Roger Marie Joseph Martin est né à Cahors (Lot) le 28 avril 1892 dans une famille de notables catholiques. Son père était avocat. Pendant la guerre, Roger va à la messe et communie ; il joue de l’harmonium à l’église. Etudes de droit. Mariage en 1931.
Sa fille a conservé huit carnets de guerre, tenus d’avril 1915 à juillet 1918, et les a retranscrits. Quelques photos.
Caporal au 207e RI, il fait un passage à Saint-Cyr de mai à septembre 1916 et devient sous-lieutenant, puis lieutenant. Il joue au bridge avec les officiers.
Ses carnets disent l’importance du courrier reçu de la famille et les sentiments d’affection pour celle-ci, ainsi que la solidarité avec les camarades venant de la même région.
Il décrit la nourriture, les cantonnements, avec un véritable souci de s’installer le moins inconfortablement possible. Ainsi le 6 août 1915, dans une ferme abandonnée : « Le coin que j’ai aménagé est très bien. Bizac, Monteil, Arnaudie et moi, nous nous y installons. Un nid d’hirondelles accroché au mur est plein de petites hirondelles que la mère vient alimenter de temps en temps. Une pompe tout près est très commode pour se laver. J’écris sur un bureau et je suis sur une chaise, c’est un moment de luxe. » Même ironie lorsqu’il baptise sa cagna « Villa Mon Rêve ».
Il décrit aussi, longuement, la pluie en Artois en 1915, les pieds abîmés par la marche et le froid ; évocation de quelques attaques.
Le témoignage de Roger Martin est utilisé par Nathalie Dehévora dans son mémoire de maîtrise Quatre combattants de 14-18, Université de Toulouse Le Mirail, 2005. Peut-on savoir si les documents originaux ont été apportés dans un dépôt d’archives publiques du département du Lot ? Une réponse éventuelle sera ajoutée à cette trop brève notice.
Rémy Cazals, septembre 2017
Gillespie, Alexander Douglas (1889-1915)
1. Le témoin
Né à Linlithgow, en Écosse, Alexander Douglas Gillespie étudie au lycée d’Edimbourg avant d’entrer à Oxford en 1908, où il se distingue notamment en latin et en grec. Après avoir décroché sa licence, il ne poursuit pas ses études de lettres classiques bien qu’on lui prédise une carrière à l’université. Il opte pour une carrière juridique. Mais avant d’entamer son nouveau cursus en droit, il voyage avec son père pendant neuf mois autour du monde, visitant l’Afrique de l’Est, la Chine, le Canada et les États-Unis.
En août 1914, il se porte volontaire au sein du régiment écossais des 2nd Argyll & Sutherland Highlanders. Arrivé en France en février 1915, avec le grade de sous-lieutenant, il écrit de nombreuses lettres à sa famille et à ses amis. L’une d’entre elles, adressée au directeur de son collège universitaire, sera publiée dans la presse nationale et attirera l’attention de Kipling. Gillespie y évoque l’après-guerre et imagine l’aménagement d’une via sacra de la mer du nord à la Suisse. Cette immense voie sacrée deviendrait un lieu de pèlerinage en mémoire de tous les combattants tués au combat : « Ces champs sont sacrés et je souhaiterais que lorsque la paix sera revenue notre gouvernement trouve un accord avec le gouvernement français pour construire une longue avenue entre les Vosges et la mer, ou du moins, entre La Bassée et Ypres, à l’emplacement du no man’s land qui séparait les tranchées. » Alexander Gillespie est un homme dont la curiosité est sans cesse en éveil, et qui se démarque par des idées innovantes, qu’il n’hésite pas à mettre en pratique. C’est ainsi qu’il demande à la mère d’un ami, Isaac Balfour (qui sera tué aux Dardanelles), de lui faire parvenir un livre de botanique. Devant un abri, il plantera des graines de fleurs envoyées d’Angleterre.
Alexander Gillespie est tué le 25 septembre 1915 au cours de la bataille de Loos, à la tête de sa compagnie. Dans le paquetage d’Alexander se trouvait un exemplaire du Pilgrim’s Progress de Bunyan, célèbre ouvrage que beaucoup de combattants avaient emporté en France. Gillespie y avait souligné le passage suivant : « J’entrai alors dans la Vallée de L’ombre de la Mort. Pendant la première moitié de mon parcours, je ne vis aucune lumière. Je pensai que l’heure de ma mort était arrivée quand le soleil se leva et je poursuivis mon chemin avec beaucoup plus de sérénité. » Son frère Thomas était tombé un an auparavant dans le même secteur.
2. Le témoignage
Publié en 1916, le recueil de lettres d’Alexander Gillespie sera remarqué par les critiques, qui souligneront la qualité de l’écriture et l’originalité du contenu. Ceci dit, la préface rédigée par l’évêque de Southwark, Hubert Burge, n’échappe pas à l’hagiographie habituelle, avec la mise en avant des notions de devoir et de sacrifice, que l’on retrouve certes dans les lettres, mais nettement nuancées.
3. Analyse
Jour après jour, de février à septembre 1915, Alexander Gillespie écrit de longues lettres à sa famille où l’évocation de la routine militaire et de la vie dans les cantonnements se mêlent aux considérations plus générales sur la guerre et aux griefs contre les états-majors, le tout dans un style précis et clair. Le volume de la correspondance, plus de 300 pages pour sept mois, est révélateur du besoin impérieux d’écrire qu’éprouvent les combattants, notamment les sous-officiers qui viennent de quitter l’université. Les considérations littéraires ne sont pas rares mais l’essentiel réside dans une narration rigoureuse de la vie militaire, toutefois ponctuée de commentaires stratégiques, politiques ou sociologiques. Pour les étudiants qui se sont engagés sous les drapeaux, l’écriture quotidienne de lettres est une façon de lutter contre une routine militaire peu propice aux spéculations intellectuelles. Une des caractéristiques les plus singulières de cet ensemble de lettres est l’absence d’ancrage géographique. Aucun nom de lieu, des descriptions de villes et de paysages réduites au minimum, comme si Gillespie avec voulu suivre scrupuleusement les consignes des autorités militaires. Etant lui-même astreint à lire les lettres de ses hommes pour les censurer si nécessaire, il ne s’est pas octroyé le droit de prendre des libertés avec la censure dans ses propres lettres. L’impression qui s’en dégage est celle d’une grande région uniforme, vouée à la guerre, dont les spécificités géographiques ont été gommées. Le titre que l’éditeur a choisi pour le recueil est révélateur : Letters from Flanders. Les Flandres semblent ici s’étaler bien au-delà de leurs frontières habituelles.
Les trois extraits qui suivent donnent un aperçu de la teneur de cette correspondance. Celui daté du 24 septembre est tiré de la dernière lettre écrite par Alexander Gillespie. Il y évoque l’esprit de Thomas, qui l’accompagnera et l’aidera, espère-t-il, dans la bataille qui sera engagée le lendemain. Quelques semaines auparavant, il avait cherché la trace du château où son frère avait passé sa dernière nuit.
12 mai 1915 Les tranchées
Je viens de voir dans un hebdomadaire une photo pleine page avec pour titre : Comment à trois ils ont combattu cinquante Allemands et remporté la victoire, et au-dessous le détail de leur haut fait. Les trois héros appartenaient à notre régiment, ce qui nous a pour le moins surpris parce que nous ne sommes jamais allés à La Bassée, où leur exploit est censé avoir eu lieu. Quand on regarde attentivement la photo, on voit que les arbres sont bien en feuilles et que les soldats portent des guêtres et des bas de Highlanders, accoutrements que l’on n’utilise plus depuis un bon bout de temps. L’un d’entre nous a reconnu notre sergent préposé à la cordonnerie. Les deux autres étaient des hommes du train, qui n’évoluent qu’en seconde ligne. Ils sont en général à plus de cinq kilomètres des tranchées. Bref, l’histoire est un mensonge de A à Z. De lire ce genre de chose ne peut qu’amplifier notre méfiance envers les journaux. La photo a dû être prise pendant notre retraire l’année dernière.
30 juillet 1915 Cantonnement
Notre système de volontariat a un inconvénient majeur. Il incite la presse à essayer de convaincre les officiers et les hommes du rang qu’ils sont des héros. Comme ils sont venus se battre ici de leur plein gré, ils méritent le meilleur traitement possible. C’est ce qui est sous-entendu. En fait, ils ne font que ce que tout Français accomplit par obligation sans se poser de questions. Je considère qu’il faut encourager les hommes à se battre et leur donner le plus d’ouvrage possible quand ils ne sont pas en ligne. Il y a trop d’immobilisme ici. On ne tire pas sur les Allemands pour qu’à leur tour ils ne nous tirent pas dessus. Il faudrait faire feu sur toutes les cibles et viser juste, c’est la seule façon de terminer cette guerre. Nous savons que lorsque nous nous en donnons la peine, nous leur sommes supérieurs.
24 septembre 1915
Mon cher papa,
C’est ton anniversaire, je crois, mais je n’ai pas trouvé de cadeau pour toi dans ma tranchée.
(…) Sous peu, nous serons au coeur de la mêlée. Si nous attaquons, ma compagnie fera partie de la première vague d’assaut, et je serai vraisemblablement celui qui la commandera. Non que j’aie été spécialement désigné, mais quelqu’un doit le faire, et je suis le plus ancien de la compagnie. Je n’ai pas d’appréhension, car je serai entouré de tous mes amis, et si l’esprit peut voyager, et se rendre aux endroits où on a le plus besoin de lui, alors Tom lui-même (1) sera là pour m’aider et me donner du courage, car il faut conserver la tête froide, sans cela aucune attaque ne peut réussir. Je sais qu’il est tout aussi vain de courir des risques inutiles que de rester tranquille en arrière. Ce sera une belle bataille, et même quand je pense à toi, je ne voudrais pas en être absent. Te souviens-tu du poème de Wordsworth, Le Guerrier Heureux ? Je ne pourrais jamais atteindre un tel degré de bonheur dans cette guerre mais sache que je suis très heureux et quel que soit mon destin tu te souviendras de cela.
Bon, tout ce que l’on écrit à un moment comme celui-là paraît bien futile, parce que la langue ne peut exprimer tout ce que l’homme ressent, mais j’ai pensé qu’il serait bien de t’envoyer ces quelques lignes griffonnées à la hâte.
Tout mon amour filial, à toi et à maman,
Bey.
(1) son frère, tué au combat un an auparavant
4. Autres informations
Le frère d’Alexander, Thomas Gillespie (1892-1914), était également étudiant à Oxford et faisait partie de l’équipe universitaire d’aviron. Il avait participé aux Jeux Olympiques de 1912, où il avait décroché la médaille d’argent. Engagé dès le début de la guerre, avec le grade de lieutenant, il prend part à la bataille de l’Aisne. Tué le 18 octobre 1914 à La Bassée, il n’a pas de sépulture connue. Son nom est aujourd’hui gravé sur le mémorial du Touret. Le corps d’Alexander n’a pas non plus été retrouvé. Il est commémoré sur les panneaux 125-127 du mémorial de Loos. Alexander et Thomas étaient les deux seuls enfants de Thomas Paterson Gillespie et d’Elizabeth Hall Chambers. Les lettres de Thomas sont incluses dans le recueil d’Alexander, dont sa dernière, également adressée à leur père, datée du 16 octobre 1914.
Francis Grembert, octobre 2015
Source :
Letters from Flanders, written by 2nd Lieutenant A.D. Gillespie, Argyll and Sutherland Highlanders, to his home people, Smith, Elder & Co, 1916 (préface de l’évêque de Southwark : An Appreciation of two brothers)
The Spectator, 8 avril 1916