Quatorzième et dernier enfant d’une famille de cultivateurs normands demeurant à Brionne, dans l’Eure, Marcel Duhamel quitte très jeune sa famille pour aller travailler à Paris. En 1914, il est devenu propriétaire d’un magasin de cycles et motos situé dans le 17e arrondissement, au 16 de la rue Jouffroy.
Mobilisé le 3 août, célibataire, il doit fermer son magasin pour rejoindre le 22e Régiment d’artillerie à Versailles. Son grade de maréchal des logis lui permet d’être choisi comme agent de liaison cycliste pour l’état-major du groupe.
Débarqué à la gare de Laon, le régiment équipé de canons de 75 se dirige vers la frontière belge, jusqu’au pont de Solre-sur-Sambre atteint fin août. Commence ensuite la retraite harassante vers le sud jusqu’à Villers-Saint-Georges, près de Provins. À partir du 8 septembre, le régiment remonte vers le nord et s’arrête devant Berry-au-Bac, où il reste dix-sept jours. Se retrouvant sans directives après la mort de ses chefs, Marcel Duhamel laisse sa fonction de cycliste et prend d’autorité la place de chef de la 7e pièce (3 caissons, 18 hommes, 20 chevaux) de la 24e batterie.
D’octobre 1914 à mai 1915, il est cantonné dans le secteur de Suzanne-Maricourt, près de Péronne. Par amitié pour un brigadier, il accepte d’échanger sa place de chef de la 7e pièce pour devenir chef de la 3e pièce, à la batterie de tir. Une attaque contre les positions allemandes menée en décembre se solde par un échec. En mai 1915, il quitte ce secteur pour participer à l’offensive d’Artois. Dix des douze canons y seront détruits. En septembre 1915, il participe à l’offensive de Champagne et, en juillet 1916, à l’offensive de la Somme. Le 7 juillet, fortement commotionné et atteint de surdité, il est mis au repos dans une unité anti-aérienne.
C’est seulement à la fin de sa vie, vers 1968, que Marcel Duhamel rédige ses souvenirs des années 1914-1916 à la demande de son fils. Publié par la famille en 2014, le récit est complété de divers documents (photos, citation attribuée le 15 juillet 1916, carte retraçant l’itinéraire de son régiment). Rien n’est dit de ses années d’après-guerre sinon qu’en 1956 il était le président des Anciens Combattants de Brionne.
Le titre de la publication, Ça jamais, mon Lieutenant !, reprend un cri du cœur exprimé par Marcel Duhamel pendant la retraite de 1914 : un lieutenant lui demandait d’utiliser son revolver pour empêcher les fantassins (épuisés de fatigue et ne pouvant plus marcher) de s’asseoir sur les caissons de l’artillerie tirés par des chevaux ; certains s’endormaient, tombaient et passaient sous les roues des voitures suivantes. La réponse vigoureuse de Marcel Duhamel décontenança le lieutenant. La description de la retraite rapportant l’épuisement des hommes et des chevaux, le manque de ravitaillement et de sommeil, les villages incendiés, correspond au témoignage donné par Paul Lintier, maréchal des logis au 44e RAC, dans Ma pièce.
Plusieurs remarques mentionnent les souffrances endurées par « les pauvres fantassins » ; ainsi, pour réconforter un canonnier : « Je le consolai de mon mieux et lui remontai le moral en lui faisant valoir la chance qu’il avait de ne pas avoir été versé dans l’infanterie ». Il note l’efficacité du matériel allemand, comme les obus explosifs, ou l’importance du réseau de barbelés que les Allemands mettent en place la nuit en toute sécurité contrairement aux Français, vite repérés par les fusées éclairantes allemandes. Il relate un malheureux tir, qui a tué un fantassin français dans la tranchée de première ligne ; l’erreur résultait de ce que les obus, à poids égal, n’avaient pas tous la même puissance de tir selon qu’ils provenaient de tel ou tel fournisseur. À la fin de ses souvenirs, il ironise sur les officiers qui restaient dans leurs abris pendant les canonnades, et s’indigne de l’attribution des médailles à des soldats non méritants : « Puis j’ajoutai que, de ce jour, je considérais que la Croix de Guerre avait été instituée, non pour récompenser, mais pour décourager les meilleures volontés. »
Issu du monde rural, Marcel Duhamel a conservé un regard bienveillant sur les vaches ou les chevaux, et note l’intelligence d’un cheval rentré seul aux échelons, signalant ainsi la mort du lieutenant qui le montait.
* Marcel Duhamel, ça jamais, mon Lieutenant ! Guerre 1914-1918, Paris, L’Harmattan, « Mémoires du XXe siècle – Première Guerre mondiale », 2014, 77 p.
Isabelle Jeger, avril 2016