Bonneton, Armand (1885-1969)

Armand Antonin Bonneton est né à Sète (Hérault) le 22 mars 1885 d’un père employé du chemin de fer et d’une mère sans profession. Lorsqu’il s’est présenté devant le conseil de révision, il était employé de commerce. Ajourné en 1906, il a été exempté pour faiblesse générale en 1907. Il s’est marié à Sète en juin 1913. En novembre 1914, il s’est engagé pour la durée de la guerre « dans le service automobile exclusivement » et il est resté à Lyon pour une période d’exercices jusqu’en mars 1915. Il monte alors dans le Nord (Ypres, puis Artois) au 14e Train, où les camions transportent des hommes, des vivres ou des munitions. Chauffeur, il est parfois désigné comme cycliste ou comme cuisinier, cette dernière fonction étant beaucoup moins pénible et beaucoup plus appréciée. Tous les soldats de la Grande Guerre n’ont pas connu le feu. Le 7 avril 1915, Armand Bonneton et quelques camarades font une « excursion » aux tranchées. Le 25 juillet 1916, quelques marmites ayant coupé la route devant le convoi de camions, il note qu’il a vécu son « baptême du feu ». Par contre, les conditions de vie des chauffeurs sont souvent très dures. Ils subissent la pluie, le froid, les ordres stupides qui provoquent des fatigues inutiles, l’absence de ravitaillement. Faute de cantonnement, ils dorment parfois dans des hamacs suspendus dans le camion. Voici le récit du 22 octobre 1915 : « Durant toute la nuit, la pluie n’a cessé de tomber avec force et, dans notre camion, l’on aurait dit des cailloux qui tombaient du ciel sur notre bâche. À notre réveil une belle lune se montrait et qui a favorisé notre marche jusqu’à l’aurore. La route est grasse, nombreux dérapages. Les camions marchent comme des crabes et font la valse. J’ai mal aux poignets de tenir le volant et avec mon compagnon nous nous remplaçons souvent. Près de Barlin un camion, le n° 1, a glissé dans un fossé, à nous de l’en tirer car nous sommes les derniers de notre convoi. Nous y arrivons après l’avoir remorqué sur un parcours de 100 mètres, ce n’est pas malheureux. Nous reprenons la route et à une descente le derrière menace de passer devant ; ça y est, c’est la danse. Enfin nous arrivons à Nœux-les-Mines et le soleil qui ressemble ici à la lune s’est enfin montré. Où est le soleil du Midi doré et brillant ? Une heure d’attente au four à chaux de Nœux et la relève des tranchées de Loos arrive ; c’est du 77e d’infanterie de Cholet. Tout le monde est embarqué et en route. Toujours des dérapages et la valse continue. […] Je ne suis plus maître de ma direction et les roues arrière commencent le patinage et finalement glissent dans le rebord de la route. Les poilus rouspètent et se cognent les uns contre les autres. Pour ma part je tempête plus qu’eux. Pas moyen de me dégager et je continue la descente par côté. En bas je finis par m’arrêter et tout le monde descend ; ça y est, je vais être engueulé. Non, pas du tout, tous rient. Un Poilu me dit à l’oreille : « Dis, vieux, tu n’aurais pas pu nous blesser ? » »
Ce catholique fervent ne rate aucune occasion d’exercer ses talents d’organiste dans les églises du pays, d’assister à la messe y compris celle « dite par un aumônier militaire dans une voiture chapelle » le 13 juin 1915. Quelques jours plus tard, ému par la proximité de l’anniversaire de son mariage, il écrit : « Ce n’est point par pure dévotion que je me dirige avec mes compagnons vers ce clocher qui tous les jours dans ses sons d’airain annonce pour moi une victoire prochaine, mais, comme à Sète, j’y retrouve les mêmes chants, les mêmes airs et les mêmes idées, le tout orné et fait au même moule. L’on y voit également la même main qui y est passée, et pour Qui cela a été fait. Tout cet ensemble, dans son architecture simple et quoique pourtant bien loin de ceux qui me sont chers, me fait un peu oublier mon éloignement et semble me rapprocher de mon pays natal. » À cette même date (20 juin 1915), il souhaite « que cette maudite guerre d’extermination soit terminée le plus promptement possible avec notre succès final ». Plus tard (1er janvier 1916), lui et ses camarades souhaitent « que 1916 nous apporte la victoire et la paix surtout ».
Le Cercle occitan de Sète conserve le « carnet de route » d’Armand Bonneton qui se termine curieusement : « Le 25 sept. 1916. Départ pour Amiens à 5 h 20 le soir. Fini permission. Adieu le bonheur, etc., etc., jusqu’à la démobilisation le 7 avril 1919. » On comprend qu’il a survécu. On comprend aussi qu’il a recopié ses notes (en les illustrant de quelques photos). On ne sait pas pourquoi il s’est arrêté à cette date : avait-il cessé de prendre des notes pendant la fin de la guerre ? a-t-il renoncé à en poursuivre la transcription ? Sa fiche matricule (Archives de l’Hérault 1R 1186) nous apprend qu’il a quitté le front en octobre 1916 et qu’il a été classé « service auxiliaire » en décembre 1917 pour des problèmes de santé non liés à une blessure de guerre.
RC

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Vidal, Albert (1879-1943)

1. Le témoin

Albert Vidal est né à Mazamet (Tarn) le 22 août 1879 dans une famille de la bourgeoisie lainière protestante. Son père, qui avait été républicain sous l’Empire, meurt alors qu’Albert n’a que 3 ans, mais la famille et les amis relaieront ses idées politiques. Dans sa jeunesse, Albert Vidal récuse la carrière toute tracée dans le commerce international des laines. Peu assidu dans ses études, il obtient la première partie du baccalauréat avant de voguer vers l’Argentine (1898) où il achète de la matière première pour l’industrie mazamétaine du délainage en pleine expansion. De retour en France en 1900, il envisage de vivre de sa plume. Il participe à la création de la Revue provinciale qui va tenir difficilement de 1901 à 1905 à Toulouse ; il écrit des nouvelles et de courtes pièces de théâtre qui rencontrent un succès d’estime, mais ne lui permettent pas de vivre. Il doit donc, dès 1903, revenir à Mazamet et à la laine, mais il continuera à écrire pour son plaisir. Ses descriptions de la ville industrielle, paysage, travail, coutumes, comportements patronaux et ouvriers, ont un grand intérêt pour l’historien. Militant laïque au parti radical-socialiste, il est maire de Mazamet en 1912 pour assurer un intérim ; il est également président du club de rugby.

Après la guerre, il se marie et aura trois enfants. Son entreprise connaît la prospérité des années 20 et la crise des années 30. Partisan du Front populaire, hostile aux dictateurs, il joint les actes à l’écrit en transformant ses magasins de laine en hôpital pour les blessés républicains espagnols en 1939 et en rédigeant des textes contre Franco. Après la défaite de 1940, il parle et écrit contre Vichy et les Allemands. Il meurt de maladie le 25 janvier 1943. Sa femme a été une des premières conseillères municipales de Mazamet en 1945.

2. Le témoignage

Sur la période 1914-1918, on dispose des textes suivants :

– le manuscrit intitulé « Loin des tranchées. Journal d’un embusqué », 33 pages ; l’original est dans le fonds Vidal aux Archives du Tarn

– trois brèves notes publiées dans La Paix par le Droit, janvier 1918, p. 10-13, signées « A. V. volontaire à l’armée d’Orient »

– le premier acte d’une pièce sans titre et sans date, écrite après 1929 puisque les deux autres actes concernent la crise ; Archives du Tarn et Le jeune homme qui voulait devenir écrivain, p. 177-184

– quelques évocations de la guerre dans des notes des années 30 : Le jeune homme…, p. 205-207

– à quoi il faut ajouter une nouvelle écrite en 1902, intitulée « L’Allemande », publiée en 1903 et reprise intégralement dans Le jeune homme…, p. 93-103.

3. Analyse

La nouvelle « L’Allemande » a été écrite d’après ce qu’il a observé dans le milieu bourgeois où on employait des jeunes filles étrangères pour s’occuper des enfants ; ces personnes avaient un statut ambigu et elles étaient jalousées par le personnel domestique. D’autant que les Allemands, depuis 1870, avaient la mauvaise réputation d’être des « voleurs de pendules ».

Réformé pour raisons médicales, Albert Vidal a cherché à s’engager. Il y a réussi en janvier 1915, mais a dû rester plusieurs semaines au dépôt, d’où le titre du journal qu’il a commencé alors à tenir : « Loin des tranchées. Journal d’un embusqué ». Par la suite, il ne modifie pas son titre car il ne s’estime pas un vrai combattant. Il conduit des camions en Lorraine en 1915 et dans la grande noria de ravitaillement de Verdun en 1916. Volontaire pour l’armée d’Orient, il arrive à Salonique en juillet 1916, toujours conducteur de camions, et reste dans les Balkans jusqu’en novembre 1917. A cette date, il obtient une permission, passée à Mazamet. En 1918, il est en Vénétie, mais n’a rien écrit sur cette expérience. La dernière date mentionnée sur son journal est le 3 novembre 1917.

C’est, au total, un témoignage intéressant sur la vie d’un conducteur de camions. Même si ses conditions de vie furent parfois très dures, on y était relativement peu exposé au danger. Albert Vidal n’a pas remis en cause son patriotisme : il fallait vaincre le militarisme allemand. Mais il a pris conscience de l’existence d’un militarisme français et il fustige les erreurs, les brimades, les abus de pouvoir des officiers.

Les textes envoyés à son ami Jules Puech (voir ce nom), rédacteur de La Paix par le Droit, complètent les pages sur les Balkans. Le morceau intitulé « Les laboureurs soldats » est un hommage aux combattants serbes ; « La Foi » critique l’ambiguïté de la politique grecque ; « La tempête de neige » décrit les conditions de vie dans la montagne.

Le premier acte de la pièce mentionnée plus haut se déroule « dans un salon bourgeois en 1920 », en fait à Mazamet dans le milieu que connaît l’auteur. Y apparaissent d’intéressants profiteurs de guerre, des gogos en admiration devant Clemenceau ; le personnage de Colombié représente Albert Vidal lui-même, et l’acte est l’occasion d’exposer les circonstances de son engagement et de définir son attitude vis à vis de l’armée, de revenir sur son souci de se faire respecter par les officiers.

Les notes des années 1930 sont l’occasion d’un retour désespéré sur les illusions du temps de la guerre. Le passage suivant est révélateur de cet état d’esprit : « Pendant les permissions, ils nous accablaient des hauts faits d’aviateurs ou d’agents de liaison. On les sentait poliment incrédules devant le détail de notre misère. Ils nous offraient un cigare ou un petit verre – quelquefois les deux – et retournaient à leurs bénéfices en nous encourageant avec bonne humeur : « On les aura. » Ils nous ont eus. Par un petit matin de 1915, ce père de famille, vous savez ce qu’on en a fait. Sa veuve n’a pas de pension. Et quand on parle de la guerre, ses enfants tremblent de colère et de honte. Et pourtant il n’avait pas fui. » [allusion à une exécution]

4. Autres informations

– Tous les manuscrits d’Albert Vidal, la correspondance reçue, et de nombreux autres documents sont déposés aux Archives départementales du Tarn, sous la cote 141 J.

– Pour une vue générale de la vie d’Albert Vidal et la transcription d’une partie de ses œuvres, voir Albert Vidal et Rémy Cazals, Le jeune homme qui voulait devenir écrivain, Toulouse, Privat, 1985, 255 p.

– Deux photos d’Albert Vidal pendant la guerre, dans Traces de 14-18, sous la direction de Sylvie Caucanas et Rémy Cazals, Carcassonne, Les Audois, 1997, p. 46. Une photo, au camp de Zeitenlick, dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 437.

Rémy Cazals, 02/2008

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