Marchand, Maurice (1884-1923)

1. Le témoin

Né le 12 avril 1884 à Versoie (Savoie), près de Bourg-St. Maurice, vallée de la Tarentaise. Cultivateur et éleveur. Voisin de la famille Quey ; parrain de Delphin Quey (voir ce nom). Pendant la guerre, dès août 1914, il est muletier au 97e RI. Blessé à la tête en mars 1916 par « une ferraille boche ». Opéré le 15 avril : « On m’a ouvert la boîte du crâne, il y avait encore trois petits éclats et des fragments d’os ; paraît-il qu’il était temps de les enlever. » Versé dans l’auxiliaire en septembre 1916.

Après la guerre, il reprend son activité d’élevage. Il meurt sous une avalanche le 23 décembre 1923.

2. Le témoignage

Claude et Jean-François Lovie ont acheté à Versoie la maison Quey et y ont retrouvé une collection de 320 lettres reçues par la famille, parmi lesquelles 36 de Maurice Marchand, principalement adressées à son voisin et ami Alexandre Quey (8 en 1914 ; 19 en 1915 ; 8 en 1916 ; 1 en 1917). Publiées dans Poilus savoyards (1913-1918), Chronique d’une famille de Tarentaise, 320 lettres présentées et annotées par Jacques Lovie, Montmélian, « Gens de Savoie », 1981, 247 p., illustrations.

3. Analyse

Le thème principal des lettres de Maurice est « le pays » : « rien ne vaut ce pauvre Versoie ». Il donne des nouvelles des « pays » (c’est-à-dire des gars du canton). Il demande des nouvelles de la foire de Bourg, des récoltes, des prix : « Ecris-moi bien des nouvelles : parle-moi de tes bêtes ; si tu as bien des veaux ; et si chez moi ils en ont. Comment mon bétail se porte. » Il donne quelques nouvelles de ce qu’il voit à la guerre : « J’ai vu un obus tuer douze chevaux et un homme. » Il parle de la paix (30 juin 1915) : « Faites courage, la paix est proche. […] Tout de même voilà onze mois. » Et en résumé : « Plusieurs souhaitent de recevoir des coups de pied [en ferrant les mulets] pour aller en convalescence ; même mon adjudant est plus découragé que moi ; moi, toujours comme tu me connais : je me soumets avec bon cœur à ce que l’on ne peut pas empêcher. »

Rémy Cazals, mars 2008

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Freinet, Célestin (1896-1966)

1) Le témoin

Né le 15 octobre 1896 à Gars dans les Alpes maritimes dans une famille d’origine paysanne. Après avoir étudié au cours complémentaire de Grasse, il entre à l’école normale d’instituteurs de Nice. Freinet est mobilisé le 10 avril 1915, à 19 ans. Le 15 août, il entre à Saint-Cyr et en ressort avec le grade d’aspirant. Il est grièvement blessé le 23 octobre 1917 au lors de la bataille de la Malmaison au Chemin des Dames, dans le ravin des Gobineaux. Combat dans les rangs de la 2e compagnie du 140e R.I. (27e D.I.). Il reçoit, suite à cette blessure, la Croix de guerre et la Médaille militaire avec la citation suivante : « Jeune aspirant qui s’est vaillamment comporté au combat du 23-10-17. Très grièvement blessé en enlevant la position ennemie à la tête de sa section. » Renvoyé dans ses foyers le 9 novembre 1918. Il traîne, d’hôpital en hôpital, une longue convalescence qui durera quatre ans. Atteint au poumon, il ne se remettra jamais complètement de ses blessures et gardera toute sa vie un souffle court. Après passage devant plusieurs commissions de réforme, il est déclaré invalide et reçoit une pension d’infirmité évaluée à 70%. En 1920, il est nommé instituteur et commence à mener des recherches dans le domaine de la pédagogie qui aboutiront à l’élaboration de la « pédagogie Freinet ». Décédé à Vence, le 8 octobre 1966.

2) Le témoignage

Touché. Souvenirs d’un blessé de guerre, Atelier du Gué, 1996, 104 p. (ISBN 2 902333 33 1) Une illustration (portrait de Freinet en 1914). Une postface présentant des éléments biographiques succincts.

La quatrième de couverture précise que « ce texte a été rédigé dans le courant de l’année 1919, à partir des notes d’un carnet de campagne [que l’auteur] a tenu depuis son incorporation jusqu’au 11 novembre 1918. »

Ce texte a été publié une première fois sous le même titre en 1920 par la Maison française d’art et d’édition (72 p).

3) Analyse

Ce témoignage accorde très peu de place aux circonstances de la blessure par balle. Il y a, chez l’auteur, une véritable volonté de minimiser la période d’engagement pour mieux mettre en valeur l’évocation du traitement de la blessure et de la période de convalescence.La suite du récit privilégie deux types d’évocation : celle d’un homme face à sa blessure (« J’ai soif !… j’ai soif !… (…) J’ai froid, la poitrine nue… Personne ne peut m’entendre. Des soldats errent – pressés. On me marche dessus… Il fait froid… Moi qui naguère… et cette loque à présent », p 21) et celle d’un blessé dont la convalescence va être longue et difficile. La douleur physique est véritablement au centre du récit. Elle devient rapidement le seul leitmotiv qui justifie la narration. L’arrivée dans un hôpital du front (non localisé) autorise l’auteur à décrire toutes les souffrances que subissent les évacués : transport, déshydratation, plaintes des blessés, lutte contre la mort… Commencent alors les premières interventions chirurgicales puis une première convalescence. Cet hôpital – probablement un H.O.E. – est tout, excepté un lieu de repos… Les blessés geignent, perdent la raison. Un colonel y passe, pour distribuer les médailles. Un infirmier y écrit une lettre sous la dictée d’un blessé (pp 38-39). La nuit, on évacue les morts. Le matin, on refait les pansements : « Ce matin, je regardais faire le pansement de mon nouveau voisin : son front a un énorme trou et un morceau de cervelle gros comme le poing déborde du crâne. » (p 40) Un artilleur valide y recherche jusqu’au petit matin son frère : « Au jour, il est reparti, désespéré, rejoindre sa batterie, désespéré de n’avoir pas retrouvé son frère. » (p 41). Les blessés qui craignent l’amputation se rassurent comme ils peuvent, en tâtant leurs membres au réveil. Les infirmiers venus relever la température des corps mentent pour ne pas aggraver le désespoir des patients ou demandent aux moins mal lotis de prendre en charge leurs camarades de souffrance car ils ne peuvent « pas toujours être là… » (p 45) Le seul instant de répit demeure celui des repas. Encore faut-il que la blessure n’handicape pas trop celui qui veut s’alimenter. La présence d’une infirmière réconforte à peine : « Quand elle m’a fait le bandage autour de la poitrine ses cheveux m’ont frôlé… Elle était parfumée… Et mon être n’a pas frémi ; j’en suis encore tout triste. » (p 51) L’hôpital demeure un lieu où « les minutes sont éternelles. » (p 52) et où les cauchemars des blessés demeurent hantés par les récentes scènes de combat. Même les besoins naturels du corps, lorsqu’ils se mêlent aux rêves, l’avilissent encore un peu plus : « Quand les soeurs sont arrivées pour faire le lit, elles ont été surprises de voir des draps trempés et salis (…) » (p 59) Après trois semaines d’hospitalisation, le blessé se sent mieux. D’autant mieux qu’autour de lui, le nombre de mourants diminue. Des parents sont désormais autorisés à venir rendre visite aux blessés.

Freinet ayant été classé « transportable » est évacué par péniche vers Compiègne. Début 1918, nouvelle hospitalisation dans un « château » là encore non localisé. Si la fièvre baisse, le corps reste faible. L’auteur parvient cependant à retrouver une certaine autonomie. Il se réalimente et son corps quitte progressivement sa maigreur inquiétante : « Je dévore, assis sur mon lit. Je ris de mon appétit. » (p 84) Cette longue période de convalescence, où l’auteur réapprend à marcher, évoque pour lui les souvenirs de la petite enfance et doit bien sûr être mise en relation avec le devenir de sa pensée pédagogique. Toutefois, la période des souffrances n’est pas complètement terminée : une balle est restée dans l’épaule. Il faut donc remonter sur la table d’opération pour l’extraire : « On contemple ma balle. Quelqu’un m’a dit : « Vous pourrez en faire une breloque. » (p 93) Durant cette deuxième convalescence, le rétablissement est plus prompt et plus aisé : « Je vais… Ma seconde enfance communie avec le printemps dont elle est l’image, et je mordille les jeunes pousses. » (p 95) Dans cet univers de convalescence où la souffrance demeure, chacun se console comme il le peut, sous le regard de l’autre : « Le manchot se sent favorisé quand il regarde son voisin, l’amputé de la jambe. Celui-ci a pitié du trépané. Ce trépané est heureux de voir. Cet amputé des deux bras a encore un moignon au bras droit – auquel un jour il a fait attacher une fourchette. Et l’aveugle bénit le ciel d’être encore en vie. » (pp 96-97) La région est menacée par l’offensive allemande du printemps 1918, le « château » des convalescents doit donc être évacué. L’expérience de cette blessure ne se cicatrisera jamais tout à fait comme le laisse clairement entendre la dernière phrase de ce témoignage : « Non, nous [les blessés] ne sommes pas « glorieux », nous sommes « pitoyables ». Elle ne reviendra plus ma jeunesse perdue. » (p 101)

4) Autres informations

Louis Legrand, « Célestin Freinet (1896-1966) », Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée (Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation), vol. XXIII, no 1-2, mars-juin 1993, p. 407-423. Consultable à l’adresse suivante :

http://www.ibe.unesco.org/publications/ThinkersPdf/freinetf.pdf

J.F. Jagielski, 8/03/08

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Vigne, Aimé (1894-1916)

1. Le témoin

Né le 27 septembre 1894 à Saint-Maurice-sur-Aygues (Drôme). Ses parents tiennent à Nyons l’hôtel Terminus et un commerce d’huile. Il devient comptable dans l’entreprise familiale. Engagé volontaire pour quatre ans en octobre 1912 au 52e RI. Caporal en 1913, sergent-major le 1er septembre 1914, sous-lieutenant au début de 1916. Blessé en septembre 1914. Après une longue hospitalisation, il est en 1916 à Verdun. Blessé mortellement par un éclat d’obus au visage en août. Sa tombe n’a pas été retrouvée.

2. Le témoignage

Le corpus comprend 79 lettres d’Aimé à ses parents et quelques autres lettres, notamment de sa fiancée. Elles sont conservées par la famille. Larges extraits publiés dans Je suis mouton comme les autres. Lettres, carnets et mémoires de poilus drômois et de leurs familles, présentés par Jean-Pierre Bernard et al., préface de Rémy Cazals, Valence, Editions Peuple Libre et Notre Temps, 2002, 503 p. [p. 215-247], illustrations.

3. Analyse

Parti pour vaincre les Allemands, « ces sacrés troubleurs de la paix universelle » (juillet 1914), il garde jusqu’au bout l’espoir de la victoire sur les « sales Boches » (juillet 1916). Mais, en juin 1916, il écrit à son jeune frère qui veut s’engager : « je te refuse [souligné par lui] mon consentement » et « je prie mon cher papa de te refuser le sien ». Il explique alors que, dans la ténacité des soldats, le patriotisme compte peu : « nos soldats se battent parce que la guerre est devenue, chez eux, une habitude…, ils sont braves parce que… que veux-tu, c’est dans leur sang ».

Entre temps, il a raconté l’épisode de sa première blessure aux deux jambes, comment il a été pillé par des soldats bavarois et protégé par l’intervention d’un sous-officier (les Allemands ayant reculé, il fut ramassé par les Français). Il dit le besoin de recevoir des lettres de la maison et des colis contenant de bonnes choses du « pays ».

Rémy Cazals, 02/2008

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Rodewald, Hans (1891-1929)

1. Le témoin

Né le 17 avril 1891 à Celle (Basse Saxe), fils de Karl Rodewald, chef de gare, et de Wilhelmine Busch, dans un milieu de petite bourgeoisie. Etudes au Collège professionnel supérieur, commis dans un magasin de porcelaine et verrerie. Fiançailles avec Erna Rahls, fille de la maison, en 1912. Il ne peut l’épouser qu’en 1920 après son retour de captivité en France ; il devient l’associé de son beau-père. Il a trois enfants. Il meurt le 10 septembre 1929.

2. Le témoignage

Le premier agenda sur lequel Hans Rodewald notait au jour le jour ses impressions lui a été enlevé, après sa capture, par un officier français qui l’a considéré comme un « souvenir ». A partir de décembre 1914, sur des cahiers d’écolier français, il a repris son récit en remontant au 1er août 1914. La rédaction s’arrête en mai 1915.

Les originaux sont conservés dans la famille Birnstiel. Une traduction française, dans un ouvrage comparatif franco-allemand, est donnée dans Eckart Birnstiel et Rémy Cazals éd., Ennemis fraternels 1914-1915, Hans Rodewald, Antoine Bieisse, Fernand Tailhades, Carnets de guerre et de captivité, Toulouse, PUM, 2002, 191 p., illustrations.

3. Analyse

Trois périodes dans le récit : la grande offensive à travers la Belgique ; la bataille de la Marne où Hans est grièvement blessé, abandonné dans la retraite allemande, capturé et soigné par les Français ; la captivité à l’île d’Oléron. En 1918-1919, on sait qu’il a travaillé sur des exploitations forestières dans le département de l’Aude, mais il n’a pas fait le récit de cette expérience.

4. Autres informations

– Archives familiales.

– Archives de l’Aude, 15M 81.

Rémy Cazals, 11/2007

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Bieisse, Antoine (1893-1947)

1. Le témoin (1893-1947)

Né à Castelnaudary (Aude) le 27 septembre 1893, petit-fils de meunier, fils d’un brigadier d’octroi devenu ensuite percepteur à Saint-Papoul (Aude). Etudes secondaires au collège de Castelnaudary. Joueur de rugby au Quinze Avenir Castelnaudarien (photo dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 74). Au service militaire au 143e RI de Castelnaudary lors de la mobilisation. Gravement blessé, fait prisonnier, il est rapatrié par la Suisse en décembre 1915. Commis des contributions indirectes à Angoulême en 1917, puis à Albi (Tarn) où il se marie en 1919. Il est ensuite percepteur à Cadalen (Tarn) où il meurt le 1er avril 1947.

2. Le témoignage

Antoine Bieisse, « Souvenir de la campagne 1914-1915 », dans Eckart Birnstiel et Rémy Cazals, éd., Ennemis fraternels 1914-1915, Hans Rodewald, Antoine Bieisse, Fernand Tailhades, Carnets de guerre et de captivité, Toulouse, PUM, 2002, 191 p. [p. 133-153], illustrations.

Première édition sous le titre Plus d’espoir, il faut mourir ici !, carnets d’Antoine Bieisse et de Paul Garbissou, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1982, 62 p.

Dans les deux cas, il s’agit de la transcription directe des notes prises pendant la guerre par le témoin.

3. Analyse

Les premières pages contiennent des notes brèves sur l’atmosphère à la caserne du 143e RI en juillet 1914 et sur les premiers jours de la campagne. Arrivé sur le front en Lorraine le 9 août, il est grièvement blessé le 20, et ramassé par les brancardiers allemands le 25. Prisonnier à Ingolstadt, rapatrié via la Suisse en décembre 1915. La publication de son témoignage reprend le texte de son petit carnet rédigé en captivité, qui décrit longuement l’expérience traumatisante de ces cinq jours et cinq nuits passés allongé sur le champ de bataille.

Photo dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 74

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