Le témoin :
William Henry Dyson, plus connu sous le nom de Will Dyson, est un dessinateur et caricaturiste australien né le 3 septembre 1880 à Ballarat dans l’Etat du Victoria en Australie et mort le 21 janvier 1938 à Chelsea, en Angleterre. Il est considéré comme l’un des caricaturistes du paysage politique australien les plus célèbres. Avant la guerre, il se fait connaître en publiant ses dessins dans The Bulletin, une revue hebdomadaire australienne très en vogue. Comme la plupart des artistes australiens reconnus de l’époque, un séjour dans la capitale impériale, Londres, est un passage obligé pour faire avancer sa carrière, perfectionner ses techniques et s’exposer à l’art européen, érigé en modèle dans les anciennes colonies britanniques australiennes, qui se fédèrent en 1901. Will Dyson part pour le Royaume-Uni en 1910 après s’être marié à Ruby Lindsay (sœur de l’artiste australien Norman Lindsay). Dyson obtient un poste de caricaturiste en chef au journal britannique le Daily Herald où il se forge une excellente réputation. Doté d’un humour sarcastique, il ne cache guère ses convictions travaillistes, dénonçant les bidonvilles qui regroupent alors de nombreux travailleurs exploités selon lui par le capitalisme et les propriétaires. Son art se veut politique, grand public et humaniste. Dyson est prolifique et ses caricatures se comptent par milliers. Une grande partie des originaux est conservée au British Cartoon Archive de l’Université de Kent à Canterbury (Royaume-Uni) ainsi qu’au centre de recherche du mémorial de guerre australien de Canberra (Australie).
Le témoignage
Au cours de sa carrière, sept livres rassemblant certains de ses dessins sont publiés, dont Kultur cartoons en 1915 qui reçoit les éloges de la presse. Dyson soutient l’effort impérial et, comme beaucoup, conçoit la guerre contre l’agresseur allemand comme juste et nécessaire. L’année suivante, l’Australie lui propose de devenir l’un de ses artistes de guerre officiels. Il reçoit une commission et un traitement pour dessiner les Australiens en guerre. Dyson part au front, où il demeure entre 1916 et 1918. Il y dessine les soldats australiens et est blessé à deux reprises. C’est cette vie, au front, qu’il s’attache de représenter, à montrer en détails à une population australienne si loin du canon. Ses œuvres de temps de guerre sont publiées en 1918 dans l’anthologie Australia at War, ouvrage de dessins très largement diffusé en Australie. Il croque également en couleur des scènes de la vie quotidienne au front encore aujourd’hui exposées à l’Australian War Memorial de Canberra. Sa femme est emportée en 1919 par la grippe espagnole à l’âge de 32 ans, ce qui le jette dans une profonde tristesse. En 1925, il rentre en Australie pour 5 ans afin de travailler au Herald de Melbourne, puis finit par retourner au Royaume-Uni. Son témoignage est donc celui d’une œuvre éclectique, avec une production intense lors des années de guerre qui fait date dans l’histoire de l’art australien.
Analyse
A bien des égards, les dessins de temps de guerre de Dyson se démarquent de ceux des autres artistes officiels de l’Australie. Contrairement au Canada, et dans une moindre mesure le Royaume-Uni, pays qui sélectionnèrent l’avant-garde de leurs artistes pour représenter la guerre, l’Australie choisit des artistes de guerre dont elle exige la maîtrise d’un style classique et non pas avant-gardiste ou moderniste. Il s’agit pour l’Australie de se construire une tradition militaire, alors que la Première Guerre mondiale est pensée et vécue comme l’entrée du pays dans le concert des nations. Dès lors, les peintures et sculptures commandées sont peu originales, accumulant les motifs les plus communs et sont souvent d’une facture d’une autre époque, inspirées par l’art européen du 19e siècle (on pense aux artistes officiels employés par l’Australie tels que George J. Coates, Web Gilbert, Leslie Bowles et George W. Lambert par exemple). Le but des commissions d’Etat est non seulement de constituer une collection d’œuvres nationales mais également de contribuer à la propagande de guerre et à poursuivre l’œuvre de justification de cette dernière en représentant des soldats australiens offensifs et presque invincibles. Il s’agit de constituer la légende des Anzacs (Anzac Legend), l’Anzac étant un acronyme pour les soldats australiens et néo-zélandais du corps expéditionnaire britannique des Dardanelles en 1915 ; le terme est resté pour désigner le soldat australien.
Dyson, lui, est unique dans ce moment de création de la tradition et, à bien des égards, s’oppose au classicisme de rigueur. Les soldats de Dyson sont humains : ils ont peur, froid, faim, sont épuisés, résignés, perdus, endeuillés mais également stoïques, résilients, riant parfois, ou partageant de bons moments avec des civils français ou belges. Contrairement à la légende des Anzacs, les soldats australiens représentés par Dyson sont, tout simplement, des hommes avec leur grandeur et leurs travers, leurs vices et leurs vertus. En cela, ses œuvres se démarquent des clichés de l’Anzac surhomme, clichés dénoncés par les anciens combattants eux-mêmes une fois la guerre terminée. Enfin, les œuvres commandées aux artistes de guerre australiens insistent sur le combat ou la vaillance comme si la guerre n’était que combat. Les dessins de Dyson, eux, montrent un temps plus long : celui des marches, des repas, de la convalescence, des femmes, de l’attente, de la cantine ou du coiffeur, en somme de la vie quotidienne des hommes, de leur ennui et de leurs brefs moments de joie lors de parties de cartes par exemple. Le témoignage de Dyson est à la fois riche (par ses thèmes) et simple (par ses lignes et couleurs), il est distinctif dans un cadre australien et la vie menée au Royaume-Uni par le dessinateur l’a largement influencé. Le sarcasme et l’absence de glorification apportent parfois une vision décharnée et pessimiste du conflit. On pourra consulter quelques œuvres de guerre de Dyson conservées par l’Australian War Memorial de Canberra, Australie, en suivant ce lien :
https://www.awm.gov.au/advanced-search?query=will%20dyson&collection=true&facet_type=Art&page=2
ou à l’Art Gallery of New South Wales en suivant cet autre lien : https://www.artgallery.nsw.gov.au/collection/works/?artist_id=dyson-will
Références :
« Dyson, Henry William » in Australian Dictionary of Biography, Bede Nairn and Geoffrey Serle (eds.), (Melbourne : Melbourne University Press, 1981), volume 8 1891-1939.
Romain Fathi, Représentations muséales du corps combattant de 14-18 : L’Australian War Memorial de Canberra au prisme de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, (Paris: L’Harmattan, 2013).
Romain Fathi, décembre 2020.1.