1. Le témoin
Albert Labbé est né à Pas-en-Artois (Pas-de-Calais) en 1893, ses parents tenaient avant 1914 un café-cinéma. Il est incorporé à vingt ans au 43e RI de Lille en octobre 1913. Engagé dans les combats sur la Meuse (Saint-Gérard) le 23 août 1914, il participe ensuite à la bataille de la Marne à Esternay. Il est blessé d’un éclat à la tête le premier jour de l’offensive de Champagne, à Beauséjour le 16 février 1915. Soigné à Arcachon jusqu’en avril, il est peut-être réformé ou classé auxiliaire après cette période.
2. Le témoignage
Le carnet d’Albert Labbé, qui va du 2 août 1914 au 17 mars 1915, est un récit succinct des événements qu’il vit, avec en général deux ou trois lignes par jour, et un peu plus lors des journées d’engagement, comme par exemple celle du 16 février 1915. Le document, entrecoupé de coupures de presse, se termine par une chanson recopiée et les adresses de quelques camarades. L’emploi du terme boche dès le 14 août 1914, et des erreurs de dates (jours de novembre datés d’octobre), font penser à la reprise d’un document original, peut-être réalisée lors de la convalescence.
Ce carnet, numérisé par les Archives départementales du Pas-de-Calais, est disponible sur Internet (« Albert Labbé Wikisource »). La mise à disposition du public de ce témoignage, résulte d’abord de la campagne de collecte de documents venant de particuliers, réalisée par les différentes Archives Départementales et par le programme Europeana 14-18. Dans une démarche « Open Data », un accord entre les Archives Départementales des Alpes-Maritimes (AD 06) et la bibliothèque numérique collaborative Wikisource, accord élargi ensuite aux AD 37 et AD 62, a permis de mettre à la disposition de volontaires transcripteurs des manuscrits numérisés, pour réalisation et mise en ligne d’une version typographiée. La version définitive doit être certifiée par deux contributeurs, mais surtout, pour chaque page, l’onglet « source » permet de vérifier avec l’archive originale. Si les AD ne garantissent pas le résultat final (en terme de fidélité absolue), le protocole permet un résultat assez satisfaisant, et surtout de porter à la connaissance du public des documents qui sinon dormiraient dans les rayonnages (conversation avec A. Lestiennes, Webmestre éditorial aux AD du Pas-de-Calais, janvier 2018).
3 Analyse
Albert Labbé mentionne, en date du 11 août 1914, sept morts du fait de la chaleur – ce qui fait beaucoup – et de nombreux malades, ce qui est plus plausible. L’auteur consacre une vingtaine de lignes au combat du 23 août entre Dinant et Givet, et c’est une impression de confusion qui domine: (23 août pdf 17 – 18) « on reçoit l’ordre de battre en retraite mais un obus tombe juste sur un caisson ; qui explose ; des officiers crient sauve-qui-peut, c’est la déroute; comme des maladroits au lieu de suivre le capitaine on traverse le champs de bataille d’un bout a [sic + suite pour orthographe – syntaxe] l’autre et après avoir couru 7 k dans les récoltes au milieu du feu des mitraillieuses et des obus un général nous fait déployer sur une crête ; ne voulant pas tirer devant nous ; puisque nos camarades arrivent ; j’ai laisser mon sac comme tout le monde pour reprendre ma course. » Mention est faite ensuite du combat d’arrêt du 30 août (bataille de Guise), A. Labbé en revendique la victoire, avec beaucoup de pertes pour les Allemands. La mention du 6 septembre (bataille de la Marne) signale l’impréparation des Allemands et l’avancée des Français. Le 7 septembre : (pdf 25-26) « A sept heures du matin après avoir fait le jus ont reprend ses positions. A 5 heures on avance et on arrive à Esternay. Les allemands ont allignés leurs tués dans les prairies, de tous côtés, ont fait une grande partie de la croix rouge bôche prisonnière et on soigne de nombreux blessés, qui n’ont pas arriver a se sauver. Dans ce pays un officier bôche, après avoir abuser d’une fillette, il lui a cassé le bras et sa mère demandait secours au major du 43e. Ils ont tué 2 civils dans les prairies.» La poursuite prend fin à Reims, où ils sont acclamés par la foule, « vin, bière, on nous donne chocolat, gateaux et même des portemonaies garnis. ». Les durs combats de septembre et octobre sont évoqués succinctement, devant les forts de Reims puis dans le secteur de Pontavert. Le 15 octobre, le carnet fait état d’un stratagème allemand, compliqué dans son application, si l’on suit la source en termes de véracité : «L’attaque [française] ratée, le soir, quelques blessés arrivent à repasser le pont, ceux qui demandaient des secours furent achever par les patrouilles allemandes qui venaient près de nous crier « feu par salves », ce qui nous obliger de tirer sur eux ; le lendemain, la crête était recouverte de nos cadavres français qui sont restés là durant deux mois devant nos yeux. » Mention est faite d’une parade d’exécution le 20 octobre, puis en novembre d’une prise de contact avec des Allemands (échange de journaux et d’une boîte de cigares), la fraternisation ayant été déclenchée par « le lieutenant Robert qui a chanté un air allemand que les bôches ont applaudi » (pdf 51). Le 5 décembre, avec l’arrivée de la classe 1914, la Saint-Nicolas est fêtée jusqu’à 2 heures du matin. Le 43e est en ligne en Champagne devant le fortin de Beauséjour dès décembre 1914, et, avec des conditions météorologiques difficiles, les combats sont âpres dès avant la grande offensive française du 16 février 1915.
Un passage intéressant du récit réside dans la description de l’attaque à l’occasion de laquelle il a été blessé : 16 février, 10 heures « Toute la compagnie franchit le parapet a la baïonette avec fanion rouge pour l’artillerie. Plus un piquet, plus de fil de fer, une panique chez les bôches qui se sauvent avec leurs mitraillieuses. Pas un de nous est blesser . Arriver dans la tranchée bôches, on s’empare d’un théléphone, le lieutenant Givet casse une mitrailleuse (avant de se replier). On voit des équipements bôches partout de Ceux qui ne se sont pas enfui sont prisonnier. On les pique avec la baïonette pour les faire regagner nos lignes. Ils se trainent a genoux, offrant leurs montres, boîtes d’allumettes, etc., etc. (…). On avance toujours en chantant, les bôches se sauvent, nous voici presque à la 3e tranchée, on se retourne, on aperçoit qu’il y a des bôches a gauche qui nous tirent dans le dos. On demande du renfort, rien ne vient. Le renfort bôche, la garde impériale arrive, on tire a bout portant, plusieurs tués dans notre côté. On économise nos cartouches. La poussée devient terrible, on revient sur ses pas, après avoir vider 2 équipements (celui de Martin tué à mon côté.). Les bôches lancent des grenades, c’est alors que j’en ai reçu un éclat sur la tête. A moitié assommer, je me suis réfugier dans une sappe. » A. Labbé réussit à regagner l’arrière vers 13 heures, et clôt son récit en signalant que les restes de sa compagnie, faute de renfort, ont dû aussi regagner le soir les lignes de départ. Evacué, il arrive à Arcachon le 20 février, mention qui termine son récit.
Vincent Suard, mars 2018