs ». Son oncle, le Révérant Père Compagnon, directeur des Missions étrangères, lui fait faire ses études à l’Ecole cléricale de Rimont (Saône-et-Loire) où il est un brillant élève, doué pour les lettres. Après avoir accompli son service militaire au 56e RI de Chalon, il se dirige vers le journalisme, devient correcteur d’imprimerie au Courrier de Saône-et-Loire puis grimpe les échelons dans ce journal pour être successivement secrétaire de rédaction et rédacteur en second, signant de nombreux articles. En 1907, il publie Primevères, un recueil de poésie. Marié, il a deux enfants, Henri (né en 1906) et Juliette (née en 1911) et un frère, Pierre, combattant également comme sergent infirmier (en 1916). La guerre le mobilise à Gray comme caporal infirmier, peut-être du fait de sa myopie, mais il désire rejoindre son unité au front. Il y parvient en décembre 1914, y passe rapidement sergent et semble avoir de l’ascendant sur ses camarades qui le surnomment le « Père de la compagnie », la 8e du 56e. Son présentateur, anonyme, indique même que « la tranchée où il succomba fut dénommée par les Autorités militaires : « Tranchée Compagnon » (page 9). Le 7 octobre 1915, il est tué alors qu’il se porte au secours d’un blessé au lieu-dit « Le Caméléon » à Sommes-Suippes (Marne) en Champagne et est inhumé au cimetière du « Voussoir », près de Tahure. Son nom est inscrit sur l’un des murs du Panthéon.
2. Le témoignage
Compagnon, Auguste, Poèmes et lettres des tranchées. Œuvres posthumes. Chalon-sur-Saône, Association Amicale de la Presse Chalonnaise, 1916, 148 pages.
L’ouvrage se compose de trois parties ; une biographie panégyrique, empruntant plusieurs courriers de ses supérieurs, compagnons d’armes et collègues de la presse en formes de condoléances (33 pages) ; des poèmes de tranchées (33 pages) et ses lettres de tranchées (70 pages). C’est cette partie de l’ouvrage qui fait l’objet de la présente analyse.
3. Analyse
Adressées à plusieurs personnes anonymes de différents milieux (confrères de la presse, amis, comités de secours et sa famille), ses lettres couvrent une année de guerre, du 12 octobre 1914 au 5 octobre 1915. Dans un ouvrage ouvertement panégyrique, Auguste Compagnon est à classer parmi les témoins patriotes. Lui-même confirme dans un courrier du 4 mars 1915 qu’il s’est donné une mission dans la guerre : « Si, au point de vue formation
militaire, je ne suis pas un bon soldat (myope comme je suis surtout), j’ai conscience d’être utile par mon influence sur mes camarades. Je réchauffe leur patriotisme, j’impose silence aux brebis galeuses (car il y en a), je leur communique mon sang-froid et ma bonne humeur. J’ai conscience depuis que je suis ici, d’avoir beaucoup relevé le moral des hommes, dont beaucoup hélas ! déprimés par les privations, ne songeaient qu’à se faire évacuer » (pages 132-133). Il se bat car il ne tient pas « à recommencer, dans quelques années, une aussi rude campagne, encore moins à en passer la charge à nos fils » (14 juillet 1915, page 82). Dès lors la réalité épistolaire de sa guerre est sujette à caution, mais l’ensemble de l’ouvrage est éclairant sur la dialectique patriotique. Ainsi, évoquant l’ennemi prisonnier : « Ils auraient pu résister encore ou, du moins, bravement mourir. Mais ils sont venus à nous, drapeau blanc déployé, en se traînant sur les genoux, en nous tendant, pour nous apaiser, leurs musettes, leurs bidons, leurs effets d’équipement. Tous très jeunes, vingt ans au maximum, à part une dizaine. Et déjà tous lassés de la guerre, déclarant qu’ils en avaient assez, tous heureux et non pas honteux d’être pris. Voilà les nouveaux soldats du Kaiser, le suprême espoir de l’Allemagne épuisée » (16 mai 1915, pages 78-79). Jusqu’au bout, il diffuse ce bourrage de crâne, minore « la casse » et souscrit aux pertes, lourdes uniquement chez l’ennemi : « (…) le corps le plus éprouvé, le 14e, n’avait que 3 000 hommes hors de combat (dont 2 500 blessés, et la plupart peu gravement. Au contraire, on cite des régiments boches, dont il ne reste que 22, 23 et 60 survivants) » (4 octobre 1915, page 83). Le caractère inoffensif des obus est une antienne (pages 109 ou 131). Il n’est pas question pour lui de fraternisation : « J’ai ouï dire qu’en certains régiments, les hommes s’amusaient à parlementer avec les Boches. Ici, rien de tout ça. Les officiers ne le permettraient pas et les hommes n’y sont pas disposés. On ne se parle entre ennemis qu’à coups de fusils » (18 février 1915, pages 92-93). Il confesse toutefois, avec la même outrance inversée, que cela existe aussi dans son régiment le 14 juin suivant : « nous ne sommes dans notre secteur qu’à une dizaine de mètres des Boches, – pas plus – mais ces Boches-là ne manifestent aucune ardeur guerrière. Ils parlementent, au contraire, avec nos sentinelles, montrent la tête et jusqu’à la poitrine pour inspirer confiance, envoient des saluts militaires, des bouffées de tabac et de vielles boîtes de fer-blanc contenant, dit-on, des écrits, mais que nul ne songe à aller ramasser, car elles tombent assez loin de la tranchée, sur une pente d’où l’on est vu de partout » (page 100). Le 3 mai 1915, il évoque son retour du front et son ambition « aussitôt rentré, de constituer une ligue des combattants de 1914-1915, qui n’aurait d’autre mission que : 1° De maintenir, entre Français l’Union sacrée, en reléguant chez Satan l’infâme politique, cette nourricière des charlatans ; 2° De mettre toute sa force au service exclusif de l’intérêt général (soit du pays, soit de la cité), et de ne mettre à la tête des affaires que les hommes les plus compétents, abstraction faite de toute considération de nom, de fortune et autre futilité ; 3° De surveiller étroitement toute tentative de retour… pacifique des Boches » (3 mai 1915, page 94). Le 4 mars 1915, il rédige une violente charge contre les embusqués : « J’apprends avec plaisir qu’on fait déménager les embusqués. Quelle triste mentalité que celle de ces lâches qui s’embusquent, et quelle responsabilité ils assument devant leurs enfants et les générations à venir ! (…) Ah ! dans leur égoïsme épouvantable, ces gens-là se réservent un bien pâle avenir : honteux de se réjouir d’une victoire à laquelle ils n’auront pas contribué et si, par impossible, nous étions vaincus, bien obligés de s’avouer qu’il sont responsables de la défaite. Ah ! je ne les envie pas, ces émasculés là ! » (pages 129-130). Il explique également le patriotisme de ses camarades du front : « Les Boches ont attaqué, mais ils ont été tenus toujours à une respectable distance. Ainsi, pas de prisonniers de vive force. Très peu aussi de prisonniers volontaires, car, en passant d’une tranchée à l’autre, ils se feraient, le jour, fusiller par les leurs, la nuit par les nôtres qui tirent au moindre bruit. Il faut des circonstances exceptionnelles pour qu’ici, Français ou Boches capturent, vivants, quelques-uns de leurs adversaires » (4 mars 1915, pages 130-131).
Yann Prouillet, janvier 2013