Dans le cadre des activités de la bibliothèque patrimoniale du Grand Cahors, Didier Cambon et Sophie Villes ont recueilli des témoignages lotois sur la période de la Grande Guerre et les ont regroupés en chapitres thématiques : Didier Cambon et Sophie Villes, 1914-1918, Les Lotois dans la Grande Guerre, tome 1 Les Poilus, préface du général André Bach, Les Cahiers historiques du Grand Cahors, 2010, 197 p.
Le témoignage de l’instituteur d’Albas, Ernest Lafon, est peu contextualisé. On ne donne pas son âge ; on dit seulement qu’il a écrit une « relation » des premiers jours de la guerre, vus du Lot ; on sait seulement qu’il a été mobilisé au 131e RIT. Mais ses notes sur juillet-août 1914 sont intéressantes. Il constate que les journaux de fin juillet ont rétrogradé l’affaire Caillaux à la rubrique des faits divers, tandis que les nouvelles de la tension internationale deviennent de plus en plus inquiétantes. « C’est avec une fièvre croissante qu’on attend l’arrivée du courrier. Incapable de continuer ma classe avec calme, je fais les cent pas autour des rangées de bancs. » L’assassinat de Jaurès est « un véritable coup de massue asséné sur nos cerveaux déjà si abattus ». Le télégramme annonçant la mobilisation générale arrive à Albas le 1er août. C’est le dernier jour d’école avant les grandes vacances ; avant de se séparer, maître et élèves crient ensemble : « Vive la France ! » Le 3 août, il voit partir un groupe de jeunes gens qui annoncent leur retour « pour les vendanges ou au plus tard pour boire le vin nouveau ».
Il rejoint la gare de Camy à bicyclette pour assister au départ du train : « Quelle foule ! Il en est venu de partout, de la montagne et de la plaine. Les nôtres, tranquillement assis à l’ombre d’un platane, se trouvent un peu isolés au milieu de toute la population luzechoise qui, fanfare en tête, accompagne ses enfants. Comment rapporter tant d’émouvantes scènes, le stoïcisme de la part de ceux qui restent et qui s’efforcent de maintenir leur abnégation à l’altitude du courage de ceux qui s’en vont ? Je vois encore ces couples muets, la femme appuyée sur l’épaule du mari observant une héroïque froideur, une réserve sublime pour éviter toute défaillance. »
Rémy Cazals, avril 2016