Omon, Lucien (1886-1952)

1. Le témoin
Né le 2 septembre 1886, peut-être à Paris où il passe le conseil de révision le 11 mai 1907, avec le grand plaisir d’être reconnu bon pour le service qu’il va effectuer à Guingamp. Assez cultivé puisqu’il deviendra archéologue amateur. Il écrit sans fautes d’orthographe. Son hobby est la photographie. Il fait la guerre dans les rangs du 52e RI ; il semble qu’il soit devenu sous-officier. Il est décédé le 1er mai 1952.

2. Le témoignage
La famille a conservé 27 petits carnets de format 6×11, dont 3 pour le service militaire, 8 pour 1915, 7 pour 1916, 5 pour 1917 et 4 pour 1918-19, ainsi que 800 ou 900 négatifs à partir desquels Lucien a fait des tirages contacts datés et légendés. Le texte d’un carnet évoque quelquefois précisément la prise d’une photo. Sa petite-fille, Catherine Gauthier-Esnault, professeur agrégée d’histoire et de géographie, a composé deux pochettes de diapositives commentées, reproduisant 24 + 12 photos et des extraits des carnets en regard de chacune : Le journal d’un poilu de 1914 à 1916, série MY 1953, et Le journal d’un poilu de 1917 à la Victoire, série MY 1954, Paris, éditions pédagogiques audiovisuelles Diapofilm, 1988. Les livrets donnent aussi trois croquis de localisation : secteur Soissons-Reims en 1915 ; Verdun en 1916 ; les Vosges en 1917. Les renseignements sur l’auteur sont volontairement limités, car il s’agissait de le présenter comme un « poilu parmi tant d’autres ». Une lettre de Catherine Gauthier à Rémy Cazals apporte quelques précisions, reprises ici.

3. Analyse
Les images sont disposées dans l’ordre chronologique. Plusieurs montrent les tranchées et leur boisement, leur caractère particulièrement rudimentaire à Verdun, les systèmes de protection par chevaux de frise et barbelés, la vue à travers un créneau, le costume des soldats pour s’adapter au froid et à la boue, la chasse aux rats, la toilette au cantonnement et les cuisines roulantes (1-6), les tombes des camarades. On peut noter encore une photo de prisonniers allemands souriant avec leurs gardiens (1-2) ; les cordonniers du régiment arborant ostensiblement un exemplaire du journal La Bataille syndicaliste (1-3) ; de faux canons en bois pour servir de leurres (1-12) ; « un groupe de soldats habillés en patrouilleurs » (2-3), ce qui ne veut pas dire qu’il s’agit d’une patrouille prise en pleine action ; un convoi américain d’artillerie (2-8) ; un tank allemand capturé et exposé à Paris, le 14 juillet 1919 (2-11).
Les quelques extraits des carnets ne disent pas si Lucien Omon a exprimé des opinions sur la guerre, la Patrie, les chefs, l’arrière, etc. Le seul passage un peu développé concerne Verdun, entre Vaux et Douaumont, du 4 au 11 juin 1916. L’auteur voit l’armistice comme la fin du « cauchemar ».
Les carnets et les photos n’ont pas été publiés par ailleurs. Peut-être cette brève notice les fera-t-elle ressortir.

Rémy Cazals, juin 2011

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Azéma, François (1877-1968)

1. Le témoin
François Azéma, fils d’autre François, cultivateur à Saint-André de Roquelongue (Aude), est né à Auragne (Haute-Garonne) le 26 mars 1877. Il n’avait que 14 ans à la mort de son père, et les religieux de l’abbaye de Fontfroide auraient achevé son éducation (ses carnets révèlent une assez bonne orthographe). Après le service militaire effectué au 100e RI à Narbonne (on a une photo), il s’est marié en février 1905 et a eu un fils en novembre. Il exerçait la profession de cordonnier à Saint-André lors de la mobilisation. Appartenant à la territoriale, il n’est monté en renfort au 280e RI que le 16 mai 1915 (plus jeune que lui de deux ans, Louis Barthas était parti début novembre 1914 pour le même régiment). Lorsque le 280e est dissous, Azéma passe au 256e, et son chemin se sépare de celui de Barthas. En juillet 1917, âgé de 40 ans, il devient cordonnier au dépôt divisionnaire, puis il passe dans l’artillerie de campagne et enfin au 77e régiment d’artillerie lourde à grande puissance. Il est démobilisé le 28 janvier 1919 à Carcassonne, et écrit : « le 29 je rentre chez moi à St André ». Il est mort dans son village le 22 août 1968.

2. Le témoignage
est représenté par deux petits carnets de 44 et 32 pages conservés par la famille. Les notes sont prises au jour le jour, depuis le 16 mai 1915 jusqu’au 29 janvier 1919, au crayon ou à l’encre selon les possibilités. Sur la dernière page du premier carnet, l’auteur a ajouté, après la guerre, la mention suivante : « Le présent livret a été écrit en entier dans les tranchées jour par jour au fur et à mesure que ma triste vie de tranchées s’écoulait. » Les notes sont très brèves, surtout au début, par exemple en juin 1915 : « 22 marche 8 k, soir revue, 23 exercice, 24 matin marche, soir revue, 25 marche et pluie ». Par la suite, elles forment des phrases, sans développements, mais qui réussissent à montrer le caractère exténuant des marches et des travaux, et les dangers affrontés. Pour la première partie, jusqu’à la fin de 1915, on pourra s’appuyer sur les longues descriptions de Louis Barthas pour développer les propos laconiques de François Azéma, par exemple lors des inondations suivies de fraternisations de décembre 1915 en Artois.

3. Analyse
De juin à décembre 1915, le 280e est en Artois, et on retrouve dans les carnets les noms du Fond de Buval, de la tranchée de Calonne, La Targette, Neuville-Saint-Vaast, etc. Comme Barthas, il fait des corvées de rondins, des marches sous la pluie battante, il subit les journées de bombardements qui alternent avec des périodes plus calmes. Le 26 septembre, il note : « Nous avons passé la nuit bien froide couchés sur la terre » ; le 4 octobre, un obus de 77 tombe sur la cagna « d’où on a pu sortir sans blessure » ; le 11 octobre : « J’ai failli être tué par un 105 tombé à 4 m et qui a tué 2 camarades » ; le 75 fait aussi des victimes, tués et blessés.
Il y avait de la boue avant décembre 1915, mais ce mois-là est particulièrement pluvieux : « Nous sommes allés travailler à déblayer les boyaux où la boue nous arrivait jusqu’aux genoux ; il fallait se donner la main les uns les autres pour s’arracher ; plusieurs ont dû abandonner sac, fusil et équipement pour pouvoir se dégager. […] Puis nous sommes montés en 1ère ligne où nous avons eu de la pluie tout le temps et de la boue jusqu’aux genoux ; il fallait travailler tout le temps à la réfection des tranchées : nous avons souffert atrocement pendant ces jours de 1ère ligne, nos pieds gelaient dans la boue ; pendant ces jours-là les Allemands sont montés sur la tranchée, nous de notre côté on en a fait autant et pendant 5 jours tout le monde était en terrain découvert ; les Allemands nous offraient des cigarettes, puis du rhum. Le 15 décembre nous avons été relevés des 1ères lignes. » Louis Barthas, Léopold Noé et d’autres ont évoqué ces scènes.
François part en permission le 1er janvier 1916. Il rejoint son régiment à Dunkerque, pour aller en Belgique. Le 3 mars 1916 est ainsi décrit : « Monté en 1ère ligne par une nuit noire où on ne voyait pas à un pas, il pleuvait à verse, nous sommes arrivés trempés jusqu’aux os ; du fait de l’obscurité nous tombions dans des trous d’obus où nous avions de l’eau jusqu’à la ceinture ; en résumé, relève très pénible où nous avons souffert atrocement. Le lendemain 4 mars nous avons eu de la neige en abondance nous couvrant ainsi que la terre de son manteau blanc. Cette journée a été très rude car étant mouillés et un vent glacial nous avons gelé ; en somme, journée mémorable par la souffrance que nous avons endurée ; dans la soirée les Allemands nous ont lancé quelques crapouillots sans résultat car personne n’a été blessé ni tué. »
En juin 1916, cet artisan rural, proche des choses de la terre, remarque avec tristesse : « Pendant tout notre séjour à Hardivilliers, nous avons de la manœuvre dans les cultures, soit blé, luzerne, seigle, etc. où nous brisons tout sur notre passage. » Dans la Somme, à la fin de 1916, ce sont encore de très durs moments dans la boue et sous les obus. En Alsace en 1917, cela va mieux, et il va passer dans l’artillerie (sans donner d’explication sur ce changement de statut).
En novembre 1918, un long passage écrit au crayon se termine par la remarque que les prisonniers boches (mot rarement employé) ont été très heureux d’apprendre la nouvelle de l’armistice. Il trouve alors une plume et de l’encre pour écrire, en soulignant la première ligne : « L’armistice a été signé le 11 9bre à 5 heures matin et le feu a cessé à 11 h m. sur tous les fronts. Guillaume II abdique et s’enfuit en Hollande. Son fils le kroumpritz renonce au trône, il en pleure comme un gosse. »
Photo de François Azéma dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 42.

Rémy Cazals, mai 2011

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Olanié, Maurice (1897-1983)

1. Le témoin
Les éditeurs de son témoignage ne donnent ni sa date de naissance, ni son milieu social. Il faut donc traquer ces renseignements dans le texte lui-même. Nous apprenons qu’il a 19 ans en 1916. Il serait donc né en 1897. L’Alsace était le berceau de sa famille, et il parlait allemand. Il est vraisemblablement né à Troyes, puis ses parents ont vécu à Meaux. Il a reçu une bonne instruction primaire et il se montre curieux . Il visite les monuments à Noyon comme à Aix-la-Chapelle ; il passe une semaine merveilleuse à lire dans la riche bibliothèque d’un château, avec l’autorisation du colonel ; il se perfectionne en latin auprès d’un prêtre et en algèbre auprès d’un instituteur. Ayant effectué un stage en cartographie, il en sait plus que les officiers, et s’étonne de leur ignorance. Il est mort à Avignon le 3 février 1983, mais on ignore tout de son métier.

2. Le témoignage
Il est constitué de deux séries de textes. D’abord des carnets rédigés sur le moment en 1917 et 1918, conservés par sa fille. Ensuite des compléments apportés par l’auteur en 1978. Le travail d’édition a été réalisé par Rose-Marie Lange, petite-fille de l’auteur, et Jean-Pierre Rocca, qui a rédigé l’avant-propos et exposé le contexte des opérations militaires. Stephan Agosto a donné une introduction. Le livre, hors commerce, semble avoir été tiré en un petit nombre d’exemplaires en vue de trouver un véritable éditeur. Il porte comme titre Maurice Olanié, 114e Bataillon de Chasseurs alpins, Notes de guerre 1917-1918. Il est complété par quelques photos de la collection Férole (notamment une belle vue de vraie tranchée, boueuse, abri et fils du téléphone visibles ; une étonnante photo montrant, en face de la tranchée française, le visage de deux Allemands casqués). Le texte figure aussi sur le site chtimiste.com.

3. Analyse
Du 12 août au 2 septembre 1917, Olanié se trouve près du Chemin des Dames, en proie à la soif et à la vermine. Le 31 août, il décrit une attaque, précédée d’un barrage, la prise de la tranchée ennemie abandonnée, le nettoyage des abris au lance-flamme, mais aussi la capture de 15 prisonniers.
En mars 1918, il a les oreillons, puis il revient vers Montdidier, pour constater la retraite dans « un désordre indescriptible » (p. 70). Du 6 au 16 avril, il occupe un petit-poste et attend vainement la relève. De mai à août 1918, secteur du Violu dans les Vosges. Le voici ensuite dans l’Oise au moment de la contre-offensive. Le 11 août, le bataillon reçoit de l’eau-de-vie, « ce qui veut dire qu’on est unité de combat ». Ce qui est dur, c’est de respirer l’odeur de cadavre, mais un bombardement violent, qui dure toute une nuit, « par obus de tous calibres et par avions » ne fait aucune victime. Plus loin il décrit Noyon qui flambe sous les obus français ; l’explosion du dépôt de munitions de Bas-Beaurains ; la remontée à travers le département de l’Aisne ; et conclut, le 13 septembre : « La compagnie va se reformer ayant ses effectifs réduits des 2/3. »
Du 30 septembre au 14 octobre 1918, opérations en Belgique. Olanié part en permission et n’en revient que le 2 novembre. Il décrit ainsi la joie qui règne lors de l’armistice : « Quel peut-être, en effet, l’état d’esprit d’hommes qui, la veille encore, n’étaient pas sûrs de terminer sans accident la journée commencée et qui, maintenant, savent que ce cauchemar de quatre années est fini, qu’ils peuvent espérer sans crainte, qu’ils n’entendront plus le bruit si énervant des canons, le sifflement des obus, le grognement des gros noirs ! C’est fini ! Plus d’abris à creuser, plus de tranchées, plus de garde, plus de gaz, plus d’alerte ! » Dans le Brabant, les troupes sont accueillies triomphalement.
Soixante ans après, Olanié ajoute quelques souvenirs. On en retiendra trois. D’abord une critique de la guerre, « cette boucherie » (p. 166), et des combats, « mini-massacres » qui n’ont servi à rien (p. 137). Ensuite, un dialogue dans le no man’s land avec un Allemand qui lui donne des renseignements qu’il ne transmet pas à ses supérieurs parce que « notre artillerie lourde et légère s’en serait donnée à cœur joie, l’artillerie allemande aurait répliqué, et alors quel beau massacre des deux côtés !! » (p. 146). Enfin, et à quatre reprises, il s’en prend, en 1978, aux « salopards de Lénine », à cette « vermine rouge » (p. 119, 134, 162, 166). Il leur reproche d’avoir abandonné les Français en 1917-18. Mais, curieusement, une telle remarque n’apparaît pas dans les notes d’époque. Il est vraisemblable que son opinion de l’URSS et du parti communiste français entre 1918 et 1978 ait joué ici. Un passage, également écrit en 1978, éclaire encore les positions politiques de l’auteur lorsqu’il oppose les « 40 rois qui en mille ans firent la France » aux « mille propres à rien » qui l’avaient « maintes fois conduite au désastre » (p. 123).
Rémy Cazals, 5 mai 2011

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Richert, Dominique (1893-1977)

1) Le témoin

Le 16 octobre 1913, âgé alors de vingt ans et célibataire, Dominique Richert  est incorporé  dans la première compagnie du 112e régiment d’infanterie, stationné à Mulhouse. Il est agriculteur à Saint-Ulrich dans le Sundgau. En septembre 14, il est envoyé en Belgique, puis en Roumanie en avril 1915. Un mois plus tard, on le retrouve près de Brest-Litovsk. Il reste sur le front de l’Est entre la Pologne et la Russie jusqu’en avril 1918, où il est renvoyé en France, du côté de Laon, avant de déserter. Richert a commencé la guerre comme simple soldat ; il est passé caporal, puis sous-officier.

2) Le témoignage

Bons résultats à l’école, Richert était en mesure de transcrire son expérience. Il entama après la guerre la rédaction de ses souvenirs sur huit cahiers ; il les écrivit d’un seul jet, sans rature ou mot corrigé, puis les rangea dans un tiroir au grenier de la maison. A la demande pressante de ses fils, Ulrich et Marcel, Dominique Richert réécrivit les pages abîmées, tandis qu’ ‘un jeune étudiant, Jean- Claude Faffa, ami de la famille s’employa à les dactylographier. En 1987, ces trois cents pages ont été découvertes aux archives militaires fédérales de Fribourg-en-Brisgau par un jeune historien allemand. Edité Outre-Rhin en 1989, par Knesebeck & Schuller-Munich, le livre est paru sous le titre original de Beste Gelengenheit zum Sterben. En France, Cahiers d’un survivant Un soldat dans l’Europe en guerre, 1914-1918 est édité en 1994 par la Nuée Bleue-Strabourg.

3) Analyse

Le témoignage de Dominique Richert est d’une grande richesse. Cette rapide analyse vise davantage à souligner l’intérêt du témoignage qu’à en donner une lecture exhaustive.

Première précision : Dominique Richert témoigne d’une expérience particulière, celle d’un Alsacien dans l’armée allemande, qui se vit comme un soldat allemand. Les Français sont désignés sans équivoque comme des ennemis et des adversaires (p. 14 et 259 par exemple). D’ailleurs, note R. Cazals, dans sa comparaison avec L. Barthas (voir « autres informations ») « lorsqu’il se décide à déserter, en juillet 1918, on peut dire que cela lui est plus facile parce qu’il est alsacien et qu’il tente le coup avec deux autres Alsaciens qui savent parler français. Mais, s’il déserte, il le dit clairement, c’est pour sauver sa peau, et non parce qu’il a choisi la France.  » J’étais triste de quitter ainsi mes hommes et tous mes camarades sans pouvoir leur faire mes adieux « , note-t-il (p. 261). Lorsqu’un général français lui demande des renseignements sur les positions allemandes, il ne les donne pas :  » J’avais déserté pour sauver ma vie et pas pour trahir mes anciens camarades  » (p. 270) ».

L’attachement au « pays » est manifeste : « J’observai son visage éclairé par la lune et reconnus en effet le Schorr Xavier de Fulleren, village voisin du mien.  » T’es pas le Schorr Xavier de Fulleren ?  » lui demandai-je en alsacien. Il en tomba pratiquement à la renverse. […] Une fois le repas terminé, on s’allongea sur la paille pour parler du pays. Je venais de recevoir une lettre de chez moi, me disant que les habitants de Fulleren avaient pu rester chez eux, malgré la proximité du front. Schorr fut très heureux de l’apprendre, car il était sans nouvelles depuis belle lurette » (p. 121). Cet attachement explique également ses sentiments lors de l’entrée en guerre : « Je n’avais pour ma part aucune envie de chanter, parce que je pensais qu’une guerre offre toutes les chances de se faire tuer. C’était une perspective extrêmement désagréable. De même, je m’inquiétais en pensant aux miens et à mon village, qui se trouve tout contre la frontière et risquait donc une destruction. » Le 1er août, sa famille vient le voir à la caserne : « ce fut une séparation pénible, puisque nous ne savions pas si l’on se reverrait un jour. Nous pleurions tous les trois. En s’en allant, mon père me recommanda d’être toujours très prudent et de ne jamais me porter volontaire pour quoi que ce soit. Cet avertissement était superflu, car mon amour de la patrie n’était pas considérable, et l’idée de « mourir en héros », comme on dit, me faisait frémir d’horreur. »

Richert témoigne également de la vie au front et des souffrances des combattants. La pluie, la boue, le froid, les poux, la soif et la faim, la fatigue des travaux sont autant d’épreuves dans la vie des soldats. Par exemple, en octobre 1914 : « On resta environ quinze jours dans ces tranchées sans être relevés. Comme il pleuvait souvent, elles furent remplies de boue et de saleté, à tel point que l’on restait souvent collé au sol. Nulle part un petit endroit sec, où l’on aurait pu s’allonger ou s’asseoir ! Quant à nos pieds, on n’arrivait jamais à les réchauffer. Beaucoup de soldats souffraient de rhumes, de toux, d’enrouement. Les nuits étaient interminables. Bref, c’était une vie désespérante. » De même se plaint-il du « faux » repos : « Au lieu de pleinement se reposer, on dut s’exercer à un tas de bêtises : apprendre à se présenter, pas de l’oie, bref, la même rengaine que dans une cour de caserne. »

Les attaques, parfois absurdes (pp. 26, 49, 75), les bombardements sont racontés avec un réalisme saisissant : ainsi, à propos de la bataille de Sarrebourg les 19 et 20 août 1914, alors que les soldats doivent attaquer un village. « Un tir d’infanterie crépitant nous fut opposé ! Plus d’un pauvre soldat tomba dans l’herbe tendre. Il était impossible d’aller plus avant. Nous nous sommes tous jetés par terre, essayant de nous enterrer à l’aide de nos pelles et de nos mains. On était étendus là, blottis contre le sol, tremblants de peur, attendant la mort d’un instant à l’autre. » Richert rend également compte des bombardements : « Soudain, un bruit terrible déchira l’air. Toutes les batteries allemandes de tout calibre se mirent à bombarder la colline. Les explosions, les grondements faisaient trembler la terre… » (p. 99).

Face à de telles souffrances, les tentatives pour se soustraire à la violence de guerre sont nombreuses. Entre autres, il songe à l’automutilation en avril 1915, s’égare volontairement en juin, se porte volontaire pour des stages comme en novembre 1915, contourne un ordre jugé absurde en mai 1918, et finit par déserter en juillet. On comprend mieux son soulagement à l’annonce de l’armistice : « On se dit : « C’est la paix ! » Les larmes nous vinrent aux yeux. […] Nous étions tous heureux que les Français aient gagné la guerre, parce que, si ça avait été les Allemands, l’Alsace serait restée allemande et nous, en tant que déserteurs, n’aurions plus jamais pu rentrer à la maison. » C’est d’ailleurs sur son retour que ce termine ces souvenirs d’un survivant : en janvier 1919, il revient dans son village, quitté cinq ans et demi plus tôt : « Les larmes me montèrent aux yeux. Je me mis alors à courir à toute allure pour arriver à la maison. […] J’étais fou de joie de revoir ma mère. On se serra fort dans les bras l’un de l’autre, au bord des larmes, sans pouvoir dire un mot. »

4) Autres informations

CAZALS Rémy, « Deux fantassins de la Grande Guerre : Louis Barthas et Dominik Richert », dans Jules Maurin et Jean-Charles Jauffret (éd.), La Grande Guerre 1914-1918, 80 ans d’historiographie et de représentations, Montpellier, ESID, 2002, p. 339-364. L’article est disponible à l’adresse suivante : http://dominique.richert.free.fr/cahiers1/remy%20cazals/index.htm

Un site internet réalisé par le gendre d’Ulrich Richert, fils de Dominique. On y trouve des extraits du manuscrit original, des photographies de Dominique Richert, avant, pendant et après la guerre, une carte retraçant son parcours et d’autres informations qui complètent la lecture de ce beau témoignage : http://dominique.richert.free.fr/index.htm

Marty Cédric, 20 mars 2010.

Nouvelle édition du livre de Dominique Richert par La Nuée bleue, 2016.

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Liénart, Achille (1884-1973)

1. Le témoin

Né le 7 février 1884. Issu d’une famille bourgeoise lilloise. Entre à 17 ans au séminaire d’Issy-Les-Moulineaux. Fait son service militaire en 1903-1904 au 43e RI en devançant l’appel. Bénéficie de la loi militaire de 1889 qui ne prévoit qu’un an d’obligation militaire pour les séminaristes. Simple soldat car cette loi ne leur permettait pas de suivre les pelotons. Poursuit ses études de théologie à Saint-Sulpice dans le contexte de la Loi de Séparation. Membre de l’ACJF (catholicisme social). Ordonné prêtre en 1907 mais poursuit ses études pour échapper à une année de service militaire supplémentaire. Obtient durant cette même année une réforme pour raison médicale. Licence de philosophie puis doctorat en théologie. Nommé professeur d’écritures saintes au séminaire diocésain de Cambrai. Engagé volontaire à la déclaration de guerre. Aumônier à l’ambulance 3 de la 51e DR (prévu par le décret du 5 mai 1913 qui attache 2 aumôniers catholiques au niveau du CA et un au niveau de la DI). Devient aumônier volontaire à partir du 11 janvier 1915, rattaché au groupe de brancardiers d’une division supplémentaire et provisoire du 3e CA. En juin il rejoint les rangs du 201e RI, apte à suivre cette unité vu son âge. Blessé une première fois en avril 1916 sur le Chemin des Dames (Paissy). Blessé une seconde fois sur la Somme en août. (Maurepas). Citations et décorations. Reçoit en 1917 la croix de la Légion d’honneur remise par Pétain. Démobilisé le 12 mars 1919.

Redevient professeur au séminaire de Lille. Nommé curé-doyen à Tourcoing en 1926. Evêque de Lille en 1928. Cardinal en 1930. Conserve des liens avec les anciens du 201e. Soutien le régime de Vichy. Œuvre à l’œcuménisme et au dialogue interreligieux en participant aux travaux de Vatican II. Meurt en 1973.

2. Le témoignage

Journal de guerre 1914-1918, Presses universitaires du Septentrion, 2008, 131 p. Cartes, extraits de canevas de tir (légendés par l’auteur), croquis (de l’auteur), photographies et documents divers ont été compilés par l’auteur dans ces souvenirs.

Préface et annotations de Catherine Masson. Avertissement de l’éditeur. Edition dotée d’un appareil critique fourni et d’une riche iconographie.

L’édition papier est accompagnée d’un DVD comprenant :

  • – une transcription dactylographiée d’un journal quotidien (carnets) tenu du 2 août 1914 au 12 mars 1919 (fichiers Word et PDF). La version présentée ici est celle détenue par les archives diocésaines de Lille.
  • – le scan complet des souvenirs objets de la présente publication (et comprenant la totalité des documents qui l’accompagnent). L’auteur les intitule «La guerre de 1914-1918 vue par un Aumônier Militaire. Achille Liénart»
  • – le scan de 2 carnets de sépultures.
  • – diverses éphémérides (produites par l’auteur).

Ces souvenirs (publication papier) ont été établis à partir de cahiers (reproduits dans le DVD). Ils ont été écrits après la guerre, sans que l’on puisse déterminer avec certitude la date de rédaction (sans doute avant 1928). Ces cahiers sont eux-mêmes issus d’ « agendas de poche », rédigés sur le front, qui n’ont pu être retrouvés. Quelques pages des cahiers ont été retranscrites par la mère de l’auteur et par un scripteur inconnu (dans la version présentée ici, détenue par les archives diocésaines). Il existe une autre version manuscrite de ces cahiers (au nombre de 6), détenus quant à eux par la famille.

Les souvenirs présentés ici sont découpés en 13 chapitres respectant une chronologie précise.

Une carte, placée au début, synthétise tous les mouvements de l’auteur durant la guerre et les éphémérides offrent une vue panoramique des événements de guerre. L’ensemble – cahiers, souvenirs, éphémérides et documents – soulignent à l’évidence combien l’expérience de guerre a marqué son auteur.

3. Analyse

Nous n’évoquerons ici que les souvenirs publiés dans la version papier de cette publication. Ils se révèlent utiles pour qui veut comprendre le retour et l’implantation du clergé catholique durant la Grande Guerre auprès des combattants, neuf ans après la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ils soulignent combien ce retour n’était pas acquis au début du conflit et combien sa réalisation se fit dans une réelle et parfaite improvisation. Une forme d’improvisation durable qui aura tendance à se maintenir durant tout le conflit.

Bien que l’auteur soit prêtre, il s’agit bien de souvenirs calquant le style d’un journal de guerre de combattant et qui en adoptent souvent la sécheresse formelle. L’auteur sera d’ailleurs convié par sa hiérarchie à participer à la rédaction de l’historique régimentaire du 201e juste avant sa dissolution. Priorité est ici donnée aux lieux et aux événements. Assez peu de place accordée à l’analyse et au ressenti de la guerre. La mission pastorale elle-même est plus souvent notée que décrite dans le détail.

Chapitre 1 : 2 août 1914-25 mars 1915 Aumônier bénévole, à l’ambulance 3/51. Départ en campagne – Bataille et retraite de Belgique – Combat de Guise – Bataille de la Marne – Secteur sud-est de Reims

Nomination dans l’improvisation

Aumônier volontaire aux armées dès le 3 août. Les 4 places officielles d’aumôniers au 1er CA étant prises, obtient de l’autorité militaire une affectation officieuse : « Mon cas n’étant pas prévu par les règlements, c’était à moi de me débrouiller pour trouver un emploi. » (p 15) Obtient une affectation à l’ambulance 3 de la 51e DR. : « Il était entendu par ailleurs, entre le médecin-chef et moi, que je ne demandais ni solde, ni nourriture, ni prestation d’aucune sorte (…) » (p 16) Accueil favorable « car un grand souffle d’union sacrée était passé sur le pays » (p 16). L’aumônier est pris en charge par une escouade d’unité inconnue pour la nourriture. Reçoit le 8 décembre une note du commandement qui « fit disparaître une menace qui pesait sur moi (…) » (p 20) La visite d’un médecin-inspecteur à l’ambulance régularise la situation de l’auteur qui obtient le statut d’« aumônier volontaire agréé » par lettre ministérielle du 11 janvier 1915. Il bénéficie désormais d’une assimilation de grade à celui de capitaine

Retraite de Belgique

Franchet d’Esperey (commandant le 1er CA) intervient directement auprès des troupes en retraite afin que celle-ci se fasse en bon ordre (p 17).

Chapitre 2 : 25 mars – 10 juin 1915 Aumônier volontaire agréé à la DI provisoire du 3e CA. Secteur nord-est de Reims

Brancardier divisionnaire ; affectation au 201e

Quitte l’ambulance 51/3, nommé brancardier divisionnaire le 23 mars (DI provisoire). Désire rapidement se retrouver au contact de la troupe pour officier (messes, confessions, visites de secteur). Prise de contact avec la troupe rendu difficile du fait de leur incessante mobilité. Demande une affectation auprès du 201e RI (unité de nordistes dont est issu l’auteur), la rejoint le 3 juin. S’efforce d’obtenir un poste qui lui permette d’être proche de la troupe (groupe des infirmiers régimentaires). Devient aumônier de cette unité : « J’avais maintenant comme « paroisse militaire » une unité d’infanterie combattante dont j’allais partager les risques, les souffrances et les gloires, et où j’allais exercer, près des vivants et des mourants, un ministère sacerdotal tel qu’il marquerait sur toute ma vie son empreinte et me laisserait les plus émouvants souvenirs. » (p 27)

Chapitre 3 : 10 juin 1915 – 21 février 1916. Aumônier au 201e RI – 1ère division d’infanterie – 1er corps d’armée – Secteur de combat de Sapigneul

Un secteur actif : Sapigneul – cote 108

Installation d’une chapelle souterraine entre l’écluse nord et Sapigneul, à 30 mètres des lignes allemandes. L’auteur, au cours de ses tournées, apporte la communion aux guetteurs des postes d’écoute, l’entretien de la foi et la (re)conquête des âmes se faisant dans la proximité de la troupe.

Creusement de sapes souterraines jusqu’au canal en vue d’une attaque (p 30). Attaques répétées et infructueuses : « A quoi bon tant de sacrifices pour un si maigre résultat ? » (p 30)

L’échec de l’offensive de Champagne rend le secteur encore moins confortable qu’il ne l’était. Les maigres conquêtes de terrain au nord du canal sont aménagées mais l’espace demeure insuffisant pour une installation solide. Recherche et inhumation des soldats tombés entre les lignes : « Il y a là des cadavres français de 1914 encore en pantalon rouge et nous réussissons à en identifier plusieurs, à les recouvrir de terre et à planter des croix sur leur tombe. Il y en a aussi du 201e que nous ramenons derrière le canal et que nous inhumons sur place. Il en reste hélas quelques-uns qui sont tombés dans les réseaux de fil de fer allemands et que nous ne pouvons aller chercher jusque là. » (p 32. Noter la différence de traitement des corps entre les hommes appartenant à l’unité de l’auteur et les autres.)

Chapitre 4 : 22 février 1916 – 23 juillet 1916 Aumônier au 201e RI – 1ère division d’infanterie – Bataille de Verdun – Secteur du plateau de Paissy (Aisne)

Verdun

Arrivée à Verdun le 26 février. Montée en secteur (calme) le 2 mars (fort Saint Michel). 6 mars, installation d’un poste de secours dans la redoute de Thiaumont. Le 201e est engagé devant Douaumont à l’un des moments les plus critique de la bataille. L’auteur fait office d’agent de liaison. Relève des morts lorsque cette tâche est possible (rapatriement du corps du lieutenant Brancourt qui sera inhumé vers la redoute de Thiaumont sous un bombardement intense après repérage par une batterie de 77). Relève dans la nuit du 12 au 13, les restes du régiment rejoignent Verdun. L’auteur repart sur le champ de bataille pour inhumer les corps dont il a noté les emplacements avec deux volontaires « chargés d’un grand nombre de croix (…) » (p 39). Les tombes des hommes du 201e ont été retournées par les obus : « Sans doute ne restera-t-il rien de ces pauvres corps, ni de la croix que nous plantons à la hâte au-dessus d’eux. » (p 39) L’auteur nomme, avec une pointe d’humour rétrospectif, cette équipée macabre « notre chemin de croix ». 22 mars, remontée vers la Côte du Poivre. L’abbé reçoit sa première citation. Installation d’un poste de secours à Bras. Retrait de la zone dans la nuit du 7 au 8 avril. Etape à Trélou. Remise de la Croix de guerre avec citation à l’ordre de la brigade.

Plateau de Paissy (Chemin des Dames)

Arrivée 22 avril (relève du 18e CA). Secteur particulièrement calme : « (…) nous trouvions que c’était bien notre tour de garder des tranchées commodes et bien aménagées, tandis que le 18e corps nous remplacerait à Verdun. Ce n’était pas très charitable, mais c’était si humain ! » (p 41) La tâche du prêtre n’est pourtant pas simplifiée dans ce nouveau secteur : l’éloignement des hommes et la faible occupation des tranchées l’oblige à parcourir de longues distances pour officier. Le calme du secteur autorise les déplacements à cheval. Blessure bénigne par obus au cours de l’un de ces déplacements. Rare critique du commandement au sujet des coups de main : « (…) nos chefs se  trompaient en croyant que par ces coups de main entretenir chez nos soldats l’esprit d’offensive. En réalité ces petites opérations de détail coûtaient cher et rapportaient peu, elles déprimaient le moral de nos soldats. » (pp 42-43)

Relation en fin de chapitre, à la manière d’un aparté hagiographique, d’« un souvenir qui m’est resté particulièrement cher » : un agent de liaison connu du prêtre ne peut poursuivre sa mission à Verdun. Ce dernier l’encourage en lui donnant la communion et le soldat repart terminer sa mission.

Chapitre 5 : 24 juillet – 1er octobre 1916 Aumônier au 201e RI – 1ère division d’infanterie – Camp de Crèvecoeur (Oise) – bataille de la Somme

Crèvecoeur et Gressaire

Déplacement du 201e à partir du 25 juillet vers le front de la Somme. Séjour au camp de Crèvecoeur pour une manœuvre visant à anticiper le futur engagement. 13 août : embarquement pour Villers-Bretonneux puis pour le camp de Gressaire où le 201e est doté d’une musique régimentaire : « Désormais nous n’avions plus rien à envier au 1er d’infanterie avec qui nous faisions brigade. » (p 45)

Bataille de la Somme

Arrivée en secteur à partir de la nuit du 19 au 20 août, relève du 20e CA. Un regard rétrospectif mi-admiratif et mi-critique sur l’allié britannique : « L’armée anglaise est bien différente de ce qu’elle était au début de la guerre. Elle a mis deux ans à se former mais elle est devenue nombreuse, puissante, admirablement équipée et très bien pourvue d’artillerie (…) La bataille de la Somme est leur première grande offensive, ils y sont entrés avec une ardeur magnifique, mais avec une inexpérience et une témérité qui nous rappellerons plus d’une fois nos erreurs du début de la guerre, et qui leur coûteront beaucoup de pertes inutiles. » (pp 15-46) Engagement du 201e à l’ouest de Maurepas. Installation d’un poste de secours de première ligne dans un ancien abri bétonné allemand dont la porte est tournée du côté de l’ennemi et qui reçoit le choc d’un obus allemand : l’auteur est blessé mais ne quitte pas son poste. « De fait je passe la matinée dans le chemin creux à confesser tous ceux qui le veulent et à donner des communions. Quand j’ai fini, mes soldats me confient leur lettres, pour beaucoup, peut-être le dernière. Ils l’ont écrite comme ils ont pu, au crayon, sur leurs genoux, avant le combat, ils y ont mis toutes leurs affections et ils tiennent à ce qu’elle parte. J’en apporte bien 300 au poste de secours d’Hardecourt » (pp 46-47) L’attaque du 201e réussit partiellement, les britanniques et le 1er RI n’ayant pu progresser au même rythme.

Multiples attaques mais progression limitée qui permet à l’aumônier d’aller à la recherche des morts et des disparus de l’attaque du 24. Court repos. 13 septembre, le 201e attaque à nouveau aux côtés des « joyeux » (bataillons disciplinaires africains) dans le secteur de Rancourt. Prise de Rancourt et de Combles. Citation du 201e à l’ordre de l’armée pour ces combats. 24 septembre, remise de la croix de guerre au drapeau du régiment et 2e citation de l’auteur, à l’ordre de l’armée.

Chapitre 6 : 2 octobre 1916 – 25 mars 1917 1er octobre 1916 Aumônier au 201e RI – 1ère division d’infanterie – Secteur de Champagne – Affaire de Maisons de Champagne – En Brie

Champagne

Arrivée secteur Dampierre – Saint-Etienne-au-Temple – La Cheppe : « J’en profite pour aller visiter les bataillons et prendre contact avec les renforts qui sont venus combler les vides creusés dans nos rangs. Nous avons reçu des hommes de tous âges, des territoriaux grisonnants et des jeunes de la classe 16, de toutes régions aussi, car il en est venu de tous les recrutements et il y a même des Sénégalais du plus beau noir ! Heureusement, si j’ai désormais quelques païens et quelques musulmans parmi mes ouailles, la majorité reste catholique. » (p 55) Exploration du champ de bataille de Souain afin d’y retrouver des restes de corps de soldats du 201e abandonnés lors de l’offensive de mars 1915. Constitution d’un ossuaire surmonté d’une croix sur laquelle figurent les noms des soldats tombés dans ce secteur. Promotion du lieutenant-colonel Hebmann au grade de colonel. Il quitte le 201e pour prendre le commandement de l’ID : « Je le regrettais personnellement plus que les hommes qui l’appréciaient mal, car il n’avait pas la manière de leur parler. » (p 57) Remplacement par le lieutenant-colonel Mougin « qui, tout de suite, sut attirer l’estime et la confiance de tous. Notre premier entretien fut très cordial, il préludait à l’amitié sincère et profonde qui n’allait pas tarder à s’établir entre nous. » (p 57)

Maisons-de-Champagne

Le 201e est chargé d’aller porter secours au 208e dont deux bataillons ont été capturés par un coup de main allemand (c’est au cours de ce coup de main que des documents importants concernant l’offensive du printemps 1917 vont être pris par les Allemands ; Liénart semble ignorer ce fait.)

Les hommes du 201e sont pressentis pour reconquérir ce qui a été perdu par le 208e : « Pourtant le 23 [janvier 1917], le bruit court que c’est pour demain (…) Les hommes sont mornes et je ne sais que leur dire, car le bon sens me paraît être de leur côté. » (p 59) Cette attaque est finalement ajournée et le 201e quitte le secteur. Il part au repos pour Condé-en-Brie.

Maizy (Chemin des Dames)

Anecdote relatant la capture d’un soldat français du 233e accusé d’être un espion par un soldat du 201e.

Chapitre 7 : 26 mars 1917 – 26 juin 1917 Aumônier au 201e RI – 1ère division d’infanterie – Assaut du Chemin des Dames – Vauchamps -Mailly – Gonaix

Du 16-23 avril au plateau de Craonne

« Le séjour à Maizy est assez agité. L’ennemi se rend compte de la concentration de troupes qui s’opère et bombarde tous les villages. » (p 63) Préparation difficile des festivités de Pâques (confessions, messes) dans un contexte de préparation d’offensive. « Le capitaine Battet m’explique le plan de notre offensive, qui nous paraît à tous deux effarant. » (p 63) Critique lucide de ce plan par l’auteur au regard de ce qui s’est passé dans la Somme (attaques successives de positions après préparations méthodiques d’artillerie) : « Cela faisait une pénétration prévue de sept kilomètres en profondeur qui devait s’opérer d’après horaire fixé d’avance, en sept heures. En regardant la carte d’état-major, nous constations combien la topographie de notre secteur était propice à la défense (…) S’il n’y avait pas eu d’Allemands, l’effort physique d’un tel assaut avec l’armement complet et la surcharge de quatre jours de vivres que les hommes devaient emporter, eut été déjà été très considérable. Aussi malgré la puissance de notre artillerie et la densité de l’armée de rupture dont nous faisions partie, ne pouvions-nous nous défendre d’un sentiment d’effarement devant un plan aussi audacieux. La position à enlever était formidable, et tout de même l’ennemi qui la tenait était de ceux dont il n’était pas si aisé de faire abstraction (…) Jamais pourtant la confiance et le moral de l’armée n’avaient été plus élevés. » (p 63)

Le 16 avril, le brancardier Liénart suit la progression du 5e bataillon du 201e décimé par les tirs allemands de la tranchée du Balcon. Il est contraint de se replier sur la « maison sans nom », au pied de la falaise, transformée en poste de secours avancé. Le capitaine Battet, commandant le 4e bataillon, parvient à s’infiltrer au sud du Tourillon de Vauclerc et à prendre pied dans la tranchée du Balcon qui est progressivement conquise par ses extrémités et conservée. Malgré la conquête du Balcon, l’évacuation des blessés de la « maison sans nom » demeure particulièrement périlleuse. La recherche des blessés ne peut se faire qu’à la nuit tombée. Le 17, après une dure journée passée à soigner les blessés, Liénart quitte le poste de secours avancé et se dirige, épuisé, vers le poste de secours de Craonnelle. Il ne reprend son service que le 20. Le 21, il part à le recherche des corps de soldats disparus : l’identification est possible mais non l’inhumation. Le 22, regroupement sommaire de 125 corps : « Les corps sont réunis dans de grands trous d’obus, et les objets sont recueillis, les noms sont inscrits dur des billets et placés dans des bouteilles laissées dans des trous d’obus, au milieu des corps. » (p 68) L’inhumation des corps ne peut être accomplie du fait d’une relève.

Chapitre 8 : 26 juin 1917 – 18 janvier 1918 Aumônier au 201e RI – 1ère division d’infanterie – Bataille des Flandres – Retour en Seine-et-Marne – Crouy-sur-Ourcq

Les Flandres

Acheminement du 201e vers le nord : « Allions-nous enfin, nous qui appartenions au 1er corps d’armée, nous battre directement pour arracher notre régions envahie à l’oppression de l’ennemi ? » Entrée en Belgique, observation « de l’armée belge, que nous avions vu en 1914 si peu préparée à soutenir le terrible choc de l’armée allemande, et que nous retrouvions à présent fortement équipée et très bien encadrée. » Relève d’une unité belge sur le rive ouest du canal de l’Yser : «  Dans ce pays plat, saturé d’eau, où les tranchées, au lieu d’être creusées dans la terre étaient établies en superstructure, point commode pour loger les compagnies de réserve. » Mise au repos : « Le commandement soucieux d’avoir des troupes d’attaque en parfait état physique et moral, nous avait fait voir le champ de bataille, et nous mettait au vert jusqu’à l’offensive. » (p 73) Le 201e attaque le 31 juillet mais son avance est stoppée par la pluie. A son habitude, comme après chaque offensive, Liénart inhume les morts du régiment. Au repos, il reçoit la croix de la Légion d’honneur des mains de Pétain : « Il me félicita d’un mot, mais ce qui me fut plus sensible encore, ce furent les félicitations vraiment cordiales et émouvantes qui me vinrent de tous mes soldats et des officiers du 201e.» (p 76) Le régiment est engagé à plusieurs reprises dans le même secteur, jusqu’à la fin octobre.

Paris

4 novembre : départ en permission. Messe à Montmartre (probablement au Sacré-Cœur). Visite à la famille. Retraite spirituelle de 3 jours au séminaire de Saint-Sulpice.

Secteur d’Oost-Cappel et changement d’affectation

Visite aux bataillons en secteur au nord d’Ypres : « Heureusement, il y a un prêtre-soldat à chaque bataillon (…) pour assurer le service religieux. » (p 80) 7 décembre : préparatif de départ du 1er CA. Liénart est convoqué par le médecin-divisionnaire « qui m’apprend qu’une circulaire ministérielle rappelle les aumôniers dans les groupes de brancardiers. Je suis pour ma part l’un des deux aumôniers du groupe de brancardiers de la 1ère DI (GBD). Le prétexte invoqué pour nous éloigner de nos régiments, est que par suite du départ des aumôniers dans les régiments d’infanterie, certains éléments de la division (artillerie, génie, cavalerie), se plaignent de ne jamais avoir d’aumôniers. En réalité, ils ont les prêtres-soldats qui font très bien l’affaire, et on veut surtout, au nom des règlements, nous éloigner de notre champ d’apostolat. Heureusement nos chefs immédiats sont plus compréhensifs, et le médecin-divisionnaire se contente de m’affecter pour ordre au GBD, en me laissant toute liberté de résider où je m’estime être le plus utile. En principe, je ne suis plus aumônier du 201e, en fait je le reste. » (p 81) Long déplacement à pied de la DI jusqu’à Crouy-sur-Ourcq.

Chapitre 9 : 18 janvier – 9 mai 1918 Aumônier du GBD détaché au 201e – Secteur de Beaumarais – Bataille de Noyon – Secteur d’Ourscamp

Chemin des Dames

De retour dans ce secteur, au début de l’année 1918, Liénart note « On n’y apercevait pas encore les signes avant-coureurs de l’orage. » (p 85) Il y poursuit l’entretien des cimetières provisoires, constatant leur bon état ou les ravages causés par l’artillerie (cimetière du Blanc-Sablon). Le secteur conquis en 1917 est toujours l’objet d’aménagements défensifs : « Notre séjour dans cette zone assez calme n’est rendu pénible que par l’exécution d’importants travaux de défense. Il s’agit d’établir des réseaux de barbelés puissants et des centres de résistance solide en vue de contenir l’ennemi, s’il s’avisait d’utiliser la plaine pour tourner notre position du Chemin des Dames et du plateau de Craonne, si chèrement conquis. » (pp 85-86) Liénart entreprend avec une équipe de musiciens la réfection du cimetière du Blanc-Sablon et poursuit la recherche des corps de soldats du 201e tombés en 1917 dans le Ravin sans Nom, abandonnée quelques mois plus tôt du fait d’un départ précipité. Il constate que le travail d’identification et d’inhumation est resté en l’état, soulignant ici combien le devenir des corps des soldats dépend étroitement de l’unité à laquelle ils appartiennent.

L’Oise

La 1ère DI est jetée dans la brèche qu’ont ouvert les Allemands entre l’armée française et britannique le 21 mars. Le 201e résiste dans le secteur de Crisolles, sans le soutien de l’artillerie qui n’a pu suivre. L’unité se replie sur Noyon et est relevée par le 57e RI qui se fixe sur le Mont Renaud. Le 201e occupe une position en retrait dans le secteur de la forêt d’Ourscamp.

Chapitre 10 : 9 mai – 11 juillet 1918 Aumônier du GBD détaché au 201e – En réserve à Plassis-Bion – Bataille de l’Aisne – Forêt de Villers-Cotterêts

Au retour d’une permission, le 201e est envoyé dès le 28 mai pour soutenir une division qui tient le secteur entre Crouy et Chivres au nord de l’Aisne (suite à l’enfoncement du Chemin des Dames par les Allemands le 27 mai). Utilisation d’un bac pour passer au sud de l’Aisne. Repli sur Soissons alors que les ponts sur l’Aisne ont été détruits. Nouveau repli sur Noyant. Liénart rejoint la division à Septmonts qui est finalement pris : repli sur Vierzy puis Villers-Hélon et la forêt de Villers-Cotterêts. « Le 201e est anéanti. A l’appel qui se fit ce jour-là à Mongobert, nous étions en tout 170, et l’on nous envoyait à la division marocaine à Vivières, dès le soir, en attendant que l’on décide si le régiment serait dissous ou reconstitué. » (p 94) Le 4 juin, la première DI est reconstituée avec les restes de ses régiments et des renforts à venir. Participation du 201e à des combats locaux face à Longpont.

Chapitre 11 : 12 juillet – 13 octobre 1918 Aumônier du GBD détaché au 201e – Brève relève – Reprise de l’offensive – Prise du Plessier-Huleu – Oise et Alsace

Mention d’un combat au corps à corps  dans le secteur de Plessis-Huleu (pp 98-99). Obtention le 28 mai de 2 nouvelles citations, à l’ordre de l’armée et du régiment (p 99). Le 28 août, le 201e est envoyé en Alsace : « Je n’ai passé que trois jours à St Amarin mais quelle impression profonde j’en ai gardée. Ici toute la population parle de français, et elle est restée française de cœur. » (p 100) Les succès remportés par les armées alliées renforcent « les sympathies de la population alsacienne pour la France. » (p 102) A Bitchwiller, le nom de la place et de certaines rues est modifié (place Jeanne d’Arc et rues du président Wilson et du maréchal Joffre, p 102).

Chapitre 12 : 14 octobre – 11 novembre 1918 Aumônier du GBD détaché au 201e – Le dénouement – Granville – Lille – Vers Metz – Armistice

Difficulté à obtenir un laisser-passer pour Lille occupée par l’armée anglaise. Rencontre avec Thellier de Poncheville et obtention de permissions pour se rendre à Hazebrouck afin de se « débrouiller » pour entrer dans Lille. L’auteur parvient à se rendre chez son oncle. Surprise des lillois de voir un aumônier français arborant ses décorations. Départ pour les Vosges afin d’y rejoindre le 201e qui doit être engagé vers Saint Avold. L’auteur apprend la signature de l’armistice à Diarville : « A 11 heures, la joie éclate. Les cloches des églises sonnent à toute volée. C’est fini. Notre bonheur est si grand que nous avons peine à y croire, et que nous sommes obligés de réfléchir pour en prendre pleinement conscience. » (p 108)

Chapitre 13 : 12 novembre – 12 mars 1919 Aumônier du GBD détaché au 201e – Accueil triomphale en Lorraine – Occupation de la tête de pont de Myence – Dissolution du régiment – Congé de démobilisation

A partir du 15 novembre, le 201e se déplace vers la Lorraine : « A présent nous n’entrerons plus en Lorraine en combattants mais en triomphateurs. » (p 111) « Tous les villages sont pavoisés. Les habitants nous font un accueil enthousiaste. Tout le monde parle ici français, et nous sentons bien que la Lorraine est vraiment un lambeau de France qui nous a été arraché. » (p 112) Manifestations de joie dans les villages traversés. « Parmi les spectateurs de notre défilé, nous aperçûmes des soldats allemands en uniforme avec armes et bagages. Ils portaient la cocarde rouge, signe que la révolution qui avait éclaté dans l’armée vaincue. C’étaient des Lorrains qui s’étaient eux-mêmes démobilisés et qui étaient en train de regagner leur foyer. » (p 112)

1er décembre, mise en route pour la région de Mayence. Découverte des villes et villages intacts : « Les enfants pullulent littéralement, ce qui n’est pas sans faire réfléchir nos soldats sur l’avenir… Ils se pressent en foule sur notre passage et les hommes et femmes aussi, avec une curiosité qui nous étonne, et qui nous semble un manque complet de dignité. » (p 114) L’auteur loge chez l’habitant : « L’accueil est bon, mais visiblement les gens ont peur de nous. Et cela vaut mieux, car dès qu’ils ne nous craignent plus, ils deviennent aussitôt trop familiers. Force nous est de demeurer sur la réserve et un peu distants sous peine d’être traités presque en camarades. » (p 114) L’auteur est logé chez un curé qui fut aumônier militaire durant l’occupation de Lille. « Je lui dis que je suis de Lille, il baisse la tête et se tait. Il était chez moi, et voici que je suis chez lui. » (p 114) Fin décembre, l’auteur est atteint par la grippe espagnole. Participation à la rédaction de l’historique du 201e : « Je me hâte tant que je puis, d’achever l’historique du 201e avant que nous soyons dispersés. » (p 117). Le 13 février 1919, le régiment est dissous. Evocation de la cérémonie. Parti en permission, Liénart apprend sa future démobilisation qui sera effective le 12 mars.

4. Autres informations

Témoignages :

Grandmaison (de) Léonce, Impressions de guerre de prêtres soldats, Plon, 1917, 406 p.

Etudes :

Boniface Xavier, L’aumônerie militaire française 1914-1962, Le Cerf, 2001, 596 p.

Chaline Nadine-Josette, « Les aumôniers catholiques dans l’armée française » in Marie-Josette Chaline (dir.), Chrétiens dans la première guerre mondiale, Cerf, 1993, pp 95-120

Cru Jean-Norton, Témoins. Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, Les Etincelles, 1929, 729 p. (notices consacrées à Bessières, Dubrulle, Lelièvre, Lissorgues, Payen, Thellier de Poncheville)

Masson  Catherine, Le cardinal Liénart, évêque de Lille, 1928-1968, Le Cerf, 2001, 769 p.

J.F. Jagielski, juillet 2009

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Déverin, Edouard (1881-1946)

1. Le témoin

Appartenance 48e BCP (mention de cette unité p 139). Soldat d’origine parisienne. Devient téléphoniste dans le courant de l’année 1915. Aucun élément dans le témoignage ne permet de déterminer l’origine sociale du témoin qui paraît plutôt être un intellectuel et peut-être même un homme de plume. Termine sa guerre à partir de fin 1917 – sans que le témoignage ne dise le moindre mot des raisons de cette affectation – au G.Q.G. à Compiègne (« Mais simplement un hasard s’est présenté que je n’ai pas repoussé. », p 159) puis à Provins où il fait partie de l’équipe chargée de la rédaction des communiqués. Semble terminer définitivement sa guerre à Metz (Pierrefeu évoque ce déplacement critiqué du G.Q.G dans GQG Secteur 1, tome 2, Edition française illustrée, 1920, p. 241-242). N’évoque ni les conditions ni les termes de sa démobilisation.

2. Le témoignage

Du Chemin des Dames au G.Q.G. R.A.S. 1914-1918, Les Etincelles, 1931, 169 p. constitue la réédition enrichie de Feuillets (1914-1918), Maison d’Art et d’Edition, 1919, 124 p., ouvrage tiré à 500 exemplaire qui n’eut qu’une diffusion restreinte auprès des amis et camarades du front de l’auteur. Elle fut donc assez rapidement épuisée.

C’est la seconde édition que nous analyserons ici, faute d’avoir pu consulter la première et donc d’avoir pu mesurer la part de réécriture de cette édition revue et augmentée.

Selon l’auteur, la première édition était constituée de « notes directes et volontairement non romancées [qui] ne sont et ne veulent être qu’un choix de souvenirs et d’images, de la retraite à l’armistice, en passant par les tranchées de l’Aisne et la Somme. »  (préface de la seconde édition, p. 13). Elle semble donc naturellement trouver sa place dans la collection de témoignages des Etincelles, maison d’édition qui accepta en 1929 la publication du controversé Témoins de Jean-Norton Cru. La préface de cette seconde édition rend compte de l’accueil dans la presse de l’édition de 1919 (pp 14-16).

Une dédicace : « A mes camarades des 26e et 48e B.C.P. je dédie ce choix de souvenirs et d’images. »

Illustrations en tête de chapitre par Richard Maguet.

3. Analyse

Ouvrage elliptique qui, comme l’indiquent sa dédicace et sa préface, privilégie « un choix de souvenirs et d’images. »

Evocation de la guerre de la mobilisation jusqu’à l’armistice. Des va-et-vient chronologiques (évocation du plateau de Craonne en août 1914, p 35) montrent à l’évidence que si ces souvenirs ont été écrits à partir d’un carnet de route, celui-ci n’interdit pas à l’auteur de toujours privilégier une vision récapitulative de l’ensemble de la guerre (voir également p. 111-112).

Les têtes de chapitres possèdent parfois des indications spatio-temporelles mais la chronologie et la topographie de l’ensemble demeurent parfois assez lacunaires, comme il en est souvent pour le genre rétrospectif. Ces souvenirs sont, sous la plume de Déverin, également empreints d’une certaine forme de nostalgie. L’auteur évoque assez peu sa personne ou son ressenti face à la guerre. Ses descriptions portent sur ce qu’il voit ou ceux qui l’entourent directement. Seules les pages narrant un projet d’attaque de la ligne Hindenburg en mars 1917 et, par la suite, son affectation au G.Q.G. laissent entendre un jugement critique à l’égard du haut commandement.

Des groupes de chapitres forment des parties distinctes de l’ouvrage à partir du chapitre 7 : L’Aisne (1915-1916), chapitres 7 à 12 ; la Somme (juin-octobre 1916), chapitres 13 à 17 ; Des abords de Saint-Quentin à Metz (1917-1918), chapitres 18 à 25.

pp 23-29 : chapitre 2 : Le pillage et la pagaye (Noisy-le-Sec, 3-5 août 1914)

Mention du carnet de notes qui servit à la rédaction de l’ouvrage (p 17).

Evocation du saccage d’une laiterie Maggi par des civils en août 1914 (liée à des rumeurs d’empoissonnement d’enfants par les Allemands). « Ebahis, mais impassibles comme des Parigots qui se respectent, nous assistons à ce saccage-pillage – preuve évidente de l’imbécillité et de la passivité populaire. » (p 24)

Départ par la gare du Bourget : « Nous n’avons guère envie de chanter la Marseillaise ou le Chant du Départ. » (p 28)

pp 31-37 : chapitre 3 : Chimay et la retraite (août 1914)

Arrivée en Belgique : « Jusqu’ici, ce n’est qu’une impression de manœuvres, un optimisme certain ; beaucoup d’insouciance juvénile, le vague plaisir de l’aventure et de l’inconnu. » (p 32) A Chimay, premier contact avec les réalités de la guerre : les trains de blessés. Pas d’engagement de son unité dans la bataille de Charleroi, repli immédiat sur Vervins, Orbais, Villiers-Saint-Georges puis Montmirail.

pp 39-44 : chapitre 4 : Reims (13-14 septembre 1914)

Départ de Château-Thierry pour Reims où l’unité de l’auteur cantonne. Début des bombardements de la ville.

pp 45-48 : chapitre 5 : T.S.F.

pp 49-54 chapitre 6 : la maison des cercueils

Description d’une menuiserie à Jonchery-sur-Vesles (Marne) servant à fabriquer les cercueils pour l’hôpital de cette localité.

pp 57-61 : chapitre 7 : Au créneau (Soupir)

Séjour au pied du Chemin des Dames en période calme, sans doute au printemps 1915.

pp 63-67 : chapitre 8 : réglage de tir

Promu téléphoniste dans le même secteur, apparemment à la même période.

Un camarade, Letourné, évoque une trêve entre Français et Allemands pour aller ramasser les cadavres entre les lignes. Cette scène qui confine à une fraternisation (deux majors de chaque camp se seraient serré la main) est interrompue par un officier observateur qui en rend compte à la brigade.

Du fait de sa nouvelle affectation, l’auteur est amené à régler par téléphone le tir de batteries

pp 69-73 : chapitre 9 : 14 juillet devant la ferme Saint-Victor

Evocation du secteur de la ferme de Saint-Victor dans l’Oise.

pp 75-79 : chapitre 10 : nocturne

Evocation d’un secteur agité – où les bombardements par artillerie de tranchée coupent régulièrement les lignes téléphoniques (les bombardements sporadiques mais intenses par torpilles d’artillerie de tranchée sont l’une des caractéristiques du secteur des environs de la ferme de Confrécourt).

pp 81-88 : chapitre 11 : relève à Confrécourt

« Saison funèbre. Tout s’écroule sous la pluie éternelle, les talus eux-mêmes s’éboulent. On ne peut désirer et réaliser qu’une chose : ne pas vivre absolument dans un cloaque. » (p 82)

Evocation des difficultés à maintenir les liaisons téléphoniques dans un tel bourbier. Une évocation de ce secteur à la p. 111 la situe en décembre 1915.

pp 89-92 : chapitre 12 : secteur calme

« Chaque jour est un jour de gagné sur le risque de la mort – même dans ce secteur en apparence tranquille – et le rythme se déploie, impitoyablement régulier. Trop de petites choses quotidiennes enserrent les soldats pour qu’ils puissent s’offrir le luxe de remuer des idées. » (pp 89-90) Sur « le luxe de remuer des idées », on trouve une évocation toute à fait opposée à celle qui est exprimée ici chez Etienne Giran (Parmi les Zouaves, Edition du Nouveau Monde, 1923) dont l’unité se trouve dans le même secteur et à une période immédiatement postérieure à celle évoquée ici, visiblement matériellement beaucoup moins pénible.

Evocation des loisirs des combattants : parties de cartes, rédaction de la correspondance. La guerre et son spectacle rompent parfois la monotonie et « animent » le paysage : « Plus loin, au faite de la colline, un spectacle attire : les arrivées des gros noirs. Combien risible paraît l’étonnement des gens d’en face sur un inoffensif repli de terrain. Puissance de l’assimilation : j’éprouve un étrange mais réel plaisir, à voir monter avec un sifflement plaintif les trombes de fumée, de terre et les morceaux d’acier. » (p 92)

pp 95-99 : chapitre 13 : l’espoir de la Somme

Après avoir transité par le Valois, l’unité de Déverin rejoint la Somme (Rosières, Marcelcave). Les préparatifs d’offensive semblent prometteurs : « Pourquoi ne serait-ce pas le dernier acte, le commencement de la ruée finale ? » (p 96)

pp 101-104 : chapitre 14 : Le « 105 » devant Belloy

Engagé dans l’offensive, l’auteur subit les effets d’un bombardement dont il ressort miraculeusement indemne : « A distance, on remâche mieux cette idée de mort. Cela fut proche. Mais pourquoi faire tant d’histoires ? Nous reposerions en un cimetière sans faste. Il resterait deux noms sur les croix de bois noir ; cela ne serait même pas le tragique lamentable du papier dans la bouteille des premiers temps de guerre. Et l’oubli serait fait si vite. Un homme remplace un autre homme. » (p 104)

pp 105-109 : chapitre 15 : En réserve, au « Chancelier »

Evocation de la mort « voici déjà deux mois (…) [de] ce charmant Marcel Etévé » (l’auteur des Lettres d’un combattants (août 1914-juillet 1916), Hachette, 1917, cf. J.N. Cru, Témoins, Les Etincelles, 1929, pp 516-518) dans cette même tranchée des Chanceliers reconquise par l’unité de Déverin.

« Quant aux prisonniers, adolescents pour la plupart, nous les regardons sans haine, mais sans indulgence. Physique ingrat, l’air absent, abruti par la prodigieuse rafale d’acier qui, depuis plusieurs jours, s’abat sur eux. Ils défilent, identiques. Je leur dis : « Kriegsende ! » Ils s’épanouissent largement (…) Ce qui nous frappe, c’est leur mine humble et souvent sournoise, sous cet affreux calot. A l’un d’eux, un biffin arrache violemment sa patte d’épaule. Pas un geste, ni un mot de révolte. » (p 107)

Evocation d’un blessé allemand, dans ce contexte particulier à l’offensive : « Pauvre type, il est bien amoché ; on devine des moignons sanglants sous la toile de tente tachée de grandes plaques rouges. On le plaint un peu. « Oui, c’est dommage, dit Pernin, mais ils ont fait le sale coup si souvent de faire semblant de se rendre et de nous balancer une « citron » dans le blair ! » Chacun est devenu assez dur ; la pitié ne se prodigue plus qu’à bon escient. Et d’ailleurs toute sensibilité s’émousse. Il faut, pour la toucher, que l’horreur atteigne un certain degré, soit proche et directe. Combien de fois avons-nous devisé gaiement le long de tombes inconnues. » (p 108)

pp 111-115 : chapitre 16 : Benoît, téléphoniste

Evocation rétrospective de tous les secteurs parcourus et des camarades de combats rencontrés (des téléphonistes). Evocation – là encore rétrospective – de la mort d’un camarade proche : Benoît.

pp 117-120 : chapitre 17 : Faune

Evocation rétrospective des animaux croisés pendant la guerre, qu’ils soient aimés ou détestés : chevaux, chats, rats, poux, chiens, ânes.

pp 123-124 : chapitre 18 : Le repli (mars 1917)

Après une période de repos, avance sur Lassigny : « Partout des entonnoirs, partout les routes sont barrées par les arbres coupés, les poteaux renversés. » (p. 126)

« A Guiscard, à Guivry, ce qui reste de la population – des vieillards et des femmes – nous regarde défiler, sans manifester d’ailleurs aucun enthousiasme. Ces gens là semblent encore plongés dans une certaine hébétude. Un seul geste émouvant : à l’entrée d’un village, des gamins blêmes, au visage osseux, accourent nous prendre les mains. » (p 127)

pp 131-132 : chapitre 19 : Benay

Occupation de nouvelles positions, particulièrement inconfortables du fait de l’avance.

pp 135-140 : chapitre 20 : La ferme Lambay

Installation un peu moins précaire dans une ferme détruite. Le projet d’attaque de la ligne Hindenburg au niveau de Saint-Quentin est jugé comme une « folie ». Un lieutenant du 48e déclare : « Vous voyez Déverin, les généraux qui préparent froidement des attaques aussi ridicules, tout en sifflant une bonne fine, au coin du feu, ce sont des assassins. » (p 139)

pp 141-144 : chapitre 21 : Pernin – dit « le petit »

Portrait-épitaphe  du « parigot » Pernin, sergent-fourrier débrouillard : « C’est l’homme-bricole ; il sait tout faire, hormis les écritures. D’ailleurs il affiche un profond mépris des papiers et des bouquins. Quand il nous voit manier la pelle ou la pioche, il regarde avec condescendance, puis tout à coup, enlevant sa vareuse : – Vous me faites mal au ventre. Passez-moi ça. » (p 142)

pp 145-149 : chapitre 22 : Chemin des Dames

Ce chapitre évoque un moment de la bataille dite des observatoires, à l’été 1917 : « Comme je gagnais le secteur par ces chemins sinueux où, de place ne place, des avis intiment : « Passage dangereux. Faites vite », j’ai rencontré un blessé, conduit au poste de secours le plus proche. Ensemble nous fîmes halte en un endroit moins exposé. Il me dit : « J’suis de la 9e ; c’est infernal là-haut. Pour ainsi dire plus de sapes, plus de boyaux. Tout le temps des coups de main, des bombardements. On ne roupille quasi plus. Tant qu’à la soupe, on se met souvent la bride (…) On en a déjà vu, mon poteau, mais pas comme ici. Et soi-disant la division ne démarrera que quand elle aura atteint un certain chiffre de pertes… » (p 146)

La sortie de ce secteur difficile est vécue comme une libération miraculeuse : « (…) j’atteins une première étape, Villers-en-Prayères, où les roulantes stationnent sous les arbres frais (…) La zone des privilégiés, de ceux que le sort a touché du doigt, commence ici. » (p 149)

pp 151-155 : chapitre 23 : Le communiqué (G.Q.G.)

Affectation au G.Q.G. de Compiègne, probablement vers fin 1917. Membre de l’équipe chargé de la rédaction des communiqués (mais ne donne aucune description détaillée des services de Pierrefeu).

pp 157-163 : chapitre 24 : Les derniers jours de Compiègne

« Chose singulière, j’ai eu de la peine à m’accoutumer à ce milieu nouveau. On sent qu’ici on a perdu le contact et cela crée comme un malaise. Par instants, il vous manque la rude camaraderie, l’insouciance parfois gaie de front et aussi ce partage émouvant de tout ce qui est quotidien, du tabac aux pensées. Il y a bien un fossé entre ceux qui ont connu la tranchée, et tous les autres. » (p 158)

L’offensive allemande sur Noyon et les fréquentes alertes aériennes entraînent un déménagement complet du G.Q.G. pour Provins.

Pp 165-169 : chapitre 25 : Metz (la farandole et les prisonniers)

La journée du 11 novembre est décevante : « Mais quel manque d’émotion en ce Provins assoupi, en ce Grand Quartier sans flamme et sans cohésion. Car nous ne connaissons ici ni la gravité recueillie du front, ni le délire de Paris. Cette journée unique nous paraît morne et vide. Je l’avais rêvée toute autre. » (p 166) Pierrefeu, quant à lui, en dit tout le contraire : « Le jour de l’armistice fut, à Provins, un jour de folie comme dans toute la France. » (GQG Secteur 1, tome 2, p 238)

Départ pour la Lorraine. Cantonne à Metz et participe aux festivités de la ville libérée.

La dernière vision de guerre évoque gravement le retour de prisonniers français : « Ah ! ceux-là n’avaient pas le droit aux fleurs et aux musiques, à l’accueil triomphal. Pas de défilé pompeux, pas de sympathie. Encadrés militairement, ils semblaient plutôt un troupeau de suspects ou de condamnés. Hâves, le regard fixe, ils allaient, chargés de ballots et de caisses. Etrange théorie où tous les uniformes se mêlaient, où certains soldats – ceux du début – portaient encore des pantalons et des képis d’un rouge éteint. » (pp 168-169)

J.F. Jagielski, décembre 2008

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Clerfeuille, Paul (1885-1983)

1. Le témoin.

Né le 13 décembre 1885 à Gençay (Vienne), Paul Clerfeuille a 34 ans lorsque la guerre est déclarée. Marié, père d’un enfant et dans l’attente d’une deuxième naissance, il exerce le métier de roulier à Civray. Classe 1905, il a effectué son service militaire et était rappelé à plusieurs reprises pour des périodes d’exercices (1911 et 1912 notamment au 107e RI d’Angoulême et au 325e RI de Poitiers). Il fait donc partie, à l’instar de Louis Barthas de ces « simples soldats d’origine populaire », installés dans la vie civile et précipités dans la guerre. Témoins précieux qui viennent contrebalancer les récits de soldats plus jeunes, et plus lettrés.

2. Le témoignage.

Il est constitué d’un manuscrit épais de plusieurs dizaines de pages, lui-même dactylographié. Son « livre », composé à partir des carnets originaux abîmés, transportés pendant la guerre dans les poches ou la musette et conservés par la famille, est conçu comme un témoignage pour la jeunesse, il s’adresse d’ailleurs à plusieurs reprises au lecteur dans le corps du texte. Ecrit au présent, le récit est très bien daté : on y suit presque jour pour jour les quatre ans et demi de campagne du soldat Clerfeuille, conducteur, ravitailleur ou combattant en première ligne. En effet, mobilisé du 5 août 1914 au 11 mars 1919, il est d’abord affecté au 325e RI. Malade pendant presque toute l’année 1915, il part pour Salonique en janvier 1916. Evacué en juillet, il est en Champagne en novembre avec le 273e RI puis participe à l’offensive du 16 avril 1917. Il tient ensuite un secteur près de la frontière belge pour revenir dans l’Aisne. En mai 1918, il participe à la défense de Chézy entre Villers-Cotterêts et Château-Thierry, et tient les lignes en Alsace d’août à octobre 1918, puis vers la frontière belge où il se trouve le 11 novembre 1918.

Plusieurs parties du texte ont été publiées. Dans Journal de guerre d’un poilu civraisien, présenté par Gérard Dauxerre, Civray, Les Amis du pays civraisien, 1994, 118 p., l’auteur cite largement le récit de Clerfeuille mais dans une approche thématique. Alors que Rémy Cazals, tout en présentant le profil et le parcours du combattant Paul Clerfeuille, publie des extraits couvrant la période de février à mai 1917 : « Un simple soldat sur le Chemin des Dames : Paul Clerfeuille », dans OFFENSTADT Nicolas (dir.) Le Chemin des Dames. De l’événement à la mémoire, Paris, Stock, 2004, p. 152-175.

3. Analyse

Pour Paul Clerfeuille, la guerre apparaît comme un « fléau » (p. 214 exemplaire dactylographié), et ce dès la première épreuve du feu où le soldat découvre le mortel champ de bataille (essentiellement du fait des balles de mitrailleuses) : « Quel désolation ! ». Son récit est surtout descriptif : les lieux, les noms des protagonistes, les faits militaires bruts. Il évoque les rumeurs (filles violées, civils exécutés), relève les anecdotes, s’intéresse aux conditions météo. Il décrit les paysages rencontrés (à la fois vers la ligne de front, mais lorsqu’il traverse la France – passage par Toulouse, Bordeaux, Agen (p. 69)), notamment lorsqu’il débarque à Salonique (visites touristiques, découverte des coutumes locales). Mais parfois pointe çà et la des réflexions sur les chefs : ainsi, en évoquant un capitaine « célibataire de 42 ans, officiers de réserve, châtelain ruiné (…) », « encore un qui par plaisir a fait souffrir des hommes, (…). » (p. 72). Son témoignage sur l’offensive du 16 avril 1917 montre en amont les préparatifs, l’intense activité des secteurs devant le Chemin des Dames et les nombreuses victimes de l’offensive perçue rapidement comme un échec. En aval, il est frappant de lire une sorte de retour au calme après que le régiment ait été changé de secteur, et de voir augmenter de façon significative le nombre de permissions accordées pour la fin de l’année 1917.

Dans son récit, le « je » s’éclipse pour laisser la place au « nous », un « nous » générique qui englobe les soldats de son régiment et de sa compagnie. Quelques termes comme « camarades » ou « copains » émergent parfois. Les personnes nommées sont essentiellement les officiers. Au-delà de thèmes comme la vie au front, les déplacements continus, les patrouilles, coups de mains, il note les effectifs réduits des compagnies en 1918 (p. 151) et s’intéresse beaucoup à l’activité de l’aviation, raconte en détails le jour de la signature de l’armistice et la manière dont il fut vécu sur le terrain (p. 213), puis évoque la fin de l’année 1918 et début de l’année 1919 (Marne, Lorraine, Alsace, Allemagne – beaucoup de visites et de descriptions des régions occupées).

Alexandre Lafon, février 2008.

Photo de deux pages du carnet de Paul Clerfeuille dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 137.

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Corbeau, Paul (1892-1973)

1. Le témoin

Né le 27 juillet 1892 à Mayenne (département de même nom), de parents commerçants. Il doit interrompre ses études d’ingénieur en électricité à la mort de sa mère. Au service militaire en 1913, il ne sera démobilisé qu’en 1919. Ouvrier électricien à Paris après la guerre. Marié en 1932. Décédé en 1973.

2. Le témoignage

Journal de guerre tenu sur des carnets, réécrit en 1960, publié par ses enfants :

Paul Corbeau, J’étais sapeur au 8e Génie, Trélazé, Editions Jean-Yves Lignel, 2007, 232 p.

Le livre est préfacé par sa fille et édité par son petit-fils. Les carnets originaux n’ont malheureusement pas été conservés. La préface évoque de possibles coupures, de Paul lui-même, pour ne pas retenir les mauvais souvenirs. Je n’en suis pas persuadé. Les évocations d’appétits sexuels (p. 82), de ces « plaisirs frelatés mais nécessaires dont nous étions privés depuis longtemps » (p. 92), des filles de la rue X (p. 157, 162), laissent penser que l’auteur ne s’est pas censuré. Il est clair que des réflexions du Paul Corbeau de 1960 ont été ajoutées : elles sont immédiatement repérables. Il semble que ses carnets originaux n’aient pas été tenus avec une totale régularité. De nombreuses remarques et descriptions sont d’une grande précision, mais on trouve aussi des confusions chronologiques (par exemple arrivée de Foch et Clemenceau en mai 1917). Le passage (p. 69-70) sur les refus d’obéissance et sur les fusillés en 1915 ne doit pas être pris comme une information sur les faits eux-mêmes, présentés là dans une certaine confusion, mais sur le « bouche à oreille », comme le dit l’auteur (ici, la note de l’éditeur comporte une faute d’orthographe, Vingué au lieu de Vingré, et réunit curieusement les deux historiens spécialistes de la question sous le nom d’Offenbach ; à corriger dans une prochaine édition). De nombreuses photos dans le texte illustrent le livre de Paul Corbeau, dont les dernières pages donnent aussi à lire un autre travail d’écriture d’amateur sous le titre « Grand-mère Romain, Souvenirs d’enfance ».

3. Analyse

C’est l’anxiété au 31 juillet 1914 qui provoque le recours à l’écriture du carnet de guerre. Paul est devenu caporal en décembre 1914 et sergent en octobre 1915. Téléphoniste dans le Génie, il a été un travailleur et non directement un combattant. Il évoque ce travail de réparation de lignes coupées, de vérification, de permanence au téléphone. Promu sergent, Paul a la charge du transport de matériel en camion. Auparavant (été 1915) il avait préparé « les liaisons pour une bataille qu’on sentait proche » (l’offensive de septembre en Champagne). Un texte intéressant sur la construction d’un nouveau réseau de tranchées au point ultime atteint par l’offensive. Il a conscience qu’il y a plus malheureux que lui-même : il décrit plusieurs charniers après des attaques d’infanterie. Et encore : « Les fantassins nous regardaient curieusement, nous étions trop propres pour ne pas être remarqués » (p. 122). Il évoque des stages rassemblant quelques hommes des tranchées pour leur « inculquer des notions sur la téléphonie de campagne » : « Ils étaient tellement heureux d’avoir abandonné pour huit jours leurs tranchées que leur séjour était une détente, presque une partie de plaisir. »

Paul Corbeau est un des rares cas de soldats racontant avec quantité de détails leur permission au « pays » (« Mayenne, mon pays », p. 93). Il évoque les femmes faisant la chasse aux embusqués, s’occupant d’œuvres en faveur des réfugiés ou en faveur des poilus (en s’étonnant de n’avoir jamais bénéficié des résultats). Il ajoute (p. 99) : « J’ai l’impression, à tort ou à raison, qu’à part ceux qui avaient des proches au front, ceux de l’arrière ne nous comprenaient pas. Il leur semblait naturel que nous laissions notre peau dans ce conflit. » Bien d’autres soldats l’ont noté mais peu ont donné une aussi longue description de leur séjour en famille (ici, le récit de la première permission tient plus de dix pages, avec mention de la rencontre de Paul Lintier, ami d’enfance, auteur de deux livres importants de témoignage sur la Grande Guerre : Le tube 1233 (1917) et Ma pièce (1918), analysés par Jean Norton Cru. L’ouvrage de Paul Corbeau reproduit une photo de jeunesse de Lintier, et il évoque le choc qu’a provoqué sa mort.

A proximité du front, les soldats rencontrent les populations civiles : villageois contraints à abandonner leur maison (p. 30), mercantis exploitant les troupes (p. 71), habitants de la Somme hostiles parce qu’ils préféraient la présence des Anglais (p. 128). Sur les questions d’information, Paul Corbeau relève le bourrage de crâne de la presse française à propos de la soi-disant faiblesse de l’artillerie allemande (p. 46).

Le texte couvre la totalité du temps de guerre ; il évoque l’Alsace, l’Aisne (Ambleny, p. 37), la Champagne (Suippes, p. 72), l’Argonne, la Somme… Paul Corbeau signale l’espionnite en début de guerre (p. 24) ; les fléchettes lancées des avions (p. 30) ; les gendarmes menaçant des fuyards de leur revolver (p. 42) ; la lecture d’un roman feuilleton du capitaine Danrit (p. 62) ; une croix de guerre tirée à la courte paille (p. 82) ; l’arrivée des Américains qui, à l’épreuve du feu, disent : « No bonne la guerre » (p. 160) et les tanks (p. 168) ; l’annonce de l’armistice du 11 novembre 1918 reçue comme « un coup de poing dans le visage » (p. 171). Il a connu les troubles de 1917. Il raconte un retour de permission en mai, les discussions entre soldats qui « en avaient marre de se faire casser la gueule », l’évocation des camarades blessés ou tués lors de l’offensive Nivelle. Les soldats chantent l’Internationale ; ils arrêtent le train, détellent un wagon, rudoient des sous-officiers qui prêchent le calme. Puis ils arrivent dans une petite gare gardée par des Sénégalais, ils sont parqués dans des baraques sous la menace de mitrailleuses. On demande aux sous-officiers présents de désigner les meneurs, mais ils ne reconnaissent personne, ne voulant pas faire les policiers (p. 153-155).

Rémy Cazals, 02/2008

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Chaïla, Xavier (1886-1961)

1. Le témoin

Né le 7 mai 1886 à Brousses (Aude), fils d’Auguste Chaïla et de Marie Sagnes. Sorti de l’école primaire avec un bon niveau, mais sans le certificat d’études. Travaille au moulin à carton de son père. Célibataire en 1914. Son frère cadet Louis est tué le 25 juin 1917 à Hurtebise sur le Chemin des Dames. Xavier Chaïla a obtenu une citation à l’ordre de la Division, portée sur sa fiche matricule : « Brancardier très courageux et dévoué, s’est distingué dans la période du 16 au 28 avril 1917 en soignant et en transportant un grand nombre de blessés sous un violent feu d’artillerie. Croix de guerre et droit au port de la fourragère. » Après la guerre, il se marie et reprend le moulin à carton jusqu’à sa retraite en 1948. Il meurt à Brousses le 8 octobre 1961. Son petit-fils a relancé au moulin la fabrication de papier à l’ancienne.

 

2. Le témoignage

C’est à Craonne, sur le plateau… Journal de route 1914-15-16-17-18-19 de Xavier Chaïla, présenté par Sandrine Laspalles, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1997, 112 p., illustrations.

Simple soldat, non professionnel de l’écriture, Xavier Chaïla eut un grand souci de préserver ses notes, puis de les recopier au propre pour en faire un récit continu. Sa famille a conservé trois versions successives du texte : sans qu’il y ait de différence fondamentale entre elles, on peut cependant en étudier les variantes et les inflexions.

 

3. Analyse

Xavier Chaïla part dans le 1er Hussards, puis passe au 8e Cuirassiers (mai 1916), régiments qui doivent abandonner les chevaux pour combattre dans les tranchées dans les Vosges et en Lorraine. L’expérience la plus largement décrite est l’offensive du 16 avril 1917, sa préparation, les effets de « la bataille de Craonne ». Xavier Chaïla se trouve précisément à l’est du plateau ; il cite abondamment Berry-au-Bac (en décrivant les tanks incendiés), la ferme du Choléra, la montagne de Reims, puis le mont Cornillet. Il est alors brancardier. En 1918, le voici en Champagne et dans la Somme. Evacué en avril pour maladie, il revient en mai (bataille de Villers-Cotterêts) ; en juillet il est à Verdun puis participe à la poursuite. Le 11 novembre, à Mézières, il décrit des « exécutions » : « La population faisait justice de ceux qui avaient fraternisé avec les Boches pendant l’occupation ou qui avaient servi d’espions. » Les dernières pages concernent l’installation sur la rive droite du Rhin. L’auteur livre un récit très simple, contenant peu de prises de position, qui contribue à la connaissance de la guerre vécue par les simples soldats. Il se termine ainsi (21 mars 1919) : « Le cauchemar est fini. Une vie nouvelle qui va recommencer, et le plus beau pour les survivants de l’hécatombe : La Liberté. »

 

4. Autres informations

– Registre matricule, Archives de l’Aude, RW520.

– Sandrine Laspalles, Un cartonnier sur le plateau de Craonne. Journal de Xavier Chaïla (1914-1918), mémoire de maîtrise, Université de Toulouse II, 1997.

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