Paruit, Germaine (1900-1990)

14 ans en 1914, journal d’une adolescente

1. Le témoin

Germaine Paruit (1900 – 1990) grandit avec sa sœur Suzanne dans une famille de petite bourgeoisie commerçante, ses parents tiennent à Sedan (Ardennes) un magasin de vaisselle – porcelaine – cadeaux. Ceux-ci maintiennent leur activité commerciale pendant l’occupation allemande, et en décembre 1917 les deux jeunes filles sont évacuées par la Suisse vers la France non-occupée. Les deux sœurs terminent la guerre chez une tante à Dompaire (Vosges) en Lorraine.

2. Le témoignage

Germaine Paruit a tenu un journal durant toute la guerre et sa famille n’en a pris connaissance qu’à son décès ; sa fille, Colette Lubin-Pasquier, en a retranscrit les quatre cahiers qui formaient le manuscrit d’origine. Jean-Michel Pasquier, un des petits-enfants de Germaine, et possesseur actuel du manuscrit, ainsi que sa sœur et leurs enfants, ont décidé de le porter à la connaissance du public. Il a fait partie d’une exposition à Sedan, et d’une publication intégrale et permanente sur internet (14ansen1914.wordpress.com). Le texte, assez conséquent, présente quelques lacunes, des pages ayant été arrachées : il s’agit probablement d’autocensure [entretien téléphonique avec J.-M. Pasquier, avril 2021]. Quelques photographies d’époque en possession de la famille ont été intercalées dans la publication.

3. Analyse

Le journal de Germaine Paruit est un document riche, minutieux, il restitue bien l’ambiance de l’occupation, avec les pénuries, les réquisitions, les différentes brimades subies par la population civile, l’évolution du conflit tel qu’il peut être perçu par les occupés, et globalement les inquiétudes et les espoirs d’une jeune sedanaise. Celle-ci possède un beau niveau d’expression écrite, et sa chronique de l’occupation est animée par un patriotisme constant (« ces sales boches », quand dans son récit elle s’emporte). L’auteure décrit précisément les événements journaliers, elle utilise le communiqué, la presse (elle n’hésite pas à recopier de très longs articles) et les conversations familiales. Le magasin de ses parents est aussi un lieu privilégié pour le recueil de toute sorte d’informations.

À la fin du mois d’août 1914, le père reste pour garder le magasin tandis que Germaine, sa sœur aînée Suzanne, et d’autres femmes de la famille fuient devant l’avance allemande. Elles sont rattrapées à Reims et retournent rapidement dans Sedan occupé. Le magasin intact peut rouvrir, mais le père est à plusieurs reprises désigné comme otage. C’est d’octobre à décembre 1914, comme souvent chez les diaristes nordistes occupés, que les canards sont les plus nombreux et les plus « relayés »; et comme dans beaucoup de ces autres témoignages, Germaine montre assez vite qu’elle n’est pas dupe(23 septembre 1914) : « «On dit que Guillaume, en raison de la mort de ses trois fils (deux à la guerre, un de maladie), a demandé la paix à la France (…). Il est probable qu’il n’y a rien de vrai. » Le monde des informations extérieures n’est pas totalement clos, car la jeune fille cite parfois le Matin, ou décrit longuement en janvier 1915 les Horreurs de Dinant (août 1914), avec des sources évidemment proscrites en zone occupée.

L’année 1915 est assez lacunaire dans le récit, mais on peut trouver quelques mentions intéressantes. Ainsi le terme boche, en janvier 1915, est un « gros mot » et doit être à ce titre interdit aux jeunes filles : « le curé (…) est en colère quand il entend qu’on les appelle « Boches », « Prussiens » ». Il a dit à M. Devin qu’il y a quelque temps, [que] nous l’avions dit quand il a passé dans le jardin à côté de nous. ». Dans l’affaire de la crise des prisonniers allemands envoyés au Maroc, en février 1915, Germaine retranscrit le discours du commandant de la Place, qui justifie aux otages les mesures de rétorsion. La scène lui a probablement été racontée par son père : (16 février 1915) « Messieurs, voilà ce qui se passe au Maroc. Nos officiers prisonniers sont envoyés au Maroc et là, sous l’ordre des noirs, des noirs, ils travaillent tout nu, tout nu. C’est une injure faite à l’armée allemande et nous avons droit aux représailles. [« Quelle bêtise. Et puis ils ne méritent que ça ! »]. Mais comme la population s’est toujours montrée bonne pour nos soldats [« parlons-en ! »], nous n’userons pas de nos droits. »

Le magasin-maison familiale est, semble-t-il, d’assez grande taille, et de nombreux soldats allemands y sont souvent logés en 1916 et 1917. Germaine se plaint du bruit qu’ils font, des serrures du grenier qu’ils crochètent : «ils vont encore aller partout (…) de vrais cambrioleurs ». Un incident, en janvier 1916, se produit pour la troisième fois : des soldats, sans ordre, disent acheter de la porcelaine de prix en promettant de payer, le répétant plusieurs fois, puis, une fois la marchandise emballée, sortent un bon de réquisition. « Maman s’habille vivement pour aller avec eux à la commandanture, papa est obligé de se mettre en travers de la porte pour les obliger à attendre. (…) les soldats se sauvent, les parents réussissent à les faire arrêter par deux officiers qui passaient par là (…) Puis chez le commandant : « Là, ils sont vivement sermonnés par Alexander (Maman le devine à son ton et à l’attitude penaude des deux hommes). » Il reste que ce chef veut baisser les prix de la facture, la faire payer en bon de ville… Cet incident peut illustrer ce qu’est ce régime d’occupation léonin, qui repose en général sur un semblant de légalité, mais révocable à tout moment, selon les circonstances. Une autre mention peut compléter ce tableau d’ambiance, avec les réquisitions « abusives » : (avril 1916) « deux chauffeurs d’automobile sont venus aujourd’hui réquisitionner, et ont été très impolis. Comme nous n’avions pas ce qu’ils voulaient, ils ont regardé partout, ouvert toutes les armoires, maman avait beau se fâcher, leur demander s’ils étaient chargés de perquisitionner, ils continuaient toujours en riant. (…) J’ai regardé bien pendant ¼ d’heure dans la rue pour appeler un officier, aucun ne passait par malheur. Peut-être ne leur aurait-il rien dit, ils paraissent plus polis, mais au fond, ils ne le sont pas plus que ces deux sales types, quand on n’est pas de leur avis.»

Germaine évoque la pitié que lui inspire le spectacle des prisonniers, à cause de leur aspect famélique : ce sont des Russes, qui « ne cessent de nous regarder, espérant que nous leur apportons quelque chose. (…) ils ont l’air bien malheureux. », ou des civils français, déportés dans les Ardennes pour le travail forcé. Elle mentionne des fleurs portées au cimetière : (septembre 1916) « Il y a 55 Russes enterrés et beaucoup de prisonniers civils du nord (Wattrelos, Roubaix…). » Son témoignage direct est précis pour la description du passage à Sedan des prisonniers roumains en janvier 1917. Lorsque passent ces captifs sous-alimentés, les habitants essaient de leur lancer du pain ou du biscuit, «Ils se précipitent tous en rompant les rangs, les Allemands crient, maman a les mains égratignées par tous ceux qui se sont ainsi lancés comme des bêtes qui n’ont pas mangé depuis quelques jours, sur une proie. (…) c’est un désordre épouvantable, ils se précipitent sur tout ce qu’on leur donne. (…) Les Allemands tapent à coup de crosse er de bâtons sur les pauvres Roumains qui hurlent de douleur. Les soldats qui passent s’en mêlent également. Les officier prennent ces malheureux au collet, et les envoient rouler par terre en riant d’un air sarcastique. On ne se possède plus d’indignation d’un pareil traitement. (…) heureusement que les Allemands ne nous ont pas trop bousculés, sans cela nous n’aurions certainement pas pu nous contenir, on bouillonnait. Les gens étaient pâles, les yeux hagards, les traits contractés, beaucoup de femmes pleuraient. On pensait aux nôtres. Ceux qui ont un mari, leur fils ou leur parent prisonnier se demandaient avec terreur s’ils n’étaient pas ainsi traités. Si c’est cela, de la civilisation, qu’est-ce donc que la barbarie ? » L’alimentation est insuffisante, toute la famille maigrit, mais le « ravitaillement américain » et la proximité relative de la campagne permettent d’endurer ces temps difficiles : (9 juin 1916) « Il devient de plus en plus difficile de manger. Nous ne mangeons plus que du riz. Nous qui ne l’aimions pas ! Le pain est mauvais, indigeste. ». La jeune fille vit dans un foyer familial où les relations semblent harmonieuses, et son journal est aussi celui de la vie quotidienne d’une jeune fille sans histoires. Des « trains d’émigrés » sont régulièrement formés pour transférer des civils vers la France non-occupée. Le père n’a pas le droit de partir, la mère veut rester pour l’aider à éviter le pillage, et Germaine et Suzanne hésitent, mais le travail forcé aux champs commence à les menacer sérieusement, et leur mère les inscrit en juin 1917. La description minutieuse des conditions et règlements de transfert (copie intégrale des documents), ainsi que de son déroulement, de la composition des malles à l’accueil en Suisse, forme un document utile pour l’histoire de ce type de transfert.

Après le passage par la Suisse, les deux jeunes femmes passent un mois à Montbrison, où elles doivent attendre la décision des autorités militaires, car elles veulent habiter chez une tante à Dompaire (Vosges), dans la zone des armées. Germaine mentionne la rigueur spartiate de l’hébergement à l’institution « La protection de la jeune fille », mais elle relativise aussi (décembre 1917) : « Dans les autres cantonnements, (…) ils sont mélangés avec des gens de toute sorte qui insultent ceux qui ont des chapeaux. Tandis qu’ici, nous ne sommes pas mal sous ce rapport, c’est déjà cela. » Le discriminant « chapeau » est ici notable, et elle décrit une distribution de vêtements gratuits (21 décembre) : « De tous les gens qui sont là, il n’y a que nous qui avons des chapeaux. Les gens nous regardent comme des bêtes curieuses.». Aussi le 4 janvier 1918, lorsqu’elles retournent à la distribution – à laquelle elles ont droit – « nous y allons toutes les deux en cheveux pour avoir l’air plus misérable. » Le reste de la guerre se passe sans histoires à Dompaire, chez leur tante, et en mars 1918, Germaine mentionne qu’elle a repris 11 kilos. La description de la journée du 11 novembre, minutieuse et colorée, est de grande qualité, et le journal s’interrompt en décembre, sans que les sœurs aient encore pu regagner Sedan. On conclura l’évocation de ce riche témoignage avec un passage qui illustre la précision de sa narration ; elle décrit, le 12 août 1918 à Dompaire, l’arrêt de camions transportant des soldats américains de couleur, il est probable qu’elle n’a jamais vu auparavant de troupes de tirailleurs africains : « J’étais à la salle à manger quand j’entends passer beaucoup de camions. Je regarde par la fenêtre et je vois des gros camions pleins de noirs américains. Ils nous font signe bonjour, nous leur répondons, ils rient et envoient des baisers. Il y a une longue file d’autos qui avancent, quand tout-à coup elles s’arrêtent. L’une d’elle stationne juste devant la maison, les autres un peu plus loin. Il y en a de tout à fait noirs, comme du charbon, d’autres couleur chocolat, des bronzés. Mais ils sont vraiment drôles avec leurs yeux blancs et leurs grosses dents si blanches dans leurs figures noires. Beaucoup descendent de leur camion, il y a des officiers avec des bottes et bien habillés, noirs aussi. (…) Toute la population est en branle, tout le monde dévalise les jardins pour leur donner des fleurs, ils sont si contents ! Et piquent les roses et autres fleurs à leur boutonnière, beaucoup chargent des gamins de remplir leurs bidons avec de l’eau. Ils restent là quelque temps, puis démarrent, nous leur faisons au revoir, ils répondent avec de grands gestes, l’un d’eux dit : « au revoir », nous leur crions : « good bye », et ils répondent ravis : « good bye ! ». »

Vincent Suard juin 2021

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Delcayre, Jean-Baptiste

Dans le cadre des activités de la bibliothèque patrimoniale du Grand Cahors, Didier Cambon et Sophie Villes ont recueilli des témoignages lotois sur la période de la Grande Guerre et les ont regroupés en chapitres thématiques : Didier Cambon et Sophie Villes, 1914-1918, Les Lotois dans la Grande Guerre, tome 1 Les Poilus, préface du général André Bach, Les Cahiers historiques du Grand Cahors, 2010, 197 p.
Jean-Baptiste Delcayre était cultivateur à Meyronne (Lot) avant la guerre. On a de lui 250 lettres adressées à sa famille. Parti au 131e RIT, il a été d’abord ordonnance d’un officier, puis affecté à diverses missions de transport. Avant même son départ, il a décrit la « grande animation » qui règne au chef-lieu, le 7 août 1914, la population cherchant à encourager les soldats : « Tous les régiments qui passent pour aller à la frontière sont salués par des bravos et Vive la France. C’est curieux à voir. Notre détachement est rentré à la caserne le jour de notre arrivée en chantant la Marseillaise et drapeaux en tête. Les officiers étaient joyeux, mon commandant nous a félicités. » En même temps, il se préoccupe du prix payé par la réquisition pour la jument de sa ferme. Et, peu après (30 septembre), il commence à donner des conseils pour les travaux agricoles : « Je vous recommande de laisser assez mûrir le tabac, vous verrez bien d’abord lorsque les autres le couperont et vous n’aurez qu’à leur montrer d’abord ; j’ai confiance avec Portal Gaubert car lui laisse assez mûrir, écoutez bien ses conseils. »
La séparation et les mauvaises conditions de vie sont pénibles à supporter, mais il y a de plus malheureux (3 décembre 1914) : « Pense aux habitants des pays ravagés où le mari est sur la ligne de feu, sa famille éparpillée à droite ou à gauche, sans correspondance dans des pays sans connaitre personne, souvent sans ressources, leurs récoltes ravagées, leurs maisons pillées ou incendiées ou écroulées à coups de canons. »
Le 29 mai 1917, il fait de manière un peu confuse une remarque de bon sens sur le rapport ambigu des soldats avec la presse : « Les communiqués, je ne les regarde plus mais les journaux viennent intéressants quand même si ce n’est que pour nous bourrer le crâne ; pardonnons-les quand même car en attendant ça nous relève le moral, car sans cela il commencerait à être bien bas et il y a de quoi. » Comment s’en sortir ? « Il n’y a pas d’autre cas de gale, mais d’abord c’est rien du tout que de la chance pour celui qui l’attrape. Celui qui n’a qu’un bras ou une jambe, on le réforme, il est content car il a la vie sauve mais cela ne veut pas dire que ça soit tout bonheur. Il faut être malade pour être réformé, il faut un cas sérieux mais en ce moment on est content de tout pour se sortir de cette tuerie » (17 septembre 1917).
Fin décembre 1917, « pour la quatrième fois », Jean-Baptiste est obligé d’envoyer ses vœux par lettre : « Tout de même, c’est bien triste de vivre ainsi de longues années séparés de ceux que l’on aime. Je vous souhaite une année avec une santé parfaite et que tous vos désirs surtout se réalisent car alors ça sera mon retour, j’en suis sûr. » En effet, l’année 1918 sera la dernière année de guerre, grâce aux tanks et aux Américains. Le 5 juillet, Jean-Baptiste écrit à son petit Marcel qui a bien grandi : « Tu me dis que tu penses à moi, crois-moi cher petit Marcel que moi aussi je pense à toi et à tous, il ne se passe guère de moment que je ne pense à vous tous et ainsi depuis 4 ans. Ceux qui prétendent qu’on s’y fait à la guerre ne doivent pas en avoir goûté. Cependant plus que jamais il faut le courage et la patience. Serait un lâche celui qui reculerait devant les sacrifices qu’il peut rendre [sacrifices ou services ?]. Aujourd’hui, mon cher petit Marcel, un millier de soldats américains sont à nos côtés. Ils ont couru de grands dangers pour venir sur notre sol. Ils sont curieux à voir. […] C’est frappant quand on voit ces hommes venir de si loin pour défendre notre cause. Ce sera dur encore quelques mois, mais le jour viendra où nous aurons la supériorité. Je voudrais bien t’avoir à côté de moi pour te montrer beaucoup de choses. Tu verrais ces avions français voler toute la journée au-dessus de nos têtes et en quantités. Ces régiments d’Américains avec leurs grands chapeaux, ces tanks que nous ramenons du combat et qui sont criblés de balles mais aucune ne peut traverser, pas même les éclats d’obus, ça ne fait que lui lever la peinture. »
Rémy Cazals, avril 2016

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Barthaburu, Elie (1893-1944)

Il est né le 25 août 1893 à Saint-Palais, dans une famille de notables du pays basque ; son père est négociant et propriétaire terrien. Il peut donc aller au lycée puis, bachelier, devenir étudiant à l’Institut agronomique de Paris. Il est mobilisé en août 1914 au 49e RI de Bayonne. Il est blessé le 20 septembre 1914 dans l’Aisne. Rétabli, il passe aux Chasseurs alpins et combat dans les Vosges et la Somme. Sergent en septembre 1916, il effectue un stage pour devenir officier. Sous-lieutenant au 17e BCA, il participe en 1918 à l’arrêt des offensives allemandes et à la dernière offensive des Alliés.
Avec le livre de Michel Barthaburu, La Grande Guerre de mon père, Carnets et correspondance d’Élie Barthaburu (1914-1919), Société des sciences, lettres et arts de Pau et du Béarn, 2014, 312 p., nous avons à faire à des documents publiés grâce à la convergence de la piété familiale, du soutien d’une société savante et de l’occasion offerte par le centenaire de 1914. Le témoignage comprend principalement des lettres adressées par le jeune soldat à sa famille. On dispose également de carnets, malheureusement pour une période trop courte car ils semblent plus riches en réflexions personnelles, par exemple les 14 et 15 septembre 1914 lorsqu’il exprime sa compassion pour des blessés allemands. Préface de Pierre Tauzia ; introduction du docteur Michel Barthaburu qui expose avec quelque détail l’histoire de la famille et résume les épisodes vécus par son père en 14-18. La Société des sciences, lettres et arts m’a demandé une postface afin d’éclairer le texte par quelques éléments de bibliographie et le situer par rapport à d’autres témoignages. J’en reprends ici des éléments.

Le combattant Barthaburu, s’il a connu quelques secteurs calmes, a décrit diverses formes de combat : comment les fantassins subissent dans la tranchée les bombardements sans pouvoir se défendre ; comment on assiste à un « gaspillage » d’obus qui ne font aucun mal, mais comment celui qui tombe en pleine tranchée fait un carnage ; il a observé les duels aériens ; il explique la spécialisation des combattants correspondant à l’évolution de la guerre ; il montre que le « nettoyage » des tranchées adverses ne se fait pas au couteau comme on l’a parfois absurdement répété. L’offensive alliée de 1918 est particulièrement évoquée, avec le franchissement du canal de la Sambre sous le feu ennemi, et les coups d’arrêt des contre-attaques allemandes.
Il a aussi montré que l’homme des tranchées devait consacrer une partie du temps à des besognes de casseur de cailloux, de terrassier, de bûcheron. Le cas Barthaburu illustre les alternances de vie sur le front et à l’arrière : blessure, soins et convalescence ; permissions ; stages divers ; études pour devenir aspirant ; phase d’instruction des troupes américaines ; monitorat de gymnastique. D’autres constantes apparaissent encore : la boue, parfois considérée comme l’ennemi n° 1 des fantassins parce qu’ils vivent dedans, et des artilleurs parce que leurs chevaux s’y épuisent ; le cafard, principalement aux retours de permission ; l’importance du courrier ; les longues marches et le soulagement de l’aspirant qui n’a pas de sac à porter ; le baptême du feu avec l’étonnement de ne pas voir l’ennemi, et la découverte des ravages provoqués par le tir des mitrailleuses ; le rôle du caporal chargé de faire des rondes de surveillance des sentinelles ; le contact avec les Sammies qui ont du « pognon en pagaille ».
Une grande constante dans les témoignages des combattants, c’est la référence à la famille, au village et aux « saveurs du pays ». Ici, le pays est basque. On le voit aux noms de famille, au commerce de bérets ; mais Élie ne risque que deux ou trois phrases en langue basque, ce qui est normal car on ne lui a pas appris à l’écrire à l’école. Comme tous les combattants, Barthaburu cherche à rencontrer des « compatriotes » et se plaint lorsqu’il n’en trouve pas (16 avril 1918). Quant aux « saveurs » du pays basque, c’est la liqueur Izarra, les saucisses sèches et autres charcuteries typiques et les colis de gibier, perdrix, palombes, alouettes. Les envois familiaux sont très nombreux ; il reçoit parfois « colis sur colis » (26 décembre 1915).
Il semble que le grand problème de notre soldat de Saint-Palais était de « tenir » soi-même et de faire en sorte que sa famille tienne aussi. Dans ses lettres, il est difficile de faire la part d’une stratégie et celle d’un comportement spontané. Il veut ménager ses parents, et il note, le 27 août 1918, dans une lettre à son frère et à sa sœur : « Après le coup de tampon, je leur écrirai. » Il minimise les situations, il cache la dureté de la guerre sous de l’humour, employant un argot léger de connivence. Mais il reste, aussi, un collégien sportif, avide de défilés, de croix, de bonnes notes et de citations. Il pratique l’autosuggestion quand il annonce, le 6 novembre 1915, qu’il « envisage très bien cette campagne d’hiver », en contradiction absolue avec tous les autres combattants. Plus fréquente est l’attitude de faire le vide, de se réfugier dans cette « tête vide » (22 février 1916) ou cette « cervelle creuse » (13 août 1916). L’intellectuel, mais simple soldat, Étienne Tanty [voir ce nom], dans sa très abondante correspondance, avoue souvent ce sentiment.
L’esprit contestataire, si fréquent chez les poilus, est ici interdit de séjour, mais il arrive parfois à transparaître. Élie connaît les trêves tacites et les fraternisations, mais il les minimise ou les attribue à un autre régiment. Le 7 décembre 1915, il est bien obligé de raconter les fraternisations provoquées par l’inondation des tranchées après des jours et des jours de pluie [voir la notice Barthas Louis]. Les mutineries de 1917, qui ont affecté une grande partie des unités de l’armée française, sont ici complètement passées sous silence. Seule allusion (condescendante) à quelques troubles : la grève des midinettes, à la différence d’Henri Charbonnier [voir ce nom] qui a su montrer aussi la croissance de l’exaspération des poilus en ce printemps de 1917.
Dans ses carnets (9 et 14 septembre 1914), Élie qualifie la guerre de crime (en l’attribuant cependant au seul Kaiser) et condamne ses horreurs, ce qu’il ne fait pas dans sa correspondance. Toujours dans les carnets (14 février 1916), il constate la lassitude des hommes qui expriment le « vivement qu’on en finisse ». La critique des attaques stériles et sanglantes apparaît dans les carnets (27 janvier 1916) et dans la correspondance à la même date. Il dit à ses parents qu’une attaque française a été brisée par les canons français de 75 qui tiraient trop court (9 septembre 1916), et que son commandant a été tué, en novembre 1918 par un de ces tirs Il reconnaît l’insuffisance des communiqués officiels. En novembre 1916, il admet que repartir au combat lui « fait presque peur ». Le 10 novembre 1918 : « Que c’est bon quand même de songer que c’est peut-être fini de se battre ! »

Rémy Cazals, février 2015

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Bouton, André (1890-1979)

*André Bouton, Mémoires d’un Manceau, soldat pendant la Grande Guerre, présentées et annotées par son petit-fils Didier Béoutis, Editions de la Société littéraire du Maine, 2014, 340 pages. En illustration : photos prises par l’auteur et d’autres de l’ECPAD. Préface de Stéphane Tison, maître de conférences à l’université du Maine : « Le témoignage important d’un mobilisé aux expériences multiples. »

1. L’auteur
Né le 30 novembre 1890 à Fresnay-sur-Sarthe où son père dirige une entreprise de tannerie. Son frère cadet deviendra prêtre. Lui-même exerce la profession de clerc de notaire. Il a fait le service militaire comme secrétaire d’état-major. En 1914, il est encore célibataire. Myope, il est classé service auxiliaire et il reste à la caserne Chanzy au Mans. Après l’hécatombe des premiers mois, il part en renfort au 117e RI, à sa demande expresse, nous dit-il. Arrivé au front le 12 novembre, il est blessé à la cuisse le 17 décembre et il décrit la mauvaise organisation de la chaîne d’évacuation, puis l’hôpital Ridgway à Pau. Guéri, il passe plusieurs semaines comme instructeur, puis il participe à la formation du 404e RI au camp de Mailly dont il donne une description (p. 138). Après trois semaines de tranchées, il vient soigner une scarlatine à Compiègne pendant deux mois. A partir de juillet 1915, suivent des « pérégrinations » et des occupations de tranchées dans l’Aisne, coupées par une permission en novembre. Il décrit la ferme de Confrécourt (p. 194), le secteur de Sacy (p. 225). Il est promu sergent en février 1916. Il est à nouveau blessé le 17 juillet et soigné à l’hôpital des Rothschild à Paris (p. 279). En février 1917, il revient dans les services auxiliaires et stationne près d’Alençon dans des postes de surveillance des avions et des dirigeables.
Après la guerre, il devient notaire à Mamers et se marie en 1923 avec une fille de notaire. De retour au Mans, il dirige un cabinet d’affaires. Membre des sociétés savantes, il écrit des ouvrages d’histoire locale et régionale. Il meurt le 1er avril 1979.

2. Le témoignage
André Bouton a tenu un journal quotidien pendant toute la durée de la guerre. Le présentateur nous dit qu’il utilisait un papier carbone et qu’il envoyait régulièrement le double à sa mère afin qu’une version au moins soit sauvée. Les 15 carnets font mille pages. Puisqu’ils sont conservés, une comparaison avec les mémoires serait intéressante. André Bouton nous dit qu’il a rédigé ses mémoires avant même la fin de la guerre, à partir de ses carnets et des souvenirs encore frais. En 1929, il a fait dactylographier le texte des mémoires par sa secrétaire ; il dit qu’après relecture il n’a rien modifié et il a écrit un avant-propos de forte critique de la guerre, qui pourrait constituer en fait une conclusion tardive. Les mémoires comprennent trois parties : 1. « Souvenirs d’un Manceau soldat au 117e régiment d’infanterie (août à décembre 1914) » ; 2. « Dix-huit mois avec le 404e régiment d’infanterie (janvier 1915 à juillet 1917) » ; 3. « Mémoires d’un « embusqué » (juillet 1916 à mars 1919) ». Il aurait alors renoncé à les publier (a-t-il essayé ? on ne le sait pas). Des passages ont été donnés à des périodiques locaux. L’édition de 2014 est la première publication complète et annotée. Le style évoque nettement une réécriture et une hésitation entre trois attitudes : celle du témoin direct ; celle de l’historien prenant du recul ; celle de l’écrivain soucieux d’attirer l’attention sur le pittoresque et les ridicules.

3. Analyse du contenu
Un premier thème est celui de l’entrée en guerre. André Bouton fait partie des rares Français qui prenaient des vacances. La mobilisation le ramène au Mans et il décrit les aspects les plus délirants des quelques jours du début août dans cette ville. Sans doute insiste-t-il sur les ridicules. En septembre-octobre, cependant, il signale des inscriptions contre la guerre sur les murs de la ville, épisode qu’on souhaiterait mieux connaître. Lui-même cherche à partir vers le front et il souligne qu’il est bien le seul : il fait autant d’efforts pour partir que les autres en font pour rester. Ses motivations : un patriotisme nourri d’un imaginaire guerrier ; la curiosité et le goût de l’aventure ; la volonté de ne pas devenir un objet de risée pour les filles.
Dès les premières pages, il critique violemment ceux qui veulent s’embusquer, mais aussi les infirmières, les Méridionaux, les ivrognes ; ceux-ci sont extrêmement nombreux et stigmatisés dans tout le livre, jusqu’à des aviateurs partis en mission et ayant cassé leur engin ; tous les spécimens d’embusqués rencontrés à Compiègne ; les brancardiers trop prudents ; d’autres « embusqués rutilants » (p. 207) ; les paysans des environs d’Alençon, abrutis vivant dans un pays sauvage ; la baronne de Rothschild dont il fait une critique au vitriol lorsqu’il est soigné dans son hôpital ; et enfin les Américains, grossiers, violents, vantards.
Ayant beaucoup fréquenté les hôpitaux, il donne son opinion sur le « moral » des blessés. Au tout début, ils souhaitent revenir au combat ; mais ce n’est plus le cas au tournant de 1914 et de 1915. Il faut dire qu’ils sont démoralisés par la vue des embusqués. Au printemps 1915, le 404e RI est présenté comme « un régiment sous-alimenté, malade et sans ressort ». Mais au printemps 1916 « l’état moral du front s’était amélioré » et les permissionnaires remontaient le moral de l’arrière, affirmations curieuses qui arrivent après des descriptions apocalyptiques de marches éreintantes, d’ivresses généralisées, d’officiers imbéciles.
La dernière partie raconte « l’embuscade ». Après sa deuxième blessure, il ne veut plus remonter au front, il fait tout pour cela, il accepte le qualificatif d’embusqué : « Et aucun remords ne vint troubler ma joie après deux ans de misère et de souffrances ! Je pouvais me reposer un peu, et laisser les périls de la lutte à ceux qui n’étaient au front que depuis six mois, et s’étaient chauffés à l’arrière pendant plus de deux ans ! » Il estime aussi que l’État tentaculaire est son débiteur (p. 305). C’est dans cette dernière partie que se voient le mieux les attitudes d’historien : il revient assez justement sur les responsabilités de la Serbie et de la Russie dans le déclenchement de la guerre ; mais il attribue les « troubles et séditions » de 1917 à l’action des Boches (p. 303).
Enfin, il coule des jours paisibles en 1917 et 1918 du côté d’Alençon, « excursionnant dans cette nature où il y a de jolis sites, m’entretenant avec les paysans, riant avec les filles qui venaient nous voir, faisant de l’archéologie »…

Rémy Cazals, juillet 2014

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Denis, Omer (1880-1951)

Né le 24 octobre 1880 à Chantonnay (Vendée). Son père est menuisier ; les témoins à l’état-civil sont charron et charpentier. Séminaire. Service militaire d’un an au 137e RI. Depuis 1909, professeur à l’institution Mirville de La Roche-sur-Yon. Mobilisé à l’ambulance 12/11 où il remplit les fonctions de secrétaire et aumônier bénévole. Il a à faire l’inventaire des objets personnels des tués, besogne « particulièrement pénible, tous les cadavres sont déchiquetés, broyés ». En mai 1916, il passe infirmier et toujours aumônier bénévole dans l’artillerie, 5e RAC puis 25e RAC (il est blessé en avril 1917). Pendant la guerre, il remplit 18 carnets destinés à ses parents et amis, masse considérable que la publication n’a pu reprendre dans sa totalité. Malgré l’horreur souvent rencontrée, le style est assez détaché, avec un brin d’humour ; une lassitude certaine apparaît toutefois, surtout après sa blessure. « Rallié » à la République, ce prêtre ne cesse de critiquer la loi de séparation des Églises et de l’État, l’action des gouvernements républicains et il n’aime pas les socialistes. Dans le vignoble champenois, par exemple, d’après lui, « l’élément socialiste » a obtenu que « la classe ouvrière se trouve, aux frais des propriétaires naturellement, étrangement gâtée ». Les hauts salaires sont dilapidés dans « le goût du luxe » ; règne « une facilité de mœurs scandaleuse » ; « au point de vue religieux, ces contrées sont franchement mauvaises » ; l’antipatriotisme et l’internationalisme y produisent un espionnage actif. « La grande faute incombe tout entière au gouvernement qui, s’absorbant dans les mesquines et tracassières menées d’une politique uniquement anticléricale n’a rien su prévoir et rien su empêcher. »
L’ensemble décrit des situations bien connues : la boue, les bombardements et les secteurs calmes, les artilleurs privilégiés par rapport aux fantassins, les blessés allemands, les tentatives de mutilation volontaire, le bourrage de crâne par les journaux, les récriminations contre l’arrière où on ne s’en fait pas, etc. Parmi les remarques originales, on peut noter l’attitude du prêtre devant le corps d’un suicidé du 69e RIT en janvier 1916 : il refuse de l’enterrer religieusement. Plus tard, en avril, un passage est vraiment surprenant. Ses confrères prêtres de l’ambulance sont jaloux du fait qu’on l’ait choisi, lui, pour remplir les fonctions d’aumônier, et de la confiance que lui témoignent les majors. « Ces premières raisons qui les poussaient déjà à m’en vouloir s’accrurent encore du fait que je refusai de les suivre dans leurs ripailles, au café où ils fréquentaient régulièrement chaque soir. Ils affectèrent de m’ignorer et peu à peu s’habituèrent à faire bande à part. Je trouvais à cette solitude une ample compensation auprès des blessés et des malades. Mais secrètement je souffrais de cet état de chose qui, je le savais, était exploité contre nous par nos camarades de l’ambulance. La position que j’avais prise me mettait à l’abri de leur malignité, mais je ne pouvais pas rester indifférent aux plaisanteries, aux réflexions qui, en visant mes confrères, nous atteignaient forcément nous tous. »
En février 1917, dans une gare, il décrit « une foule de femmes et de jeunes filles qui travaillent dans les usines de guerre » de Survilliers et des environs, babillant et jacassant « sans pudeur ni réserve ». Et le prêtre de s’indigner : « Je n’ai jamais eu, je souligne à dessein le mot, l’occasion même parmi les soldats d’entendre de pires grossièretés. » Le 10 avril, blessé par des éclats d’obus, il pense devoir la vie à « la protection spéciale » de la Divine Providence : « Cette protection, je la dois aux prières de mes amis bien plus qu’à mes mérites. » Il passe sa convalescence au château d’une marquise, grâce à l’entremise d’une comtesse. Plus tard, en avril 1918, il loge dans le château d’une autre comtesse. Entre temps (15-1-18), il décrit une visite à la petite église d’Oulches, mutilée par la guerre et tapissée d’ex-voto. En été de la dernière année de guerre, il est en admiration devant « le réconfortant spectacle de la puissance américaine qui s’affirme chaque jour davantage ». Il se trouve à Laon lors de l’annonce de l’armistice qui provoque « une explosion de joie indescriptible ». La guerre est finie : « Nous avions rêvé d’entrer, en vainqueurs, dans la Bochie vaincue, et nous allons tout prosaïquement combler les trous de mines, remettre en état les routes défoncées, récupérer tout ce qui traîne aux alentours et, par surcroît, recommencer la vie stupide du quartier avec ses rassemblements, ses revues, ses exercices et ses manœuvres. »
Rémy Cazals
*Omer Denis, Un prêtre missionnaire dans la Grande Guerre 1914-1919, extraits choisis et annotés des carnets de guerre par Denise et Allain Bernède, s. l., éditions Soteca, 2011, 398 p.

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Cuvier, Georges (1894-1987)

Quelques mystères à éclaircir
Nous tenons, dans ce dictionnaire, à définir le témoin avant de résumer son témoignage. Ici, nous ignorons les dates de sa naissance (vraisemblablement vers 1894 ou 1895) et de son décès. D’après plusieurs indices, il semble originaire du Bordelais (Marmande ? Langon ?), d’une famille qui a pu lui donner une solide instruction (il fait des citations en latin ; il lit Pascal, Bossuet, Chateaubriand).

Compléments en janvier 2018 grâce aux informations venant de Janine Hubaut : il est né le 29 août 1894 à Langon, fils et petit-fils de pharmaciens.

Il avait commencé des études de médecine, mais n’en était qu’au tout début puisqu’il a servi comme téléphoniste au 162e RI et non dans le service de santé. Il a repris et terminé ses études après la guerre puisque, dans un avertissement, il remercie son confrère le docteur Henri Bernard, auteur des quelques dessins illustrant le livre, et que l’exemplaire entre mes mains porte une dédicace « à Monsieur le Docteur de Nabias, bien confraternel hommage et témoignage de vive gratitude pour l’appui précieux qu’il m’apporte dans cette nouvelle « guerre sans galon », entreprise contre le cancer, sur le terrain biologique ». On apprend encore que la mère de Georges Cuvier a été infirmière à l’ambulance 1/38 pendant la guerre. Cela suffirait à définir l’auteur, mais cette notice lance un appel à tous ses lecteurs : peut-on en savoir plus sur la biographie de Georges Cuvier ? pourrait-on découvrir une notice nécrologique le concernant ? Un mystère de plus tient à la date de publication du livre : La guerre sans galon, À l’aventure avec le Cent-Six-Deux : des Révoltes, à la Victoire, Paris (80, rue de Bondy), Éditions du Combattant, sans date, 281 p. Des bibliographies proposent 1920, mais plusieurs arguments laissent penser à une date plus tardive : d’abord, le fait que le livre est publié alors que l’auteur a terminé les longues études de médecine commencées vraiment en 1919 ; ensuite le prix du volume broché de petit format, 12 francs, ce qui paraît excessif en 1920. N’oublions pas que J. Norton Cru ne le cite dans aucun de ses deux livres, pas plus que Ducasse dans son anthologie de 1932. Dernière interrogation : il dit avoir fait la Champagne et la Somme, mais pourquoi son livre, dont le contenu est très intéressant, ne commence-t-il qu’avec l’offensive d’avril 1917 ?

1. L’Aisne (avril-mai 1917)
L’offensive se prépare, énormes tanks, coloniaux, troupes russes ; curieux sentiment « fait du désir d’en finir avec ce long cauchemar, fait de confiance aussi, dans une issue victorieuse. Le moral de toutes les troupes est très haut. D’ailleurs l’accumulation des moyens mis en œuvre permet bien des espoirs. » Le pilonnage par l’artillerie française est effrayant, mais sera-t-il suffisant ? Les cavaliers sont prêts pour la poursuite, mais, le soir, « mornes et détrempés », ils reviennent, en même temps que passent les autos sanitaires bondées de blessés. C’est l’échec. Une fois de plus, la piétaille a payé pour « les nobles élans des gens huppés aux sentiments élevés, restés, eux, bien à l’abri. (p. 16). L’auteur décrit alors le nouveau modèle de masque à gaz, le barda qui pèse 32 kg, le bled aux abords de la ferme du Choléra, la cagna des téléphonistes (p. 31) : « une simple niche perpendiculaire à la tranchée, de la longueur d’un homme couché, recouverte de quelques planches, camouflées par des pelletées de terre ». La relève conduit à une sorte de « paradis » où on attendrait bien la fin de la guerre.

2. En révolte (mai-juin 1917)
Les « causes » de la révolte sont, d’après Cuvier, l’échec de l’offensive, « cruelle déception » venant après bien d’autres, l’impression que des erreurs ont été commises, le manque de permissions, l’exaspération devant le bourrage de crâne… Certains se vantent d’avoir reçu des mots d’ordre de Paris. Les hommes du Nord et du Pas-de-Calais, en forte proportion dans le régiment, sont particulièrement sensibles à « un avenir assombri » par l’échec et par la défection des Russes. « Tout est âprement critiqué », les gradés, la nourriture, les promesses de repos non tenues… Le drame éclate un soir au Foyer du Soldat (date non précisée, mais le tableau dressé par Denis Rolland montre qu’il s’agit du 21 mai, à Coulonges), à la veille de la remontée en ligne : cris, menaces, « chasse aux renards », interminables palabres avec le colonel. « Il y a bien un millier de Poilus rassemblés » (300 d’après le tableau de D. Rolland). Cela dure plusieurs jours. Georges Cuvier dit comprendre ses camarades, avoir cessé d’être cocardier, n’aspirer qu’à une chose, la paix, mais il ne peut pas participer, pas plus que « s’opposer au débordement actuel ». Le refus du gouvernement d’accorder des passeports aux députés socialistes pour se rendre à Stockholm, « cette nouvelle tombe comme un coup de massue. Le rêve de paix entrevu par beaucoup s’écroule brusquement. […] Le Poilu est de nouveau rivé à sa lourde chaîne. » Permissions, améliorations diverses et période de repos ramènent le calme. Le colonel Bertrand ne dénonce personne (aucune condamnation d’après le tableau de D. Rolland). Parti en permission, Georges Cuvier décrit encore les cris et chants séditieux dans les gares, le matériel vandalisé.

3. Verdun rive droite (juillet-août 1917) et 3bis (septembre 1917)
Secteur dur à tenir : « Assez ! Assez de cette sauvagerie ! À quoi donc tout cela rime-t-il ? » Mais (p. 85), « le bassin de Briey continue sans inquiétude à façonner les obus dont nous serons arrosés. Par quel mystère troublant n’anéantit-on pas tout cela ? Nous en avons la rage au cœur ! »

4. En Lorraine avec les Sioux (octobre 1915-mai 1918)
Les Sioux sont évidemment les Américains, « fêtés partout, riches comme Crésus ». Mais la guerre continue (« il y a bien eu la guerre de cent ans ») : « Quelle monstrueuse responsabilité pèse sur ceux qui ont provoqué tant de souffrances et fait faucher les meilleurs, les plus utiles de notre génération ! »

5. En avant de Compiègne : la ferme Porte (juin 1918)
Une scène de pillage (p. 174) ; une attaque où les Allemands se sont enfuis avant le contact à l’arme blanche (p. 178) ; un poème de Cuvier en l’honneur du colonel Bertrand (p. 191) ; une définition du « vrai front » allant « du premier Fritz au premier gendarme (p. 200).

6. Reprise de Soissons (juillet-août 1918)
En permission, « le moral du Sud-Ouest n’est pas brillant », mais les prisonniers allemands sont gras et prospères : « En voilà pour qui la guerre est finie ! » Retour au front, il faut marcher « comme des bêtes de somme », retrouver les spectacles horribles (p. 216), souffrir à nouveau de la soif, se protéger des nappes de gaz. Mais on avance : « Quelle joie de conquérir tout cela ! »

7. Du plateau de Crouy aux abords de Laffaux (fin août-septembre 1918)
Les bleus arrivent en renfort ; il faut « se redresser » devant eux (p. 241). Les prisonniers allemands « sont squelettiques, sales, hébétés, affamés. On leur donne quelques vivres […]. Il n’y a aucune haine de la part des Poilus, c’est presque une fraternisation dans la douleur. Ces pauvres bougres sont conduits à force de « bourrage de crâne », aussi n’est-ce point tant après eux que nous en avons, mais contre la caste qui les mène. » Les tanks sont de la partie, mais tombent en panne (p. 261). L’élan des Poilus est désormais irrésistible.

8. Le chemin du retour
« Vive la vie ! », conclut Georges Cuvier.

Rémy Cazals, avril 2016

Janvier 2018 : Janine Hubaut nous signale qu’une courte biographie de Georges Cuvier se trouve dans la thèse de Marie Derrien, « La tête en capilotade ». Les soldats de la Grande Guerre internés dans les hôpitaux psychiatriques français (1914-1980). Thèse de l’université de Lyon, en ligne : appeler « Marie Derrien – Cuvier ». Georges Cuvier s’est marié en 1922 ; il a monté à Bordeaux un laboratoire d’analyses, puis s’est beaucoup intéressé aux anciens combattants internés à l’asile de Cadillac, et, de là, au problème pour l’ensemble de la France. Il est mort à Paris en 1987.

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Toison, Léon (1841-1924)

Né à Courteau, près de Château-Thierry (Aisne), le 17 avril 1841, Léon Toison resta fidèle aux activités viticoles de sa famille. Marié en 1868, il eut sept enfants. Il avait 77 ans lorsqu’il écrivit quelques pages sur les terribles journées du 1er juin au 21 juillet 1918. Le manuscrit original a aujourd’hui disparu, mais il avait été utilisé et copié par des érudits de la Société historique de Château-Thierry.
Le fond du décor est un bombardement incessant, tandis que « les Prussiens » occupent la région, pillent les caves et les maisons, enterrent leurs morts dans les jardins. Le 16 juin, les habitants sont évacués vers la ville en partie détruite, et se posent les problèmes de trouver des vivres, de gérer les relations avec les occupants, de remplir les fonctions d’officier de l’état-civil… « Je n’ai plus rien de ce que j’avais eu tant de mal à économiser et à ériger », constate-t-il ; puis : « Comment pourrons-nous encore cultiver ces terres labourées d’obus ? » Le 21 juillet, arrivent les Français et les Américains. Octavie, fille de Léon, a livré par la suite son témoignage oral : « Encore un tableau que je n’oublierai pas : dans l’avenue de Paris, mon père pleurant de joie en dévorant à belles dents le beau pain blanc qu’un Américain vient de lui donner. »
Rémy Cazals
* « « Mes pauvres vignes ! » Journal de Léon Toison, vigneron à Courteau », dans Graines d’histoire, La mémoire de l’Aisne, n° 9, printemps 2000, p. 26-32.

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Vonet, Bertrand (1895-1976)

Ce jeune homme qui arrive sur le front à 20 ans en 1915, au 412e RI, est né à Céré-la-Ronde (Indre-et-Loire) le 5 juillet 1895 dans une famille de vignerons. On a retrouvé les lettres qu’il adressait à sa sœur et à son beau-frère, horticulteurs à Montrichard (Loir-et-Cher). Elles contiennent les aspects qui reviennent habituellement dans les correspondances des fantassins non-gradés : la boue et les marches épuisantes ; les rats et les poux ; les exercices stupides à faire au « repos » ; la nourriture qui laisse parfois à désirer (« je suis bien sûr que les cochons chez nous mangent des meilleures pommes de terre »). Il déteste les embusqués, et les discours patriotiques lui donnent le cafard : « Vous pouvez dire au voisin Masset qui est si patriote qu’il y a de la place pour lui, car depuis deux jours, il a dû en tomber quelques-uns. » Il évoque « la bonne blessure » et la « tranquillité » de ceux qui sont morts : « On s’aperçoit que ceux morts sont bien tranquilles, puisqu’il faut y passer tous les uns après les autres, il vaut mieux de suite que plus tard ; moi je n’ai espoir qu’à une bonne blessure pour pouvoir tirer quelques mois à l’intérieur. » Le rapport au « pays » reste fort : « il faudra que vous me disiez si les vignes sont belles » (6 juillet 1915) ; et cette évocation même fait grincer des dents : « Et au pays, que se passe-t-il ? Les vignes doivent commencer à pousser ; tâchez de nous faire du pinard un peu meilleur que celui qu’ils nous donnent en ce moment, je ne sais pas où ils le fabriquent mais il est presque imbuvable » (28 avril 1917).
On les aura !
Dans ce registre de la révolte, Bertrand Vonet a des expressions originales. Dès octobre 1915, il pense que le manque de pain va peut-être entraîner la fin de la guerre et il s’en réjouit. Le 15 février 1916, il félicite ses correspondants de la naissance d’une nouvelle petite nièce : « Heureusement que c’est une fille, au moins comme ça on ne pourra pas l’envoyer à la Boucherie quand elle aura 20 ans. » En juin 1917, il signale qu’il lit de « petits bouquins néo-malthusiens » que son lieutenant lui conseille de cacher : « comme il vient souvent des officiers supérieurs, c’est pas la peine qu’ils nous jugent mal. » Il emploie systématiquement le pronom « ils » pour désigner ceux qui commandent : « De la façon que ça va, ils veulent faire tuer tout le monde. Car, vous savez, à présent pour gagner 2 à 3 km de terrain c’est la perte de plusieurs milliers d’hommes ; il y a que celui qui le voit tous les jours qui peut s’en rendre compte. » Ce comportement est une véritable trahison : « Depuis le début, il n’a pas été un seul jour où nous avons pas été trahis. On nous a fait massacrer comme des mouches pour l’avancement de nos grands officiers supérieurs, et encore en ce moment [26 novembre 1917] plus un général fait zigouiller de Poilus, plus il a de succès. Si tous les sacrifices que nous avons faits depuis le début avaient été bien exploités, les Boches ne seraient plus chez nous, mais tout au contraire quand l’on voyait qu’ils voulaient fléchir, on s’empressait bien vite de ne pas leur faire trop de mal car on a beau dire, les Boches sont des hommes comme d’autres et il a été un certain moment qu’on aurait bien pu les trouer d’un côté ou de l’autre. » Il joue à plusieurs reprises sur l’expression « On les aura ». Le classique « On les aura… les pieds gelés » (20 février 1916) est suivi de « On les aura… les poux dans la chemise » (25 février), « On les aura… les jambes coupées » (4 juillet), « On les aura ? mais si c’est quand tout le monde aura la gueule cassée, ce n’est pas la peine » (16 juillet), etc. En mars 1917, Bertrand envoie le texte de la « chanson du 412e d’infanterie », qui a pour titre « On en a marre » et qui réclame « vivement la paix » après avoir critiqué « les embusqués de l’arrière » qui « n’ont pas peur de faire la guerre » : « Ils n’ramènent pas leur sale gueule au créneau / Ils n’font pas les corvées dans tous ces sales boyaux. »
Si la révolte est l’aspect dominant de ce témoignage, il est également riche de notations diverses. On peut dire ce que l’on veut de la frugalité et de l’endurance du monde paysan d’avant 1914, mais c’est à la guerre que plusieurs ont découvert la faim : « On est souvent obligé de se mettre une belle ceinture. Je ne croyais jamais venir à 20 ans et être obligé bien souvent d’aller me coucher avec la faim » (13 octobre 1915). L’information sur les divers secteurs circule d’un régiment à l’autre. Au moment de partir pour la cote 304, le 22 mai 1916 [voir aussi Louis Barthas], les poilus du 412 savaient « qu’il n’y avait plus de tranchées, tout était démoli par le bombardement et que l’on était obligé de se fourrer dans les trous d’obus ». Et les survivants allaient pouvoir, à leur tour, transmettre le renseignement : « C’est avec un grand soulagement que je vous fais ces deux mots aujourd’hui [16 juin 1916] car vraiment je viens d’une fournaise où je ne croyais pas en sortir. […] Nous sommes revenus morts de fatigue. Nous avons fait 7 jours de 1ère ligne sous la pluie, et comme tout est retourné par les obus il fallait être du matin au soir allongés dans la boue. » Mais il peut y avoir aussi quelques « filons », ainsi fin 1916, lorsqu’il devient « tampon » d’un lieutenant, et surtout lorsque celui-ci, désigné pour suivre un stage, l’emmène avec lui : « Où je suis, j’y tiendrais jusqu’à la fin de la guerre » (28 avril 1917). Au repos, en août 1917, il rencontre des Américains « qui arrivent avec les poches pleines de pognon [et] sont bien vus partout ».
Il reste que l’expérience de la guerre fut terrible pour Bertrand Vonet, et que sa réflexion le conduisit à s’intéresser au journal L’Humanité et aux réunions syndicales, l’année de sa démobilisation (lettres des 29 juin et 18 juillet 1919). Marié en avril 1920 avec une couturière, fille de cultivateurs, il eut deux filles qui ne participèrent donc pas aux combats de 1940. Il est mort dans son village natal le 3 mai 1976.
RC
*Lettres conservées par Jacques Moriceau.

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Coudray, Honoré (1889-1967)

1. Le témoin

Honoré Coudray, fils d’Auguste-François Coudray, douanier, et d’Honorine Planche, est né à Saint-Michel-de-Maurienne, en Savoie, le 8 octobre 1889. Il passe son certificat d’études avant d’apprendre l’ébénisterie chez un de ses oncles. Homme cultivé, il a très tôt un goût pour la littérature qu’il conservera jusqu’à la fin de sa vie, écrivant même des contes pour ses petits-enfants. Il exercera le métier d’assureur et terminera sa carrière comme cadre moyen d’une compagnie à Grenoble. Marié une première fois en 1919 à Adèle Biard, il se remarie après 8 années de veuvage à Marthe Brion, qui lui survivra jusqu’en 1985. Il aura quatre enfants et c’est l’un d’eux, Aimé, qui publie ses souvenirs. Honoré Coudray meurt le 14 février 1967 à La Tronche (Isère).

2. Le témoignage

Coudray, Honoré, Mémoires d’un troupier. Un cavalier du 9ème Hussards chez les chasseurs alpins du 11e BCA, Bordeaux, Aimé Coudray, 1986, 228 pages.

Affecté au 9e régiment de hussard à l’été 1914, c’est pourtant au titre d’éclaireur monté et d’agent de liaison que le « troupier » Honoré Coudray, 25 ans, va faire la guerre pendant toute sa durée au 11e BCA. Dès lors, il écrit sa campagne avec continuité et décrit les secteurs qu’il parcours en tous sens : les Vosges principalement, mais aussi la Somme, la Champagne, l’Italie puis la ligne Hindenbourg. L’Armistice ne met pas fin à sa relation et ce n’est que le 29 mars 1919 qu’il abandonne le joug de 5 années de guerre qu’il a traversées par miracles renouvelés chaque jour.

Alors que le tocsin sonne aux églises de Grenoble, Honoré Coudray rejoint le 9e régiment de Hussards. Il arrive dans les Vosges avec Dormeur, son cheval, le 7 août 1914 et est affecté au 11e BCA. Il participe à la bataille des frontières du côté du lac Blanc puis à la retraite vers Taintrux et le Kemberg. Le reflux allemand vers sa frontière le ramène à Saint-Jean-d’Ormont, à proximité duquel se cristallise bientôt le front. Il ne le verra pas, transporté dans la Somme puis dans les Flandres et en Artois. Laminé, le 11e revient dans les Vosges au début de janvier 1915. En février, Poincaré et un quarteron de généraux passent les chasseurs en revue, avant l’Alsace où il frôle une nouvelle fois la mort, son cheval blessé sous lui. Il est un temps évacué à l’hôpital de Gérardmer pour bronchite – et gale ! – mais tient ce dur secteur montagneux jusqu’au début de l’été 1916.

Il débarque dans la Somme pour les combats de juillet devant Curlu où, « en peu de jours, 500 hommes étendus sur la terre picarde où ils font des points bleus ». Nul étonnement qu’une nouvelle période de repos vosgienne soit nécessaire. Au mois de novembre il est détaché au 4e groupe de chasseurs alpins (1er, 12e et 51e BCA) et monte à 607, dans la haute vallée de la Fave avant une période d’instruction au camp vosgien d’Hadol, préliminaire à une période d’hiver en Alsace, dans le secteur de Dannemarie. Le printemps 1917 l’amène en Champagne puis dans l’Aisne, dans le secteur de Craonne, où il participe à l’instruction des Américains dans la Meuse.

Au mois de novembre, il apprend son changement de front et embarque pour l’Italie. Il y raconte sobrement sa campagne, faite de peu de combats, et revient, la brèche comblée, sur le front le l’ouest, s’opposer aux attaques allemandes, entre Somme et Artois. Il connaît encore de terribles journées dans la poche de Château-Thierry, aux offensives de Dammard à Rocourt puis dans celle d’Andéchy au nord de Montdidier. L’été 1918 passé, il prend part aux batailles de libération au nord de Saint-Quentin. L’armistice le trouve à Chigny, devant Guise. C’est la fin du cauchemar mais pas de sa situation sous les drapeaux, tant il parcours encore la région parisienne dans l’attente de sa démobilisation : « la levée de l’écrou » ! Et de conclure : « Sur combien de routes avons-nous déjà laissé le sillon de nos fatigues et les fils cassés de notre ardente jeunesse » (page 120).

3. Résumé et analyse

Formidable témoignage, issu d’un hommage filial, riche de continuité dans un poste particulier d’éclaireur monté, emploi rarement évoqué. C’est aussi un trésor d’écriture où l’érudition le dispute au caustique, rehaussée d’un véritable talent descriptif et d’un soupçon de critique politique qui font de ces « Mémoires d’un troupier » l’un des tous premiers témoignages d’intérêt sur la Grande Guerre. En effet, ce livre est une véritable perle éditoriale tant Honoré Coudray passe en permanence sous le souffle de la mort sans aucune égratignure, mais aussi témoigne d’un don d’écriture manifeste, alliant précision descriptive et analyse critique juste et efficace de son environnement. Dès les premières pages, on prend la mesure d’un esprit cultivé et profond. Si le lyrisme et la métaphore l’emportent parfois sur le descriptif, c’est également avec talent. Il porte sur les officiers qui l’entourent le regard acéré d’un bon observateur de la valeur des hommes. Ainsi, plusieurs tableaux ethnologiques d’intérêt sont à lire sur l’Italie et sa population, même si ce chapitre est le moins long de son parcours. Il prend parti, notamment contre les Américains dans une violente diatribe rappelant que leur sacrifice ne fut rien en regard de celui du soldat français (page 215). Sans polémique gratuite, Honoré Coudray est un excellent témoin de son temps. Seule concession, – mais est-elle de l’auteur ou du présentateur ? -, les noms de certains soldats, soit qu’ils aient été mal perçus, soit qu’ils aient été honnis (cas du soldat Jacques Serre, fusillé à Anould le 16 mars 1916), ont été caviardés. Toutefois, les initiales correspondent et il peut être aisé de les rétablir. Honoré Coudray expose son ressort d’écriture : « Je tire aujourd’hui ma révérence à la sombre comédie-dramatique des notes pour moi péniblement recueillies depuis le bruyant soir du 1er août 1914. J’ai écrit avec la parfaite insouciance de la perfection de l’art de s’exprimer, sans aucun souci d’étiquette, ni respect de la plus élémentaire convenance, le protocole n’étant pas mon cheval de bataille. J’ai tracé à brûle-pourpoint, comme j’ai vu, comme j’ai entendu, comme j’ai senti, d’autant plus que je n’ai et n’aurai jamais l’audace ni la pédanterie de livrer le contenu de mes tablettes à la publicité… » (pages 217-218).

Réflexif et descriptif, le livre fourmille de tableaux anecdotiques, telle cette vision de chiens battant du beurre en Flandre (page 36), ou la description de l’état de l’uniforme après 4 mois de guerre (page 38). Volontiers critique, il l’est du Bulletin des Armées de la République en décembre 1914 (page 40) et distille ses réflexions opportunes sur la condition de l’homme-matériel et l’incurie, exemplifiée, de la question de sa mort (page 42). Il s’interroge plus loin sur la force de mémoire du soldat après-guerre : « je doute fort que la plupart de ceux qui en reviendront aient seulement la force du souvenir dans leurs actes et celle d’en imposer la mémoire vivace » (page 66).

Il décrit d’un style badin, faussement naïf, les « commerçantes de toutes essences », « nuées de femmes de tous âges [qui] assaillent les soldats ébahis avec leurs bidons de café et de chocolat. Puis d’autres, moins mercenaires, les emmènent à leur domicile afin de partager le pain et le sel, du moins je le suppose. C’est bien pire qu’un invasion de sauterelles » (pages 59-60). Badin certes mais aussi misogyne sur la femme électrice (page 110). Il est aussi volontiers ironique dans sa vision des Vosges, remarquant à La Bresse la « chose curieuse, dans ce pays où l’on tisse tant de toiles, les lits n’ont pas de draps » ! (page 72). Il l’est moins quand il constate le traitement réservé au soldat et y reviendra souvent dans son témoignage. Pour s’en convaincre, nous reportons le lecteur dans l’utilisation de son témoignage par Nicolas Offenstadt dans Les fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective. (1914-1999) (Odile Jacob, 1999). Dans les Vosges, il rapporte l’exécution du chasseur Jacques Serre qui, ivre, avait bousculé un commandant (page 75) ou l’assassinat d’un soldat soi-disant voleur, meurtre à mettre au débit du commandant P. (Pichot-Duclos) (pages 89 et 96). Plus loin, un gendarme factionnaire jeté dans un canal (page 90) ou gardant les permissionnaires « parqués » (page 91). Les cadres sont aussi l’objet de toute son « attention », même si parfois ils ressemblent à des enfants (page 129).

La presse fait également souvent l’objet de sa colère : Hervé, rédacteur à La Victoire est « un pilier de prison qui a évolué ! Après avoir traîné le drapeau dans le fumier et écrit des saloperies de tous genres » (page 101). Il sert une violente diatribe sur le mensonge journalistique (pages 120 et 166) ou celui du bulletin de la République, suspendu au 12 mars 1918, et dont les « feuilles alimentaient les archives des feuillées, dernier refuge des bourrages de crânes imprimés » (page 166). Il rapporte ce qu’on lit aux tranchées, y compris les images érotiques placardées sur leur paroi (page 151). Il évoque comme une maladie la contagion des vraies comme des fausses nouvelles (page 188). Une réalité toutefois est qu’au 11 novembre 1918, il reste seulement 4 soldats ayant vu le début de la guerre dans le groupe de liaison de Coudray (page 198). Cela déclenche chez lui une analyse désabusée et clairvoyante de l’après-guerre politique du soldat, auquel il faudra rendre le dû politique au soldat de la paix et sa participation aux traités (pages 203 à 205). Par contre, il est peu disert sur les mutineries, et se contente d’en rapporter la rumeur et de tenter une explication du phénomène (pages 127-128).

Souvent préoccupé par la nourriture, il estime nécessaire la maraude alimentaire (page 164). D’ailleurs, sur ce point précis, il déclare que tout homme revêtant l’uniforme devient voleur (cf. l’affaire du vol de volailles de Villers-les-Rigaud) (page 178). Plus anecdotiquement, il fait des repas de corbeaux (page 175), de paon (page 200) ou d’un lapin mangé par les vers, cuisiné en civet quand même pour la partie comestible (page 177). Attentif à l’hygiène, il décrit des Italiens malpropres (page 160) et s’inquiète de la grippe espagnole en mai 1918 et en décrit les symptômes (page 175).

« Mémoires d’un troupier » n’est pas introduit et l’on doit à la quatrième de couverture de connaître l’origine filiale de la transmission de ce journal de guerre. Il est par contre très correctement construit, haussé d’un cahier iconographique central montrant le héros et deux cartes opportunes rappelant les zones d’opérations du 11ème B.C.A. Opportunes sont également les annexes (à partir de la page 220) synoptiques du parcours chrono-géographique d’Honoré Coudray, qui complète l’architecture de l’ouvrage, divisé par années en grandes périodes de combats. Enfin, deux courts index des noms des militaires et des unités cités (pages 227 et 228) sont des ajouts trop rarement rencontrés dans ce type de parution. Enfin, quelques fautes ont été corrigées par un errata de l’éditeur. Une édition au format inadapté et à la typographie médiocre n’entachent pas ce formidable document.

Ultra référentiel et alimentant de première importance l’étude du front des Vosges, cet ouvrage est à lier intimement à celui de Louis Bobier et à rapprocher dans la stylistique du journal de guerre d’Henri Désagneaux (voir leur notice dans le présent dictionnaire).

Noms cités (page) :

Angele (Cpt) (84), Anne (163-164), Basbayon (47), Belmont (Lt) (29-69), Bertrand (Cpt) (111-131-137-140), Bordeaux (Col) (39), Bouvier (11-12-13-42-47), Buyer de (Col) (24), Cassin (Cpt) (42), Ciambelli (Cdt) (194-213), Clerget (174), Collet (Cdt) (24), Coquand (Cpt) (10), Delorme (Sgt-major) (181), Desforges (Cpt) (181), Dhorm (Ss-lt) (149), Doyen (Cpt) (55-99-183), Dumesnil (Lt) (183), Fabri-Fabreques de (Cdt) (100-181), Ferrand (153), Ferret (Col) (39), Forest des (Cpt) (140), Girard (13), Gras (183), Guillot (vétérinaire) (74), Heinrich Louis (107), Jargot (5-9-13à16-21-25-27-29-30-34à36-73-74-77-209), Jarrige (47), Jorraz (13-15-47), Lalande (Cpt) (181), Lancon (Col) (113), Lebrun (Gal) (118-123), Lecomte (Cdt) (93), Levrat (100), Lionne (18), Marade (Cpt) (42), Perrier Auguste (108), Pigeat (Lt) (34-47), Poirat Henri (38-108), Poncet Léon (4-114), d’Armau de Pouydraguin (Gal) (108-144), Quinat (Lt-col) (100-107-113-126-131-174-201), Roch (39), Rousset (Lt) (88), Rousset (Lt-col) (131-144), Ruffier (25-27), Rufflier (145-146), Sabardan (54), Seigle (120), Touchon (82), Vittoz (120), Wendling (136-141).

Liste des communes citées (date – page) :

1914 : Grenoble, Chambéry (2-7 août – 3-4), Epinal, Docelles, Corcieux, Fraize, Plainfaing (7-12 août – 4-8), Orbey, Lac Blanc, col de louspach, Bonhomme, Colroy-la-Grande, col de la Charbonnière, Saint-Blaise-la-Roche (12-24 août – 8-14), Bourg-Bruche, Saales, La Grande Fosse, La Petite-Fosse, Saint-Jean-d’Ormont, Moyenmoutier, Saint-Prayel, Nompatelize, Saint-Michel-sur-Meurthe, La Bourgonce, Les Rouges-Eaux, Bois-de-Champ (25 août – 2 septembre – 14-17), Taintrux, le Kemberg, Vanémont (2-12 septembre – 17-20), La Culotte, Saint-Jean-d’Ormont (12-15 septembre – 20-22), Clermont (Oise), Fournival, La Herelle, Le Cardonnois (Somme), Montdidier, (15-24 septembre – 22-25), Harbonnières, Vauvillers, Cappy, Méricourt, (25 septembre – 11 novembre – 25-32), Calais, Bailleul, Belgique (12 novembre – 14 décembre – 33-40), La Comté, Mingoval, Mont-Saint-Eloi, Caucourt (14-31 décembre – 41-42).

1915 : Acq, Tincques, Chelers, Saint-Pol (1er – 14 janvier – 44), Gérardmer (14 janvier – 18 février – 45-48), Soultzeren, Metzeral (19 février – 25 août – 48-58), Corcieux (26 août – 3 octobre – 59-61), Belfort, Buethwiller (4-16 octobre – 61-63), Gérardmer, Lingekopf, (16 octobre – 19 décembre – 63-67), Vagney, Xoulces, Moosch, Hartmanswillerkopf (20 décembre 1915 – 15 janvier 1916 – 67-72).

1916 : Anould, Fraize (15 janvier – 1er mars – 73-74), Lac Noir, Rudlin (1-16 mars – 74-77), Kruth, Hilsenfirst (17 mars – 27 juin – 77-85), Fouilloy (Somme), Boves, Gentelles, Cachy, Villers-Bretonneux, Vaires-sous-Corbie, Méricourt-sur-Somme, Curlu, Suzanne, Maurepas, Cappy, Eclusier, Cléry, (27 juin – 25 octobre – 86-97), Laveline, Combrimont, 607, la Croix le Prêtre, Beulay, Mandray, (26 octobre 1916 – 24 janvier 1917 – 98-105).

1917 : Hadol, camp d’Arches, Dounoux (Vosges) (25 janvier – 8 mars – 106-111), Belfort, Bourbach-le-Haut, Dannemarie (11-31 mars – 112-116), (Aisne) Corrobert, Courbouin, Verdon, Jaulgonne, Crugny, Aougny, Vincelles, Le Charmel, Artonges (1er avril – 14 mai – 117-125), Vendières, Verdelot, château de Vinet, Brécy, (15 mai – 5 juin – 117-129), Courville, Ventelay, Marceau (Chemin-des-Dames), Pontavert, Craonne (5-24 juin – 129-132), Gondrecourt, Mauvages (9 juillet – 11 septembre – 134-145), Courtisol, Tahure (15 septembre – 3 novembre – 145-153), Italie, Monte Tomba, plateau d’Asiago (7 novembre – 12 avril 1918 – 153-171).

1918 : Amiens, Guignemicourt, Rainneville, Halloy, château d’Hervare, Thiebronne, (15 avril – 1er juin – 171-176), Congis, Villers-les-Rigaud, la Tuilerie, Crouy-sur-Ourcq, château de Brunier, Montigny, Dammard, Mounes, Rassy, Remonvoisin, Sommelans, Grisolles, Rocourt, Lizy-sur-Ourcq (3 juin – 27 juillet – 177-184), Grandvillers, Sommereux, Andechy, Sept-Fours, Réthonvillers Nesle (28 juillet – 3 septembre – 185-187), Lavacquerie (3-26 septembre – 187-189), Pierrepont (Somme) Holnon, Saint-Quentin, Chardon Vert, bois des Cocotiers, ferme Monidée, Fieulaine, Sery-les-Mézières, Ribémont, Lucy, Guise, Froidestrées, Chigny, Malry, Le-Hérie-la-Viéville (27 septembre – 22 novembre – 190-202).

Yann Prouillet, CRID14-18, janvier 2012.

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Le Petit, Jacques (1887-après 1966)

1. Le témoin
Quatrième enfant d’une famille de propriétaires fonciers possédant manoir des champs et maison de ville, Jacques Le Petit est né à Bayeux (Calvados), le 20 juillet 1887. Après le collège Sainte-Croix d’Orléans (qu’il désigne comme sa prison), il mène ses études de médecine jusqu’au doctorat obtenu en 1913. Installé au Mans, il est bientôt mobilisé comme médecin auxiliaire. Avec le 11e RAC, il fait la retraite d’août et la marche en avant de septembre 1914. Médecin aide-major, il passe au 5e RI puis au 129e en décembre. Blessé en juillet 1916, il est ensuite affecté à l’ambulance 4/54, puis à la 14/5, puis à l’arrière, à Caen. Il revient sur le front en juillet 1917 au 267e RAC. Une grave blessure, le 3 octobre 1918 met fin à sa guerre, après laquelle il revient au Mans et se marie en 1919.

2. Le témoignage
Jacques Le Petit s’est appuyé sur ses notes et les lettres à sa famille pour une rédaction qui date de 1966 ; il avoue parfois ne pas se souvenir de certains faits (p. 94, 109 par exemple). Sous le titre Journal de guerre de Jacques Le Petit, 1914-1919, Un médecin à l’épreuve de la Grande Guerre, des extraits de son texte ont été publiés en 2009 par les éditions Anovi (127 p.), ses héritiers proposant à qui le souhaite de consulter l’ensemble. Les chapitres suivent l’ordre chronologique. Chacun est précédé d’un résumé général des événements de la période. Croquis et photos viennent en complément.

3. Analyse
Ce médecin a vraiment vécu au milieu des hommes des tranchées. Il en a connu les conditions de vie (voir p. 53 : les mouches ; p. 59 : la boue « fantastique » de la Somme) et il en a partagé les sentiments contre les profiteurs (p. 82), les embusqués (p. 83) et même contre les civils sans distinction (p. 58 : ils sont ignobles ; p. 90 : « les civils restant l’ennemi héréditaire »). Il critique à plusieurs reprises le bourrage de crâne (p. 46, 49, 50) et annonce qu’il va essayer de s’abonner à La Tribune de Genève (p. 90) « pour savoir la vérité si possible ». Hostilité aussi envers les artilleurs (p. 44, janvier 1915) : « Les artilleurs ont beaucoup de munitions maintenant, et ils se font même eng… quand ils n’ont pas tiré dans la journée le nombre de coups imposés. Ils ne savent d’ailleurs pas toujours sur quoi ils tirent ; leur coup tiré, ils se cachent et c’est nous qui recevons la réponse. »
Proche des soldats, il les voit se livrer à des jeux étranges avec les Allemands d’en face (p. 44, secteur de Pontavert, janvier 1915) : « D’une tranchée à l’autre, on met parfois des cibles, souvent des marmites ou de vieilles ferrailles, et on signale consciencieusement à l’ennemi les « rigodons », c’est-à-dire les coups au but. » Et encore (p. 46, secteur de Concevreux, février 1915) : « Les Boches nous envoient des patates et nous demandent des journaux ; ils mettent des écriteaux annonçant un nombre kolossal de prisonniers russes et nous ripostons par des chansons sur Guillaume. Nous mettons des écriteaux disant : « Il ne vient pas souvent vous voir, votre empereur, le nôtre vient ce soir. » À la fin de l’après-midi, on promène en première ligne, au bout d’un bâton, un chapeau haut-de-forme que les Boches canardent de leur mieux. »
Les épisodes particulièrement décrits sont le départ en août 14 avec un « moral splendide », en route pour Berlin, d’autant que les nouvelles sont excellentes. C’est ensuite la retraite (p. 25) : « Retraite dans l’ignorance de tout, au milieu des incendies dont on donne diverses explications, des mugissements de bestiaux abandonnés qui nous suivent, ainsi que le son du canon toujours derrière nous, au milieu des convois de fuyards dirigés tant bien que mal par les gendarmes, et des vaches qui gémissent de ne plus être traites (et que nous trayons au passage pour boire un peu), échappées de leurs prés, leurs clôtures étant hachées par l’artillerie. » En septembre 1915, c’est l’offensive en Artois, vers Neuville-Saint-Vaast. En avril 1916, Verdun : la soif, la poussière, l’air irrespirable, l’insomnie (p. 74). « Les hommes sont éreintés, les seules ébauches de boyaux qui existent les obligent, en dehors des attaques fréquentes, à rester tout le jour aplatis par terre sous le bombardement meurtrier sans aucun mouvement ; la nuit, ils manient la pelle et la pioche pour s’enterrer. »
Si la blessure est une aubaine, et si beaucoup de blessés ont évoqué l’hôpital comme un petit paradis, ce n’est pas le cas de Jacques, dirigé vers Lodève, oublié à la gare, transporté ensuite dans une charrette à fumier vers « une vieille bâtisse lépreuse, immonde et puante » sous la coupe d’une « vieille bonne sœur grincheuse », et négligé par le médecin, un embusqué.
Autres remarques :
– La découverte que les nuits peuvent être d’une noirceur absolue, mais que les soldats venus de la campagne « arrivaient à distinguer quelque chose » (p. 22).
– Entre Villenauxe et Montmirail, lors de la bataille de la Marne (p. 29) : la situation décrite (« Blessés et morts le long des routes ; ferme avec morts et blessés boches avec leurs infirmiers ») évoque celle de Hans Rodewald, exactement à la même date dans le même secteur (voir la notice Rodewald).
– Plus on lit de témoignages, plus on découvre de mentions d’exécutions. Ici p. 54 (9 août 1915, sans préciser le régiment ; il s’agit peut-être du 129e) et p. 77 (30 avril 1916, au 129e RI).
– Il faut signaler aussi les contacts, en été 1918, avec la 93e Division d’infanterie américaine, « coloured », illustrés par quelques photos.

Rémy Cazals, juin 2011

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