Née à Davos, Helene Schaarschmidt, de nationalité allemande, se trouvait vraisemblablement en vacances en France lors de l’entrée en guerre en 1914. Elle fut internée au camp de Garaison (Hautes-Pyrénées) du 7 septembre au 3 novembre 1914, après un détour par Flers en Normandie. Le camp de Garaison, installé dans le collège religieux Notre-Dame de Garaison devenu disponible en 1903, faisait partie des camps d’internement dans lesquels le gouvernement français décida de retenir les civils mobilisables, ressortissants des puissances en guerre contre la France.
On sait très peu de choses au sujet de la biographie d’Helene Schaarschmidt. Son dossier des Archives des Hautes-Pyrénées nous apprend qu’elle était alors célibataire. À son retour en Allemagne, elle publia un bref récit de 60 pages : Erlebnisse einer Deutschen in Frankreich nach Ausbruch des Krieges [Expériences d’une Allemande en France au lendemain de l’entrée en guerre], Chemnitz, Thümmlers Verlag, 1915. Les extraits de ce récit relatifs au passage à Garaison viennent d’être traduits en français : Helene Schaarschmidt, Une Allemande en France au lendemain du déclenchement de la guerre, traduit de l’allemand par Hélène Florea, Hilda Inderwildi, Hélène Leclerc, Alfred Prédhumeau, in Gertrud Köbner, Helene Schaarschmidt, Récits de captivité. Garaison 1914, textes édités par Hilda Inderwildi et Hélène Leclerc, Toulouse, Le Pérégrinateur, 2016. La traduction intégrale de son récit-journal (trad. Hilda Inderwildi et Hélène Leclerc) est prévue pour 2019.
Le récit d’Helene Schaarschmidt ne se présente pas comme un journal ; les dates sont peu présentes, le texte est rédigé au passé, assumant le décalage entre temps narré et temps de la narration ; il relève donc davantage du récit de souvenirs. À sa lecture, on a l’impression que l’auteur en a volontairement escamoté tout indice biographique. Cette discrétion s’applique également à ses co-internés. Ainsi ne trouve-t-on aucun nom dans le texte d’Helene Schaarschmidt, les lieux traversés ne sont que très peu décrits, en particulier le couvent de Garaison ; l’auteure semble se concentrer sur l’attitude des Français envers les Allemands, évoquant notamment l’hostilité immédiate et le développement d’actes antiallemands.
Ce texte se caractérise en effet par l’expression d’un patriotisme allemand. Helene Schaarschmidt, qui n’était vraisemblablement que de passage en France au début du mois d’août 1914, défend, dès la première page de son récit, l’Allemagne, accusée de militarisme outrancier par les amis français de l’auteure : « Je dis que cela n’est pas tout à fait exact. L’Allemagne ne souhaite pas la guerre, elle est juste contrainte à préserver ses forces défensives pour se protéger. » Elle évoque plus loin « le fossé » qui s’est « soudain [creusé] entre gens de nationalité différente ». Elle insiste tour à tour sur les violences policières (p. 11-12), l’attitude hostile de sa logeuse parisienne (p. 14) et dénonce la mauvaise organisation des départs forcés (p. 16), les inscriptions antiallemandes (p. 17) ou les Normands de Flers qui la logent uniquement par cupidité (p. 18). Un leitmotiv de son récit sont les insultes et les crachats dont sont victimes les Allemands (p. 23-25). Toutefois, elle sait reconnaître le rôle de la propagande et l’influence de l’école républicaine et de l’Église, qui alimentent le ressentiment antiallemand : « Ce n’est toutefois pas entièrement de leur faute ; car l’école d’abord leur inculque ces bêtises ; par exemple, en 1870, l’Allemagne a provoqué la guerre et l’a commencée à partir de rien ; les Français n’auraient jamais perdu si Bazaine n’avait pas vendu l’armée aux Allemands, etc. Et le peu de bon sens populaire qui reste encore est laminé par l’Église ; les sermons en chaire ne sont que haine de l’Allemagne. » (Helene Schaarschmidt, Erlebnisse einer Deutschen in Frankreich nach Ausbruch des Krieges, op.cit., p. 23)
En dépit de sa dénonciation de l’anti-germanisme français, qui, tel qu’il est décrit, semble attester l’existence d’une « culture de guerre », Helene Schaarschmidt tente donc finalement de disculper les Français qu’elle rencontre ; malgré le sort qu’elle subit, elle se montre encore prête au dialogue et à la compréhension, ce qui tendrait cette fois à relativiser la notion de « culture de guerre ».
Hélène Leclerc, MCF Université de Toulouse Jean Jaurès, mars 2016