Cocho, Paul (1879-1951)

1. Le témoin
Fils d’épicier, Paul Toussaint Marie Cocho est né à Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord) le 9 janvier 1879. La famille est très catholique. Paul va à l’école chrétienne de garçons et obtient le Certificat d’études primaires. Marié en 1906, il reprend l’épicerie paternelle. Il a quatre enfants, le dernier en 1914. Il adhère à diverses associations chrétiennes. Il poursuit ses pratiques pendant la guerre (messe, prières) et affirme sa soumission à la volonté de Dieu (p. 36). Cependant, au moins au début, il négocie à plusieurs reprises par l’intermédiaire de Notre Dame du Perpétuel Secours : prières contre avantages divers. Une décision favorable d’un médecin est attribuée à son intervention (p. 37) ; le fait de rester au chaud dans l’abri, pendant que les camarades vont travailler en première ligne, doit aussi à ce que la Vierge lui a encore « accordé sa protection ». Curieusement, cette pratique cesse en octobre 1915. Paul Cocho continue d’aller à la messe quand c’est possible, mais il n’est plus question de Notre Dame du Perpétuel Secours, et ses considérations sur la fragilité de la destinée humaine, sur la mort des camarades (p. 168, 177, 187, 216) ne sont accompagnées d’aucune référence explicite à Dieu ou à son entourage. Après la guerre, il continuera à s’occuper d’associations catholiques et sera nommé chevalier de l’ordre de Saint Grégoire le Grand par le pape sur proposition de l’évêque de Saint-Brieuc.
Paul Cocho, caporal en 1914, a un certain goût des grades et des décorations. Sergent en 1915, il devient officier, sous-lieutenant en 1916, lieutenant en 1918. Il obtient quatre citations et en est très fier, après avoir, cependant, critiqué l’incohérence et l’injustice qui président à leur distribution (p. 55, 94). Il est heureux de recevoir la Croix de guerre juste avant de partir en permission afin de pouvoir la montrer (15/11/15). Le 29 avril 1917, il écrit qu’il a « le secret espoir de décrocher d’autres citations et peut-être le ruban rouge » ; il obtient celui-ci le 12 juillet 1919.
Sur le plan politique, il estime que la République vaut mieux que l’absolutisme (p. 179) et il admire la démocratie telle qu’elle se pratique au Danemark, y compris le rôle politique des femmes (p. 215). Mais il souhaite pour la France « que dans l’avenir elle ait un gouvernement plus digne d’elle » (p. 83) et qu’on y reconnaisse « l’importance de la famille nombreuse » (p. 154). Il condamne « les honteuses fiches » du général André, ministre de la Guerre (p. 178) et craint le danger de la contagion bolchevique (p. 181).

2. Le témoignage
Paul Cocho a rédigé son témoignage de guerre sur 9 petits carnets conservés par la famille qui a participé à la publication du livre : Mes carnets de guerre et de prisonnier 1914-1919, Presses universitaires de Rennes, 2010, 225 p. Le livre est préfacé par Fabienne Bock. Il est illustré de quelques photos et complété par des extraits de l’Historique du 74e régiment d’infanterie territoriale. La guerre occupe 107 pages, datées du 31 octobre 1914 au 27 mai 1918, avec des lacunes, notamment de juillet 1917 à mars 1918. Les quelques jours précédant sa capture sont décrits sur un carnet acheté en Allemagne, et il enchaîne sur sa captivité. Cette période, du 27 mai 1918 au 16 janvier 1919 occupe 96 p. Sans doute disposait-il de plus de temps pour écrire, mais il faut voir aussi dans ces longs développements la volonté de raconter une histoire devenue strictement personnelle, celle de l’individu blessé, capturé, soigné (voir des cas semblables dans les notices Bieisse et Tailhades).
Paul Cocho écrit bien ; il fait peu de fautes d’orthographe. Son récit nous apprend qu’il « cause un peu littérature » avec un lieutenant (p. 75) ; prisonnier, il lit ce qui lui tombe sous la main, et fait une longue digression sur Renan dont il connaît deux ouvrages (p. 175).
Les carnets ressemblent parfois à de la correspondance, car il s’adresse à sa femme. Quelques passages ont été rendus illisibles sur l’original, vraisemblablement par l’auteur lui-même. L’un, de 16 lignes, pourrait correspondre à une évocation des mutineries (mai-juin 1917) ; d’autres suivent des considérations sur les femmes allemandes (p. 148, 198).

3. Analyse
– En octobre et novembre 1914, c’est la guerre en Belgique. Paul Cocho décrit des spectacles épouvantables de corps déchiquetés (p. 22), les longues périodes où on attend la mort, presque sans boire ni manger, ni dormir (p. 25). Il est évacué, épuisé, et avoue : « J’ai été témoin de choses qui ont refroidi mon ardeur du début. Je n’imaginais pas la guerre de cette façon ! Ce n’est pas que j’ai peur et je ferai mon devoir si je retourne au feu, mais enfin, je crois qu’après ce que j’ai fait, je puis légitimement essayer d’échapper à la fournaise. » D’autant qu’il existe des embusqués : « On souhaite les tranchées à tous ces gens si tranquilles et si paisibles. » « D’une façon générale, je crois que tout le monde en a assez. L’enthousiasme du début a fait place chez les uns à une sorte de résignation, chez les autres à un profond découragement. » Ce même jour, 22 novembre 1914, il note que beaucoup voient la guerre terminée à Noël ; lui pense qu’elle va « durer longtemps encore, jusqu’à Pâques au moins ». Et le lendemain : « La conversation à peu près unique a roulé, comme d’habitude, sur la durée de la guerre. L’on sent que tout le monde, à quelques exceptions près, commence à en avoir assez. » Toutefois, les Alliés ayant la maîtrise de la mer et pouvant se ravitailler, ils finiront par l’emporter.
– 1915 et 1916 : Paul Cocho se trouve dans les tranchées, toujours en Belgique, menant une guerre étrange (p. 43) : « Qui aurait cru qu’elle aurait consisté à se tenir tapis, au fond des trous, guettant l’ennemi en première ligne, allongés au fond de la tranchée, et attendant les événements en deuxième ou troisième ! » Une guerre différente selon que l’on est artilleur ou fantassin (p. 72), ou bien encore embusqué, sans oublier la catégorie des « embusqués du front » (p. 78), décrite aussi par Louis Barthas. Il présente un capitaine nouveau venu qui a contre lui de devoir commander « à une majorité d’hommes qui font campagne depuis dix mois » ; un autre officier, heureux de prendre en ligne « un commandement vraiment actif et amusant », et Cocho de commenter : « Il se pourrait bien qu’il le trouvât rapidement un peu trop amusant ! » et il ajoute : « Il a encore tous les enthousiasmes et toutes les naïvetés de ceux qui n’ont pas vu vraiment le feu ! » (p. 89). Le 23 septembre 1915, notre Breton décrit l’exécution d’un soldat français. Le 30 juillet 1916, il visite l’ambulance américaine de Mrs Depew.
– Sous-lieutenant affecté aux communications, il se sent lui-même devenir un peu un embusqué (p. 98). De fait, il bénéficie d’un nombre incroyable de permissions entre décembre 1916 et avril 1917, et en prend même une illégale (p. 107). Il fait partie des auteurs de carnets qui ne notent rien pendant les périodes de permissions, en dehors du cafard au moment de repartir (p. 80, 99). Au front, il signale le plaisir de pouvoir parler de la famille et du « pays » avec d’autres Bretons. Il considère les soldats bretons comme des troupes d’élite (p. 40), et les printemps bretons comme les plus jolis (p. 113). Au début de 1917, il décrit les préparatifs de l’offensive, puis son échec en mai attesté par « le remue-ménage qui se fait dans le haut commandement ». Rappelons que 16 lignes rendues illisibles concernaient peut-être les mutineries.
– Blessé et capturé lors de l’offensive Ludendorff sur le Chemin des Dames, le 27 mai 1918, il est soigné, bien traité (p. 126), regardé avec pitié par la population (p. 131). Au lazaret de Mayence, puis au camp de Czersk en Pologne, on ne peut mener qu’une vie végétative dans laquelle l’alimentation joue le rôle principal : rations insuffisantes, compensées par les colis envoyés par sa femme. Si le premier colis ne lui parvient que le 8 septembre, celui du 22 novembre est le 27e. C’est alors l’abondance, et le prisonnier, en promenade, peut distribuer du chocolat aux gamins allemands ravis. En septembre, les Russes donnent des concerts qui ont pour auditeurs Français, Anglais, Italiens, Roumains, Américains et Allemands. Autre spectacle : voir passer les civils, avec un intérêt particulier pour les femmes allemandes, qui portent souvent des toilettes élégantes, mais qui ont toujours « une très forte cheville » (p. 158). Paul Cocho suit l’évolution de la guerre dans la presse berlinoise, la marche en avant des Alliés, les négociations pour l’armistice, la révolution allemande. Curieusement, alors que tant de soldats français éprouvent une forte rancune pour l’empereur Guillaume (et aussi pour Poincaré), Paul Cocho pense que le Kaiser « n’a fait que réaliser les aspirations de son peuple » (p. 182). Reste que, le 16 novembre 1918, le drapeau rouge flotte au-dessus du camp. La période qui suit, au cours de laquelle Paul et ses camarades sont à la fois des prisonniers de guerre et des vainqueurs, est très complexe. Les Allemands, heureux de la fin de la guerre (p. 185), s’amusent (p. 193), et les anciens prisonniers font de même, tout en souhaitant un retour rapide au pays.

Rémy Cazals, 18 mai 2011

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Pomès, Joseph (1883-1966)

1. Le témoin
Joseph Pomès est né le 9 novembre 1883 à Pessan (Gers) dans une famille de paysans aisés. Il est allé à l’école de Castelnau-Barbarens, où il était en pension chez l’instituteur. Il a fait son service militaire dans les Dragons. Célibataire en 1914, il est affecté au 18e RAC avec pour tâche le ravitaillement des batteries de 75. Il vit donc surtout dans l’arrière-front, mais les déplacements fréquents sont pénibles et dangereux. Son régiment est en Champagne d’août 1914 à avril 1915 ; dans la Somme d’avril 1915 à mars 1916 ; à Verdun de mars 1916 à juin 1918 ; il participe à la deuxième bataille de la Marne et à la contre-offensive. Il est démobilisé le 19 mars 1919.
Dans une lettre, Emmanuel de Luget, le présentateur du témoignage, m’écrit ceci : « Joseph Pomès n’a ramené aucune séquelle de ces années de guerre : ni blessure, ni maladie, ni troubles du sommeil, comme si la page était tournée, l’affaire classée, naturellement. Il n’était pas taciturne, mais au contraire d’un tempérament gai. Il n’en parlait pas, sauf avec les gens de sa classe. Pas d’esprit d’ancien combattant non plus. À son retour, il a repris la ferme, sans en étendre la superficie, avec un domestique à l’année et un pour les gros travaux. C’était un propriétaire aisé. Il aimait la chasse, mais pas la pêche. Il avait la passion des chevaux. Il en a toujours eu, même avant la guerre, et n’a jamais voulu d’automobile : il se rendait au marché d’Auch en voiture à cheval. »
Il s’est marié à Pessan, le 3 mai 1920. Il a pris sa retraite peu après la Deuxième Guerre mondiale, et son gendre a repris l’exploitation. Joseph Pomès est décédé à Pessan le 24 décembre 1966.

2. Le témoignage
Joseph Pomès a commencé un premier carnet et lui a donné comme titre « Campagne de 1914 », devant ensuite rajouter les autres années. Le témoignage comprend un deuxième carnet et 200 lettres du front adressées à sa famille. Emmanuel de Luget m’écrit que sa fille et sa femme ont lu les carnets. Ils ont été ensuite « rangés » dans une caisse en bois au grenier. Personne, pas même lui, ne s’en est plus occupé. « On les y savait », sans plus. On les a retrouvés, un peu attaqués par les souris. Emmanuel de Luget a transcrit les documents et les a réunis dans l’ordre chronologique de rédaction, sous la forme d’un tapuscrit de format A4 intitulé « Les carnets de guerre de Joseph Pomès 1914-1919, Texte enrichi de plus de 200 lettres du front ». Il en a rédigé l’avant-propos, et a ajouté trois photos et une chronologie des déplacements de l’auteur.

3. Analyse
Le présentateur remarque très justement que Joseph Pomès s’intéresse surtout à ce qui se passe « au pays », à la vie de l’exploitation, à la famille. La lettre du 8 octobre 1914, par exemple, évoque les travaux : « Enfin je vois que vous vous êtes débrouillés pour faire les travaux. Le dépiquage a dû cependant être long faute de personnel et si vous avez terminé les labours vous avez dû vous lever quelquefois de bonne heure. » La même lettre et d’autres se préoccupent des blessés et des morts du village. Son meilleur copain est Ernest Vignaux, le boulanger de Pessan, « avec qui nous faisons la campagne ensemble depuis le début et que je considère comme un frère » (15 juillet 1915). Mais, le boulanger mobilisé et la farine étant de mauvaise qualité, le pain est mauvais à Pessan. Les parents de Joseph lui ont demandé de transmettre l’information à son copain.
L’évolution de la pensée de Joseph est intéressante. Il part « avec confiance et espoir que ce sera vite fini » (7 août 1914). Dès le 8 mai suivant, il critique un autre Gersois « qui a eu la veine de rester jusqu’à ce moment au dépôt et qui était paraît-il au moment de la mobilisation si partisan de la guerre ; il ne dira pas peut-être toujours pareil. » Celui-là ne semble pas être le seul : « Il y en a beaucoup qui au début criaient « À Berlin » eh bien ! à présent ils sont rares parce qu’on s’aperçoit que nous en sommes loin, aussi beaucoup de ceux-là demanderaient plutôt la paix » (16 mai 1915). Le 21 mai encore : « Nous avons l’occasion de parler tous les jours avec les fantassins. Ils commencent d’en avoir assez. Ils sont découragés, ils n’ont pas tout le tort, car lorsqu’ils veulent sortir des tranchées l’ennemi est si bien retranché qu’ils sont mal reçus par les mitrailleuses, et comme ordinairement c’est toujours celui qui attaque qui casque, c’est pour cela qu’ils ne prennent guère plaisir de monter à l’assaut. » Le tapuscrit contient aussi une lettre de même époque (23 mai), adressée par un soldat du Gers (du 288e RI) aux parents Pomès à Pessan : « Vous me dites de faire tout mon possible pour repousser ces troupes valeureuses et infâmes boches. Oui, cela est beau à dire, mais pas commode à faire et je n’y tiens pas trop à le faire non plus parce que j’en vois trop les conséquences. Mourir pour la Patrie, c’est beau aussi, mais pour moi la Patrie c’est moi, aussi j’étais Patriote mais cela, voyez-vous, m’est passé, et tous ceux qui sont avec moi sont du même avis. Personne ne demande à les taquiner pour les faire partir chez eux. Quand on nous parle de cela, le mal de ventre n’est pas loin. On nous a bourré trop les crânes. »
Plus le temps passe, plus les propos se font virulents. Ainsi le 28 décembre 1917 : « De la victoire à présent on s’en fout mais ce que nous demandons c’est la paix. » Le 10 mars 1918 : « Que vont dire les Parisiens avec les visites si fréquentes des gothas. Ils ne crieront pas tous jusqu’au bout. » Le 5 mai, il s’insurge contre le contrôle de la production et donne à ses parents ces conseils : « Levez-vous tard, couchez-vous de bonne heure, ce qui veut dire travailler pour le nécessaire, soignant la vigne et le bétail, mais ce que je vous recommande n’allez pas vous esquinter pour faire venir du blé. » Mais, en juillet, un sursaut lui fait écrire : « Il faut s’attendre sous peu à un autre coup de torchon. On craindrait à une forte secousse justement sur le point où nous sommes. Eh bien ! ils peuvent venir, nous les attendrons de pied ferme, ils ne passeront pas ! C’est le cri du jour. » Et, le 3 septembre, notant le recul des Allemands, l’agriculteur s’indigne de ce « qu’ils poussent leur méchanceté jusqu’à couper tous les arbres fruitiers. La plus grande partie c’est des pommiers. Ils sont sciés à un mètre de haut. »
Notons enfin trois remarques ponctuelles sur le début de la guerre : la réquisition des chevaux le 4 août 1914 ; un suicide dès le 14 août ; un blessé allemand soigné et nourri en septembre 1914. Au total, même s’il s’agit du témoignage d’un « combattant non directement engagé dans les combats », on peut dire avec Emmanuel de Luget : « La Grande Guerre, c’est aussi la guerre de Joseph Pomès. »
Rémy Cazals, 5 mai 2011

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Andrieu, René Charles (1891-1963)

1. Le témoin.

René Charles Andrieu est issu d’une famille de petit propriétaire terrien du Lot-et-Garonne, cultivant notamment de la vigne. Après des études de droit, il résilie son sursis et est incorporé au 9e RI à Agen en 1913. C’est en qualité de simple soldat qu’il est mobilisé en août 1914 dans l’armée d’active. Il est blessé une première fois au bras en janvier 1915 dans la Marne, et échappe ainsi au front durant cette terrible année. Il passe sergent dans une compagnie de mitrailleurs à son retour sur la ligne de feu. Il se porte volontaire pour plaider au conseil de guerre de la 10e armée. 1916 voit René Charles Andrieu circuler du Grand Couronné de Nancy, à la Marne, puis s’installer durablement autour de Verdun de juillet 1916 jusqu’au début de l’année 1917. Au mois de mars, son unité se déplace en Champagne et participe à l’offensive Nivelle, en avril, à l’est du dispositif, en face du Mont sans Nom : il passe alors plusieurs jours au feu. Après une permission, il prend son cantonnement à Pont-sur-Meuse et finit l’année comme sous-lieutenant. Retour sur Verdun et Bar-le-Duc, enfin, avant de combattre au printemps de 1918, après 70 jours loin des tranchées (lettre du 6 avril 1918), d’abord sur la Meuse puis sur l’Aisne du côté de Soissons et Saint-Quentin (octobre 1918). Il est finalement blessé une deuxième fois le 5 novembre à Guise. Il participe au défilé du 14 juillet 1919 à Paris avant d’être démobilisé à Agen en août de la même année.

2. Le témoignage.

Celui-ci se compose d’environ 400 lettres écrites pour la grande majorité d’entre elles entre 1914 et 1918. Tour à tour adressées à sa mère et à sa sœur, plus rarement à son père, elles composent un corpus cohérent qui permet de suivre le parcours de ce jeune fantassin. Souvent longues, elles ont eu pour première fonction de renseigner sa famille sur son état. Comme la majorité des correspondances de guerre, elles permettent de tisser un lien, même ténu, entre le soldat et sa famille. Le vocabulaire utilisé et les thèmes abordés dénotent une adaptation progressive du jeune soldat au temps de guerre, tout en trahissant derrière des préoccupations toutes militaires, le souci de rester attaché à son identité civile (demande de renseignements sur le village, les travaux agricoles). La présentation du secteur, du confort matériel, des situations vécues occupent la majeure partie du courrier envoyé : il s’agit bien de rassurer ceux qui recevront les lettres, de matérialiser aussi sa position pour signifier que l’on est en vie.

Cette correspondance, écrite dans un style simple mais direct, complète, est en outre publiée accompagnée de plusieurs mises en contexte bien venues, surtout lorsqu’elles sont accompagnées de cartes claires permettant de mieux comprendre le déroulé d’une bataille ou d’une offensive.

3. Analyse.

La correspondance de René Charles permet de retrouver certains thèmes bien connus de la littérature du témoignage combattant : le sentiment du devoir à accomplir au début du conflit (« c’est pour la France ! »), qui se transforme peu à peu en un sentiment d’indifférence, avec la paix comme point de fuite, le quotidien fait d’ennui et de périodes de fortes activités guerrières, les liens gardés avec l’arrière, les conseils donnés aux parents pour continuer à faire fonctionner les exploitations, les demandes d’argent… Confronté au nomadisme de la vie combattante dans les tranchées, entre premières lignes, secondes lignes, repos à l’arrière front et grand repos, l’intérêt de René Charles se porte massivement sur la nourriture (recevoir des « colis ») et la réception de « la gazeuse », nom donné à l’eau-de-vie. On découvre ainsi un véritable trafic de produits frais en bocaux et boîtes de conserve entre le front et Port Sainte Marie. L’important pour lui étant de pouvoir éviter autant que possible de tout partager avec la « popote » de ses camarades. Le soldat évoque aussi beaucoup les secteurs dans lesquels il se retrouve au gré des changements, fréquents et où il faut se faire sa place. Les permissions, enfin, apparaissent à partir de 1915 comme le grand horizon temporel qui conditionne le moral du soldat. « On parle aussi de supprimer les permissions, ou du moins les restreindre dans une forte proportion, et ça ne me fait guère plaisir » (25 février 1917). Les rumeurs hantent les pages des lettres de René Charles, même si, loin de chez lui, il tente dans chacune d’entre elles de rassurer son entourage. A suivre son témoignage, on pourrait croire que René Charles traverse la guerre sans réelle difficulté, si ce n’est une première blessure en 1915 qui l’éloigne heureusement du front, et une autre reçue le 5 novembre 1918, en toute fin de conflit, lors des combats autour de Guise (Aisne). Le courrier apparaît bien comme un moyen de confirmer qu’il est vivant (lettre du 17 juillet 1917), pour rassurer, même lorsque lui-même se sent en sécurité, « voilà pourquoi il me semble inutile de vous tranquilliser chaque jour » (lettre du 21 octobre 1914). D’autant que sa mère en particulier, souffre de le savoir à proximité du danger à la faveur des gros titres de la presse comme au printemps 1918 (lettre du 23 mars 1918). Le danger se trouve le plus souvent « à droite » ou « à gauche », alors que le secteur gardé par le 9e R.I. reste « calme ». Il ne raconte donc pas la violence des combats, mais profite des permissions pour en faire le récit, a posteriori.

La place des camarades perd de l’importance au fil des missives. Quand certains noms apparaissent, notamment au début de la campagne, ce sont les mêmes qui reviennent. Ceux-ci disparaissent peu à peu, soit à cause de la mort de l’un d’entre eux, soit parce que la lettre ne reste pas le support du récit de la guerre, mais le fil ténu qui relit le front à l’arrière. Les propos se recentrent sur soi, notamment quand René devient officier. Les autres deviennent « les poilus » indifférenciés. Le combattant profitant de sa correspondance pour rompre avec son univers de guerre et se recentrant sur les liens familiaux et sur le « pays ».

Sur le déroulé de la guerre, la correspondance de René Charles couvrant l’ensemble du conflit, permet de suivre une grande partie des temps forts vécus par son unité, de la Marne et l’Argonne, à Verdun, inscrivant notamment l’année 1918 dans un temps de combats très violents (impression renforcée par les encarts explicatifs de Gilbert Andrieu). Comme le souligne René Charles le 8 novembre : « Nous n’avons jamais été aussi secoués que ces derniers temps ». On devine alors dans les mois précédents une forte activité guerrière dans des secteurs « agités ». Cette alternance de périodes de fortes tensions et de calme laisse entrevoir des moments de doute mais aussi de remobilisation des troupes. Ainsi, avant avril 1917, les soldats attendent « le grand coup », expression utilisée par René Charles comme par Valéry Capot, autre soldat du 9e RI dont les carnets sont accessibles aux Archives départementales de Lot-et-Garonne. Réinvestissement et confiance dans la victoire, notamment en raison de la mobilisation de l’artillerie, se lisent alors, avant de laisser la place, devant la prise de conscience rapide de l’échec global de l’offensive, à une morne résignation : la guerre va encore durer longtemps.

Alexandre Lafon, février 2009.

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Bec, Jean (1881-1964)

1. Le témoin

Jean Bec, petit vigneron à Montagnac (Hérault), est né le 11 octobre 1881 (classe 1901). On sait de lui qu’il était catholique et patriote. Il est décédé le 10 novembre 1964 (on peut noter pour l’anecdote que ses funérailles ont eu lieu le lendemain, le 11 novembre).

Affecté comme brancardier au 96e RI, il part à la guerre en janvier 1915. Evacué le 3 février 1915 pour problèmes intestinaux, puis en permission, il revient au front le 22 juillet 1915, dans une unité combattante du 96e RI, à Valmy. Légèrement blessé le 15 août 1915, il reste dans la région champenoise jusqu’au début 1916, date à laquelle il est déplacé dans le secteur du Chemin des Dames. Ensuite, il part dans le secteur de Verdun (juillet 1916-avril 1917).

19 septembre 1915 : remise de la croix de guerre à sa compagnie (10e) pour « sa belle tenue dans les tranchées ».

24 novembre 1915 : croix de guerre remise par le général de Cadoudal

« Seul gradé survivant de sa section, n’ayant que huit hommes valides, a conservé le 6 octobre 1915, sous un violent bombardement, toute la journée et une partie de nuit, le terrain conquis et l’a organisé défensivement ».

27 décembre 1915 : citation au corps d’armée

« Vieux sous-officier qui, une nouvelle fois, s’est distingué dans la contre-attaque du 8/12/15. A, bien que blessé à la main gauche, donné l’exemple du mépris le plus absolu du danger. A contribué à la reprise d’une bonne partie de nos tranchées envahies par l’ennemi ».

16-22 janvier 1916 : J. Bec devient sergent, chef de section à la 2e compagnie de mitrailleuses de brigade, suivi d’un stage de formation à Mareuil-le-Port.

31 janvier-11 février 1916 : permission, retour chez lui, puis retour à Braine, près de Soissons.

23 avril 1916 : « toute la compagnie passe armes et bagages au 122e RI », cantonnement à Pont-Arcy.

30 mai 1916 : en première ligne à Mont Sapin, au-dessus de la route de Soupir à Chavonnes.

8 juillet 1916 : départ pour la région de Verdun, en relève du 107e RI.

31 juillet 1916 : permission exceptionnelle suite au décès de son fils. Retour avec ses homes en forêt d’Argonne.

29 septembre-10 octobre 1916 : permission.

26 décembre : départ pour Vauquois.

19-29 janvier 1917 : permission.

Printemps 1917 : lassitude et fatigue, suite d’évacuations, permissions de convalescence, permissions agricoles que J. Bec parvient à faire perdurer jusqu’à la fin des hostilités.

2. Le témoignage

Notes journalières à partir de janvier 1915 jusqu’à septembre 1918.

Publié dans Bulletin des Amis de Montagnac (34), 50-51, octobre 2000 [notée : I] & février 2001 [notée : II], pp. 3-46 & pp. 11-47.

Noter que la deuxième partie est suivie de deux fac-similés : la couverture du carnet (carreaux 5×5, où le témoin a écrit « 1914 » en gros, puis ajouté en serrant jusqu’au bord « 15, 16, 17, 18 »), la retranscription par l’auteur d’une chanson de la section de mitrailleuses dont il a la charge, où les sous-officiers sont aimablement croqués sur l’air de « La Paimpolaise ».

Contact : andrenos@club-internet.fr (Association des Amis de Montagnac, 9 rue Savignac, 34530 MONTAGNAC).

3. Analyse

– Attachement à la vie civile :

La « petite patrie » :

Jean Bec est très attaché à son village de Montagnac. Le train qui l’emmène au front part de Montpellier et passe à côté de la localité, ce qui lui cause une grande émotion : « lorsque je suis en vue de Montagnac, ma pensée, mon esprit, mon cœur se transportent encore une fois auprès des miens. Je revois encore avec plaisir mais avec tristesse, tout le village, le clocher, l’église où j’ai été baptisé (…) ma vie de famille qui s’écoulait dans la plus grande joie (…) que je quitte pour combien ? … hélas !… Dieu seul le sait. Au souvenir de tous ces êtres si chers, je ne peux retenir mes larmes ». Il se raffermit toutefois peu après : « C’est pour la France !! Je fais mienne la devise du régiment “EN AVANT QUAND MEME” » (22 juillet 1915, I, p.6).

Les travaux agricoles :

Comme cela peut être remarqué chez de nombreux témoins d’origine rurale, Jean Bec est très sensible aux paysages et travaux agricoles des régions qu’il est amené à traverser. Il déplore ainsi qu’un exercice de tir se déroule dans un champ de blé, ce qui a pour effet d’endommager les cultures (26 janvier 1916, I, p. 35), et prend ailleurs le temps de noter les cépages de raisins cultivés : autant de résonances d’une vie civile à retrouver, assurément.

La famille :

La nostalgie de son terroir est aussi celle de ses proches. Plusieurs fois, Jean Bec pense à eux avant une attaque, dans un moment difficile ou d’abattement. Le plus significatif est cet événement tragique qu’est la mort de son fils Pierre, nourrisson de seize mois. Il obtient une permission exceptionnelle juste à temps pour vivre ses derniers instants : « Petit Pierre rend le dernier soupir, s’envole vers le Ciel. C’est un ange qui veillera sur son père (…) la mort de mon petit Pierre a sauvé sûrement la vie de son papa car celui qui m’a remplacé au commandement de la section a été tué », (5 & 12 août 1916, II, p. 15). Ce décès, et l’affliction qui l’accompagne, apparaît pour ce témoin être le moment le plus intense d’irruption de la mort dans un quotidien qui,au front, en est pourtant saturé. La distinction persistante entre deuil intime et mort de masse est ici clairement décelable : la seconde ne galvaude pas la première.

– Un catholique patriote. Croyance et pratique religieuses :

Jean Bec est très croyant, il fait souvent mention des offices organisés sur le front. La religion est aussi pour lui un recours dans les mauvais moments qui s’éternisent : « Il faut prendre tout cela en esprit de pénitence » (10 décembre 1914, I, p. 31). « Beaucoup de morts et de blessés mais pas de pertes à ma section. C’est aujourd’hui la fête de mon St Patron. Quelle fête ! Je l’invoque tout particulièrement et ai confiance en lui » (19 mars 1917, II, p. 33). Il est également très réceptif au discours clérical sur le sens de la guerre en cours : « que ce sang ne soit pas versé inutilement, qu’il régénère notre chère Patrie, qu’il lave toutes nos fautes et toutes celles de nos gouvernants ! Faites qu’ils reviennent à de meilleurs sentiments et que désormais la France mérite pour toujours le titre de fille aînée de l’Eglise » (18 août 1914, I, p. 12). Il note néanmoins les fluctuations du nombre de participants aux offices, moindre dans les périodes de repos : « cette période d’un mois passée en dehors de tout danger a de nouveau amolli les âmes. Cependant l’assistance devrait être aujourd’hui bien plus nombreuse, car l’horizon est bien incertain » (22 septembre 1914, I, p. 16).

Antigermanisme :

La résolution de ce combattant s’accompagne, à l’égard des Allemands, d’une agressivité soutenue par les aspirations à venger les victimes françaises des « vilaines brutes de boches » (25 juillet 1915, I, p. 8). Suite à une attaque, une note quelque peu elliptique laisse à penser que des Allemands qui voulaient se rendre ont été tués : « Ah !… têtes de boche, c’est bien les premiers que je vois de si près “Kamarades, kamarades, pas capout !!”. ils veulent qu’on leur laisse la vie sauve cependant que les nôtres ne sont plus ou seront invalides pour le reste de leur vie » (26 septembre 1914, I, p. 17). Cependant, la proximité de fait induite par les conditions du combat l’amène à des réflexions plus pondérées, sur la qualité des tranchées et abris notamment : « on dirait plutôt un chalet de plaisance, qu’une habitation provisoire de guerre. Je reconnais par là combien les boches sont pratiques » (7 octobre 1914, I, p. 22)

– Vie quotidienne au front :

Camaraderie :

Le sergent Bec a retranscrit une chanson créée par ses camarades de la 4e section de la 2e compagnie de mitrailleuses du 96e RI, à fredonner sur l’air de la Paimpolaise, dont un couplet parle de lui :

« Voyez c’est la quatrième

Sous les ordres du sergent Bec

Qui n’en est pas à ses premières

Et qui pour nous est notre chef

Qui ne s’en fait pas, il est un peu là

Aussi la section entière

A beaucoup d’estime pour ce gradé

Que ce soit à l’arrière

Aussi bien que dans les tranchées » (II, p. 46)

Ce document est un exemple révélateur des liens profonds, et réciproques, qui peuvent unir les hommes et leurs officiers de terrain – respect réciproque beaucoup plus incertain pour ce qui concerne les gradés des lignes arrières.

– Attitude critique :

Ce témoignage présente une évolution remarquable de son auteur, patriote catholique, soldat décoré, qui laisse petit à petit transparaître un agacement certain, puis un ressentiment explicite envers la hiérarchie, la conduite de la guerre, l’inégale répartition des sacrifices au sein du pays.

Bourrage de crânes :

« Rien ou pas grand-chose à se mettre sous la dent. Les journaux nous bourrent le crâne en nous disant que les boches manquent de vivres, je suis porté à croire que c’est plutôt nous », 3 décembre 1915, I, p. 29.

Exercices au cantonnement :

Ces activités routinières, harassantes physiquement et nerveusement pour les soldats, sont en général mal supportées. Jean Bec les légitime pourtant au départ, donnant certes l’impression de répercuter le discours hiérarchique (« c’est la vie de caserne qui reprend. On ne se dirait pas en guerre (d’ailleurs sans exercice la France serait perdue », 24 août 1915, I, p. 13). L’auteur est nettement moins bien disposé quelques mois plus tard (« Exercice comme en caserne. Ils ne peuvent s’empêcher de vous en faire faire lorsque vous avez passé deux jours de repos », 5 novembre 1915, I, p. 25), avant d’apparaître tout à fait dégoûté de ce type d’activités (« on dirait que les officiers sont payés pour vous enlever le peu de bonne volonté qui vous reste. Avec ce froid de loup, on nous amène de force à l’exercice », 5 février 1917, II, p. 27).

Rancœur contre les officiers, et les gouvernants :

Ici, la césure entre les combattants, ceux qui risquent leur vie sur le champ de batailles, et les officiers d’Etat-major est sans cesse réaffirmée. Déjà, durant son premier hiver de guerre, Bec se plaint des inégalités de confort entre les cagnas des soldats et celles des officiers (4 décembre 1915, I, p. 29). Les moments d’affrontement sont en général rendus sans emphase particulière, de façon concise et limitée à ce que le témoin a vu ou sait de source sûre, cantonnée en tout cas à son environnement proche. Les jugements portés sur le sens de tels engagements n’en prend que plus de relief : « un coup demain a lieu au 304. Pendant une bonne heure, les rafales de grenades font rage. Là encore, il y aura sûrement de nos camarades d’infortune qui auront payé de leur vie pour le plaisir de quelque légume installé à 20 ou 30 km à l’arrière à téléphoner. Il faut sans rimes ni raisons redresser 15 ou 20 m de tranchées. On fait ainsi zigouiller quelques-uns de plus de la classe ouvrière », nuit du 27 février 1917, II, p. 29-30). Cette assertion est d’autant plus frappante qu’elle doit être rapportée aux convictions politiques du témoin, sans liens aucun avec l’extrême-gauche du champ politique. On peut penser qu’ici, le harassement croissant de Bec l’aura amené à intégrer des éléments d’une phraséologie captée dans les conversations avec d’autres camarades, ou dans une feuille passée de main en main. La portée de sa colère déborde même le seul cadre de l’armée pour prendre une dimension sociale et politique abrupte : « gare après, lorsque la paix nous aura renvoyés, je ne réponds pas trop de ce qui pourra se passer », 26 février 1917, II, p. 29.

– Lassitude :

Les semaines qui suivent ces cris séditieux, comme on dit, se singularisent par une chute du moral et de l’implication du sergent Bec. La perte, par « bonne blessure » – deux doigts coupés – de son ami Pinchard de Montagnac est un premier signe de son désinvestissement, quelques mois auparavant (14 septembre 1916, II, p. 18). Deux semaines plus tard, il note « en réserve, je m’y trouve bien » (27 septembre 1916, II, p. 19). Pendant l’hiver 1917, une vaccination est le bon filon pour rester à l’infirmerie : « ayant tout fait pour me faire porter malade, je vais à la visite et titre 8 jours » (14 février 1916, II, p. 28). Le 21 avril, un pas définitif est franchi vers un éloignement sans retour du front : « je reviens de la visite et, avec l’aide de mon lieutenant qui est intime avec le major, me traitant pour une fatigue générale, m’envoie quelques jours à l’infirmerie divisionnaire. J’en suis fort heureux ? C’est un commencement de marche vers l’arrière. Je tâcherai de faire un deuxième bond et d’autres s’il le faut, pour aller le plus loin possible ». L’aspiration à partir loin du feu, des fatigues et des angoisses de la guerre surpasse tous les autres aspects de sa vie de combattant : « je quitte mes amis et camarades avec le ferme espoir de ne plus revenir et leur donne rendez-vous vers l’intérieur. J’estime avoir fait mon devoir quand il y en a tant et tant qui n’ont pas encore bougé de l’intérieur » (21 avril 1917, II, p. 38).

Jean Bec n’est alors plus mobilisé qu’en principe, celui qui était parti avec une ferme résolution patriotique a terminé sa guerre. Sa principale occupation, décrite de façon plus relâchée dans la suite de ses carnets, est dès lors de se maintenir à l’arrière, en usant de tous les recours que son âge et ses états de service lui permettent d’ailleurs de solliciter : hospitalisation, permissions de repos et pour travaux agricoles notamment. Il passe par chez lui, Lyon, ou encore Rodez, où il finit sergent fourrier, chargé de jeunes recrues en la compagnie desquelles il voit la guerre se terminer dans la banlieue parisienne. Il n’en part pour rentrer chez lui sue le 20 février 1919, où, dit-il « la démobilisation vient me rendre à ma femme, mes enfants, mon foyer » (sept. 1918, II, p. 44).

François Bouloc, septembre 2008

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Quey, Delphin (1895-1945)

1. Le témoin

Né le 13 octobre 1895 à Versoie (Savoie), près de Bourg-St. Maurice, vallée de la Tarentaise. Famille d’éleveurs et cultivateurs. Voisin et filleul de Maurice Marchand (voir ce nom). Mobilisé avec la classe 15. Son frère aîné Joseph a été tué le 10 septembre 1914.

Après la guerre, il reprend ses activités du temps de paix. Marié en 1924. Mort le 20 août 1945.

2. Le témoignage

Claude et Jean-François Lovie ont acheté à Versoie la maison Quey et y ont retrouvé une collection de lettres du temps de la Grande Guerre, parmi lesquelles 201 de Delphin à ses parents ou à ses frères et sœurs (2 en 1914 ; 96 en 1915 ; 66 en 1916 ; 28 en 1917 ; 9 en 1918). Importante lacune d’avril à décembre 1917. Publiées dans Poilus savoyards (1913-1918), Chronique d’une famille de Tarentaise, 320 lettres présentées et annotées par Jacques Lovie, Montmélian, « Gens de Savoie », 1981, 247 p., illustrations. Le livre respecte avec raison le texte original, mais l’orthographe a été normalisée dans les citations choisies pour la présente notice.

3. Analyse

Après avoir fait ses classes, Delphin part sur le front dans les Vosges avec le 62e BCP. Il y reste du printemps 1915 au printemps 1917. Lors de l’offensive Nivelle, il se trouve près de Reims où il remplit les fonctions de colombophile, mais la lacune dans la correspondance ne permet pas d’en dire plus. Lors de l’ultime offensive alliée, il est près de Saint Quentin en octobre 1918.

Contestataire dès le séjour en caserne, il se moque de ceux qui promettent aux recrues qu’elles iraient planter le drapeau français à Berlin ; il se plaint des officiers et les critique très vertement. Il ne cesse de donner à son jeune frère des conseils de simulation de maladie pour se faire réformer. Au front, il épingle les jeunes gradés : « On dirait qu’ils vont bouffer les Boches avec la langue. […] Mais une fois que ça pète, les voilà morts de frayeur et ils osent plus sortir de leur cahute. »

Il a, par lettres, un premier accrochage avec sa sœur qui lui a reproché de trop dépenser d’argent (mai 1916). Puis (en octobre), il envoie à la famille une carte illustrée du poilu criant « On les aura ! » et invitant à souscrire à l’emprunt de la Défense nationale. Mais il l’a corrigée ainsi : « On les aura ! pas » et « Souscrivez pas ». Sa sœur lui ayant demandé le texte d’une chanson qu’on essaie de faire chanter aux soldats pour remonter leur moral, Delphin répond sèchement : « Des chansons militaires, le moral n’est pas assez haut pour te faire ce plaisir. Je t’enverrais des autres, mais celle-là je n’ai jamais ouvert la bouche pour apprendre l’air. Le patriotisme j’en ai sous les talons de mes souliers, il n’y a qu’une chose que je demande, c’est la même que vous, la fin de toutes ces misères. Après cela on verra bien si on apprend des chansons. »

Les autres descriptions sont habituelles : la pluie, la boue, la neige ; la nourriture insuffisante ; l’importance du courrier ; la fabrication de bagues en aluminium ; le souhait de la « bonne blessure » ; la critique des embusqués ; les cadavres restés entre les lignes.
Agriculteur, Delphin Quey ne supporte pas que l’armée saccage les cultures. Une de ses dernières lettres, au cours de l’été 1918, donne à sa mère et à ses sœurs des conseils pour la garde du troupeau sur l’alpage. Il signe : « Votre fils et frère qui voudrait bien faire le berger à votre place. »

Rémy Cazals, mars 2008

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Marchand, Maurice (1884-1923)

1. Le témoin

Né le 12 avril 1884 à Versoie (Savoie), près de Bourg-St. Maurice, vallée de la Tarentaise. Cultivateur et éleveur. Voisin de la famille Quey ; parrain de Delphin Quey (voir ce nom). Pendant la guerre, dès août 1914, il est muletier au 97e RI. Blessé à la tête en mars 1916 par « une ferraille boche ». Opéré le 15 avril : « On m’a ouvert la boîte du crâne, il y avait encore trois petits éclats et des fragments d’os ; paraît-il qu’il était temps de les enlever. » Versé dans l’auxiliaire en septembre 1916.

Après la guerre, il reprend son activité d’élevage. Il meurt sous une avalanche le 23 décembre 1923.

2. Le témoignage

Claude et Jean-François Lovie ont acheté à Versoie la maison Quey et y ont retrouvé une collection de 320 lettres reçues par la famille, parmi lesquelles 36 de Maurice Marchand, principalement adressées à son voisin et ami Alexandre Quey (8 en 1914 ; 19 en 1915 ; 8 en 1916 ; 1 en 1917). Publiées dans Poilus savoyards (1913-1918), Chronique d’une famille de Tarentaise, 320 lettres présentées et annotées par Jacques Lovie, Montmélian, « Gens de Savoie », 1981, 247 p., illustrations.

3. Analyse

Le thème principal des lettres de Maurice est « le pays » : « rien ne vaut ce pauvre Versoie ». Il donne des nouvelles des « pays » (c’est-à-dire des gars du canton). Il demande des nouvelles de la foire de Bourg, des récoltes, des prix : « Ecris-moi bien des nouvelles : parle-moi de tes bêtes ; si tu as bien des veaux ; et si chez moi ils en ont. Comment mon bétail se porte. » Il donne quelques nouvelles de ce qu’il voit à la guerre : « J’ai vu un obus tuer douze chevaux et un homme. » Il parle de la paix (30 juin 1915) : « Faites courage, la paix est proche. […] Tout de même voilà onze mois. » Et en résumé : « Plusieurs souhaitent de recevoir des coups de pied [en ferrant les mulets] pour aller en convalescence ; même mon adjudant est plus découragé que moi ; moi, toujours comme tu me connais : je me soumets avec bon cœur à ce que l’on ne peut pas empêcher. »

Rémy Cazals, mars 2008

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Valette, Marc (1892-1945)

1. Le témoin.

Né le 20 mai 1892 sur la commune de Saint Cirq Lapopie dans le Lot (à Tour de Faure), Marc Valette passe son certificat d’études et entre au collège à Figeac en vue de l’obtention d’un brevet supérieur. Fils d’agriculteur, il abandonne le travail de la terre pour s’engager dans l’armée en 1912 à Toulouse, avant de servir au 18e Régiment d’Artillerie de Campagne à Agen avec lequel il part dès août 1914. Il se marie en 1917, traverse l’ensemble du conflit avant d’être démobilisé à l’âge de 26 ans pour devenir après guerre contrôleur et contrôleur chef au « PO Midi ». Résistant durant le second conflit mondial, il est arrêté et déporté au camp de concentration de Manthausen où il meurt le 19 avril 1945.

Devenu fils unique après la mort d’une sœur qu’il n’a pas connue, il reçut de sa mère une éducation religieuse et s’est forgé des convictions royalistes, entre conservatisme et modernité.

2. Le témoignage.

Le corpus se compose des lettres échangées essentiellement entre Marc Valette et sa mère, sur des supports variés, et des photographies réalisées par le combattant Valette sur le front. Nathalie Salvy a retranscrit l’intégralité de la correspondance dans son mémoire de maîtrise intitulé « Petite mère… ». La correspondance de la famille Valette pendant la Grande Guerre (Université Toulouse le Mirail, sous la direction de R. Cazals, 2004, cote 11MM667, 1 et 2), ainsi qu’une partie des photographies. L’écriture des lettres est fluide et Marc décrit avec minutie son quotidien et son parcours qui l’a conduit de la Belgique au début de la guerre, à la Marne et à la Champagne, en Artois en 1915, dans l’Aisne en avril 1917. Marc s’autocensure pour ne pas effrayer sa « petite mère » (il cache sa participation à la bataille de Verdun, en ne le dévoilant qu’après être sorti de la fournaise), tout en expliquant ce qu’il voit et ce qu’il ressent. Texte et photographies contextualisées permettent de cerner avec exactitude l’environnement dans lequel évolue le soldat Valette.

3. Analyse.

Voilà le témoignage épistolaire d’un artilleur de campagne servant de canon devenu téléphoniste à la fin du conflit, conscient de la chance qu’il a d’avoir en quelque sorte tiré « un bon numéro » et de ne pas avoir à endurer les mêmes souffrances que les « malheureux fantassins ». Un temps cycliste auprès du colonel en 1915, son témoignage met en lumière les différences qui pouvaient exister au front suivant l’emploi auquel on était affecté. Marc évoque régulièrement le « pays » et note quelques phrases en occitan qu’il utilise avec ses camarades du Sud Ouest. De la guerre, ce sont essentiellement les conditions de vie qui attirent son attention, les abris qui protègent ou non, la puissance des armes utilisées qui peuvent aussi fasciner. Mais aussi les camarades avec qui ont partage son quotidien. Comme de nombreux soldats devenus combattants, Marc Valette part patriote et chauvin, mais l’épreuve de la guerre longue pèse rapidement sur le moral, même pour lui qui se trouve souvent « plus protégé » que d’autres : « je n’aurais pas cru au début que la guerre aurait été si longue » écrit-il un an après le début du conflit. Ainsi, hostilité envers l’ennemi, patriotisme et moral fluctuent avec les expériences plurielles que provoque la guerre, la mort insidieuse et la « monotonie » d’une vie souvent sans relief. Le fatalisme l’emporte peu à peu, et avec lui le cafard et le monde des rumeurs.

Alexandre Lafon, février 2008.

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Despeyrières, Henri (1893-1915)

1. Le témoin

Né le 1er février 1893 dans la commune du Laussou, canton de Monflanquin (Lot-et-Garonne). Issu d’une famille de propriétaires terriens, études au-delà du certificat d’études sans être bachelier, célibataire. Part pour le front en août 1914 avec le 14e RI (Toulouse). Caporal fourrier (23 septembre 1914) puis sergent fourrier (mai 1915). Porté disparu le 8 septembre 1915, secteur de La Harazée en Argonne (55).

2. Le témoignage

L’ensemble de la correspondance adressée par Henri à sa famille, essentiellement à ses parents, a été retranscrite après sa mort alors que la guerre n’était pas terminée sur deux cahiers. Cent cinquante lettres et cartes postales en tout. Une partie est publiée une première fois dans la revue Sous les arcades, de la MJC de Monflanquin (juillet-septembre 2002) par les soins de Claude Bertrand qui jugeait ce document « passionnant et admirable ». La totalité est publiée en 2007 aux éditions Privat (Toulouse) sous le titre : « C’est si triste de mourir à vingt ans ». Lettres du soldat Henri Despeyrières 1914-1915 (préface d’André Bach, présentées par Alexandre Lafon), 294 p.

Le témoignage est également intéressant par sa forme : en premier lieu, il ne souffre d’aucune réécriture. D’autre part, Henri transmet à ses parents à la fin de l’année 1914 dans sa correspondance même le Journal de guerre qu’il a tenu semble-t-il jusqu’au 26 septembre de la même année, ce qui permet une comparaison du texte avec les lettres qu’il a pu écrire à la même période et ainsi percevoir l’autocensure qu’il a pu déployer.

3. Analyse

Henri Despeyrières dévoile des éléments sur des thèmes bien connus du quotidien des combattants : arrivée aux tranchées et leur description (21 septembre, p. 45), abris, secteurs calmes et actifs, importance des liens avec le « pays », la famille et ce que peuvent attendre les parents des lettres de leur fils combattant. Il confirme que la guerre vécue est rapidement condamnée (p. 42), que l’horizon d’attente des combattants est la fin « prochaine » de la guerre (vœu du 1er janvier 1915), sentiment qui s’accentue dans les premiers mois de l’année. La guerre des fantassins est souvent une succession d’actions dont le sens leur échappe, maintenus qu’ils sont dans l’ignorance des secteurs où on les transporte (par exemple fin août-septembre 1914).

Henri Despeyrières trouve étrange de ne participer dans les premiers combats que comme spectateur (« Je n’ai pas encore tiré un coup de fusil », p. 41), comme il trouve étrange que les Allemands communiquent avec les lignes françaises. Son témoignage permet également, dans cette perspective de mieux comprendre les stratégies relationnelles à plusieurs échelles, de voir à l’œuvre les liens tissés entre les soldats : entre les simples soldats et les officiers (suivant leurs caractères et leurs situations militaires, cadres de l’active ou de la réserve), rapport aux camarades avec qui on est parti qui n’ont pas le même statut que ceux qui arrivent ensuite (p. 118). D’autres remarques et réflexions dévoilent des pratiques de guerre à la fois très violentes (dépouiller les cadavres ennemis, p. 96), mais aussi les soins apportés aux blessés faits prisonniers. C’est surtout l’évolution du moral que l’on peut suivre, à la fois constitué de hauts et de bas, mais sur une tendance plutôt négative : une cérémonie d’exécution de soldats français (avril 1915, p. 204), la mort de son beau-frère, la guerre de siège installée et pour laquelle aucune issue n’est plus lisible ou l’inégalité ressentie entre les militaires (sur les régiments plus ou moins exposés par exemple, p. 179) ont tôt fait de faire d’Henri un combattant résigné qui cherche à limiter individuellement son exposition au feu ou à témoigner d’actes collectifs de limitation de la violence reçue ou donnée.

Quelques observations intéressantes, spécifiques ou bien connues :

– Autocensure, les obus allemand inoffensifs, p. 41.

– L’arrivée des « bleus », p. 72.

– La retraite avant la Marne, p. 87-92.

– Un « canard », p. 93.

– L’ami, p. 103, p. 132, p.142.

– Son regard sur son « témoignage », p. 120.

– Rapport de camaraderie avec son lieutenant, p. 158.

– Prisonniers qui se rendent, p. 167.

– Garder sa bonne place, p. 188.

– Refus collectif de monter à l’attaque, p. 192, p. 222.

Alexandre Lafon, 12/2007

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Sittler, Bertrand (1891-1983)

1. Le témoin

Né à Montbéliard le 22 avril 1891. Parents négociants en vins et liqueurs. Il effectue son service militaire au 21e BCP, il est nommé sergent en 1913. Il est sous-lieutenant en septembre 1918. Survivant, Bertrand Sittler reprend le commerce de ses parents. Il est mort en 1983.

2. Le témoignage

Il a été rédigé au propre après la guerre. La précision des dates, lieux, descriptions, montre que l’auteur avait des notes très élaborées. Rien ne permet de dire qu’il en ait modifié l’esprit. Je pense qu’elles ont été, dans l’ensemble, recopiées. Deux indices de cela :

– la description des premiers tanks en octobre 1916, p. 67 : « Ce sont paraît-il des autos blindées rampant comme des vers de terre, armées de mitrailleuses et de canon, pouvant franchir des tranchées de trois mètres » ;

– fin août 18 : « L’ennemi recule de plus en plus. On entrevoit comme une mince lueur d’espoir la fin de la guerre. »

Dans son Bulletin n° 128 (2005, paru en 2006), p. 8-124, la Société d’Emulation de Montbéliard publie le texte intégral de « Mon journal de guerre avec les Chasseurs (1914-1918) », de Bertrand Sittler, précédé d’une brève présentation par Michel Turlotte.

3. Analyse

Chronologie :

Il part avec le 15e groupe de chasseurs cyclistes, 8e DC ; Alsace, Lorraine, Artois.

1915 : Champagne. Attaque de septembre (passages intéressants sur la préparation, p. 44 ; sur la prise du Trou Bricot, p. 48)

Fin 15 et plus grande partie de 16 en Lorraine.

Octobre 16 à Verdun au 107e BCP (reprise de Douaumont p. 69-75 ; attaque de décembre p. 79-85).

Avril 17 au Chemin des Dames, récit assez bref (17 avril : l’attaque se présente mal ; 28 avril : attaque de la sucrerie de Cerny ; mauvais ravitaillement, murmures ; infanterie victime de l’artillerie française, menaces contre artilleurs ; 1er-2 mai : tomber sur les cadavres des attaques précédentes).

Mai à novembre 17 en Flandres.

1918 au 116e BCA, chef de section, promu sous-lieutenant en septembre.

Des descriptions confirmant ce que l’on sait déjà, mais toujours intéressantes :

Tranchées, no man’s land, bombardements, montée en ligne, corvées, convois de bourricots algériens, attaques, attaque ennemie brisée par les mitrailleuses, la boue (le poids de la boue sur les capotes, p. 69 ; se nettoyer, p. 75), le sauvetage d’un camarade enseveli, un poste de secours très encombré…

Le repos, jeux des soldats, corbeau apprivoisé, braconnage pour améliorer l’ordinaire, à quoi sert la calotte métallique distribuée en avril 15, à quoi sert la graisse distribuée comme anti-gel pour les pieds…

Le « pays », les gars du pays, on parle du pays, chansons du pays, mesure à l’aune des réalités du pays…

Une fraternisation (p. 24, Artois, dès octobre 14) ; une exécution (p. 25, octobre 14, le chasseur Richter) ; une condamnation légère (p. 96, mai 17).

Plus original :

p. 54, Lorraine, novembre 15, une batterie de fusils : « pointés sur des objectifs boches, ponts, chemins, etc. Tous ceux qui passent par là doivent tirer sur le manche actionnant cette batterie, puis les recharger pour que les suivants fassent de même. »

p. 70, Verdun, octobre 16, un avertisseur sonore : « un drôle d’engin porté par deux hommes : il s’agit d’une espèce de pompe qui émet deux sons dans le genre de la trompe des autos de pompiers. C’est, disent-ils, pour signaler en morse par le son. Dans le vacarme ambiant, cela paraît hallucinant ! »

p. 98, Flandres, août 17, le chien sentinelle : « Son gardien m’appelle un jour pour aller le voir. Lorsque nous arrivâmes,le chien était couché en rond et ronflait on ne peut mieux. J’en rendis compte au capitaine qui le fit renvoyer à l’arrière. »

Des remarques intéressantes révélant des situations concrètes :

p. 12, Alsace, août 14 : des Français prennent d’autres Français pour des ennemis

p. 21, Artois, octobre 14 : des dragons, sabre au clair, font repartir en avant des territoriaux en retraite

p. 45, Champagne, août 15 : chasseurs accusés de venir « embêter » les Boches, puis de partir en laissant l’infanterie subir les représailles

p. 49, Champagne, septembre 15 : un chef refuse de lancer l’attaque car les barbelés ne sont pas détruits

p. 70, Verdun, octobre 16 : « Nous restons ainsi toute la journée du 23, ainsi que la nuit suivante, tout en souhaitant recevoir l’ordre d’attaquer pour soulager nos misères. »

p. 95, après le Chemin des Dames, période de repos près de Dunkerque, mai 17 : « On tiendrait bien ainsi jusqu’à la fin de la guerre. »

p. 116, septembre 18 : malgré les injonctions du lieutenant, les hommes refusent de chanter la Madelon.

p. 119, septembre 18 : officier sort son revolver et menace les chasseurs qui ne veulent pas attaquer.

Des éléments pour discuter sur l’ensauvagement :

voir ci-dessus : le « pays »

p. 45, popote chez une brave femme, comme en famille ; p. 63, amende à ceux qui prononcent des jurons

p. 51 : « attention, ne marchez pas sur le corps de nos camarades »

Situations concrètes quand on a pris une tranchée : tuer ceux qui résistent, lancer des grenades dans les abris d’où pourraient sortir des ennemis pour tirer dans le dos, envoyer ceux qui se rendent à l’arrière.

Un passage, p. 113 : « Dans la tranchée boche, nous avons trouvé un blessé allemand auprès de son chien attaché ; le blessé a été emmené alors qu’il jetait un regard de pitié vers ce chien qui nous montrait les dents et que nous avons été obligés d’abattre hors de la vue de son maître. » [note : rien ne les obligeait à abattre l’animal hors de la vue de son maître].

Au total, un récit intéressant, que chacun pourra utiliser en fonction de ses centres d’intérêt. L’auteur n’expose pas de position patriotique ou pacifiste. Il porte des jugements critiques sur la conduite de la guerre. Il aime le fanion de son unité ; son moral est remonté par la musique militaire ; il apprécie que l’on bombarde les Allemands avec leurs propres obus. Il ne dit jamais s’il est pour ou contre la guerre. Fin décembre, en 14 et en 15, ses vœux sont que la nouvelle année apporte la fin de l’épreuve ; de même lorsqu’on parle des tanks : Bertrand Sittler fait part de son espoir, ils vont peut-être hâter la fin de la guerre…

Rémy Cazals, 11/2007

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Garbissou, Paul (1892-1914)

1. Le témoin

Né à Ouveillan (Aude) le 23 octobre 1892 dans une famille de petits propriétaires viticulteurs. Titulaire du Brevet élémentaire. Il fait son service militaire au 80e RI de Narbonne lorsque la guerre éclate. Grièvement blessé, il meurt à l’hôpital de Zuydcoote (Pas-de-Calais), le 27 décembre 1914.

2. Le témoignage

Dès le 1er août 1914, il prend des notes au crayon sur un très petit carnet, de format 10 x 6,5 cm. La dernière date mentionnée est celle du 25 décembre 1914 : « Nous nous préparons à revenir dans les tranchées […] ». Le carnet fut envoyé après sa mort à sa famille, qui l’a conservé. Le texte a été édité à la suite de celui d’Antoine Bieisse, sous un titre emprunté à ce dernier : Plus d’espoir, il faut mourir ici !, carnets d’Antoine Bieisse et de Paul Garbissou, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1982, 62 p. [le carnet de Paul Garbissou occupe les p. 27 à 49 ; son portrait se trouve en 4 de couverture].

3. Analyse

Début de la guerre dans les Vosges, puis transfert vers la Belgique en passant par l’Aisne. Bataille de l’Yser. Du 1er au 20 novembre, « journées terribles, ayant attaque sur attaque, et laissant chaque jour beaucoup de morts et de blessés ». En dehors des périodes de combat, il décrit les journées « tranquilles », il s’intéresse à la nourriture, il signale les rencontres avec des « pays ». Les nombreuses et longues marches sont aussi mentionnées.

Rémy Cazals, 11/2007

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