Boujonnier, Paul (1905 – 1999)

Paul Boujonnier, Nous les gosses dans la guerre en Picardie, 1914 – 1918, éditions JPB, Villemandeur, 1988, 63 pages.

1. Le témoin

Né à Abbeville en 1905, Paul Boujonnier habite depuis 1912 à Guerbigny (Somme) avec ses parents cultivateurs. Son père une fois mobilisé, lui et sa mère vont habiter chez le grand-père à Bouillancourt, à 12 km plus à l’ouest, car Guerbigny est trop près du front (Roye).

2. Le témoignage

Paul Boujonnier a publié en 1988 « Nous les gosses dans la guerre en Picardie » 1914 – 1918 aux éditions JPB de Villemandeur, probablement à compte d’auteur (63 pages). L’auteur avait de 9 à 13 ans pendant la guerre et au dos de l’ouvrage il indique qu’il a voulu par ce livre prolonger le souvenir au-delà de son existence, « pour que les plus jeunes sachent ».

3. Analyse

Ce petit livre contient les « souvenirs de guerre » d’un petit paysan picard qui a passé une partie de son enfance à proximité du front. Il commence par évoquer la rentrée de janvier 1914 à l’école: leur nouvel instituteur condamne les fusils de bois et ordonne de les monter au grenier. Si les élèves le détestent sur le moment pour cette interdiction, l’auteur souhaite en 1988 lui rendre hommage car (p. 8) « lui savait malheureusement ce que nous allions apprendre, c’est-à-dire la guerre. » 

En août 1914 la famille fuit l’arrivée des Allemand lors d’un premier exode, mais les Uhlans les rattrapent à Esclainvillers, chez l’instituteur qui les hébergeait pour la nuit. Cette scène l’a d’autant marqué que pour le protéger, sa mère l’a habillé en fille, lui graissant les cheveux et le couchant dans une chambre pour faire croire à une maladie. En effet la version « bourrage de crâne » que P. Boujonnier évoque ici (p. 11) est que les Allemands  « coupent les doigts des mains des garçons afin qu’ils ne puissent pas faire de futurs soldats. ». Ce sont ces mêmes Allemands qui les incitent à repartir chez eux, et ce sera à Bouillancourt, chez le Grand-père maternel qu’ils se fixent : ils retrouvent la maison intacte de pillage car elle est située en bout de village.

Paul fait revivre un village servant de cantonnement surtout à des hommes du génie, de l’artillerie et du train, avec passage incessant de voitures et de troupes ; l’instituteur, qui est en même temps secrétaire de mairie, est souvent dérangé pendant la classe pour des questions de cantonnement ou d’intendance : il écrit rapidement un problème au tableau et s’éclipse une demi-heure, ce qui est l’occasion de chahuts que l’on peut imaginer. Le jeune Paul évoque les soldats qui autorisent parfois les gamins à monter sur les wagons du Decauville et qui leur font goûter leur rata. L’enfant va parfois poser des collets ou pêcher le brochet avec eux. C’est ainsi une suite d’anecdotes, comme celle du Noël 1915 où des grands magasins de Paris avaient parrainé des régiments en leur achetant des oranges. Dans un wagon destiné au 139e RI, une grande partie des oranges avait gelé (p. 26) « On finit par nous abandonner ce qui était à moitié gelé (…) Après en avoir mangé à en être malades, l’idée nous vint pour nous distraire, de bombarder d’oranges tous les trains qui passaient. » Notre auteur fait beaucoup de bêtises, monte dans une voiture d’artillerie qui passe et se retrouve à 17 km de chez lui, va guider de nuit des soldats qui braconnent le sanglier, fait une découverte non contrôlée du Byhrr lorsque lui et ses copains vont voir évoluer les avions Caudron du terrain proche, etc… La chute de ses petits récits, marquée par les corrections que lui inflige son grand-père, évoque par sa récurrence celle des Malheurs de Sophie :

p. 23 « Le retour ne fut pas joyeux, je ne vous dis que ça ! »

p. 26 « Oh mes pauvres fesses, qu’est-ce qu’elles prirent encore ce jour-là ! »

p. 31 « Arrivé à la maison, ma réception ne m’a pas laissé le temps d’avoir froid. »

p. 39 « L’arrivée à la maison fut comme toujours une belle réception pour moi ! »

Il raconte aussi avoir voulu sciemment repartir avec l’unité d’un vaguemestre avec qui il avait sympathisé, s’être fait un paquetage en secret avec ce qu’il avait pu récupérer des soldats, mais son nouvel ami, se doutant de quelque chose, avait prévenu sa mère, qui avait subtilisé le sac hors de sa cachette (poids : 32 livres).

Devant la poussée allemande de mars 1918, La famille doit fuir malgré les résistances du grand-père, qui se pense protégé parce que la maison a été épargnée en 1914. Ils se fixent à Fumechon, à côté de Saint-Just-en-Chaussée (Oise). En août 1918, le père légèrement blessé est arrivé en permission de convalescence, et Paul fait une description intéressante de l’expédition menée vers Bouillancourt, malgré l’interdiction des gendarmes, pour voir ce qu’est devenue la maison (p. 55 – 61). Il est très impressionné par les traces de la bataille, ruines, cadavres de chevaux, traces humaines, et ils trouvent le village entièrement détruit. Paul finit la guerre à Fumechon entre travail à la ferme, école et fréquentation des militaires jusqu’à l’Armistice, moment auquel s’arrête ce petit livre attachant (p. 60) : « cette maudite guerre… Maudite soit-elle à tout jamais ! C’est comme cela que je perdis mon titre de « gosse dans la guerre en Picardie. »

Vincent Suard, mai 2024

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Mottram, Ralph (1883-1971)

1) Le témoin

Élevé dans une famille de confession unitarienne, Ralph Mottram vit une enfance protégée entre un père rigide et une mère attentionnée, soucieuse d’apporter à ses enfants la meilleure éducation possible. Elle emmène régulièrement sa famille en vacances de l’autre côté de la Manche et envoie Ralph quelques mois en Suisse à la fin de ses études secondaires. Perpétuant la tradition familiale, Ralph devient employé à la Gurney’s Bank, à Norwich, en 1899, où travaille son père et où son grand-père avait également fait carrière. Le jeune employé est cependant plus épris de littérature que de gestion de comptes. Encouragé par John Galsworthy, client de la banque Gurney et futur auteur de la Saga des Forsyte (prix Nobel 1932), il écrit des poèmes et publie deux recueils sous le pseudonyme de J. Marjoram, en 1907 et 1909.
Quand la guerre éclate, il s’enrôle dans un bataillon du Royal Norfolk. Devenu sous-officier après plusieurs mois de formation en Angleterre, il rejoint le front en octobre 1915 et connaît très vite l’épreuve du feu dans le secteur d’Ypres. Après un mois de combat, il tombe malade et doit être hospitalisé à Boulogne. Il est de retour au front en janvier 1916. Ses lettres laissent voir des humeurs oscillant entre l’exaltation (« Nous vivons des moments de gloire. Je ne manquerais cela pour rien au monde ») et l’abattement. De retour d’une permission en février, il apprend que le Q.G. recherche des officiers sachant s’exprimer couramment en français. Il est choisi pour être intégré à la Commission des litiges et quitte le front. Dans une de ses lettres, il remercie sa mère de l’avoir envoyé poursuivre ses études à Lausanne quelques années auparavant. Sa nouvelle affectation lui permet de bénéficier de conditions de vie qui n’ont rien à voir avec celles du front.
La mission de Ralph Mottram s’apparente à celle d’un officier de liaison. Il s’occupe des litiges entre la population locale et les troupes britanniques. Les déprédations causées par les combattants britanniques lors des cantonnements chez l’habitant font en effet l’objet de plaintes régulières. Dans chaque village de cantonnement, un officier a pour mission de régler les litiges. Une loi française sur les cantonnements militaires prévoit que les préjudices causés à la population civile, notamment la destruction de récoltes, fassent l’objet d’une compensation financière. Ralph Mottram doit évaluer les dégâts ou négocier avec des habitants refusant de loger des militaires britanniques. Il prend sa mission à cœur et se révèle un diplomate habile. Dans une de ses lettres, il qualifie son travail de « paradis sur terre ». Aussi s’inquiète-t-il quand il contracte des ennuis gastriques. Il demande au médecin-major de ne pas l’envoyer à l’hôpital, craignant d’être remplacé en son absence et de repartir ensuite au front. Mottram considère d’une part qu’il a déjà payé son dû de combat en ligne et d’autre part que sa connaissance de la langue et de la culture française font de lui un médiateur idéal pour répondre aux revendications des populations française et belge. Après s’être installée près de Boulogne, la Commission des litiges déménage plusieurs fois. D’Hazebrouck à la Flandre belge, Mottram voyage beaucoup et acquiert une connaissance précise des zones arrière. Sa mission lui permet d’avoir une vue d’ensemble sur la réalité de la guerre, des tranchées aux bases arrière en passant par toutes les structures, sanitaires, logistiques ou administratives, disséminées sur le territoire.
De retour en Angleterre pour une permission, il se marie le 1er janvier 1918. Un enfant naît en avril. Démobilisé en juin 1919, il aura largement le temps d’attester des effets de la guerre sur les territoires français et belge. Si ses quatre années de guerre lui pèsent, il a cependant la chance de retrouver immédiatement son travail à la banque et de profiter d’une vie familiale heureuse. Il consacre son temps libre à l’écriture et envisage en 1922 un ouvrage traitant de ce qu’il a vécu en France. Son mentor John Galsworthy l’aide dans son entreprise. La Ferme espagnole, paraît en 1924. Le succès sera au rendez-vous et l’incitera à écrire deux suites : Sixty-four, Ninety-four (1925) et The Crime at Vanderlynden’s (1926). Une adaptation cinématographique voit le jour en 1927 (Roses of Picardy). Grâce aux droits d’auteur, Mottram peut quitter son travail et se consacrer à l’écriture.
A l’âge de 44 ans, R.H. Mottram commence une carrière d’écrivain professionnel particulièrement prolifique. Il publie des recueils de poésie, des ouvrages d’histoire locale, des romans, des récits autobiographiques et deux biographies de John Galsworthy et de son épouse Ada. Plusieurs de ces ouvrages reviendront sur la guerre, notamment Ten years ago, publié en 1928, un ensemble de textes courts qui pour la plupart étaient précédemment parus en revue.
Dans les années 30, il devient un auteur avec lequel il faut compter. Mais aucun de ces livres n’atteindra le succès populaire et critique de sa trilogie romanesque sur la Grande Guerre. Marié pendant plus de 52 ans à Margaret Allan, avec laquelle il a eu deux fils et une fille, il meurt en 1971 après avoir publié plus de soixante livres.
2) L’oeuvre
The Spanish Farm Trilogy (1924-1926) (Traduction française du premier tome La Ferme espagnole, Stock, 1930). Ten Years Ago, 1928.

3) Analyse

Ten Years Ago L’objectif de cet ouvrage est de porter un regard rétrospectif sur ce que l’auteur a vécu et de confronter l’état d’esprit de 1928 à celui des années de guerre. Constitué de réflexions libres, de nouvelles et d’essais thématiques, ce petit livre oublié n’a quasiment pas d’équivalent dans la littérature de témoignage. Débarrassé du souci d’aboutir à un récit cohérent, Mottram nous livre des instantanés de guerre qui nous en disent autant sur le vécu des combattants que les longs récits autobiographiques.
The Spanish Farm Trilogy constitue une œuvre à part dans la production littéraire britannique de la Première Guerre mondiale. A la fois série romanesque, chronique de guerre et autobiographie, l’œuvre peut être qualifiée d’étude globale sur le front occidental sous forme de fiction. De nombreux lecteurs ont été déconcertés à sa lecture. La part occupée par les combats est quasi inexistante. L’auteur s’attache à décrire la machine de guerre dans l’ensemble de ses aspects et à nous montrer quels effets elle produit sur les hommes et les nations. Le propos est ample et désenchanté. De nombreux passages ont une valeur documentaire évidente. Le quotidien des combattants en réserve et les rouages de l’administration militaire y sont décrits dans le détail. Les ouvrages de combattants britanniques, mémoires ou fictions, évoquent régulièrement les cantonnements et les relations avec la population française ou belge mais aucun ne traite le sujet en profondeur, comme le fait Mottram.
A titre d’exemple, les pages où l’auteur explique la différence entre les notions de « combine », de « chapardage » et de « rapine » relèvent plus de l’essai que du roman et nous donnent une vision d’ensemble des problèmes auxquels doit faire face une armée combattant en terre étrangère.
La combine consiste à obtenir ce à quoi on a droit mais par des moyens détournés.
Le chapardage peut être défini comme l’obtention par des moyens illégaux de choses qu’il est quasiment impossible de se procurer autrement. Les soldats se chapardaient mutuellement les meilleurs abris ou les meilleurs secteurs pour les sections. Les sous-officiers chapardaient du rhum en maintenant leur pouce dans la louche lors de la distribe. Les officiers chapardaient les meilleures places pour les chevaux à l’échelon. Les coloniaux chapardaient du fil de téléphone pour en faire des collets. Les nations chapardaient du territoire ou des marchés. C’était surtout le bois qui était chapardé. (… ) Dans les houblonnières belges, l’armée britannique aurait détruit à elle seule un million de perches. Qui peut leur en vouloir ? Un soldat doit-il, en plus du reste, mourir de froid ?
La rapine peut quant à elle être clairement assimilée au vol. Il s’agissait de l’art d’obtenir ce sur quoi nous n’avions aucun droit, et ceci pour le simple plaisir de la possession. Les officiers et les soldats qui commettaient instinctivement ces actes n’en discutaient jamais ouvertement. Si on les avait taxés d’immoralité, ils auraient sûrement répondu pour se défendre : « L’Angleterre avait besoin de nous et nous sommes venus. L’Angleterre a gâché notre jeunesse; nous sommes morts ou nous avons survécu. L’Angleterre nous laisse ici pour on ne sait combien d’années et nous demande de nous débrouiller. Eh bien, nous nous débrouillons ! »

Francis Grembert, novembre 2016

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Bouyssou, Raymond Octave (1884-1923)

1.   Le témoin

Né le 2 janvier 1884 à Toulouse ; père retraité de la Compagnie du Midi ; marié depuis 1906 ; un enfant (Gilbert) de 7 ans et demi à la déclaration de la guerre ; employé de banque à la Société Générale de Toulouse depuis 1899 ; notions d’anglais.

Mobilisé le 3 août 1914 au 18e régiment d’artillerie de campagne ; affecté aux services auxiliaires à Agen ; commis aux écritures ; quitte Agen le 9 septembre 1915 pour rejoindre son unité sur le front d’Artois (Arras) ; affecté à l’échelon, vit la guerre, pour l’essentiel, dans l’arrière-front. Quitte le front le 4 décembre 1918, malade ; libéré en mars 1919 après convalescence ; il reprend aussitôt son travail à la banque jusqu’à sa mort provoquée par une péritonite foudroyante en 1923.

2. Le témoignage

Il s’agit de notes prises au jour le jour ; elles commencent à partir de son séjour au front en septembre 1915. Ni le séjour à Agen, ni les périodes de permission ne sont renseignées. Ces notes n’étaient pas destinées, selon l’auteur lui-même, à être publiées : « Ce qui suit est la copie fidèle des carnets de route que, durant la campagne, j’ai tenus au jour le jour ; relatant ce que j’ai vu de la Grande guerre, et, exclusivement ce que j’ai vu, sans commentaires et sans conclusion. J’y ai mis parfois mes espoirs, mes peines, mes humiliations, mes petites joies, tout cela pour mon propre compte, dans le but de fixer des souvenirs personnels et non pour être livré à la lecture de quiconque » (son introduction datée du 11 mars 1919).

Toutefois, Gilbert, le fils du témoin, après la mort prématurée de son père, est devenu le dépositaire de ces notes ; et il y a ajouté quelques lignes précisant le destin de son père depuis la sortie de la guerre jusqu’à son décès. Nous ignorons si Gilbert avait en tête la publication des notes de son père.

Ces notes sont publiées sous le titre, Journal de campagne de R. O. Bouyssou, 1914-1918, préface de Frédéric Rousseau, Paris, Ed. des Trois Orangers, 2008.

3.   L’analyse

Ces notes ne sont pas celles d’un combattant mais celles d’un travailleur de guerre faisant sa guerre dans l’arrière-front, cette zone mouvante située à plusieurs kilomètres des lignes tenues par les fantassins ; Bouyssou a pleinement conscience qu’il est un « embusqué » et rend hommage aux « poilus » ; l’échelon, le monde décrit par Bouyssou, détone donc considérablement avec celui, plus connu, des combattants. Y cohabitent cuisiniers, chauffeurs, ravitailleurs, secrétaires des bureaux et employés des différents services. La guerre de ce petit monde se caractérise tout d’abord par la distance vis-à-vis du danger ; pour Bouyssou, hors de ses heures de service, lorsque le temps et l’artillerie adverse le permettent, la guerre des premières lignes est pour l’essentiel un spectacle pyrotechnique fascinant que l’on observe d’une crête, la nuit ou aux jumelles depuis un poste d’observation ; ses camarades, trompent l’ennui de leurs soirées en s’adonnant aux dérivatifs procurés par l’artisanat dit « de tranchée », au joies du football, pratique récente empruntée aux troupes britanniques voisines ; tout au long des carnets, une note récurrente relève les nombreux cas d’ébriété parmi les hommes de l’échelon ; l’alcoolisme est endémique et crée un certain nombre d’incidents. Au total, l’égrènement des activités des hommes de l’arrière-front permet de mieux comprendre le sentiment souvent énoncé par les combattants qu’il existe un fossé grandissant entre les hommes qui tiennent les lignes et les millions d’habitants, militaires et civils, qui peuplent les différents arrières. La guerre des uns n’est pas la guerre des autres.

Pour autant, les hommes de l’arrière-front ne sont pas totalement à l’abri des obus et des balles ; il y a aussi des morts, hommes et chevaux, dans les services. Et puis, il y a le ravitaillement des batteries de tir (Bouyssou en profite pour tirer quelques obus) : sous le bombardement, c’est très dangereux. Et puis, il y a les travaux de désamorçage des obus non éclatés effectués par les « bombardiers » qui ne sont pas sans risques. En outre, Bouyssou croise des fantassins dont il note les fluctuations du moral ; il fréquente également des Allemands, prisonniers, occupés à diverses tâches dans l’arrière-front. Les travailleurs des deux nations conversent. On ne peut donc dire que l’arrière-front ne connaît rien de la guerre des hommes de l’avant ; les odeurs des dépouilles enveloppent aussi cette zone ; et puis lorsque le front bouge, Bouyssou emprunte des chemins, des tranchées où règnent le chaos habituel de la bataille avec ses débris, humains et matériels, de toutes sortes.

Toutefois, pas de pathos, pas de grandes phrases dans les notes de Bouyssou. C’est d’ailleurs inutile. L’auteur de ces notes ne les écrit que pour lui, pour plus tard ne pas oublier… Bouyssou se montre particulièrement attentif au traitement réservé aux morts ; en cela il ne se distingue guère de la plupart des combattants. Quelques semaines après son arrivée sur le front, il effectue cette brève mais significative remarque : « Le cimetière a été largement fleuri. Les poilus n’oublient pas les camarades disparus » (Notes du 1er novembre 1915). Quelques jours plus tard, une nouvelle incise vient compléter la première : « Dès 9 heures, le bombardement a recommencé sur le même point, 77, fusant et 105 explosifs, mais les coups tombent dans le cimetière. Ils retuent les morts… »…

Quelques notes remarquables :

2 janvier 1916, il rapporte un cas de trêve tacite entre fantassins.

18 mars 1917 : des hommes chantent l’Internationale dans un bistrot ; Bouyssou condamne cela comme « une faute » mais il n’est pas certain que cet acte exprime alors une baisse du moral ou une révolte ; à la mi-mars, les soldats commencent à avoir des informations en provenance de Russie et voient d’un bon œil l’évolution politique de l’allié russe ; il en sera autrement lorsque la Révolution paraîtra entraîner le retrait russe de la guerre, puis la signature d’une paix séparée, synonymes d’alourdissement de la pression allemande à l’Ouest.

Quelques échos de l’offensive Nivelle et de la crise du moral de 1917. La pagaille des services censés participer à la poursuite après la percée qui ne vient pas… ; mesures prises par le commandement pour reprendre en mains les hommes déçus par les résultats de l’offensive Nivelle : conférences par des officiers ; amélioration de l’ordinaire ; trains de permissionnaires très surveillés (13 juin) ; un fantassin vient les appeler à mettre la « crosse en l’air » (23 juin 1917) ; un gendarme tué par des fantassins à Commercy (11 septembre 1917)…

Frédéric Rousseau, juillet 2008.

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