Dans le cadre des activités de la bibliothèque patrimoniale du Grand Cahors, ont été recueillis des témoignages lotois sur la période de la Grande Guerre, regroupés en chapitres thématiques : Didier Cambon et Sophie Villes, 1914-1918, Les Lotois dans la Grande Guerre, tome 1 Les Poilus, préface du général André Bach, Les Cahiers historiques du Grand Cahors, 2010, 197 p.
L’un de ces témoins est Joseph Henri Méjecaze, prêtre, issu d’une famille de propriétaires terriens, qui a rédigé ses souvenirs après la guerre à partir de ses notes. Il a bien décrit la construction de tranchées en octobre 1914 (p. 87) et plus tard la tranchéïte, maladie d’abrutissement provoquée par la vie démoralisante (p. 183). Il a montré comment se protéger en cas d’attaque au gaz (p. 111). En juillet 1916, au cœur de la grande bataille de Verdun, devant les cadavres et les débris humains, il s’est écrié : « Est-ce cela la gloire de Verdun ? » Ses descriptions ne sont certes pas « aseptisées », pour employer un mot qui fut à la mode (voir p. 115, par exemple). Une attaque (p. 116-119, les éditeurs du texte n’ont malheureusement donné ni le lieu ni la date) débute par la distribution d’une « double ration de pinard et de gnole ; en général, c’est le prélude d’un coup dur. » En effet. « L’heure s’avance ; plus que 5 minutes à attendre. Nous mettons baïonnette au canon et nous nous assurons qu’elle est bien assujettie car nous serons peut-être obligés de nous en servir : horrible perspective que celle-là. Encore deux minutes ; c’est le grand silence et personne ne songe à plaisanter. » Dans cette attaque, il est blessé et réussit à revenir vers la ligne française où une sentinelle lui tire dessus. Le sergent remarque : « Heureusement que vous avez eu affaire à un foutu maladroit, vous manquer à 4 ou 5 mètres ! »
Il a montré encore un commandant ne s’occupant pas de savoir si une patrouille a été réellement faite pourvu qu’on lui remette un rapport écrit (p. 174 ; situation pointée aussi par Jean Norton Cru dans Témoins). Un colonel venu se rendre compte des conditions d’une attaque et de ses premiers résultats navrants (« tous ces pantalons rouges qui jonchent le sol »), et ayant la sagesse de l’arrêter (30 décembre 1914, p. 92). L’attitude des poilus envers un curé (p. 182) : « Les discussions religieuses sont rares, peut-être parce que je suis là, mais aussi parce que ces questions ne les intéressent pas. Il y a bien quelques anticléricaux, mais à voir le curé qui, comme eux, patauge dans la boue, couche sur la paille et mange à la gamelle, l’antipathie s’effrite et inévitablement on finit par devenir des copains. »
Le 11 novembre 1918, l’annonce de l’armistice provoque une explosion de joie et des abus de pinard et de gnole (p. 82) : « En ce jour, excusons-les. » Il n’est démobilisé que le 23 juillet 1919 : « Le soir, je quitte définitivement les habits militaires que j’ai portés pendant 7 ans, sans grand enthousiasme, je l’avoue. Le lendemain, je fais tomber mes moustaches et je revêts la soutane, je ne suis plus soldat. »
Rémy Cazals, avril 2016