Cet intéressant témoignage sur les sentiments d’une Lorraine de Sarrebourg au cours de la première année de guerre est intitulé Impressions de guerre 1914-1918, Journal de guerre de Mimi Jacob, sans mention d’éditeur mais avec un ISBN 978-2-7466-7598-8. Si on retourne le livre, c’est un nouvelle couverture, celle des Impressions de guerre 1914-1918, Carnet de guerre de Roger Gamel, poilu aveyronnais. Le livre double est le résultat d’un travail pédagogique réalisé au lycée Louis Querbes de Rodez (Fax 05 65 78 12 32) sous la direction de Jean-Michel Cosson, professeur d’histoire et de géographie, et de Sandrine Garriguet, documentaliste. Il semble hors commerce mais il est peut-être possible de se le procurer en s’adressant à ce lycée. Je l’ai moi-même reçu sans commentaire.
Les renseignements biographiques concernant Mimi Jacob sont donnés par sa petite-fille Michèle Raccah. Mimi est née en 1894 à Schalbach, Moselle, dans une famille juive. Pendant la guerre, célibataire (elle se mariera en 1919), elle vit avec ses parents à Sarrebourg. Son journal personnel est tenu sur deux cahiers, du 31 juillet 1914 au 21 avril 1915, écrits en français. Certains passages en allemand sont traduits. Le fond sonore de ces récits est le bruit du canon. Il y aurait un troisième support, un carnet, dont le contenu n’a pas été transcrit.
Le milieu social de l’auteur n’est pas précisé, mais il semble bien que Mimi ait appartenu à une famille aisée et qu’elle ait fait suffisamment d’études pour écrire avec une certaine facilité. L’expression de ses sentiments révèle de la finesse. Ainsi, dès le 31 juillet 1914 (p. 6), après la description du départ d’un jeune officier, père d’un bébé de trois jours, cette phrase : « Tous ces affreux détails vous glacent d’effroi et vous font entrevoir cette horrible chose inconnue qui s’appelle « la guerre » ! » Elle ne sait pas ce qu’est la guerre, mais elle comprend qu’elle sera horrible.
Mimi et sa famille sont des Lorrains restés français de cœur. Cela se voit dès le début, et de plus en plus en avançant. Les Allemands sont décrits (p. 48) comme des « Huns effrayants qui achèvent à coup de crosse, impitoyablement, ceux que les obus n’ont pas tués ». « Puisse leur châtiment être aussi affreux que leurs crimes ! » A l’hôpital, les infirmières allemandes sont de mauvaises femmes, avec cependant une exception (p. 54). L’enterrement d’un soldat provoque la compassion (p. 107) : « Nous aussi nous pleurons et nous souffrons sincèrement pour cet étranger, cet Allemand, autant dire cet ennemi ; au fond tout de même le cœur n’a pas de frontière, et c’est bon de le sentir. »
Les premières pages décrivent l’atmosphère au moment de la mobilisation (p. 7-10) : les arrestations préventives de « bourgeois de la ville soupçonnés antiallemands » ; le triste départ des hommes de la Landsturm ; un ouvroir où les dames qui cousent des chemises ne parlent que français ; l’inscription de Mimi dans un cours d’infirmières. Arrivent de nombreux blessés bavarois qu’il faut rapidement évacuer car, s’écrie un médecin allemand : « L’ennemi approche, l’ennemi va entrer ici, et il ne doit pas tuer nos blessés dans leurs lits ! » Les 16 et 17 août, la description de Sarrebourg « entre deux feux » constitue une très belle page (p. 17). Le 18 août, « grande, belle, bonne émotion de cette guerre : des cuirassiers français à Sarrebourg ! » Les Jacob se réfugient dans la cave, pleins d’angoisse pour eux-mêmes et pour les soldats français qui rencontrent une vive résistance (p. 19) et doivent se replier et abandonner la ville.
Désormais, on vit comme sous une occupation. Il est défendu de parler français dans les rues. « Les Allemands et les pangermanistes d’ici deviennent de plus en plus insolents », écrit Mimi, formulation ambigüe. Y aurait-il des Lorrains pangermanistes ? L’exemple qu’elle donne ensuite prouve que c’est bien le cas. Les Allemands célèbrent la prise d’Anvers, mais qu’est-ce qu’une victoire ? « La ville en flammes, la population en fuite, en partie tuée en route par les bombes qui éclatent de toutes parts, voilà les sinistres éléments dont se compose une victoire ! »
Mimi est consciente de la partialité des journaux allemands ; elle sait qu’il faut décrypter les nouvelles triomphales qu’ils diffusent. On arrive à lire quelques journaux suisses ou italiens, et même une belle page décrit une scène de lecture clandestine de deux journaux français parvenus on ne sait comment (p. 114). L’opposition de Liebknecht à la guerre est connue le 20 mars 1915, et Mimi signale la suspension de périodiques socialistes pour avoir publié des articles blessants pour l’Autriche. Elle donne même le texte d’un article du Vorwärts condamnant le chauvinisme, malheureusement sans donner la référence précise, ni expliquer comment elle se l’est procuré (p. 109).
Elle sait montrer la confusion de la situation et des sentiments, l’alternance des moments d’exaltation et d’abattement. La faim et les restrictions menacent l’Allemagne (p. 82) : « Nous saluons toutes ces nouveautés avec un vif contentement, quoique nous soyons les premiers à en souffrir ! » L’armée allemande semble éprouver des difficultés sur le front russe (p. 83) : « Il est à espérer que c’est bon signe ; mais là aussi la joie s’accompagne de regrets, car beaucoup d’Alsaciens-Lorrains ont été expédiés là-bas, pour y endurer toutes les souffrances et toutes les privations. »
Je pense que ce texte mériterait d’être connu.
Rémy Cazals, septembre 2015