1. Le témoin
Née à Mirepoix (Ariège) dans une famille de notables, propriétaires de la ferme de Malaquit où elle revient chaque année en vacances après son mariage avec Raymond Escholier en 1905. Celui-ci était un critique d’art, conservateur de musée à Paris.
Après la guerre, Raymond et Marie écriront des « romans du terroir », parmi lesquels Cantegril obtint le prix Fémina en 1921. Elle est décédée à Malaquit le 21 mars 1956.
2. Le témoignage
A Malaquit, Marie Escholier et ses deux fils attendent Raymond qui doit « descendre » de Paris en cet été de 1914. Mais il ne viendra pas. Marie commence alors un journal, qu’elle va tenir jusqu’au 12 mai 1915. Son fils Claude pense qu’après cette date, en accord avec son mari, elle a abandonné son journal pour se consacrer à l’écriture de leur premier roman, Dansons la trompeuse. Le manuscrit du Journal n’était pas destiné à la publication, mais rien ne l’interdisait. Retrouvé par Claude Escholier, il a été publié en 1986 sous un titre qui n’est pas d’origine : Marie Escholier, Les saisons du vent. Journal août 1914 – mai 1915, Carcassonne, GARAE/Hésiode, 1986, 154 p., prenant aussi le n° 10 dans la collection « La mémoire de 14-18 en Languedoc ». Une présentation des éditeurs explique en quelques pages le choix du titre. Postface de Claude Escholier, « Naissance d’une écriture ». Le volume donne une liste des romans publiés en collaboration entre Marie et Raymond Escholier, et un lexique des mots occitans employés dans le Journal.
3. Analyse
La grande finesse de l’auteur lui permet de comprendre les individus ; son sens de l’observation lui permet de décrire l’impact de la situation de guerre sur une société rurale, la campagne ariégeoise autour de Mirepoix. On peut regrouper les principaux apports en trois grandes parties.
Bouleversements et brassages
La mobilisation des hommes jeunes a des conséquences fortes sur le travail des champs, sur l’aspect de la rue, et sur l’honorabilité de quelques jeunes filles qui ne pourront pas « réparer leur faute » dans le mariage. Des réfugiés arrivent du Nord, de Belgique, de Paris en août, avant la bataille de la Marne. Cela produit quelques frictions. La classe 14 vient faire des manœuvres autour de Malaquit ; les jeunes soldats ont l’air d’un « troupeau d’enfants malades », d’autant qu’une épidémie de méningite fait des ravages. L’ambiance générale est triste : pas de foire, pas de fête. Mais, en février, il y aura la fabrication de la charcuterie à partir du cochon élevé à domicile : l’ordre immuable de la cérémonie sera respecté.
L’information
Le grand thème, c’est l’attente des nouvelles. Le facteur prend une importance inhabituelle. Les lettres deviennent source collective d’informations (« la lettre d’un soldat appartient à tout le monde »). Echanges d’objets avec le front : colis de vêtements et de nourriture d’un côté ; produits de l’artisanat des tranchées de l’autre. Les silences et les contradictions de la presse sont assez vite perçus ; on ne croit plus à ce que disent les journaux (« dont les fanfaronnades imbéciles me font mal au cœur », écrit Marie dès le 6 septembre 1914). Mais on les lit tout de même. Les rumeurs circulent, dans la version « archaïque » des prophéties (p. 28, 48, 60, 79).
Sentiments et attitudes
L’état de guerre crée une conception plus profonde de la vie. On regarde avec respect ceux qui vont partir au feu. Les enfants sont confondus de voir pleurer un homme adulte, un soldat blessé venu en convalescence et qui repart. Les lettres contiennent des formules terribles dans leur laconisme : « Je suis encore en vie, la plupart des copains sont morts » ou « J’ai bien changé, je sais ce que c’est que la vie, nous sommes moins qu’une fumée ».
L’enthousiasme patriotique est vite remis en question. Dès le 4 octobre, un soldat qui va partir remarque : « Nous sommes de la viande de boucherie. » Un autre, réformé, rayonne. Une mère dont le fils est prisonnier à Magdeburg est radieuse, et Marie Escholier précise : « On a des bonheurs qui feraient la désolation des jours ordinaires. » Une réfugiée belge annonce que dans quinze ans la France et l’Allemagne seront alliées contre l’invasion russe. L’Union sacrée aussi est remise en question. La campagne critique la ville. On recherche le bouc émissaire : pour certains, ce sont les curés et les riches qui ont déchaîné la guerre ; pour d’autres, la défaite est due à la débandade des soldats d’Antibes, aux socialistes, aux officiers, ou tout simplement à la « trahison ».
Au total, des pages admirables.
4. Autres informations
– Voir la notice Raymond Escholier dans Témoins de Jean Norton Cru.
– Alexandre Lafon, « Un couple dans la guerre : Raymond et Marie Escholier », dans Patrimoine Midi-Pyrénées, n° 1, octobre 2003, p. 58-59.
– Bernadette Truno, Raymond et Marie-Louise Escholier. De l’Ariège à Paris, un destin étonnant, Canet, Editions Trabucaire, 2004, 222 p., illustrations.
Rémy Cazals, 02/2008