Pierre Couraly, Ce que nous avons eu de souffrances, Les éditions de Paris, 2014, 78 pages.
Le témoin
Pierre Couraly est tuilier à Varennes-sur-Tèche (Allier) en 1914. Marié, père de deux enfants, dont un déjà en apprentissage, il sert pendant tout le conflit dans des régiments territoriaux : 104e RIT d’août 1914 à septembre 1915 (à Roanne), 300e (09/1915 – 04/1917), puis 309e et 145e RIT. Il alterne périodes de travaux et de présence à la tranchée, et passe la plus grande partie de la guerre autour de Reims, mais aussi dans l’Aisne, à Verdun et en Lorraine. En 1918, il se fait détacher dans une compagnie des camps et cantonnements, il participe alors à la construction de baraquements pour les Américains et de camps d’aviation.
Le témoignage
Le petit-fils de l’auteur a découvert dans un tiroir un carnet 12x8cm, un journal de guerre (septembre 1915 – décembre 1918) qui a été édité en 2014 sous le titre Ce que nous avons eu de souffrances, carnet de la guerre 1914-1918, Editions de Paris (préface de Serge Vancina, initiateur de la publication). Chaque tête de chapitre présente en fac-similé la reproduction d’une page de l’original. L’iconographie a été ajoutée par les éditeurs.
Analyse
Le carnet, précis sur les lieux et les activités de P. Couraly à partir du 17 septembre 1915, est très synthétique : on y observe « les travaux et les jours », avec le terrassement, l’aménagement de baraques, de voies ferrées étroites, la garde de prisonniers… Par exemple, en juillet 1916 : « corvée de vingt hommes pour aller travailler au génie et poser des câbles électriques qui vont aux premières lignes et les réseaux de fil de fer barbelés. J’y ai travaillé pendant huit jours pour mon compte » p. 40. Comme le souligne la préface, le mot « travail » revient presque à chaque page, une ou plusieurs fois. L’auteur, qui peut aussi prétendre au statut de propriétaire cultivateur, obtient deux permissions agricoles qui se passent au travail : août 1917 « Je pars en permission de 20 jours agricoles. J’ai travaillé chez moi et chez Pouillon fermier au domaine de Baranthon» p. 63. Il monte souvent en 1ère ligne en 1915 (tenue de créneau ou ravitaillement). La tranchée peut être aussi un lieu de punition : 8 mai 1916 « j’ai attrapé 8 jours de prison c’est-à-dire de 1ère ligne pour n’avoir pas été planton au poste du Commandant (…) J’ai fait ma punition à l’ouvrage 500 en 1ère ligne » p. 34. À partir de 1917 il ne fait plus que des travaux à l’arrière (3e ligne, zone des étapes). Il raconte de manière succincte des faits saillants, les bombardements…. Il évoque par exemple de manière hostile, puis apaisée, des troupes indigènes : août 1916 « Commandé de corvée pour le nettoyage des rues de Verzenay que ces sales moricauds de Marocains ont salies depuis 5 heures du matin jusqu’à 4 heures du soir » p. 43, et 23 août « Les Marocains sont aux créneaux avec nous. Ils voudraient tirer tout le temps sans s’occuper de ce qu’il y a devant eux. Ils tireraient aussi bien sur les Français que sur les Boches. Avec beaucoup, on a de la peine à pouvoir se faire comprendre, mais à force on y arrivera » p. 43. Les remarques à propos de la qualité variable de la nourriture et du gîte sont nombreuses : Juillet 1917 (cycliste de liaison) «Je suis en subsistance à la 3e Cie de manœuvre du 309 où on est nourri comme des bourgeois et pas beaucoup de peine » p.62. Dépendant uniquement de l’ordinaire, Couraly ne peut améliorer de lui-même sa situation : Juillet 1918 « En arrivant nous avons resté deux jours sans être ravitaillés (…) Nous sommes très mal nourris et très mal couchés et nous travaillons à plein bras, cela ne peut durer longtemps. On a amené 100 Boches qui sont mieux nourris que nous. Nous, nous couchons sur la planche et les Boches couchent sur la paille » p. 76. Pas de considérations politiques ou religieuses, ni sur les Allemands et presque rien sur la vie privée ; P. Couraly reste en général d’humeur égale sauf à un moment avec son fils : « J’ai reçu une lettre que Léon est sorti de sa place [apprenti-plombier] mais je n’avais toujours rien dedans [de l’argent ?], aussi je n’ai pas rendu de réponse tout de suite car j’étais d’une colère que je ne me connaissais pas »p. 26.
Pour l’auteur, l’expérience de Verdun, en 1917, est la plus marquante de la guerre : « Jamais mes yeux n’ont vu pareil spectacle de ruines et de désolation, partout ce n’est que cadavres moitié enterrés et d’autres pas du tout, les sacs, les fusils, les grenades, les obus, tout cela est pêle-mêle sur le champs de bataille avec les corps morts. Je ne crois pas que la nature puisse produire quelque chose de plus terrifiant (p. 59) et au ravin de la Dame : « En pleine nuit aussi, à coups de pioche, nous ramenons à jour une tête, un bras humain, un fusil, français ou boche. Il y a beaucoup de Boches, je crois davantage que de Français. Je puis vivre longtemps, je me rappellerai toujours le spectacle effrayant que c’est à voir. » Il décrit ses nuits harassantes en juillet 1917 « C’est bien dans ces carrières [d’Haudremont] que j’ai le plus souffert depuis la guerre. (…) Nous transportons de l’eau potable, des fils de fer barbelés en première ligne, aux jeunes qui garantissent des Boches le terrain que nous venons de leur prendre au prix d’énormes sacrifices. Nous avons des carrières d’Haudremont au ravin Navaud 8 km aller, nous les faisons deux fois par nuit sous une pluie d’obus, de tir de barrages, de gaz asphyxiants, que lorsque je me trouve de rentrer la corvée finie, à 3 heures et souvent à 5 heures du matin, je me demande comment cela se fait que nous sommes encore vivants. Beaucoup de mes camarades sont été blessés. Jusqu’à ce temps je n’ai rien eu » (p. 64).
Le titre donné au carnet par les éditeurs s’inspire des deux dernières lignes, écrites en décembre 1918 : « Que celui qui lira ce petit calepin après moi le conserve, il verra dessus ce que nous avons eu de souffrances » (p. 78).
Vincent Suard, novembre 2016