Né à Arvieu (Aveyron) le 19 juillet 1910, le grand historien de l’Empire britannique et de la décolonisation est mort à Paris le 3 novembre 2012. Il était issu d’un milieu conservateur et royaliste par tradition, dans lequel on se méfiait des Lumières et des intellectuels considérés comme improductifs, inutiles et dangereux : « Dans ce vase clos, voué à l’ignorance, aux rancunes mille fois ressassées, tout allait à l’encontre de l’idée même de progrès, plus combattue que favorisée par toutes les autorités sociales. On cultivait la tradition dans ce qu’elle avait de détestable et on refusait, comme mauvaise, toute innovation. » Ni l’école primaire, ni le collège religieux n’ont apporté au jeune Grimal de quoi s’émanciper jusqu’à ce que, pupille de la nation, il puisse aller au lycée de Rodez et découvrir un autre monde. C’est la formation de sa jeunesse qu’il a voulu raconter dans un texte autobiographique publié en 2005 (voir le cas d’Henri Michel). La guerre de 14-18 en occupe les premières pages.
Les souvenirs qu’il a de la mobilisation « restent assez imprécis », mais suffisants pour dire qu’elle ne s’est pas faite la fleur au fusil, tous ceux qui partaient ayant hâte de rentrer à la maison. Henri Grimal évoque la correspondance de ses parents, qu’il a conservée. Le père, soldat, écrit dès le 23 août 1914, en pleine bataille en Lorraine : « Je ne peux pas m’expliquer sur ce qui se passe ici, de peur que ma lettre tombe entre des mains indiscrètes. » Il cherche secours dans la protection de la Sainte Vierge, mais il est blessé au genou et évacué vers l’hôpital de Rodez où son fils ne le reconnaît pas dans cet homme fatigué et triste, au « visage pâle et terriblement amaigri [qui] s’orne d’une grande barbe noire ». Henri Grimal va perdre à la guerre son père (en 1917) et un oncle. Ces décès marqueront aussi la mort de la ferme familiale. Le livre décrit longuement l’épisode de la construction du monument aux morts du village (p. 226-232), mais précise que le massacre avait porté un rude coup au nationalisme, tandis que le spectacle de ceux que la guerre avait transformés en invalides finit par ne susciter que de l’indifférence.
Un épisode rarement décrit ailleurs est celui du déserteur qui, blessé et venu au village en convalescence, n’avait pas rejoint son unité. Les gendarmes le cherchaient partout, mais n’auraient pas eu l’idée qu’il pouvait être caché dans la maison familiale par sa pieuse sœur au patriotisme incontestable.
Rémy Cazals
*Henri Grimal, L’Envol, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Toulouse, Presses de l’université des Sciences sociales, 2005, 355 p.
Voivenel, Paul (1880-1975)
1. Le témoin
Son père, d’origine normande, était capitaine de gendarmerie dans les Hautes-Pyrénées, ce qui explique la naissance de Paul Voivenel à Séméac, le 24 septembre 1880. Il fait des études de médecine à Toulouse et se spécialise dans les maladies mentales, montrant aussi un vif intérêt pour la littérature et le rugby. Lors des manœuvres de 1913, il sauve la vie de l’attaché allemand von Winterfeldt, victime d’un accident, ce qui lui vaut une décoration prussienne qu’il renvoie lors de la déclaration de guerre. Pendant la guerre, il devient médecin de bataillon au 211e RI de Montauban, puis au 220e. Il connaît les premiers échecs de 1914, la Marne, les attaques stériles de 1915, puis deux engagements à Verdun, en février et septembre 1916. Il est alors nommé médecin chef de l’ambulance 15/6, puis d’une ambulance Z, spécialisée dans les soins des victimes des gaz.
Après la guerre, il reprend son activité de médecin neuropsychiatre à Toulouse, rédigeant de nombreuses chroniques médicales, littéraires et sur le rugby (il est président d’honneur de la Fédération française de ce sport). Le monument aux morts de son village d’adoption, Capoulet-Junac (Ariège), dû au ciseau de son ami Bourdelle, est inauguré par le maréchal Pétain en novembre 1935. Grand notable, ses sympathies le portent vers le maréchal au pouvoir. Ses œuvres du début des années 40 en témoignent, mais il n’est pas inquiété après la chute du régime.
2. Le témoignage
Jean Norton Cru donne à Paul Voivenel une place dans Témoins. Il cite quatre livres de réflexions, écrits en collaboration : Le courage (1917) qui ignore les meilleurs témoins, cite quelques bons et beaucoup de médiocres ; La psychologie du soldat (1918), plus concret, mais marqué par un nationalisme superficiel ; Le cafard (1918), affaibli par la prise en compte des héros de romans ; La guerre des gaz (1919), journal d’une ambulance Z, étude émaillée de souvenirs personnels sur le service de santé en général. Jean Norton Cru estime que Voivenel a eu raison de publier ces volumes, mais qu’il n’a pas fait montre d’assez d’esprit critique, qu’il s’est laissé prendre aux pièges d’une littérature verbeuse et irresponsable. Sa conclusion : « Nous aurions beaucoup gagné, et Voivenel aussi, à ce qu’il s’en tînt à sa 67e division et à son poste de secours. »
Voivenel s’est félicité des remarques positives de JNC et a admis ses critiques : « Il fait à mes livres de guerre les reproches que précisément je leur ferai moi-même. » Mais il avait tenu un carnet personnel et, piqué au vif par la conclusion de JNC, il le publie entre 1933 et 1938, en quatre volumes faisant un total de 1256 p., sous le titre Avec la 67e DI de réserve (Paris, Librairie des Champs Elysées), recueillant les appréciations favorables de Genevoix, Dorgelès, et Pétain. Gérard Canini en a donné les passages concernant Verdun, tirés des tomes 2 et 3, dans Paul Voivenel, A Verdun avec la 67e DR, Presses universitaires de Nancy, 1991, 186 p.
3. Contenu
Le docteur Voivenel décrit les illusions des premiers jours, puis l’adaptation à la guerre des tranchées. En plein accord avec Jean Norton Cru et tant d’autres bons témoins, il note qu’il n’a pas observé de blessure par baïonnette. Pour médecins et infirmiers, les périodes calmes alternent avec l’afflux de blessés qu’on ne peut soigner que sommairement (voir Albert Martin et Prosper Viguier). Il note la distribution de gnôle avant l’attaque et le fait qu’à ce moment-là, « ne pas obéir serait se déshonorer ». Il critique les attaques stupides pour alimenter le communiqué : « Pour ne rien obtenir on s’est entêté à sacrifier des hommes. » Voivenel s’en prend aux officiers d’état-major « tirés à quatre épingles » et aux décorations distribuées de manière scandaleuse. Le fantassin, quant à lui, « veille, il creuse, il va en patrouille, il vit en permanence au milieu des dangers qui excitent l’imagination des autres. Il ne se croit pas héroïque, mais il plante des piquets en avant de la tranchée, installe des réseaux de fil de fer, porte sur le dos d’énormes rondins, le charbon, la chaux, va au ravitaillement à une heure de marche par tout temps, se fait par surcroît tuer dans des assauts dont le pourcentage de pertes est presque connu à l’avance, et… passe devant le Conseil de guerre à la moindre vétille. » Le docteur note des blessures ou maladies « bidon » quand ça se gâte, mais il admet la « peur morbide » et défend toujours les soldats : il est fier qu’aucun n’ait été fusillé au sein de la 67e division.
Il critique les embusqués (notamment certains confrères toulousains, ainsi que les journalistes) et le bourrage de crâne, donnant à Barrès le titre de « littérateur du territoire ». Il partage la mauvaise appréciation de Jean Norton Cru sur Barbusse et Remarque, mais épargne son ami Dorgelès. D’ailleurs, les légendes peuvent avoir l’utilité de maintenir le moral. Se retrouver entre Méridionaux, et parler occitan, cela peut avoir le même effet. Mais, au final : « De près, c’est ignoble. C’est affreux la guerre. »
Rémy Cazals