Pretzfelder, Max (1888-1950)

Max Pretzfelder est un artiste peintre et dessinateur juif, né à Nuremberg (Bavière) et mort à Los Angeles (Californie). Il est surtout connu pour avoir été le décorateur-costumier du cinéaste autrichien Georg Wilhelm Pabst. Séjournant à Paris au moment de la déclaration de guerre, en août 1914, l’artiste est interné au camp de prisonniers civils de Lanvéoc (Finistère) jusqu’en décembre 1917, puis il obtient son transfert au camp d’Île Longue, où s’est organisée une vie culturelle dense autour de Pabst et Leo Primavesi. Pretzfelder participe à leurs mises en scènes de théâtre et aux actions éducatives de la bibliothèque du camp, tout en réalisant de nombreux croquis d’internés ou de paysages et en illustrant les textes qu’il écrit. Il contribue également au journal édité dans l’enceinte du camp Die Insel-Woche [La semaine de l’île] et forme le projet d’alimenter une chronique en sollicitant des écrivains tels que Rainer Maria Rilke ou Karl Wolfskehl, afin de ne pas perdre le lien avec l’Allemagne intellectuelle. Mais les conditions d’internement se détériorent : les courriers sont suspendus, la presse est interdite, une épidémie de grippe espagnole se déclare. Pabst quitte le camp avec les non Allemands, en mai 1919. La signature du traité de Versailles n’apporte aucun changement pour Pretzfelder : il s’évade donc dans la nuit du 30 au 31 août 1919, avec l’intention de gagner Madrid où vit sa sœur aînée, Lilli. Une brève nouvelle intitulée Flucht [Évasion] relate cette tentative. Après sa libération du camp de Garaison (Hautes-Pyrénées), l’artiste rejoint sa sœur Anna à Berlin. Il se rend souvent aux Baléares, où il apprécie de peindre et où l’on apprécie sa peinture, que la critique compare à celle de Joaquin Sorolla. Devant la montée du nazisme, l’artiste prend le chemin de l’exil dès 1932, en France d’abord, puis aux États-Unis à partir de 1935. Naturalisé américain au début des années 1940, il y vit, relativement oublié, jusqu’à sa mort à Santa-Monica.
La copie que nous avons pu consulter n’indique pas de date précise pour le récit auto-illustré Flucht. Mais Max Pretzfelder lui ajoute une coda dans le texte qu’il adresse à son ami Karl Wolfskehl en 1929, dont nous citons une phrase ci-dessous. Le protagoniste de l’histoire se nomme Georg – probablement en souvenir de Pabst. Comme son héros, l’artiste est arrêté à Hendaye (le 2 septembre 1919) et transféré au camp de Garaison. Le récit s’arrête au moment où Georg parvient dans ce nouveau camp. Il se termine sur un hasard cocasse qui le relie à la prison de Hendaye, où l’artiste s’est acquis la faveur des gardiens en faisant leur portrait : « M. Raoul Dupuis, le premier des gardiens qu’il avait dessinés, l’accompagna lors du voyage à son nouveau camp ; là-bas, on le présenta à M. Dupuis, le directeur, comme faisant partie des moins crapules. » Max Pretzfelder est interné à Garaison du 6 septembre au 17 octobre 1919.
C’est Ursula Burkert, fille de l’interné civil Carl Röthemeyer et auteure de l’ouvrage Fernab des Krieges : Das Leben des Carl Röthemeyer im Internierungslager Île Longue [Loin de la guerre : la vie de Carl Röthemeyer au camp d’internement d’Île Longue] qui a transmis les différentes versions de la nouvelle Flucht (Cinémathèque de Berlin, fonds G. W. Pabst, et Literaturarchiv Marbach, fonds K. Wolfskehl) à Christophe Kunze pour l’association Île Longue 14-18 : http://www.ilelongue14-18.eu/ (consulté le 9 janvier 2018).
Nota : En 1914, Carl Röthemeyer est étudiant aux États-Unis. Il est arrêté au large de Brest sur le Nieuw Amsterdam à bord duquel il tente de rejoindre son pays pour s’engager dans l’armée allemande. Il est emprisonné à Île Longue où il côtoie notamment Leo Primavesi et Max Pretzfelder.

Aux Archives départementales des Hautes-Pyrénées, la référence du dossier de Max Pretzfelder est 9_R_152.

Une notice biographique est en cours de rédaction pour le dictionnaire-anthologie Le Sud-Ouest de la France et les Pyrénées dans la mémoire des pays de langue allemande au XXe siècle (Le Pérégrinateur, 2018).

Hilda Inderwildi, janvier 2018

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Witte, Friedrich Johann (1874-1940)

Né à Bielefeld en Rhénanie-Westphalie, l’Allemand Friedrich Johann Witte, dit Frédéric Witte ou Witté, travaille comme interprète à l’accueil d’un hôtel de luxe parisien, quand éclate la Première Guerre mondiale. Avec sa compagne, Louise Toulliou, originaire de Quimperlé dans le Finistère Sud, il habite successivement Paris, Courbevoie puis Colombes. Ces époux sont un exemple du douloureux destin ordinaire des couples franco-allemands durant la première moitié du XXe siècle. Ils n’ont pas eux-mêmes livré de témoignages formels. C’est Michèle Witté, petite-fille de Frédéric et fille de François Witté, qui se dédie à reconstituer l’histoire de cette famille entre la France et l’Allemagne.
De l’union libre de Louise et Frédéric naissent trois premiers enfants, Frédéric Jean (1903), Rodolphe (1908) et Simone (1912). Frédéric Witte arrive le 7 septembre 1914 au camp de Garaison par Monléon-Magnoac, dans les Hautes-Pyrénées. Installé dans les locaux vacants d’un collège religieux, ce camp          « accueille » depuis le jour de son ouverture jusqu’en 1919 quelque 2130 internés : Allemands, Autrichiens, Ottomans, mais aussi Alsaciens-Lorrains, Polonais ou Tchèques, ressortissants des puissances alors en guerre contre la France – parmi eux le docteur Albert Schweitzer et son épouse. L’objectif consiste principalement à retenir les hommes mobilisables, susceptibles de grossir les rangs des armées ennemies si on leur permettait de rentrer dans leur pays. Tel est le cas de Frédéric Witte (40 ans).
Sa famille est restée en région parisienne. Privée de ressources après le départ forcé de son compagnon, Louise décide de rejoindre le père de ses enfants et de se faire admettre au camp, où elle se présente le 7 août 1915. Le préfet accède à sa requête trois jours plus tard au vu de sa situation précaire. Toutefois l’ainé des enfants, Frédéric (Fritz/Jean, 12 ans) demande très vite à quitter le camp pour pouvoir vivre chez sa tante Jeanne. Celle-ci réside alors à Montluçon et son mari, le capitaine François Mercier, ainsi que son fils Patrice, combattent au front. Fritz écrit à son cousin, dans une lettre datée du 15 octobre 2015 qu’il souffre d’être « interné à Garaison comme boche ! » Le capitaine Mercier s’étant engagé à élever son neveu « avec des sentiments français, qu’il a déjà », Fritz est autorisé à quitter le camp le 18 décembre 1915, mais il devra y revenir après le décès de son cousin qui survient le 15 mai 1917. Dans l’intervalle, la vie continue pour les internés, adoucie par les mandats qu’envoie régulièrement la tante. Un garçon naît à Garaison le 7 juillet 1916, François Patrice vivra ses premières années au camp. Les parents se marient le 17 septembre 1917 à la mairie de Monléon-Magnoac. La demande de rapatriement que dépose la famille en vertu des accords concernant les échanges de prisonniers ne peut aboutir. En conséquence, les Witte demeurent à Garaison jusqu’à la fin de la guerre. Dans une note confidentielle du directeur du camp, on peut lire à propos de Frédéric Witte : « très correct, mais il a gardé quelque chose de son origine – nous ne le croyons pas de cœur avec nous ». À sa libération, celui-ci veut retourner dans son pays natal, pour échapper à la France qui l’a maltraité. Après avoir confié leurs trois aînés à Jeanne, les époux Witte partent en Allemagne avec le petit dernier. Ils n’y sont pas les bienvenus : Fréderic est regardé comme un paria ayant fui l’Allemagne, marié à une Française, de surcroît. Un cinquième enfant, Richard, naît à Essen en 1920, puis les Witte font l’acquisition d’un « bar-tabac » dans les locaux de la gare de Bad Godesberg. En 1930, François vient à son tour vivre chez sa tante à Lorient. Les Witte, qui regrettent la vie parisienne et s’inquiètent de la montée du nazisme, songent à rentrer en France. Ils se réinstallent à Paris en 1934. Leurs aînés ont entre-temps fait carrière dans l’armée française. Jean deviendra colonel, son frère Richard, capitaine. L’ancien interné de Garaison, naturalisé français à l’automne 1937, ne le saura pas : il meurt à Paris le 4 février 1940.
Les formulations entre guillemets renvoient au dossier de Frédéric Witte (9_R_139) aux Archives départementales des Hautes-Pyrénées.
Le témoignage de Michèle Witte est à paraître en allemand (également consultable en français) sur le site web du programme de recherche toulousain            « Nomadenerbtümer » [« Patrimoines nomades »].

Hilda Inderwildi, janvier 2018

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