Quatrième enfant d’un charron, Jean-Baptiste Martial Goulmy est né à Donzenac (Corrèze) le 17 septembre 1891. Mobilisé en 1914 comme brancardier régimentaire au 108e RI, et musicien, il s’est marié en juillet 1917 au cours d’une permission. Après la guerre, ayant repris le métier de son père, il a fait mettre en forme son journal par Adolphe Ulry sur un cahier d’écolier, à partir de notes hâtives au jour le jour. La comparaison des dates et des faits avec le JMO du régiment montre leur exactitude, mais il semble que le témoignage ait été lissé. Par exemple pour décembre 1915 en Artois, qui connut inondations et fraternisations près de Neuville-Saint-Vaast, on ne trouve qu’une brève évocation de la boue. Les mouvements d’indiscipline au 108e le 30 mai 1917 à Aubérive, signalés par Denis Rolland, ne sont pas mentionnés. La publication du témoignage pose quelques problèmes de transcription, en particulier p. 46 à propos d’un bon secteur calme : « ce docteur n’est pas mauvais » ; ou p. 122, en Italie, les Austro-Boches devenant « les autres Boches » ; il faudrait vérifier si « la Gargotte » près de Neuville n’est pas la Targette. Le musicien brancardier a connu la retraite de 1914, la Marne, l’attaque en Artois en septembre 1915, Verdun, l’offensive Nivelle, puis l’Italie à partir de novembre 1917.
Le récit contient, sans surprise, des mentions de terribles bombardements, le 75 tuant parfois les Français (p. 74) et la description du travail des brancardiers, utilisant une brouette trouvée sur place, faute de brancards (p. 36),obligés d’abandonner lesdits brancards dans les boyaux trop étroits (p. 79), ou de passer à découvert lorsque l’artillerie a détruit tous les cheminements protégés comme à Verdun (p. 94). Les brancardiers doivent ensevelir les corps et désinfecter les tranchées (p. 67) ; ils voient passer des prisonniers allemands satisfaits de leur sort (p. 75). Au repos, concerts (p. 63), chasse au lapin pour améliorer l’ordinaire (p. 48), travail de charron pour réparer les voitures médicales (p. 50), coup de main aux paysans pour battre le blé (p. 69), évocation du « pays » avec les camarades (p. 81). Martial Goulmy fait partie des soldats qui ont décrit des exécutions (p. 87) et qui ont tenu à noter leurs impressions pénibles devant un spectacle « navrant » qui fait que « plus d’un avait les larmes aux yeux en s’éloignant du lieu de l’exécution ». Le 11 avril 1915, il écrit qu’il se laisse « aller à des pensées plutôt sombres, [se] demandant par quelle folie, à une époque de civilisation et de progrès, des hommes qui ne se connaissent pas peuvent encore s’entre-tuer rageusement pour satisfaire l’ambition de quelques-uns ». L’emploi de l’expression « le pauvre diable » à propos d’un blessé allemand prouve que Goulmy, comme bien d’autres soldats, n’a pas été transformé en brute par l’expérience de la guerre.
RC
*Destins ordinaires dans la Grande Guerre, Un brancardier, un zouave, une religieuse, Presses universitaires de Limoges, 2012, p. 13-134.
Dardant, Louis (1890-1982)
Originaire de Châteauponsac (Haute-Vienne), il s’engage à 18 ans au 138e RI où il devient sergent. Il passe en 1912 au 4e Zouaves de Tunis, troupe de choc avec laquelle il fait la guerre de 1914-1918 : la retraite de 1914 (il est blessé le 7 septembre), les tranchées de Nieuport de janvier 1915 à avril 1916 (il est promu sous-lieutenant en mai 1915), Verdun, l’offensive d’avril 1917 vers Craonne et Hurtebise, l’attaque d’octobre sur la Malmaison (où il est à nouveau blessé). Il termine sa carrière militaire comme commandant. À l’âge de 83 ans, il décide d’écrire ses mémoires de combattant de 14-18 à l’intention de ses descendants. Disposant de peu de documents personnels et ses souvenirs étant « estompés », il puise largement dans l’Historique du régiment. Ces emprunts représentent 46 % de son texte ; ils apparaissent en italiques dans la publication. Ils concernent aussi bien les opérations que la vie quotidienne et « l’état d’esprit » du régiment, ce qui donne à ce texte, comme le souligne le présentateur, une tonalité « perpétuellement martiale ». Notons que Charles Gueugnier (voir notice) appartenait au 4e Zouaves, mais son témoignage de guerre ne porte que sur sa captivité en Allemagne.
RC
*Destins ordinaires dans la Grande Guerre, Un brancardier, un zouave, une religieuse, Presses universitaires de Limoges, 2012, p. 135-247.
Détrie, Paul (1872-1962)
Né à Oran dans une famille de tradition militaire, Paul Détrie intègre Saint Cyr et, comme officier de carrière, reçoit plusieurs affectations avant 1914 dans les colonies ou en métropole. Successivement capitaine, commandant d’un bataillon d’infanterie puis du 2e BCP, puis lieutenant-colonel du 94e RI, il connaît tous les secteurs du front ou presque jusqu’en 1918 et témoigne dans sa correspondance partiellement publiée des grandes batailles comme des offensives limitées depuis le Nord de la France jusqu’à l’Alsace, de Verdun à la Somme en passant par l’Aisne. Documents de première main, ses lettres apparaissent comme un reflet de son expérience personnelle de militaire, d’officier et de combattant : « Cette correspondance constitue en quelque sorte, un véritable carnet de campagne, puisque je te confie très détaillées, mes impressions journalières et mille incidents de notre vie », écrit-il à son épouse en mars 1915.
Que retenir de ce volumineux fonds épistolaire ? Avant tout, il faut remarquer que nous avons accès ici au témoignage d’un cadre de l’infanterie, militaire de carrière qui termine la guerre comme officier supérieur. Il permet la comparaison avec d’autres récits, comme celui par exemple du lettré et civil Charles Delvert, officier de réserve devenu commandant pendant le conflit, ou avec les souvenirs d’Alphonse Thuillier, simple soldat de première classe du 94e RI, qui perçoit une guerre davantage « au ras du sol », au cœur de la troupe.
Sur le fond, et en comparant son carnet et sa correspondance du début de la guerre, on peut remarquer que Détrie use beaucoup d’autocensure dans les lettres destinées à sa femme en particulier dans les premières semaines de la guerre, insistant sur l’excellente tenue du moral et l’attitude des hommes. Blessé par éclat d’obus à la fin du mois de septembre 1914, il reprend les tranchées en février 1915 comme chef de bataillon, mais ses textes restent emprunts d’une grande humanité, vis-à-vis de « ses hommes » comme des Allemands, qu’il appellera « Boches » plus tardivement dans la guerre. La guerre, pourvoyeuse de morts et de misères, ne doit pas être abordée avec haine selon l’épistolier. Elle fait partie de la condition humaine, elle est une épreuve que l’homme doit surmonter. Paul Détrie apparaît ainsi comme un humaniste, organisant le monde en catégories bien tranchées. Il déploie un certain paternalisme vis-à-vis de « ses » soldats : « Les hommes ont beaucoup de mérite à faire si bonne figure », écrit-il par exemple le 26 février 1915. En parallèle de son activité, il mène une réflexion appuyée sur le commandement jugé par lui difficile dans la guerre de tranchée qui rend « l’action du chef à peu près nulle ». Sur la justice militaire, se trouvant du côté de l’accusation, il souligne que « le devoir est dur à remplir », mais le Salut de la patrie est en question écrit-il (p. 68). Cette dernière lettre, très nuancée, doit être à lire pour ceux qui s’intéressent ou travaillent sur cette question. De la même manière, il s’oppose aux gradés de l’arrière qui ne connaissent pas le service des premières lignes, et ne distinguent pas assez ceux qui meurt « sur le front » (p. 131, lettre du 5 novembre 1915). Son témoignage sur ce monde des cadres, tout sauf monolithique, mérite d’être lu et analysé.
A côté de ces observations, Paul Détrie évoque longuement des détails sur l’organisation du front et les unités successives qu’il commande, la place des gradés et la sociabilité des « Chefs » qui sont ses camarades. On lit également la transformation du discours en fonction de ses grades successifs. Témoin des grandes offensives de la guerre, il rallie Verdun en février 1916 où son unité est dépêchée en catastrophe. La bataille est dépeinte comme une « fournaise ». Il n’épargne alors aucune description à son épouse : les paysages dévastés, la souffrance endurée, et souligne son « admiration sans bornes pour nos petits soldats » (mars 1916). C’est enfin à travers son témoignage, le turn-over incessant des officiers sous ses ordres, en raison de mutations, de blessures et le plus souvent de décès. Il prend ainsi le commandement du 94e R.I. en septembre 1916 après 30 officiers manquants.
Enfin, Paul Détrie offre matière à étudier le couple en guerre. De ses lettres sourdent en effet le poids de l’absence, la douleur causée par l’éloignement. Il se rassure en sachant sa famille à l’abri, s’enquiert de l’éducation des enfants et s’emploie à faire parvenir aux siens sucre et farine au printemps 1918 quand les restrictions s’amplifient. Il développe des discussions poussées avec sa femme par le biais de cette abondante correspondance pensée comme un puissant lien amoureux (veuvage et «devoirs respectifs » par exemple dans une lettre du 28 juillet 1916 – p. 207). Il partage ses lectures et des réflexions même très militaires avec son épouse. La famille prend ainsi une place décisive à côté du devoir militaire, du service, et de la fierté pour Détrie de commander des unités efficaces (avance maximale en avril 1917 devant Berry-au-Bac). Ainsi se dessine pour l’historien, «l’esprit militaire » qui anime ce cadre supérieur de l’armée baigné de culture militaire, immergé dans la guerre. En date du 11 novembre 1918 et évoquant l’idée de victoire, il écrit : « Nous sommes trop plongés dans l’ambiance habituelle de ces quatre ans de guerre, pour pouvoir dégager complètement des impressions qu’elle comporte. » D’autant que pour le 94e R.I., la guerre se terminera plusieurs mois plus tard après la réoccupation de l’Alsace et le défilé de la Victoire sur les Champs Elysées le 14 juillet 1919.
Bibliographie :
DÉTRIE Paul (général), Lettres du front à sa femme (5 août 1914 – 26 février 1919), Grenoble, Point Com’ Editions, 1995, 583 p.
THUILLIER Alphonse, Un bleuet du 94e R.I., dactylographié relié, UNC Seine-Maritime, 1981, 195 p.
Lafon Alexandre, juin 2012
Petit, Louis (1892-1971)
Voici un fonds très hétéroclite et qui pourrait paraître au premier abord sans grand intérêt : quelques feuillets d’un carnet de guerre (quelques mois de 1915), de quelques lettres et de photographies, que complètent deux ou trois documents officielles. Nombre de familles conservent ces sortes de « traces » réduites de l’expérience de guerre de leurs aïeux. Ici, celle de Louis Joseph Paul Petit. Elles viennent pourtant apporter, toujours ou presque, un éclairage nouveau ou complémentaire sur la pluralité des expériences de guerre.
Originaire de Tunisie et titulaire du baccalauréat, Louis Petit effectue son service militaire dans le Génie en 1913 avant de connaître le front français à partir d’avril 1915, date à laquelle il commence la rédaction de son carnet destiné à sa fiancée et dans lequel il souhaite « au jour le jour » relever « les incidents qui marqueront [sa] campagne » : « J’espère que je n’aurai pas besoin des nombreux feuillets qui composent ce carnet et que bientôt je viendrai moi-même te l’apporter. » Il tient donc un carnet à la faveur de son temps libre et de son inspiration jusqu’au 28 septembre 1915, date à laquelle il est gravement touché par des éclats d’obus lors des combats dans la Marne. Evacué sur un hôpital d’Angoulême, il est définitivement réformé le 30 décembre 1916.
Mobilisé au 8e Génie, Louis Petit est employé au front comme télégraphiste, chargé essentiellement de construire des lignes reliant les PC des divisions et brigades. Il se rapproche en cela de l’expérience du Gaston Lavy, mais qui se trouvait lui intégré dans les compagnies d’infanterie au feu. Louis Petit ne connaît la ligne de front que lorsqu’il choisit de venir l’observer ou lorsqu’il choisit d’apporter le courrier « aux camarades en 1ère ligne ». Comme soldat et moins comme combattant, il croise en arrière des pièces d’artillerie, gendarmes, cavaliers ou marins, plus souvent des territoriaux que des soldats de l’active. Son baptême du feu est d’ailleurs limité à quelques bombardements destinés en avril 1915 à l’artillerie française. Mais ces épisodes ne concernent que des moments limités de son expérience de guerre, toute entière ou presque consacrée à son « métier », son « emploi », à ses « postes » de travail. Louis Petit est un ouvrier du front mais soumis à l’autorité militaire avec laquelle il se débat souvent (il refuse par exemple et s’en plaint à son sergent que certains soldats soient moins soumis aux corvées que lui), spectateur du combat plus qu’acteur, témoin d’épisodes guerriers qu’il vit à distance (emploi des gaz à Ypres en avril 1915 dont il se fait l’écho). Il assiste le 1er juillet 1915 par exemple à l’arrière des lignes avec un groupe importants de soldats à un combat d’avions : « Les plantons du poste s’efforcent de faire circuler les curieux (…) », note-t-il alors. Et d’ajouter à l’issu du duel et après en avoir raconté tous les détails : « Le trophée nous échappe, et on se sépare commentant le spectacle. »
De la Belgique (Poperinge) à la Lorraine (Rosières), Louis Petit témoigne d’une existence qu’il qualifie souvent de « monotone ». Il retient les quelques liens de camaraderie mais très minces qu’il put nouer, mais surtout les tensions nées d’une vie quotidienne passée en commun dans la guerre : autour de la répartition des tâches, autour des permissions qu’il attend avec beaucoup d’impatience à l’été 1915. Pendant son court séjour dans la zone des Armées, il ne semble trouver du réconfort qu’au moment des cérémonies religieuses et lors de la réception du courrier. Quelques plaisirs simples viennent agrémenter le quotidien, comme le bain dans la Meurthe et quelques visites touristiques dans les villes proche de l’arrière front (Nancy), mais à l’ombre des tombes des soldats de 1914, qui incarnent la guerre pour le jeune sapeur télégraphiste devenu caporal en août 1915 qui vit largement, jusqu’à sa blessure, loin de toute tranchée et des uniformes « boches ».
Bibliographie complémentaire : LAVY Gaston, Ma Grande Guerre, récit et dessins, Paris, Larousse, 2008, 318 p.
Alexandre Lafon, juin 2012
Lagasquie, Félix (1866-1941)
Fils de médecin, Félix Laqasquie est né à Marcilhac (Lot) le 23 juillet 1866. Entré à Saint-Cyr, il est devenu officier et a fait un séjour en Algérie. Marié en 1902, il a trois enfants lors de la mobilisation qui le trouve chef de bataillon au 366e RI. Il tient d’abord un carnet sur lequel, le 8 août, il écrit qu’il se sent tout à fait à l’aise dans son commandement de temps de guerre, tellement il a lu, réfléchi et manœuvré. Blessé à la jambe par shrapnel le 25 août, il abandonne le carnet, et son témoignage est désormais entièrement contenu dans les lettres à sa femme et à ses enfants qu’il demande de conserver pour constituer des « archives » de guerre. C’est la raison pour laquelle il n’hésite pas à reproduire, à destination de sa femme, les histoires paillardes racontées par tel autre officier. Il est très souvent critique vis-à-vis des ordres absurdes donnés trop loin des lignes, des Anglais et des troupes hindoues, des travailleurs italiens pris à partie par les poilus, des Chinois peureux, plus tard des Américains peu efficaces. A propos de décorations non méritées : « C’est se moquer du monde. » Certains généraux et officiers trouvent grâce devant lui, mais ni les journalistes, ni surtout les parlementaires qui essaient « de limiter la puissance répressive des Conseils de guerre » et qui sont les vrais responsables des difficultés à Verdun. Ayant tenu garnison en cette ville, il décrit les destructions subies en 1916 et 1917.
La partie la plus originale concerne la période d’octobre 1915 à octobre 1916, quand il est commandant du camp de Châlons avec le grade de lieutenant-colonel. Il doit y accueillir les troupes russes et les préserver de tout ce qui se boit, en particulier l’eau de Cologne. Leur général, Lokhwitzky, « est un homme d’une rare distinction, de haute intelligence et tout à fait charmant. Si les Russes en ont beaucoup comme lui, mais j’en doute, les Allemands sont fichus, aujourd’hui ou demain, quand ils auront du matériel de guerre. » Commander le camp donne beaucoup de pouvoir, y compris celui d’ouvrir une maison publique, mais on est loin de la gloire et de l’avancement. Il revient alors dans une unité du front où il regrette son ancien confort, mais il y a « le soldat Bauger, qui nous sert à table » et les parties de bridge avec les officiers. En décembre 1916, il adresse à ses enfants, dans un style « paternel » dédramatisé, une description du système des tranchées, et se félicite d’avoir eu les honneurs du communiqué pour un coup de main réussi. Plus tard, en avril 1918, il raconte sa visite à la tombe du baron von Richthoffen, fleurie par les aviateurs britanniques. Enfin, il incite ses enfants à garder pour toujours le souvenir du 11 novembre, fin de « la plus grande et de la plus meurtrière Guerre du Monde ».
RC
*« La guerre sans gloire », transcription du témoignage de Félix Lagasquie par ses petits-enfants, exemplaire déposé aux Archives du Lot.
Péteul, Pierre (1895-1990)
Il est né à Bourg d’Iré (Maine-et-Loire), dans une famille de meuniers « blancs », tandis que cet autre meunier angevin, Pierre Roullet, était « bleu » (voir notice). Pour devenir capucin, il étudie en Belgique. Revenu en France pour la guerre, il passe dans divers régiments de l’Ouest et fait campagne comme brancardier et infirmier au 44e RI, d’octobre 1915 à septembre 1917 lorsqu’il est sérieusement blessé à la cuisse. Son témoignage comprend 52 lettres conservées aux Archives des Capucins à Paris et un récit postérieur publié par Les Amis de Saint- François en 1970. Il décrit les souffrances des combattants, la désorganisation lors de l’offensive allemande de février 1916 sur Verdun, et il comprend que, devant ces horreurs, on peut se demander : « Comment Dieu permet-il cela ? » Il décrit aussi une trêve tacite : les Allemands étant obligés de lancer des grenades lorsque leurs officiers sont présents, ils avertissent les Français en leur jetant d’abord des pierres, ce qui permet à ceux-ci de se mettre à l’abri. En 1919, il devient sergent, puis aspirant au Maroc. Lors de la Seconde Guerre mondiale, il participe au sauvetage de juifs et, plus tard, il reçoit le titre de « Juste ».
RC
*Gérard Cholvy, Marie-Benoît de Bourg d’Iré (1895-1990). Un fils de Saint-François « Juste des nations », Cerf, 2010.
Hitler, Adolf (1889-1945)
Les éditions Perrin viennent de publier la traduction française (par Michel Bessières) du livre de Thomas Weber, La Première Guerre d’Hitler (518 p., illust.), qui revisite le « témoignage » d’Adolf Hitler sur sa participation à la Première Guerre mondiale et le rôle fondateur qu’elle aurait eu dans l’élaboration du nazisme. Le texte de Mein Kampf a été construit en fonction des idées d’Hitler en 1923-24 et de l’utilité politique de se présenter comme combattant des tranchées, forgé par son expérience de guerre et la camaraderie du front au sein de son régiment. Cette version a été ensuite relayée par la propagande nazie, par les « témoins » choisis pour défendre la version Hitler dans des procès contre ceux qui tentaient d’apporter des informations divergentes. Après la prise du pouvoir, les nazis firent disparaître des témoignages et des témoins gênants et exagérèrent encore la légende des états de service exceptionnels et des risques affrontés par le futur Führer. Un article du Völkischer Beobachter du 14 août 1934, par exemple, consacré au « soldat de première ligne Hitler », exalte la camaraderie des tranchées qui a « engendré l’aspiration à un socialisme allemand » et affirme que « le sang et la mort sacrificielle de nos camarades sont apparus comme la preuve de la sainteté de nos convictions ». Sans aller jusqu’à ces outrances, les historiens ont accepté l’idée que l’expérience de guerre dans le régiment List avait engendré Hitler. Thomas Weber, professeur à l’université d’Aberdeen, prouve dans son livre que ce n’est ni la guerre de 14-18, ni la camaraderie au sein du régiment qui ont produit Hitler. L’auteur n’hésite pas à critiquer certains historiens du nazisme bien « établis ». Plus largement, il récuse les théories culturalistes sur la brutalisation, privilégiant toujours les explications par le concret. Ce qui le lui permet, c’est l’énorme travail de recherche documentaire accompli dans de multiples dépôts d’archives, en particulier en Bavière, mais encore aux Etats-Unis et aux Archives départementales du Nord, tandis que de nombreux fonds privés lui ont également été ouverts. Thomas Weber peut conclure (p. 428) : « Une fois assemblées, élément après élément, toutes les données subsistantes, a émergé une image nette : celle d’un homme [Hitler] tenu à distance par la grande majorité des soldats de première ligne et considéré par eux comme un « cochon de l’arrière », celle d’un personnage encore plongé dans la confusion idéologique, en 1918, au moment où la guerre s’achevait. Le régiment List figuré comme un groupe solidaire dont Hitler aurait été le héros est une œuvre de la propagande nazie et n’a aucun fondement. La Première Guerre mondiale n’a pas « fait » Hitler.[…] Le constat vaut aussi pour les hommes de son régiment. Dans leur majorité, ils n’ont pas suivi la pente d’une brutalisation et d’une radicalisation politique. De retour dans leur ville, leur village, leur hameau, ils ont renoué avec les attaches politiques et la vision du monde qui étaient les leurs avant la guerre. »
Certes, Hitler est resté dans un régiment du front d’août 1914 à novembre 1918, en tenant compte, évidemment, des périodes de permissions, de soins, de stage. Mais, lors du baptême du feu du régiment List, lorsque celui-ci connaît de lourdes pertes, Hitler sert dans une compagnie peu éprouvée. Dès le 9 novembre 1914, il devient estafette de régiment, vivant à proximité du QG, en arrière, et chargé de porter des messages aux commandants de bataillons sans avoir à se rendre en première ligne. « La réalité de la vie dans les tranchées comme la camaraderie du front lui étaient étrangères », écrit Thomas Weber. Plus tard, le régiment échappe à Verdun et Hitler lui-même aux journées les plus dures de la Somme puisque, le 5 octobre 1916, il est blessé à la cuisse par l’éclat d’un obus qui est tombé sur l’abri des estafettes : ce n’est ni une blessure au visage, ni dans un abri de première ligne. Au tournant de la guerre en 1918, il se trouve en stage du 21 août au 27 septembre, puis il est atteint par les gaz, le 14 octobre, ce qui justifie son évacuation. Mais, des témoignages et des rapports médicaux, Thomas Weber conclut à une cécité psychosomatique. Hitler avait craqué et fut soigné pour symptômes hystériques.
Le soldat de première classe Hitler (car « Gefreiter » ne peut se traduire par « caporal ») n’exerça pas le moindre commandement. Refusant toute promotion qui aurait pu le rapprocher des tranchées, il « tenait à ne pas quitter la relative sécurité que lui procurait son affectation au quartier général ». Celui-ci constituait également pour lui « une famille de substitution ». L’attribution de la croix de fer de 2e classe reflétait les relations entretenues avec les officiers du QG devant lesquels, d’après les témoins fiables, Hitler se montrait d’une déférence ostensible. Plus rare pour un soldat du rang, la croix de fer de première classe reflétait « moins son courage que sa situation particulière et la longévité de son service au quartier général du régiment ». Il est utile de remarquer que l’intervention décisive pour la lui faire obtenir fut celle d’un officier juif, ce qui laisse entendre qu’Hitler ne se répandait pas alors en propos antisémites, et qui permet de comprendre que l’auteur de Mein Kampf ne se soit pas étendu sur ce fait. La guerre finie, Hitler chercha à rester dans la « famille » du QG, mais elle se dispersa et il en découvrit une nouvelle, le Parti ouvrier allemand, auquel il adhéra le 12 septembre 1919 avant d’en changer le nom en NSDAP.
Mais que fit Hitler entre l’armistice et cette adhésion ? Ses idées étaient encore loin d’être fixées ; « sa réflexion, encore confuse, s’appuyait sur des éléments hétérogènes susceptibles de se combiner de différentes manières ». Dans ce parcours incohérent, il y eut même une proximité avec la république des Conseils de Munich, ce que le chef nazi occulta dans Mein Kampf et dont il essaya de faire disparaître toute trace. Thomas Weber remarque : « Au sein du Parti ouvrier allemand, Hitler trouva un nouveau foyer » et : « A l’évidence, la stratégie de survie la plus payante pour quiconque avait été lié à la république des Conseils consistait à s’afficher aux côtés de ses opposants les plus déterminés. »
Les archives bavaroises et les récits des témoins fiables montrent le vrai régiment de List très différent de sa représentation par Hitler et les nazis. D’abord il ne s’agit pas d’un régiment de volontaires ; ceux-ci ne furent qu’une minorité. Ensuite, le régiment était mal considéré, mal équipé, mal entraîné. Un aumônier remarquait dès décembre 1914 que « tout le monde » souhaitait la paix. Le refuge dans la religion, important au début, évolua : d’une part, on ne comprenait pas que Dieu ait voulu ces horreurs ; d’autre part on ne supportait pas que les aumôniers fassent de la propagande patriotique. En période chaude, les automutilations, les refus d’obéissance et même les désertions se multipliaient, ces dernières ayant la complicité des autres soldats. Vis à vis de l’ennemi, principalement britannique, alternaient les actes de brutalité et de générosité. Le régiment de List participa à la trêve de Noël 1914 ; il pratiqua, lorsque c’était possible, le « vivre et laisser vivre ». Si la trêve de Noël 1915 eut moins d’ampleur, ce n’est pas du fait d’une hypothétique brutalisation des combattants, d’une diabolisation de l’ennemi, c’est que les hiérarchies, des deux côtés, avaient tout fait pour l’empêcher. Avec les populations occupées, les relations étaient complexes [comme l’ont montré de nombreux témoignages, côté français]. Certes, il y eut des viols. Mais il n’est pas nécessaire de théoriser sur la volonté d’humilier les femmes ennemies : « Tel qu’il a existé, le phénomène ne reflète pas une brutalisation des conduites, spécifique à la Grande Guerre. Le viol est, hélas, un crime récurrent dans le cadre d’un conflit. » A l’intérieur du régiment bavarois, même si l’égoïsme l’emportait souvent sur la camaraderie , il n’y avait pas d’hostilité entre communautés religieuses, catholiques, protestants, juifs. Il y avait plutôt des sentiments antiprussiens qu’Hitler ne pouvait pas connaître puisqu’il ne fréquentait guère les premières lignes. Enfin, après 1918, la grande majorité des hommes du régiment d’Hitler n’eurent pas d’engagements extrémistes. Comme l’avait montré Benjamin Ziemann , ils aspiraient à la paix et à vivre tranquillement de leur travail dans leur famille. Peu d’entre eux adhérèrent au parti nazi. Non, le régiment de List n’a pas été le creuset de l’hitlérisme.
Plus largement, le livre de Thomas Weber montre que l’histoire de l’Allemagne ne la prédestinait pas à la victoire du nazisme et que la brutalité spécifique au temps de guerre n’a pas été transférée sur le plan intérieur. On ne rappellera jamais assez que le parti nazi avait moins de 3 % des voix aux élections de 1928, et que la république de Weimar a été emportée par la crise de 1929.
Rémy Cazals
Monti, Olivier (1894-1964)
D’une famille corse, Olivier Charles André Monti est né à Paris le 26 décembre 1894. Mobilisé avec sa classe, il tient un journal de guerre sous la forme de six carnets de petit format, qu’il a réunis dans un étui en cuir. Ses enfants les ont retrouvés et retranscrits en rencontrant des problèmes qu’ils n’ont pas toujours surmontés : taupe pour Taube, Knipp pour Krupp, par exemple. Les notes d’Olivier Monti sont parfois laconiques, ainsi en décembre 1917 et janvier 1918 où l’information quotidienne est presque limitée à l’expression : « Il gèle. » La dernière page montre sa fierté d’avoir été assidu : « Beaucoup de mes camarades l’avaient commencé mais presque tous n’ont pu le continuer. » Deux phrases en latin témoignent d’une certaine culture que les transcripteurs ne précisent pas, pas plus que sa profession.
Olivier Monti est mobilisé en septembre 1914. Il arrive sur le front en Champagne et découvre les tranchées le 25 février 1915, avec la pluie, la boue, le quart de jus froid destiné à « réchauffer » les guetteurs. Malade, il est évacué en avril et ne revient sur le front qu’en octobre. En avril 1916, il est agent de liaison. Il connaît les durs moments de Verdun en juillet : lors de la relève, il ne reste que « 21 sur 99 que nous sommes montés ». En avril 1917, il participe aux attaques sur le Mont Téton près de Reims. Le 11 mai, apprenant que son régiment va être dissout (le 207e RI ?), il remarque : « Je voudrais être à la place du drapeau. » Il est affecté à une compagnie de mitrailleuses du 20e RI. Le 28 août, il fait sa demande pour l’aviation et il est accepté en janvier 1918. Il passe alors des examens de santé, il apprend à piloter, fait des essais et accomplit son premier vol en solo le 5 mai. Le 9 mai, en atterrissant, il « casse deux zincs », le sien et un autre qu’il vient emboutir. Cela lui vaut d’être renvoyé au 20eRI, mais en passant par des périodes confuses de fausses permissions et de peines de prison. Notons que les Parisiens étaient avantagés par la proximité de leur domicile des lignes. Notons aussi que la prison peut présenter quelques avantages : « Nous sommes très bien couchés, mieux qu’à la compagnie, de la paille bien propre, mais assez de mouches. Le grand avantage c’est que le matin on fait la grasse matinée tandis que dans les Cies ils vont à l’exercice. Rien à faire, pas de corvées. On nous porte à manger en quantité et l’on touche notre vin. C’est épatant. On fume, on boit et l’on chante. »
Fin août 1918, Olivier Monti décrit le passage de l’Ailette. Le 27 octobre, il note que les avions allemands lâchent peu de bombes et des proclamations contre la continuation de la guerre. Le 30, il s’agit d’une attaque de tanks vers Guise, et Monti bivouaque dans l’usine Godin. Le 7 novembre, il signale le passage des parlementaires allemands, puis l’armistice qui déclenche une joie « générale mais non bruyante ». Suit une période de discipline relâchée, « de cafard et de soûlographie ». En juillet 1919, à Paris, il fait son possible « pour ne pas être désigné pour défiler le 14 courant » et il réussit. Démobilisé le 11 septembre 1919, il note : « Voilà, c’est fini, je suis civil. »
Au cours de ces années de militaire, Olivier Monti a eu l’occasion de signaler plusieurs cas d’officiers pris de boisson, d’autres incapables de lire une carte. La grande originalité de ses carnets est de décrire aussi ses activités en permission à Paris, ses virées avec les copains (autres permissionnaires ? affectés spéciaux ? on ne sait) et les nuits passées avec telle ou telle jeune femme. Sa fille commentait ainsi le témoignage : « Que de tristesse, d’épuisement, le désespoir n’étant jamais exprimé. Au contraire ressurgit la possibilité d’apprécier la moindre bouteille de vin, une nuit passée auprès d’une gentille fille, un match de foot ou quelques notes de musique. »
RC
Payen, Maurice (1885-1964)
1. Le témoin
Né à Méricourt-Corons (Pas-de-Calais) en 1885 dans une famille de mineurs. Assiste à onze ans aux événements qui accompagnent la catastrophe de Courrières (10 mars 1906, 1099 morts). A treize ans, il est galibot puis chargeur, et à dix-sept à la veine. Il fuit l’arrivée des Allemands dans la région de Lens en octobre 1914 et est incorporé (classe 15) au 127e régiment d’infanterie (Guéret) en décembre 1914. Entraîné au camp de la Courtine (Creuse), il monte au front avec le 409e RI en avril 1915 et occupe des secteurs calmes dans l’Oise. Malade, il est hospitalisé à Montdidier en décembre 1915. Première permission et retour (janvier 1916). Prêté au 2e Génie (mineur volontaire) pour la guerre de mines dans la Somme. Départ pour Verdun et montée en ligne le 28 février 1916, relève le 9 mars. Repos dans l’Oise puis réserve dans l’Aisne, puis secteur Berry-au-bac. De fin août à octobre 1916 dans la Somme (Soyécourt /Ablaincourt) avec attaques. Compagnie hors-rang pour des travaux de pionnier jusqu’en juin 1917. Volontaire pour l’Armée d’Orient, versé au 2e puis 4e Régiment de zouaves. Grèce – Serbie – Bulgarie d’août 1917 à mars 1919. Démobilisé en août 1919.
2. Le témoignage
Maurice Payen, Mille-feuille, carnets inédits d’un poilu du Nord, Bouvignies, les Editions du Nord Avril, 2007.
Le texte est un récit de vie (« Mille-feuille de souvenirs ») depuis sa naissance jusqu’à son expérience de la Grande Guerre. Constitué de carnets racontant le quotidien et les événements marquants de sa guerre, l’ensemble est publié par son petit-fils Bernard Léonard-Payen ; il contient des carnets manuscrits, rédigés avec soin, illustrés de croquis et des lettres envoyées du front. Le récit se termine en 1920.
La rédaction des carnets, postérieure au conflit, est précise sur les lieux et les dates. Le récit se compose de scènes classiques (tranchée, bombardement, relève, repos…), mais aussi d’éléments plus rares dans les témoignages courants, avec par exemple l’évocation de vols, d’Allemands achevés ou de la sexualité des infirmières de l’hôpital militaire de Gumendzé (Macédoine grecque) ; ainsi ce récit parfois picaresque pose la question de la réécriture : la narration des faits dans le texte définitif diverge parfois de ce qui est donné dans les lettres à la famille, envoyées immédiatement après ces événements. Outre la véracité de certains faits (exagération ? enjolivement?), le texte, non publié du vivant de l’auteur, est parfois d’une tonalité qui nous mène plus vers J. N. Cru (traquer les tartarinades) que par exemple vers l’auto-minoration de la violence du témoin. Si d’un autre côté le récit est tenu pour vrai, il est tout aussi intéressant.
Le témoignage est aussi utile car il évoque le destin d’un homme jeune (« ses ennemis lui avaient saboté sa jeunesse » [introduction]) avec la mentalité et la culture ouvrière qui est la sienne : il nous montre un soldat qui a passé presque 5 ans sous les drapeaux, qui a fait la guerre des mines, Verdun et la Somme, vu une mutinerie en 1917 et eu une expérience du front d’Orient, lui le mineur qui n’avait jamais voyagé.
3. Analyse
Maurice Payen est un jeune homme (classe 1915) mais son expérience de mineur de fond, métier commencé à treize ans, en fait un soldat débrouillard. Courageux mais turbulent, blessé, il est cité mais aussi puni de prison (« notre lieutenant de compagnie ne me gobait pas parce que j’étais rouspéteur » p. 185), c’est le témoignage d’un soldat du genre « loustic », très attaché à sa famille et aux camarades de la région de Lens qu’il se fait pendant le conflit.
M. Payen déteste les Allemands (« cette bande d’assassins » p. 80, « ces sales boches » p. 78) et ne semble pas politisé : p. 151 « un jour de la fin avril en 1917, nous fûmes appelés pour réprimer un début de révolte que les 107e et 172e RI avaient fomentée. C’était, disait-on, une répercussion de la révolution russe. Il n’y a eu aucun coup de feu et tout rentra dans le calme après plusieurs heures de pourparlers. »
Payen évoque des tensions graves avec les mineurs étrangers ressortissants de l’Alliance du bassin de Lens lors de la déclaration de guerre (fin juillet-début août 1914)
p. 42 « À Méricourt – Corons, les joyeuses agitations des étrangers devinrent inquiétantes. Ils nous provoquaient en se promenant dans nos rues, en chantant avec des accordéons. Notre indignation fut prompte et une décision rapide fut prise. (…) Le 2 août, tous les hommes valides se formaient par groupes et une battue monstre était organisée pour arrêter tous les étrangers. La chasse à l’homme commençait. Tous les étrangers étaient arrêtés chez eux ou dans les rues, mis en lieu sûr, puis incarcérés à Saint-Etienne. Deux Autrichiens récalcitrants, armés de haches, étaient attrapés à la fosse 3, au moment où ils voulaient couper les câbles de chanvre des cages de la fosse. L’un d’eux fut tué à coups de pavés en grès sur la tête, sous les yeux de sa femme et de ses enfants. L’autre était très malmené et recevait bon nombre de coups. »
Agé de 19 ans, Payen est réfugié en octobre 1914 à Saint-Valéry-sur-Somme, il est convoqué (classe 15) et évoque le conseil de révision en temps de guerre – novembre 1914. Pour ces jeunes gens, l’ambiance fait encore penser au temps de paix
p. 49 « Quel triste conseil, pour nous, qu’aucun parent n’accompagnait. J’avais eu un bien gros cœur de voir les jeunes gens du pays s’amuser, chanter et danser en compagnie des leurs. J’étais reconnu « bon » pour le service armé, ainsi que mes compagnons d’infortune, sauf Ch. Landas qui était ajourné et qui pleurait de mécontentement de ne pouvoir nous suivre dans les pérégrinations qui nous attendaient. »
Au front (Oise 1915), les relations avec les Allemands sont parfois verbales (et hostiles)
p. 59 « On entend une vive fusillade qui semble durer très longtemps, entre les « boches » et les Français. Lorsque la fusillade s’arrête, on saisit des cris de part et d’autre. C’était des injures que chaque camp s’envoyait. » ou
p. 80 « Un soir, vers cinq heures, les boches se sont mis à crier et toutes les voix faisaient un vacarme épouvantable. On nous alerte… Et nous voici tous à nos postes de combat. Nous écoutons… Quelques boches nous insultent en langue française. Certains disent les pires bêtises. Nous sommes obligés de croire qu’ils savent qu’ils ont en face d’eux un régiment de « gars du Nord », puisque toutes leurs sottises ne s’adressent qu’à ceux de chez nous. Nos chefs nous défendent de répondre, mais c’en est trop. Nous les insultons par les mots les plus grossiers que nous trouvons afin de blesser leur amour propre. »
Les relations avec les civils peuvent être mauvaises (novembre 1915, Ressons-sur-Matz)
p. 82 « Ce village n’est pas hospitalier. Les gens ne sont guère aimables envers nous. Avant que nous arrivions, les cordes des puits avaient été enlevées par les habitants pour nous empêcher de boire.
Et
p. 83 « Je demande un jour, d’une façon aimable, à une femme qui est sur le seuil de sa porte, si elle veut me donner un chou pour faire de la soupe !? Elle me répond qu’elle aimerait mieux donner ses choux aux boches plutôt que de m’en vendre un… Que nous sommes une bande de brigands…et bien d’autres ! J’ignore pourquoi… Et je l’ignore encore. Mais ce qu’il y a de certain, c’est que le lendemain, la bonne femme n’avait plus de choux dans son jardin…Oh ! Quelle trombine, elle faisait ! »
Evocation de l’hygiène corporelle
p. 86 le soldat Hérault est dénoncé avec une tunique sur laquelle « il y avait plus d’un millier de poux, à l’envers comme à l’endroit ». Sa tunique est brûlée et il est conduit aux bains douche à l’infirmerie. « Il gelait et la neige tombait. Hérault revenait alors au cantonnement habillé à neuf. Personne ne voulait le laisser entrer: – Va camper tout seul et ailleurs qu’avec nous ! lui disait-on. Il n’avait le droit d’entrer que pour manger la soupe près de la porte. Quinze jours après, il était encore plein de poux.
On l’appelait « le pouïeu » (pouilleux). Il se laissait aller et ne se nettoyait pas assez. »
Chapardage cruel – au cantonnement – des comportements de « garnements » ?
p. 107 « Un matin, mon camarade Gheyssens venait m’aviser qu’il avait attrapé le chat du curé et qu’il allait le tuer pour améliorer notre ordinaire. J’assistais en spectateur à cette mise à mort qui avait lieu sous un hangar. » le chat est pendu, « gigote en se baladant dans tous les sens », est achevé à la pelle-bêche mais la corde casse « le chat, blessé à mort, fit des bonds formidables et dans toutes les directions… tant que tous, nous nous sauvâmes. » le chat est enfin mort « Je m’en suis bien régalé et, en temps de crise, j’assure que le chat remplace avantageusement le lapin. Même s’il ne se tue pas de la même façon. »
Guerre de mine, Payen est « prêté » comme mineur volontaire aux travaux de sape
p. 107 extrait d’une lettre à ses parents 24 janvier 1916 « C’était les boches qui avaient fait « buquer » une mine contre nous. (…) Nous savions qu’ils allaient faire sauter à cet endroit, alors personne n’y travaillait. Nous avions bourré la voie avec des sacs de terre, de sorte que la mine, au lieu d’esquinter notre galerie, elle en fit un canon et en abîma la leur. Il faut leur faire voir que les mineurs du Nord et du Pas-de-Calais sont aussi malins que les mineurs de Westphalie. Votre fils Maurice. »
comportement lorsque les Allemands font sauter la mine
p. 108 « Dans notre affolement, on culbutait les vieux « pères » territoriaux, et on passait dessus pour nous sauver plus vite. Ils avaient leurs raisons de nous appeler « sauvages ». Il fallait de bonnes jambes pour s’éloigner d’un lieu d’asphyxie, exposé généralement à sauter d’une seconde à l’autre. Mais malheureusement, les territoriaux y mettaient une lenteur qui ne nous plaisait guère. »
conditions de travail des sapeurs-mineurs
p. 108 « Le lendemain, je vais travailler au chantier pour réfectionner les fronts de la galerie éboulée. Au bout de cinq minutes, on remonte Lecomte à moitié asphyxié… Cinq minutes après, c’est mon tour d’être tiré par une corde attachée à la ceinture et ainsi de suite… A tour de rôle ! Et sitôt revenus à nos sens, on recommence.»
Verdun
Le récit montre les traces du tout début de la bataille
p. 117 « Nous arrivons enfin dans le village (Vaux 28 février). Il était encore habité civilement lorsque l’offensive allemande se déclencha. Aussi, certains civils avaient trouvé la mort chez eux. Au lendemain de notre arrivée, j’ai vu, allongée au milieu de la route, une femme tuée en face d’une épicerie, près d’un trou d’obus de gros calibre qui devait être l’effet d’un 380 ou 420. J’ai vu également une grand-mère, morte dans son fauteuil auprès de la cheminée. C’est dire que les habitants avaient été surpris par l’attaque brusque et déclenchée avec violence par les Allemands.
Une anecdote qui suscite la perplexité, mais qui a pleinement sa place dans l’univers narratif du poilu de Verdun (cf tranchée des baïonnettes)
p. 122 Tout à coup, un 420 éclate plus près ; je l’avais entendu venir et j’étais rentré dans la redoute. Au moment où je ressortais pour voir où il avait éclaté, un soldat arrive du ciel… mort… Il tombe à mes pieds… Un culot d’obus d’un diamètre de zéro mètre quarante-deux vient doucement rouler sur la plate bande pour s’arrêter à la porte.
Ce soldat… mort était du 233e Régiment d’infanterie. Il avait un habillement de temps de paix : képi rouge et pantalon rouge, capote bleue. Il n’était aucunement défiguré et avait même encore les joues rouges. Cette chose nous fut incompréhensible !
Notre capitaine nous expliqua que ce soldat, sans doute garde-voie… territorial, avait dû être enterré depuis le début de l’offensive. Admirablement conservé, il fut projeté par l’obus de 420. Il nous donna l’ordre d’aller le mettre en terre.
Payen réussit à échapper à la mort ou la captivité- Lettre à ses parents, 15 mars 1916
p. 132 « Enfin, ne vous troublez plus pour moi. Je suis rescapé de la bataille de Verdun. Pour la première fois que le 409e va aux attaques, il est bien reçu par les boches. De ma compagnie, nous restons à 117 sur 250. »
La Somme
montée en ligne fin août 1916 à Soyécourt facétie macabre dans les ruines du village, montrant un humour particulier, mais ne pourrait-on pas le transposer dans la guerre du Pacifique (P. Fussel) ou au Vietnam, voire en Afghanistan ?
p. 139 « Nous avons creusé une tranchée dans ces ruines, l’occasion de retrouver le cadavre d’un boche en décomposition ; après lui avoir décapité la tête avec une pelle bêche, je l’empalais sur un pieu et, muni d’une tenaille, je lui arrachais les dents pour me faire une renommée de dentiste amateur, au grand amusement général de mes camarades. »
Offensive du 10 septembre 1916 Ablaincourt, le 409e attaque après deux jours de préparation, le succès se traduit par une avancée de plus d’un kilomètre.
p.141 « Les poilus courent vers les tranchées ennemies. Je saute dans l’une d’elle. Là je trouve deux Allemands assis, fumant une cigarette et qui aussitôt me font : « – Camarade!» Je les fais monter sur le parapet de la tranchée. Lorsqu’ils y sont, je fais feu. Ils tombent tous les deux. Nous avons reçu l’ordre de ne pas faire de prisonniers.
Je me rends compte quelque temps après que seulement l’un d’eux a été tué. Le second fait le mort. Je le fais déguerpir vers l’arrière où il est zigouillé par un adjudant, d’un coup de révolver à la gorge. Un peu plus loin dans la tranchée, je trouve deux boches ensevelis jusqu’à la poitrine, à l’entrée d’un abri éboulé. Une balle, tirée à bout portant dans la poitrine, les libère de la vie. »
L’édition de « Mille-Feuille » propose aussi ensuite la reproduction d’une lettre de Payen à ses parents (datée du 13 octobre) qui narre les mêmes événements (orthographe d’origine conservée)
p. 143 « Mes Chers Parents, (…) début de l’attaque (…) Ceux qui accourent vers moi en levant les bras, malheureusement pour eux, nous ne faisons pas de prisonniers. On les tue à bout portant. Arrivés dans les tranchées allemandes, à coup de fusils, nous tuons les occupants qui criaient « -Kamérat !! » Et à coup de grenades, nous nettoyons les abris qui sont maintenant encombrés de cadavres Bôches ! Suivis de deux copains, je cours dans la tranchée. Je trouve deux bôches assis et fumant une cigarette. D’un coup de fusil, j’en tue un. Et un de mes copains, tue l’autre.
Nous continuons notre course, nous voyons deux bôches à moitié ensevelis ; nous approchons. Ils nous tendent les mains pour les tirer de là, mais deux balles bien placées les firent rester sur place.
Nous étions fou, par l’alcool que nous avions bu, et par l’odeur de la poudre. »
La lettre aux parents est un témoignage bien antérieur à la rédaction définitive des carnets ; Les courriers, d’ordinaire, sont volontiers elliptiques pour ne pas inquiéter les proches. Ce type de récit est d’autre part interdit par la censure. La lettre montre que le récit se reconstitue avec ce courrier qui viendrait aider la mémoire pour la rédaction ; des changements apparaissent : le copain qui tue l’un des « bôches » fumant une cigarette, devient un adjudant, avec un revolver. La question de la véracité est également posée, avec l’authenticité de : « nous ne faisons pas de prisonniers » qui devient « nous avons reçu l’ordre de ne pas faire de prisonniers » : cette ordre a-t-il existé ?
Une autre aventure, dotée de deux versions, alimente cette problématique
p. 147 lendemain « Soudain, à vingt mètres en avant de moi, je vois un boche, puis deux, trois, quatre… cinq, montés sur la tranchée : « – Camarades ! » font-ils, les bras levés en l’air. Mon fusil en mains, je monte sur le parapet de la tranchée et leur fais signe de venir. Les boches se décident, d’abord lentement. J’avance également. Mais bientôt, ils sont douze à courir vers moi. Je les arrête pour les rassembler et les fais descendre dans notre tranchée. Après les avoir fouillés, je les conduis au poste du colonel en évitant les tranchées toujours bombardées, à découvert et au pas de gymnastique. En cours de route, quatre d’entre eux sont chargés de porter une toile de tente dans laquelle est enroulée un des leurs couvert d’éclats d’obus. Sa figure est criblée de shrapnells, ses yeux crevés. Tous ses membres sont atteints.
Certes, c’est une lourde charge. Les artilleurs boches nous envoient une rafale d’obus. Soudain, mes prisonniers délaissent leur fardeau pour se sauver. J’arrête la troupe et tous se couchent en entendant le sifflement d’un gros obus qui semble venir vers nous. Seul, debout, je nargue les artilleurs boches en leur montrant le poing et en les insultant – comme s’ils me voyaient et m’entendaient ! – et le gros noir explose à dix mètres en avant de moi. Je n’eus absolument rien.
Heureusement, les boches n’ont pas continué à tirer. J’ai achevé sur place le moribond qui fut délivré de ses souffrances par une balle dans la tempe. Ensuite, j’arrivai au P.C. du colonel, où je me fis engueuler parce que je ramenais douze prisonniers !
Le Colonel me demanda ce qu’il allait faire de cette capture ? Qu’il allait les occuper comme brancardiers pour ramasser les blessés français. Et si besoin était, leur flanquer une balle dans le dos. »
En reprenant la fin du courrier évoqué plus haut, on trouve, pour le même fait :
p. 144 « Le soir, ma rage était apaisée. Six bôches se rendaient à moi. Je les ai recueillis avec un copain et les ai emmenés en arrière, chez le colonel. »
Les Allemands sont passés de six à douze, ils laissent achever leur blessé sous leur yeux, et Payen dispose d’une grande autonomie, sans passer par des gradés : pas de sergent, pas d’officier, pas de P.C. de bataillon… » ; ici on témoignera simplement d’une certaine perplexité dans un récit qui fait plus penser à Gaspard qu’au Feu.
En juin 1917, Payen se porte volontaire pour l’Armée d’Orient. Versé au 2e Régiment de Zouaves, le trajet de Lyon jusqu’aux tranchées en Serbie (rive gauche du lac Doiran) dure du 30 juillet au 19 septembre 1917.
Payen est occupé à faire des travaux dans un camp retranché, et son récit parle peu des ennemis ; il travaille, accueille dans son abri un « Bat’ d’Aff » condamné à dix ans de « Biribi », en liberté provisoire pour la durée de la guerre :
p. 174 « En bon camarade, il ne me lâcha plus. Ses compagnons d’infortune (le même convoi qui vient des bagnes d’Afrique) m’ont félicité du beau geste que j’avais eu envers lui. Ils me protègeraient contre les violences de n’importe qui. »
Il remonte en ligne en mars 1918 sur le Vardar. Les préoccupations tournent autour du moral fluctuant, des conditions matérielles, des nouvelles de la famille et de sa fiancée..
p . 183 « le 27 avril 1918. Relevés et mis en réserve du Bataillon, au ravin de l’aéroplane. Cantonnés dans un abri souterrain, individuel. Là, j’ai fait ma provision d’un litre de gnôle d’avance. Nous touchions journellement une bonne ration de cette gnôle, tous les matins. Et plusieurs copains me la donnaient. »
Légèrement blessé le 14 juin 1918 face aux Bulgares et évacué à l’Ambulance transformée en hôpital temporaire, à Gumendzé. Fin juin, il quitte l’hôpital pour servir en ville, comme ordonnance des infirmières.
p. 189 Lettre Mes chers Parents, Ma santé est excellente, mes blessures sont presque guéries. Hier, l’infirmière major, une dame de la croix Rouge, m’a fait appeler et m’a demandé si je voulais faire l’ordonnance des dames de l’hôpital. Alors, naturellement, j’ai accepté avec beaucoup de politesse ; (…) Il n’y a qu’à arranger leurs chambres, faire la vaisselle et leur servir à manger à table. Et nous serions deux pour faire ce petit boulot. Elle m’a aussi dit que je pourrai rester trois mois, six mois, même plus. Si seulement je pouvais choper ce filon ! C’est bien mon tour de pouvoir être embusqué à l’arrière. »
Il reçoit l’autorisation du médecin major et s’occupe alors en ville des neuf chambres des infirmières: il apprécie cette situation protégée. « Le temps se passait mieux qu’aux tranchées » Il évoque aussi de façon particulière ce monde féminin :
p. 190 « Comme consigne, on m’avait dit : Vous êtes aveugle et sourd. J’avais compris. Et puisque je n’ai pas le droit de vous raconter quelque chose, sachez seulement que pour des femmes honorables, elles étaient tombées bien bas ! Mademoiselle Matignon était une ancienne fille soumise d’une maison de tolérance de Marseille. Mademoiselle Delaporte également car elle sortait d’une boîte de Boulogne-sur-Mer. Elles partaient souvent en auto, en compagnie d’officiers. On les ramenait le matin vers les quatre heures : c’est moi qui leur ouvrais ! Curieusement, il évoque plus loin une autre infirmière d’un tout autre milieu, et on peut supposer que la proximité avec d’anciennes prostituées ne va pas de soi :
p . 190 « Parmi les infirmières, il y avait Madame Giraud. Son mari était commandant à l’Etat Major. Son fils était lieutenant aviateur et venait journellement survoler l’hôpital de Gumendzé-ville. » Payen réévoque une des infirmières citées, lorsqu’un copain lui demande « (p . 195) comment il ferait bien pour avoir le plaisir de parler à une infirmière qui lui plaisait beaucoup. – Qui ? lui demandais-je. – mademoiselle Matignon ! C’est alors que je l’informais sur ce qu’était réellement la demoiselle en question : une ancienne fille soumise dans une maison de tolérance à Marseille, maîtresse de tous ceux qui lui plaisaient, même Sénégalais à peau d’ébène !!! (…) C’est elle qui visitait tous les blessés légers et leur faisait les pansements dans son bureau et à l’intérieur duquel se trouvait un divan lit d’une personne. Chacun d’eux, même à une main, devait se déshabiller nu comme un ver de terre ! C’est ainsi qu’elle assouvissait ses désirs sexuels parmi les blancs et les noirs. » et plus loin (p .197) l’auteur, tout en nous donnant un indice sur l’époque de la rédaction définitive de ses carnets, tire les enseignements de son expérience « …Mes infirmières !! Elles avaient toutes le béguin envers les officiers. Quoiqu’il en soit, j’ai toujours déconseillé à mes filles de faire un tel métier, même dans le civil.
S’agit-il ici de fantasme ? L’évocation en elle-même est précieuse car les poilus évoquent très peu le sexe dans leurs témoignages (J. Y. Le Naour) ; on ne sait rien de l’attitude de Payen lui-même, sinon qu’il se montre très épris dans ses courriers à sa fiancée (p. 164 «je suis pour toujours ton Maurice qui t’aime. 1000 bons bécots. Ma langue dans ta bouche. ») A un autre moment, il évoque une jeune tzigane de dix-neuf ans qui faisait la lessive et le repassage pour les infirmières :
p. 199 Catarina était une fille très sérieuse et obéissait, comme toutes les femmes en général, aux mœurs de son pays si différentes des nôtres. J’ai vu un jour un capitaine de cavalerie qui voulait l’attirer en lui faisant miroiter une grosse liasse de billets de banque. Cela eut lieu malgré ma présence. D’ailleurs ce vulgaire salopard ne cachait pas l’immoralité de son geste. Elle le repoussa alors dédaigneusement en le priant de s’en aller s’il ne voulait pas avoir des ennuis. En Grèce comme en Macédoine, le respect des femmes est sacré. Il y eut peut-être de rares exceptions, mais je n’en ai jamais connues. »
L’auteur n’évoque pas de liaison personnelle et sous-entend une certaine chasteté par ailleurs :
p. 199 « Il existait dans ce pays comme partout ailleurs, des maisons de tolérance tenues par une ou deux femmes, parfois plus, et qui ouvraient de telle heure à telle heure. Il y faisait queue plus de deux cent poilus de toute race : grecs, serbes, albanais, monténégrins, français, anglais, chinois, sénégalais… Ceux qui voulaient revenir en bonne santé en France s’abstenaient de cette répugnance. »
Après l’armistice, Payen passe en Serbie puis en Bulgarie, est à Sofia en décembre 1918. Le 9 février 1919, c’est le rapatriement vers la France où il arrive le 11 mars ; il est démobilisé le 24 août 1919.
Vincent Suard 10/05/2012
Lamon, Bernard-Henri (1876-1943)
1. Le témoin
Né à Hourc (Hautes Pyrénées) en 1876, cultivateur, part au front le 3 novembre 1914 avec le 12e régiment d’infanterie, blessé au combat de Vassognes, Aisne, le 26 janvier 1915, classé service auxiliaire à Tarbes le 26 août 1916.
2. Le témoignage
Bernard-Henri Lamon, Mes 120 premiers jours (campagne 1914), Tourcoing, Editions Chevalier, 1982.
La publication non paginée part de « la trouvaille d’un journal tenu par un simple soldat arraché à sa famille ; rédigé de la main d’un paysan bigourdan, il se trouve que l’itinéraire qu’il décrit suit les grands mouvements de la stratégie du début de cette guerre. Du front lorrain à la bataille de Charleroi et à celle de la Marne, il permet de saisir de façon vivante ce que l’histoire n’enseigne pas. Ce document relance l’intérêt et donne un éclairage nouveau sur un épisode que les politiques se sont efforcés de cacher. » (présentation de l’ouvrage – dernière page). Le document très sommaire est le carnet de route d’un soldat d’infanterie jusqu’au 30 novembre 1914. Une à trois lignes par jour, un itinéraire, des lieux, des remarques courtes. Des illustrations qui ne sont pas l’œuvre du témoin.
3. Analyse
G. Cazaux (né en 1943 et originaire de Tarbes) publie le carnet retrouvé de son grand-père. Ce court document a une prétention modeste (introduction G. Cazaux) : « celle, pour son auteur, de préserver une vie personnelle dans une troupe. Ce journal avait peut-être aussi le projet de relier l’homme à sa famille, dans le cas où la mort l’aurait couché sur la terre de quelque champ de bataille. Il est vraisemblable qu’il n’ait plus éprouvé le besoin de continuer ses messages quotidiens dès lors qu’il eut écrit son testament. (…) Ses dernières volontés ont été rédigées sur la page immédiatement après la journée du 30 novembre, et il n’a plus rien noté lorsqu’il est remonté aux tranchées. »
L’essentiel de l’ouvrage, réalisé par G. Cazaux plus de trente ans après la mort de B. H. Lamon, est constitué de reproductions de cartes postales et de photographies illustrant à chaque fois la ou les lignes quotidiennes du court carnet du fantassin. Cette iconographie est plus ou moins proche du lieu ou de la scène évoquée par le soldat, « tâche ardue, puisqu’il s’agissait de « coller » au texte dans le but de le mettre en relief avec un maximum de documents concomitants » (G. Cazaux – introduction).
L’intérêt iconographique (collection de cartes postales) est réel, l’intérêt historique faible.
Vincent Suard 10/05/2012