Tropamer, André (1893-1968)

Ce simple soldat est issu d’une famille bordelaise de magistrats, ce qui lui vaut d’être accueilli à la popote d’un commandant de sa parenté, et de disposer d’un appareil photographique. Il a constitué après la guerre un recueil de 200 tirages sur papier (photos prises en secteur calme) complété par un texte intitulé « Itinéraire », rédigé sur 18 feuillets, qui décrit brièvement les conditions de vie d’un agent de liaison. Le fonds, qui appartient à Bernard Sargos, est présenté avec trente reproductions par Damien Becquart dans La Lettre du Chemin des Dames, n° 25, 2012.
Le 14 mars 1915, André Tropamer rejoint le 127e, un régiment du Nord où il est mal accueilli ; son baptême du feu date du 5 avril en Woëvre. Il se trouve ensuite en Champagne, dans l’Aisne, à Verdun et dans la Somme : « Que de places vides dans nos rangs », constate-t-il, le 9 septembre 1916. Au début de 1917, son régiment approche du Chemin des Dames. Le 16 avril, il ne livre que des notes laconiques, mais évocatrices : « Les deux premières lignes boches sont aisément franchies mais nous sommes arrêtés, avec de lourdes pertes, sur la troisième, à 600 m. à peine de notre base de départ – Désordre et confusion inouïs parmi les morts, les blessés râlants et les tirailleurs sénégalais, nos voisins de gauche, qui courent en tout sens, ayant perdu la tête dans le vacarme – Liaison des plus dures et des plus périlleuses à assurer. » Une précision, le 22 avril : « Neige et pluie abondante qui transforme le terrain en un lac de boue où l’on enfonce au-dessus des genoux. Pour assurer la liaison – et combien lentement – je dois retirer avec les mains chaque jambe, l’une après l’autre, de la boue, et cela sous des rafales d’obus. »
Dès que possible, il revient à des préoccupations pacifiques : écouter le chant des rossignols, photographier ses camarades, apprivoiser une pie, un geai… Au printemps 1917, il n’occulte pas les mouvements de révolte des Russes qui hurlent « Nicolas kaput », mais aussi des Français : « Au camp de Mailly, manifestation quasi-révolutionnaire parmi les troupes qui s’y trouvent. Aucune répression. J’en suis stupéfait ! » Et lorsqu’il revient de permission en train, le 21 juin, il se tient à l’écart du mouvement contestataire en précisant qu’il le désapprouve.
Rémy Cazals

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Martin, Antoine (1885-1925)

Son père est adjoint au maire du village de Longefoy en Tarentaise, bras droit du curé, instituteur des garçons, cultivateur et responsable d’une coopérative agricole. Antoine étudie au petit séminaire, mais il ne deviendra pas prêtre, tout en restant très croyant. Marié, il reprend progressivement la ferme des parents mais on y vit difficilement et il doit occuper des emplois temporaires dans la nouvelle usine chimique de La Plombière. Il y est embauché à temps plein depuis quatre mois lorsque la guerre éclate. Signaleur à la CHR du 62e alpin, il passe téléphoniste dès septembre. Il est à Ypres en novembre, puis dans les Vosges en février 1915. Il est blessé en août par un éclat d’obus qui se loge dans son crâne.
Très affecté par « la séparation des êtres qui nous sont chers », la correspondance avec sa femme est précieuse : « c’est un grand plaisir pour moi de relire tes lettres ». Plusieurs des siennes insistent sur le fait que l’équipe de téléphonistes prend la vie du bon côté : « Quand on a la santé, il ne faut pas se faire de la bile et se laisser vivre. Si l’on vous commande du travail : le faire. Si l’on ne vous dit rien : rester tranquilles. Voilà le métier » (7 janvier 1915). Et le 1er mars : « Il ne faut pas te faire de la bile à mon sujet. On se plie et puis on attend la fin de la guerre en regardant la lune. »
Le 12 août 1914, il avait annoncé qu’il ferait son devoir pour Dieu et la patrie. « Dieu exaucera nos prières à tous », ajoute-t-il le 20 décembre, et le 21 avril suivant : « Espérons que Marie ne laissera pas continuer une telle boucherie. » Lorsque sa fille meurt pendant le conflit, Antoine lit le drame comme un échange avec la protection divine. Bénéficiant de l’abri relatif des téléphonistes, il constate cependant que « c’est tout de même triste, dans un siècle dit de civilisation, de voir des horreurs pareilles et de penser que dans ce moment on ne vit que pour tuer son prochain. C’est une vraie chasse où l’homme sert de gibier » (26 novembre 1914). Ou encore, le 21 avril suivant : « Voilà où aboutit le progrès : au plus haut degré de perfection pour tuer les hommes. Si au moins le peuple boche voyait clair et tordait le coup au père Guillaume. Mais je crois bien qu’ils sont tous aussi bêtes. » Car les Allemands restent l’ennemi à abattre, et Antoine Martin se réjouit de leurs malheurs, quelles que soient les circonstances : attaque française où les pertes des défenseurs sont dix fois plus élevées que celles des assaillants ; attaque allemande fauchée par les mitrailleuses si bien que « pas un seul Allemand ne s’est échappé. Ils tombaient comme le blé que l’on fauche. Il y en a des tas énormes. » Et, le 1er mars 1915 dans les Vosges : « Les Boches arrivent si nombreux que malgré tout ce qui tombe en route, il y en a toujours qui arrivent jusqu’à nos tranchées. Et alors, comme la baïonnette est trop longue, on se sert de tout ce que l’on a sous la main. On les assomme à coup de triques, de pelles, de pioches, et parfois, si l’on a un bon couteau, on s’en sert pour larder les plus maigres. » Le téléphoniste fut-il témoin de telles scènes dont le récit n’est pas exempt d’invraisemblances ? Ce n’est pas sûr.
Mis hors de combat, Antoine Martin est rentré chez lui ; son décès en octobre 1925 a été reconnu comme suite de sa blessure de guerre et son nom figure sur le monument aux morts de sa commune.
Rémy Cazals
*La chasse à l’homme. Lettres de guerre et carnet journalier d’Antoine Martin (1914-1915), présentés par Richard Deschamps-Berger, Saint-Michel-de-Maurienne, Les éditions 73 – La Croix Blanche, 1989.

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Darchy, Romain (1895-1944)

Sans conteste, les volumineux « Récits de guerre » du soldat  Romain Darchy partiellement publiés relèvent de la catégorie du témoignage alliant la rigueur des faits à la valeur littéraire du récit construit dans une prose maîtrisée. Composés à partir de carnets tenus au jour le jour, ils nous immergent dans l’expérience de guerre de l’auteur, d’abord simple soldat puis aspirant-officier commandant d’une section d’infanterie à partir de juillet 1917.

L’auteur est mobilisé avec la classe 15 en décembre 1914 et est incorporé au 408e RI avec lequel il découvre le front en avril 1915. Blessé devant le fort de Vaux, il est évacué en mars 1916 après avoir survécu à plusieurs journées de durs combats et de bombardements qui ont manqué de l’enterrer vivant à plusieurs reprises, lui et une compagnie entière, incapable de pouvoir tenir à l’extérieur face au déluge de feu. Il revient au front avec son régiment dans le secteur d’Avocourt et de la cote 304 à l’été 1917. Très sensible à valoriser le courage et l’abnégation des hommes dans la souffrance, il ne manque pas de s’attacher à décrire avec minutie le calvaire des relèves ou des corvées de soupe, à témoigner des conditions de survie des hommes rouspétant mais tenant bon dans le froid de la tranchée. Romain Darchy est un patriote, croyant, qui voit dans la guerre une forme d’héroïsation des combattants français, alors même que le « boche » ou « les sales Teutons » ne peut se concevoir que comme l’ennemi. Ainsi, il donne aux scènes de combat un réalisme certain, ajoutant aux descriptions morbides des blessés et des morts, des images renvoyant à une conception toute religieuse du sacrifice : « Tous les trois se touchent, ils sont morts ensemble. Et le soleil qui se reflète dans un liquide immonde éclaire ces cadavres comme une auréole de gloire » (p. 269). Nous sommes là face à des évocations qui renvoient au témoignage, certes ici moins littéraire, d’Ernst Jünger et aux tableaux d’Otto Dix.

Encerclé le 15 juillet 1918 au bois d’ Eclisse sur le front enfoncé de la Marne, Romain Darchy est fait prisonnier avec une partie de son unité. C’est pour lui le début d’un effondrement psychologique qui se lit à travers son témoignage de captivité. Conduit derrière les lignes allemandes, il ne peut se résigner à aider les blessés ennemis et enrage contre les troupes italiennes qui auraient causé sa capture. Il se considère comme un naufragé condamné à l’exil, tourmenté par le fait de ne pouvoir continuer à se battre alors même que les Allemands pouvaient, encore, l’emporter. L’idée d’avoir été « sacrifié », de pouvoir être de ceux à qui « l’on jettera la pierre », hante les pensées du jeune aspirant qui refuse de parler aux Allemands qui l’interrogent. La douleur ressentie sur le long chemin vers l’Allemagne et la forteresse de Rastatt n’est atténuée qu’avec la satisfaction de savoir les Allemands en retraite et que par le renforcement d’une camaraderie désormais de captivité.

D’un point de vue formel, le récit de Romain Darchy gagne en maîtrise et en densité au fur et à mesure que s’étire le récit, véritable monument dressé à ceux qui sont tombés à ses côtés.

Terminons en soulignant combien le destin singulier Romain Darchy, depuis la mobilisation dans l’armée de la Grande Guerre et jusqu’à la mort tragique sous les coups de la Gestapo en 1944 pour faits de résistance, renvoie à l’engagement de Marc Bloch, figure emblématique d’un tragique premier XXe siècle. Engagements identiques de deux hommes motivés pourtant par des valeurs très opposées.

Alexandre Lafon – décembre 2012

Source : DARCHY Romain, Récits de guerre 1914-1918, Paris, Bernard Giovanangeli Éditeur – Ville de l’Aigle, 479 p. Edition accompagnée de précieuses annexes (biographie, correspondances) qui viennent compléter le texte principal.

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Cuny, née Boucher, Marie (1884-1960) et Cuny, Georges (1873-1946)

1. Les témoins


Marie Cuny née Boucher

Georges Cuny naît le 23 novembre 1873 à Gérardmer (Vosges). Marie Valérie, dite Mimi, Boucher est née quant à elle le 19 février 1884 à Docelles (Vosges). Tous deux sont issus de grandes familles d’industriels tisserands et papetiers possédant plusieurs usines en Lorraine et en France. Ainsi, par mariage et cousinages, ils sont connectés au milieu des industries papetières et des tissages dans tout le département des Vosges et au-delà (citons ainsi les Laroche-Joubert, Schwindenhammer, Mangin, Gény, Perrin ou Michaut). Mariés le 26 avril 1906, trois enfants naissent de leur union : André (1907), Noëlle (1909) et Robert (1910). En août 1914, Georges est mobilisé comme capitaine au 5e régiment d’artillerie de Campagne. Maurice Boucher, lieutenant au 349e RI et Georges Boucher, adjudant dans un régiment de chasseurs à cheval, frères de Marie, sont également mobilisés. Dès lors, Célina Boucher accueille chez elle Marie, sa fille et ses trois enfants ainsi que sa belle-fille Thérèse Boucher, elle-même mère de 2 enfants. Ce resserrement familial pour endurer la guerre est démonstratif de cet esprit de famille qui va teinter l’échange d’une correspondance assidue entre les époux Cuny, reproduite du 4 août 1914 au 29 juin 1918. Frères et beaux-frères reviennent sains et saufs de la Grande Guerre et Georges Cuny est démobilisé le 14 janvier 1919. Il poursuit sa carrière d’industriel et, en 1928 acquiert les Tissages Mécaniques d’Orchamps (Jura) qu’il dirige, puis la Société Française de Pâte de Bois. Il décède le 8 septembre 1946 à Cornimont (Vosges). Marie meurt à Cornimont (Vosges) le 24 février 1960.

2. Le témoignage :

Favre, Marie, Reviens vite. La vie quotidienne d’une famille française pendant la guerre de 14, chez l’auteur, 2012, 556 pages.

Marie Favre, 21e des 28 petits-enfants de Georges et Mimie, publie une partie de la correspondance échangée et reçue par les époux (540 lettres de Marie, 350 lettres de Georges, complétée d’un millier de lettres reçues de la famille) dans une édition familiale, replacée dans un contexte historique et sommairement annotée.

Le 2 août 1914, Georges Cuny est mobilisé comme capitaine au 5e régiment d’artillerie de Campagne dont le dépôt est à Besançon. Au commandement de la 45ème batterie, il participe aux divers combats de ce régiment. Il est blessé le 31 octobre 1914 alors qu’il est en batterie dans le secteur de Braine (Aisne) et est proposé pour la Légion d’Honneur avec la citation suivante : « A dans l’attaque de nuit du 31 octobre au 1er novembre énergiquement soutenu et excité le moral et l’ardeur de ses hommes continuant à tirer sous le feu repéré d’une batterie allemande. Gravement blessé à la fin de l’action par un projectile mettant hors de combat tous les canonniers d’une même pièce, a demandé avec instance qu’on s’occupa d’abord des blessés de sa batterie ». Hospitalisé à Fleury-Meudon, il revient à sa batterie le 6 décembre dans le secteur de Soissons. Le 7 mars 1917, il écrit à Marie : « Pour te faire plaisir, je me suis laissé proposer pour le grade de chef d’escadron », grade qu’il atteint effectivement le 10 mai 1917. Il est alors affecté au 1er groupe (puis au 2e) du 260e RAC qui stationne à Vieil-Arcy, au sud du Chemin des Dames. En juin 1917, il part dans les secteurs de Pont-à-Mousson et de Toul, qu’il qualifie de calmes. Le 4 janvier 1918, le 2e groupe quitte Bicqueley (Meurthe-et-Moselle) pour Verdun, secteur de Douaumont. Le 12 mars 1918, alors qu’il se trouve à son PC, il est victime d’un bombardement à gaz et légèrement touché aux yeux, ce qui l’éloigne un temps du front, du fait d’une courte hospitalisation à Bordeaux, où sa femme vient le rejoindre. Il rejoint son groupe de batteries le 20 avril 1918 et fait plusieurs mouvements pour contrer l’offensive allemande du printemps 1918 (secteur de Senlis-Villers-Côtterets) puis reviens sur l’Aisne en juin. La dernière lettre de lui reproduite est datée du 29, alors que son groupe appuie une attaque dans le secteur du ravin de Cutry, au sud d’Ambleny (Aisne). Le reste de son parcours est alors évoqué par le biais du JMO de son régiment et des grands évènements de l’époque, collectés par la presse.

Marie Cuny quant à elle témoigne de Docelles dans les Vosges, à quelques kilomètres d’Epinal où elle a resserré les liens familiaux. Argentée et libre de ses mouvements – conductrice acharnée de sa propre voiture – elle parcourt le département mais prend également des vacances à Angoulême ou fait quelques visites parisiennes ou nancéennes, ce qui lui permet de donner des nouvelles de la grande famille industrielle.

3. Analyse

Pour plusieurs raisons liées à une correspondance incomplète (du 15 septembre 1915 au 29 juin 1918) et censurée (même si Georges parvient à tromper la censure en écrivant certains toponymes à l’envers), mais aussi par un regard industriel distancié du fait de son statut militaire, l’analyse des courriers de Georges Cuny n’atteint pas l’intérêt contenu dans les lettres de son épouse Marie. En effet, au fil des 540 lettres reproduites, la vie, l’activité économique et les devenirs des militaires mobilisés dans la grande famille industrielle des Cuny-Boucher sont évoqués dans une correspondance de Marie d’une grande liberté de ton et une censure très relative. Dès lors, ce témoignage, en forme de journal d’une civile au statut très particulier, à l’intérieur d’un département concerné par la ligne de front, devient un formidable miroir de l’intimité d’une famille d’industriels vosgiens dans la Grande Guerre. En effet, dans la littérature testimoniale de ce département, jamais la parole d’une femme d’industrielle n’avait été publiée [si l’on excepte les 43 jours de guerre (août et septembre 1914) à Saint-Dié de la comtesse Bazelaire de Lesseux publiés dans le bulletin de la Société Philomatique Vosgienne de 1964. Dans ce département, le corpus publié des témoins civils est encore lacunaire. Aussi, la publication des lettres de Marie Cuny permet d’obvier à cette sous-représentation testimoniale mais aussi sociale. Si la publication du journal de guerre de Clémence Martin-Froment avait permis d’illustrer le témoignage d’une civile plébéienne dans la zone occupée du département des Vosges (voir dans ce dictionnaire sa notice in http://www.crid1418.org/temoins/2011/09/26/martin-froment-clemence-1885-1960/), la publication des lettres de Marie Cuny permet d’appréhender la vie d’une industrielle de l’arrière dans ce même département. Alors est illustré le témoignage d’une femme en avance sur la génération de la Belle Epoque, fortunée (elle a trois bonnes à son service), libre et moderne, d’une strate sociale qui n’avait pas témoigné jusqu’alors. Marie nous éclaire ainsi sur une quantité de questionnements traitant à l’échelle sociale, la vie quotidienne, l’économie industrielle et les affres de l’occupation militaire française de l’arrière-front des Vosges. La famille, possédant plusieurs usines dans les secteurs de la papeterie et du tissage, mamelles économiques du département, tente de limiter les dégâts dans une économie industrielle gravement obérée par la guerre. La mobilisation des ouvriers, le gel des marchés puis leur nécessaire réorientation vers une économie de guerre, les restrictions, les réquisitions multiples (décrites page 58), l’appauvrissement des matières premières et la dévolution des énergies aux usines travaillant directement pour la défense (expliquée page 198 et car le classement en usine de guerre donne des avantages sur les approvisionnements (page 424)) font de la gestion des entreprises une préoccupation quotidienne. Georges, du front, ne peut gérer correctement ses avoirs, et les échanges épistolaires ne sont pas satisfaisant pour la marche des affaires. Il s’en ouvre dans un courrier du 5 octobre 1916 : « Tu serais bien gentille, ma chérie, de m’accuser réception, au fur et à mesure des lettres que tu reçois de moi. Je t’y demande quelquefois des renseignements que tu oublies de me donner et je crains qu’elles ne te parviennent pas toutes. S’il en était ainsi, j’aimerais bien en être prévenu, afin de ne pas t’écrire des choses relatives aux affaires, il est inutile que l’Etat mette le nez là-dedans. C’est comme PM, il aurait pu se dispenser de m’envoyer tout l’inventaire. Cela peut être excessivement dangereux par ce temps de guerre où on ouvre beaucoup de correspondance. En tous cas, je ne le lui renverrai pas. Un paquet de cette importance serait certainement ouvert, car on se demande quels documents si importants peut avoir à envoyer un officier du front » (page 313). Car la guerre n’est pas propice à la confidentialité qui sied à toute gestion d’entreprise : les déclarations de la nouvelle imposition sur le revenu mise en place en novembre 1916 en est un révélateur : « J’ai reçu la feuille d’avertissement pour l’acquit de l’impôt sur le revenu, nous avons 160 francs à payer, ce n’est donc pas cela qui nous appauvrira beaucoup. Je vais dire au bureau de Cornimont de payer le percepteur. Mais tu vois comme la loi est bêtement faite, on fait soi-disant une déclaration sous enveloppe fermée qu’on adresse au directeur des contributions pour que personne du pays ne la connaisse, mais le percepteur vous envoie un avertissement où tout est nettement indiqué, de sorte que les petits commis que les percepteurs ont souvent chez eux et qui sont du pays pourront répandre dans le village tout ce qu’ils savent » se plaint Marie (page 333). D’autant que les Cuny, possédant une usine en Russie, à Dedovo, la situation du grand allié préoccupe comme leur Révolution. Le 1er mai 1918, Marie dit à Georges : « Là-bas en plus de la guerre et des Boches, il y a la révolution qui continuera à bouillir pendant quelque 10 ans. Peut-être arriverons-nous à l’éviter ici ? » (page 476). En 1919, les cartes auront d’ailleurs été particulièrement remaniées tant en terme de production que de propriétés industrielles. Ainsi, Marie Cuny n’a aucune complaisance pour un jeune capitaine d’industrie appelé Marcel Boussac qui monte un empire et qui rachète des usines qui vont, pour elle, immanquablement devenir des « nids à grèves » (page 358). Elle déplore le gâchis (page 178), les saccages, et les pillages de ses usines par la troupe française, notamment en septembre 1914 (pages 37 et 41) mais aussi en novembre 1915 (page 169) et se plait aussi du comportement « des troupes du midi » (pages 37, 42 et 129). Parfois démoralisée par la guerre, elle en craint les conséquences sociales : « Grand Dieu ! Si tous les soldats reviennent aussi flemmards et buveurs après la guerre, ce sera terrible. Il y aura une révolution après la guerre, car tous ces hommes (sauf ceux du vrai front, de la ligne de feu) (…) depuis un an n’ayant rien fait ou si peu, bien nourris, vont trouver étrange en rentrant d’être  obligés de travailler pour gagner leur pain et celui de leurs femmes et enfants et les 8, dix ou douze heures de travail qu’ils seront obligés de fournir leur sembleront bien dures et amères » (page 120). Ce sentiment est partagé par Georges qui confirme l’intérêt de faire réaliser par le commandement « toutes sortes de travaux de terrassement, je pense pour occuper nos hommes, qui sans cela deviendraient de fameux paresseux. C’est une très bonne chose et c’est essentiel car enfin la plupart de ces braves gens seront obligés de travailler en revenant chez eux et il ne faut pas qu’ils en perdent l’habitude » (page 164). Marie ne déclare-t-elle pas à Georges le 17 avril 1916 : « Sois tranquille, se sera encore nous qui seront forcés de payer les frais de la guerre » ? (page 235). Plus loin, « mais c’est inévitable que des petits jeunes gens qui ont été laissés seuls maîtres un grand moment n’acceptent plus de réprimandes et deviennent de petits coqs. On aura bien du mal à reprendre la direction. C’est la même chose avec les bonnes » (page 289). Marie estime que la guerre est teintée de lutte sociale ; le 11 février 1916, elle note que « les civils n’ont qu’à se taire pour le moment et je crois que certains militaires sont heureux en ce moment de prendre leur revanche sur les industriels qui les écrasaient parfois de leur luxe en temps de paix » (page 210). La guerre modifie la société et les comportements : « Quand tu reparles du jour de notre mariage [1906 ndr] et de ta naïve petite femme, mon Géogi, c’est vrai que j’étais bien loin d’être aussi savante que toutes les jeunes filles de maintenant, toutes nos cousines élevées à l’américaine » (page 292), méthode qu’elle va appliquer à sa propre fille Noëlle. Mais avec une réserve toutefois : « car je veux une fille soumise, non pas comme les jeunes personnes modernes. J’en ai vu encore à Angoulême, gamine de 18 ans, qui avait si bien l’air de mépriser sa mère, dédaigner ses idées et conseils et j’ai entendu un ménage (…) dire de leur fille âgée de 9 ans, qu’elle commande dans la maison, Mademoiselle invite ses amies pour tel jour et en avertit ensuite sa mère, et d’autres petits détails de ce genre. Il faut de l’initiative aux garçons, mais je déteste l’indépendance chez les jeunes filles et, avec l’intelligence de Noëlle, ce serait désastreux » (page 333). Cette difficulté à élever les enfants semble générale ; Pauline Ringenbach écrit à Marie, sa patronne, le 19 juillet 1917 ; « Il y a passablement des mariages, qu’on ne dirait pas que l’on est en guerre, quoique cela devient plutôt ennuyeux de vivre depuis trois ans toujours la même chose, les femmes en sont bien lasses, car elle ont vraiment du mal avec les enfants sans pères depuis si longtemps » (page 422). Un peu avant en 1916, « dans toutes les banques en ce moment il faut faire joliment attention, ils n’ont que des galopins de 16 ans, qui n’ont pas la tête à ce qu’ils font » (page 299). Elle-même se prend à dire : « si j’étais pauvre, je serais rudement socialiste » ! (page 315).

La guerre lui pèse pourtant. Une femme n’est-elle pas morte « dans un accès de neurasthénie due à la séparation » d’avec son mari (page 324) ? Aussi les artifices pour faire revenir son mari, au moins pour un temps, sont multiples. Elle écrit à Georges en 1916 : « Tu sais qu’on a aussi des permissions supplémentaires dites du berceau pour les naissances d’enfants. Quel dommage que je ne sois pas assez forte, on aurait peut-être encore eu le temps d’avoir une permission de berceau avant la fin de la guerre, mon pauvre Géogi » (page 259). Car la durée de la guerre est une préoccupation récurrente et les pronostics, finalement fantaisistes, sont sans fin, jusqu’aux derniers mois du conflit (pages 58, 96, 142, 165, 278, 288, 289, 302, 390 (quand la fin de la guerre est garantie pour 1917 !) ou 424). Le 1er août 1916, Georges dit à Marie, « il y aura demain deux ans que je suis parti pour Besançon. Nous ne prévoyions certes pas à ce moment-là que nous resterions si longtemps séparés et je crois d’ailleurs que, si les Français avaient pu prévoir la longueur de la guerre, ils seraient partis avec moins d’enthousiasme » (page 288). Elle-même revient en 1916 sur son comportement le 2 août 1914, non détachable de son rang social : « Voir moi mari partir m’oppressait à un tel point que je n’ai pas eu le courage, tu te rappelles, de t’accompagner à la gare. Ce n’était vraiment pas chic et depuis je me le suis tant reproché mais je n’aurais pas pu arrêter mes larmes et il valait peut-être mieux ne pas te montrer cette faiblesse, ni la faire voir au public » (page 289).

Georges quant à lui, officier du rang, fait écho à une réflexion reçue de Maurice Boucher, son beau-frère, qui estime en 1915 qu’ « il y a autant de différence entre un officier de troupe et un officier d’E.-M. qu’entre un ouvrier et un comptable » (page 143) et se plaint d’« une maladie aigüe qui sévit même sur le front, et bien entendu pour les officiers de l’active, c’est l’avancite, et cette maladie-là fait beaucoup de mal (page 171) ».

Plusieurs autres thématiques pouvant être dégagées de cette lecture, Reviens vite concourt donc à l’analyse de l’histoire économique et sociale du département des Vosges pendant la Grande Guerre, et au-delà de la vie quotidienne d’une famille industrielle à l’arrière du front, et érige Marie Cuny en témoin de référence.

La généalogie de la famille Cuny-Boucher est consultable sur http://jh-as.favre.pagesperso-orange.fr/site%20cuny-boucher/genealogie%20cuny-boucher.htm

Yann Prouillet – décembre 2012

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Charpin, André (1880-1960)

1. Les témoins
André Charpin est né en 1880 à Yèvre-la-Ville (Loiret). Ses parents, Flavien Charpin et Léocadie Poirier, sont de petits cultivateurs. Sa formation intellectuelle s’arrête à l’école du village mais est entretenue par les groupes de réflexion animés par le curé. Il épouse Céleste Chassinat (voir ce nom) en 1905 et leur exploitation s’accroît peu à peu. Lors de la mobilisation, André Charpin a trois enfants, bientôt quatre. Il est incorporé au 369e Régiment d’Infanterie, en garnison à Montargis. Nommé caporal contre son gré en septembre 1914, il rentre dans le rang, à sa demande, en novembre suivant. En janvier 1915, il est envoyé sur le front de l’Argonne avec le 4e Régiment d’Infanterie. Il est capturé lors de la grande offensive allemande du 13 juillet 1915, dans les bois de la Haute Chevauchée, au lieudit « Le Réduit ». Acheminé jusqu’au « camp mixte » de Königsbrück, en Saxe, qui restera son camp de rattachement, il travaille quelques mois dans différentes usines avant d’être envoyé en avril 1916 dans une exploitation agricole entre Leipzig et Dresde. Il y restera jusqu’au 31 décembre 1918.
De retour à Yèvre-la-Ville en janvier 1919, il reprend sa place dans l’exploitation que sa femme a maintenue à flot pendant le conflit. Sa famille s’agrandit mais Céleste meurt en octobre 1922. Il se remarie, est veuf à nouveau. Il est resté toute sa vie cultivateur à Yèvre-la-Ville où il meurt en 1960.
2. Le témoignage
Dès le premier jour de sa captivité, conscient de vivre des événements exceptionnels, André Charpin rédige au jour le jour, sur cinq petits carnets, les « Faits et impressions de [s]a captivité en Allemagne ». L’ensemble est très dense, d’une écriture fine, tantôt au crayon, tantôt à l’encre, dans un style aisé et une bonne orthographe, avec quelques rares expressions de parler local.
Pendant les loisirs forcés du camp, il a aussi rédigé un Carnet de prières dans lequel il a recopié les prières qu’il disait le plus souvent, notamment un « acte d’acceptation volontaire de la mort que je disais chaque jour dans les tranchées », précise-t-il. Il y a ajouté le croquis du monument aux prisonniers français morts au camp de Königsbrück, ainsi que le discours d’inauguration de ce monument en 1915.
Avec les Carnets ont été conservés une autorisation allemande de se rendre à la messe, deux lettres reçues de la famille allemande en 1920 et 1921 et un courrier du Ministère de la Guerre, daté de 1920 et relatif au remboursement de l’argent rapporté d’Allemagne.
André Charpin a aussi envoyé plus de 400 lettres à sa famille. Ces missives, presque quotidiennes pendant la garnison à Montargis et autant que possible sur le front, sont très contingentées dès qu’il est prisonnier mais elles couvrent tout le conflit d’août 1914 à janvier 1919.
Une partie des lettres de Céleste Chassinat, sa femme, a été conservée, d’août 1914 à janvier 1915.
Ces témoignages ont été intégralement transcrits par sa petite-fille, Françoise Moyen, en trois volumes. Dans chacun (lettres de l’un et de l’autre, Carnets), le texte intégral, éclairé par des notes, est suivi d’une lecture thématique qui à partir des mots mêmes de Céleste et d’André, classe et concentre tous les aspects de la guerre vécue par cette famille de paysans.
3. Analyse
Les Carnets de captivité consacrent beaucoup de place aux échanges avec le « pays », lettres reçues et envoyées, colis pleins des saveurs du village. Mais ils racontent aussi tout ce qui est différent, la nourriture, les mœurs, tous les petits tracas du prisonnier, la sentinelle, les mesquineries de l’administration, la réglementation tatillonne du courrier, la révolte à l’usine où il a passé quelques mois avant d’être envoyé en « kommando » dans une exploitation agricole. On le voit prendre sa place dans la famille allemande, ayant sa chambre à lui, « nourri comme les patrons », recevant un sapin décoré à Noël, fraternel avec la servante, la « petite Agnès » qui porte le même prénom que l’enfant née en son absence et qui lui manque tant. Catholique fervent mais déraciné André Charpin lutte pour ne rien céder dans ce milieu protestant, pour trouver quelques offices, pour chômer les jours de fêtes catholiques en bravant le règlement. Paysan parmi des paysans, il pourrait oublier qu’il est en position d’infériorité grâce à la petite société française reconstituée : il n’y a pas moins de vingt-quatre prisonniers français dans les exploitations environnantes, on se rencontre dans la journée, on lit les journaux français et allemands, on suit avec angoisse, puis avec scepticisme, le projet toujours renouvelé de l’échange de prisonniers entre les belligérants. On fête le 14 juillet par un festin bien français … mais tout de même tenu à l’écart, en plein champ. À l’automne 1918 il voit la société allemande se déliter autour de lui, la grippe espagnole faire des ravages alors qu’il la surmonte aisément grâce aux trop nombreux colis que Céleste lui envoie presque malgré lui.
André Charpin avoue « qu’il n’est pas à plaindre », au moins sur le plan matériel. C’est sans doute ce que pensaient les milliers de prisonniers-paysans dont les témoignages ne nous sont pas parvenus. C’est la séparation qui lui est insupportable, penser à sa femme qui travaille comme un forçat sur leurs terres, aux enfants qui grandissent sans lui, à celle qu’il ne connaîtra qu’à l’âge de quatre ans, à son « cher pays de Yèvre-la-Ville ». S’il tient bon, c’est qu’il est convaincu d’être à la place que la Providence lui a assignée et que la soumission à son sort aura sa récompense.
Les Lettres d’André Charpin reflètent trois périodes différentes :
• D’août 1914 à janvier 1915, André Charpin est en garnison à Montargis. Toutes ses lettres sont traversées par l’espérance que son âge et la naissance prochaine de son quatrième enfant lui éviteront d’être envoyé sur le front. De jour en jour il voit la garnison se restreindre, les médecins militaires devenir de plus en plus sévères. Il est mal à l’aise, à la fois loin du village où les travaux agricoles pressent tant mais loin du front où les morts s’accumulent. Les visites de sa femme et les rares permissions sont attendues impatiemment.
• C’est presque avec soulagement qu’il part vers l’Argonne en janvier 1915. Les lettres du front racontent la vie harassante des tranchées, corvées de barbelés, corvée de mines, déplacements nocturnes, manque de sommeil, manque de nourriture, manque d’hygiène. Les gradés, même sous-officiers, sont totalement absents de ces récits, la politique, la stratégie aussi : c’est une vie vécue au ras du sol. Une fois de plus la religion est son refuge et la pensée de la famille son soutien. André Charpin a subi quatre grandes attaques mais semble n’avoir jamais fait partie d’une vague d’assaut. Il passe un mois à l’hôpital de Chaumont pour une dysenterie : là, il revit, s’intéresse à nouveau aux travaux agricoles qui se font sans lui. Peu après son retour au front il est capturé le 13 juillet 1915, dès la première heure de la violente attaque sur la Haute Chevauchée. Sur le coup, c’est un soulagement : « Après la guerre, vous me reverrez ».
• Durant la captivité, les lettres, plus rares de sa part, mal acheminées dans les deux sens, vont devenir l’essentiel de la vie du prisonnier. Par comparaison avec les Carnets tenus durant la même période, on voit qu’il raconte peu l’Allemagne mais questionne beaucoup sur la famille et le village, cherche à gommer l’absence.
Les Lettres de Céleste Chassinat. Celle qui raconte bien sa vie, c’est son épouse. Seules 72 lettres ont été conservées, d’août 1914 à janvier 1915, plus quelques-unes à l’automne 1918. Dans un style vif et intimiste, elle dit les travaux harassants des champs, les difficultés d’assurer la relève au plus fort de la moisson alors que toutes les solidarités villageoises sont désorganisées par le départ des hommes. Comment trouver assez de monde pour la batterie, assez de main d’œuvre pour arracher les betteraves et les pommes de terre ? On partage son découragement à l’annonce de la réquisition des chevaux par l’armée, sa joie lorsque le sien lui est rendu. On voit les Anciens, les femmes, les enfants, se mettre à la tâche, chacun faisant « plus qu’il n’en peut ». Elle dit l’angoisse quotidienne pour les soldats, le désespoir de sa maman dont le fils n’écrit plus. Joseph Chassinat, le petit frère bien-aimé, a disparu définitivement en septembre 1914, Céleste décrit toutes les démarches entreprises pour le retrouver, officielles ou non, tout en soutenant le moral de sa maman au-delà du raisonnable. Dans les lettres sauvegardées de 1918, on voit la grippe espagnole frapper une population épuisée. Pourtant elle est fière d’avoir mené la tâche à bon terme : lorsqu’il rentrera, André « ne trouvera pas la cave et le grenier vides. »

Françoise Moyen

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Astier, Joseph (1892-1939)

Ce cultivateur est né le 7 novembre 1892 à Montceau (Isère). Célibataire en 1914, il se marie en 1919 et meurt accidentellement le 31 août 1939. Pendant ses quatre années de guerre, il a rédigé des notes régulières qui sont d’abord un emploi du temps, mais qui font connaître aussi ses réflexions. Les mots qui reviennent sont : la soupe, le jus, le pinard, les innombrables revues (« de cheveux », « de tout », « de campement et de cantonnement », « de fusil », etc.), le nettoyage, les exercices. Le seul carnet conservé concerne la période du 6 mars au 1er juillet 1916, au 106e RI.
Parmi les officiers, certains sont insupportables : « J’ai encore écrit avant de me coucher. J’ai même été interpellé par un officier à cause que les bougies n’étaient pas éteintes ; nous, on n’avait pas le droit d’avoir de la lumière après 8 h, il n’y avait que les officiers. C’est terrible d’être dans un pareil bataillon et commandé ainsi. Nos officiers sont tout à fait exigeants pour des choses qui n’ont aucun sens. Vivement la fin de ce fléau pour retrouver la liberté ! » (5 avril). « Ils » sont tellement exigeants qu’il y a « de quoi devenir anarchiste », une expression qui revient à plusieurs reprises, ainsi le 3 juin : « Enfin, on est pire que des forçats dans ce bataillon. Je ne sais pas si c’était pour nous rendre anarchiste plutôt que patriote car on n’avait pas une minute de repos. » Les soldats ripostent en tirant au flanc : « Je n’ai pas fait grand travail, on avait touché deux bâtons de chocolat que j’ai mangés et après, je suis allé me coucher dans un coin. Je n’ai été réveillé que par le lieutenant qui est venu nous voir et nous engueuler en disant qu’on n’avait rien fait. Il ne s’était pas trompé » (7 avril). Et encore, le 30 mai, lorsque le lieutenant organise un concours sportif : « Moi j’étais malade, du moins, j’avais la flemme. » Remarque intéressante, le 1er juin, les soldats étant consignés, la plupart vont boire comme d’habitude, et Joseph Astier note : « On prenait de l’autorité. On était forcé, car après trois mois consécutifs de tranchée, être tenus pire que des prisonniers boches, c’était honteux ! » L’appel au patriotisme passe mal : « Après cette revue, il nous a lu une décision, nous parlant de patriotisme à toutes les phrases. C’était le mot en avant. C’était une lettre de la fille du président ainsi que le régime et le moral des troupes allemandes. Tout cela, c’était pour nous donner du courage et du patriotisme, car on est tellement dégoûté de cette vie ! Mais ça n’y fera rien » (25 mai).
Même le caporal peut abuser de son autorité : « Mon cabot m’a fait faire une corvée car on changeait de cabot aussi souvent que de chemise et celui-là, il n’était pas copain avec moi parce que je ne l’invitais pas à boire. Mais moi, ça m’est bien égal, je fais ce qu’il me commande et voilà tout » (9 avril). Et le 30 avril : « Je me suis couché après avoir porté le rapport du soir au bureau car mon caporal ne cherchait qu’à me faire faire des corvées. Quand il y avait quelque chose, c’était toujours mon tour. Je ne dis rien mais il arrivera un jour où il aura un repentir. »
Joseph et ses camarades boivent beaucoup : «J’ai mangé la soupe en arrivant et je suis allé boire mon litre comme d’habitude avant de me coucher » (4 avril). Ils peuvent s’en trouver « émus », légèrement ou plus sérieusement. Le 17 avril : « On est rentré pour la soupe et on est retourné boire car avant d’aller aux tranchées, il fallait boire pour tous les jours où on allait en être privé. » L’ordinaire est insuffisant et il faut compenser avec les colis familiaux. Les thèmes récurrents de la vie dans les tranchées et au cantonnement apparaissent ici, au milieu de la boue omniprésente. Et le feu, dans les conditions extrêmes de la bataille de Verdun, tranchée Marie près du ravin de la Mort, le 14 juin : « Ils nous bombardaient avec des 201, c’était affreux. Dans l’air, ce n’était que des déchirements, des éclatements et des sifflements, ça n’a pas décessé. Il y en a un qui est tombé dans notre tranchée. Il y a eu mon caporal et deux de mes camarades ainsi qu’un caporal du 65e d’infanterie dont on a retrouvé les bottes seulement. » Et au retour, enfin, les survivants sont « laissés tranquilles » : « Je n’ai pas encore pu dormir, alors que je me suis levé pour me nettoyer un peu et pour me laver. J’en avais bien besoin, surtout après avoir touché tant de choses pendant 5 jours sans me laver, du sang et toutes sortes de choses. […] Je peux dire que cette journée, ils nous ont laissé tranquille. Ils ne nous ont rien fait faire. C’était bien la première fois. »

RC (d’après les notes de Nicolas Mariot)
*Roland Chabert, Printemps aux tranchées. Notes de campagne de Joseph Astier, soldat de la Grande Guerre, 6 mars – 1er juillet 1916, Lyon, Élie Bellier éditeur, 1982.

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Toulouse, Jean (1894-1916) et Louis (1895-1916)

Les deux frères, nés à Cahors, appartiennent à une famille de grande bourgeoisie de province. Jean, né le 8 août 1894, licencié en droit, aspirant au 139e RI, a été tué à Chaulnes (Somme) le 4 septembre1916 ; Louis, né le 22 octobre 1895, élève des Beaux-Arts en architecture, soldat au 59e RI a été tué le 28 avril 1916 au bois d’Avaucourt (Meuse). Manifester ici un moment d’émotion n’est pas manquer de rigueur scientifique ; les souffrances d’une famille font aussi partie de l’histoire de la guerre.
La correspondance des deux frères montre d’abord la surprise du contact de ces intellectuels avec les autres soldats. Dès le mois de septembre 1914, Jean décrit les « épaisses brutes » de la chambrée, « garçons peu intéressants » ; Louis, appartenant à la classe 15, arrivant à la caserne à Mirande, écrit, le 20 décembre : « J’aurais, je crois, bien dormi quand même, sans trois ou quatre imbéciles, comme il s’en trouve toujours, qui n’ont pas cessé de crier jusqu’à minuit. Ils ont recommencé à trois heures, puis à cinq. Et il n’y a rien à faire pour les empêcher, si on essaie, ils n’en crient que plus fort. » En arrivant sur le front en novembre, Jean note qu’il s’est mis à boire avec plaisir de la gnole pour lutter contre le froid. Il ajoute : « Nous connaissons ici ce qu’au départ on ignorait, je veux dire le chapardage. On est forcé d’être chapardeur sous peine d’être continuellement chapardé. Je ne me suis pas encore tout à fait adapté à ces pratiques, ce qui me vaut, en attentant, de coucher sans couverture. »
Jean ne tient pas physiquement ; il est évacué et reste en convalescence en Bretagne jusqu’en janvier 1916. Il entre alors à l’école de Saint-Maixent dont il sort aspirant en avril. Une lettre du 13 février 1916 décrit un colonel dont l’éminence grise est un curé et qui favorise les séminaristes (ceux-ci ont quelque chose de « fuyant et doucereux » et « leur religion semble les gêner aux entournures ») ; mais il y a aussi un commandant qui est « un rouge et ses favoris sont les instituteurs ». Sur le front, Jean cherche la solitude ; Louis est victime de l’aversion pour les intellectuels de son commandant, « une brute galonnée ». « En général, ajoute-t-il, les occupations intellectuelles sont rares pour ne pas dire nulles… »
Louis demande à passer le concours d’élève aspirant, mais le général de Lobit oppose un refus. Il demande à son père s’il peut faire intervenir le député du Lot, Anatole de Monzie. Finalement, c’est le propre frère du général qui, sollicité, promet une lettre ; mais, à cette date, Louis Toulouse a déjà été tué, comme simple soldat au 59e RI. Jean demande alors à entrer dans un état-major et suggère le soutien du député de Monzie. Lui aussi est tué avant de l’obtenir.

RC (d’après les notes de Nicolas Mariot)
*Souvenirs croisés de la Première Guerre mondiale. Correspondance des frères Toulouse (1914-1916) et souvenirs de René Tognard (1914-1918), préface de Jacques Legendre, texte revu et corrigé par Gilbert Eudes, Paris, L’Harmattan, 2008. Photo du monument aux morts de Cahors avec le nom des deux frères dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 426.

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Cain, Julien (1887-1974)

De famille juive, fils d’un imprimeur parisien prospère, il est né le 10 mai 1887 à Montmorency. Il fait de brillantes études au lycée Condorcet, obtient le baccalauréat de philo (élève d’Alain), puis la licence et l’agrégation d’histoire en 1911. Professeur, il est en congé en 1914 pour préparer une thèse d’histoire de l’art à l’École du Louvre. Il avait effectué un service militaire d’un an (1906-1907). Mobilisé comme sergent en 1914 au 350e RI, il est sous-lieutenant à titre temporaire en octobre, définitif le 7 mars 1915, lieutenant le 7 février 1917. Blessé le 12 février 1916 en Champagne, il est déclaré inapte à faire campagne et rejoint le bureau d’études de la presse étrangère. Ses lettres à sa famille (il est célibataire) sont particulièrement intéressantes pour illustrer le contact entre un intellectuel et les réalités du temps de guerre : « Je me fais à cette vie pour laquelle je ne suis pas fait – j’accepte de vivre dans la saleté, de ne jamais (ou presque) changer de linge, de ne penser à rien – mon seul espoir est que ce soit court. Je n’ose l’espérer » (17 août 1914). Un peu plus tard (30 septembre) : « Je suis sale, mais j’ai bonne mine, et si j’ai un peu maigri et si je suis un peu fatigué, je me porte infiniment mieux qu’une foule de gars de la campagne, dont l’énergie a faibli le premier jour et qui se sont laissés démonter. »
L’intellectuel n’est pas fait pour porter le sac : « Quelle délivrance que de se reposer du sac ! » (17 octobre 1914). Dans les tranchées, par une nuit sans lune, on n’est pas en ville, on ne voit rien : « Je souffre surtout de l’obscurité : on ne voit pas à quatre mètres devant soi. C’est angoissant quand on sait que l’ennemi est là » (14 décembre 1914). Mais être officier procure des avantages : « Nous avons changé de tranchées ; il a fallu m’installer à nouveau, me faire construire un nouvel abri » (19 novembre 1914). « Je ne te cache pas toute ma satisfaction d’être officier. D’abord pour tout le confort que j’en tire. Et puis pour l’ascendant nécessaire sur les hommes » (1er décembre 1914). « J’apprécie tous les aises que me vaut mon titre d’officier : une liberté très grande, une nourriture en ce moment excellente, l’empressement de tout le monde à me rendre service, des relations agréables avec les autres officiers » (14 décembre 1914). « Et c’est une besogne que de diriger ces “poilus” (comme nous disons), insouciants et trop enfants, malgré leur âge, bons garçons, mais peu raisonnables. Je m’y prends le moins mal que je peux ; j’échoue quelquefois. Mais je réussis quelquefois aussi, puisqu’un certain nombre me sont vraiment dévoués et me suivraient partout » (20/11/1914).

RC (d’après les notes de Nicolas Mariot)
*Julien Cain, Un humaniste en guerre. Lettres 1914-1917, introduction, notes et postface par Pierre-André Meyer, Paris, L’Harmattan, 2011

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Simonet, Benjamin (1872-1964)

Treizième enfant d’une famille d’épiciers, il est né le 30 octobre 1872 à Nancy. Après de bonnes études dans les établissements catholiques de sa ville natale, il s’engage au 101e RI. Admis à l’école d’infanterie de Saint-Maixent, il est sous-lieutenant en 1897. Il sert en Cochinchine puis à Madagascar entre 1900 et 1909. Capitaine au 142e RI de Lodève en 1914, à 42 ans. Marié en 1903, il a quatre enfants. Il est mort à Nancy le 8 mai 1964.
Pendant la guerre, les lettres à sa femme sont riches de précisions quotidiennes, avec une missive particulièrement longue, du 19 octobre 1914, dans laquelle il reprend le récit détaillé des premières semaines de la campagne en Lorraine, l’enfer du 18 août, la retraite dans « une confusion inextricable » jusqu’à Bayon où « le régiment était réduit à une cohue. Plus d’officiers, plus de sous-officiers, près de la moitié des hommes disparus ! »
Officier, il vit cependant près de ses hommes : « Si tu savais quel fardeau ces trois jours de veille en première ligne ! L’esprit toujours tendu vers le moindre incident ; le corps dans l’immobilité presque absolue ; car impossible de faire un pas au-dehors dans la journée sans recevoir balle ou obus. On gît sous terre, à la lueur d’une bougie, nuit et jour, en société d’un soldat téléphoniste, d’un agent de liaison, de mon ordonnance. Pense à la longueur des jours et des nuits ! à ce degré d’énervement et de fatigue d’esprit auquel on atteint : et ceci n’est rien, tant qu’il ne se passe rien d’anormal. Mais dès le moindre incident – et il y en a toujours – c’est l’angoisse ! Cette guerre est vraiment affreuse, plus pénible que celle de plein air, du mouvement » (5 janvier 1915). Il veut faire connaître le sort de ses hommes : « Songe aux souffrances qu’endurent nos malheureux soldats dans les tranchées. Je me demande comment ils résistent » (22 novembre 1914). Il les encourage à sa façon : « Nous allons donc retrouver nos tranchées et les Boches. Il pleut, naturellement ; la boue devient chaque jour plus épaisse, et cela va être trois jours de misère ajoutés aux précédents. C’est pour la France, c’est pour nos femmes, nos enfants ; je viens de le dire à mes hommes. Il faut patienter, souffrir jusqu’au bout, sans se plaindre. C’est à ce prix que nous vaincrons les Boches, et, leur ai-je dit, le plus vite possible, car nous en avons, tous, plein le dos. Ils m’ont promis de tenir » (3 janvier 1915).
Ce capitaine n’hésite pas à critiquer les officiers qui ne veulent pas quitter le dépôt pour revenir au combat (19 novembre 1914), et l’arrière trop crédule : « Vous qui lisez les journaux remplis de balivernes » (12 février 1915). Surtout, il s’en prend au haut commandement : « Aucun renseignement ; nous ignorons tout de notre situation et de celle de l’ennemi ; on nous conduit comme des moutons et nous marchons » (22 octobre 1914). Et, le 19 décembre : « Nous n’avons pu nous installer que très tard au cantonnement car, comme d’habitude, l’état-major n’avait rien fait pour l’assurer. Depuis le début de la guerre, je constate de plus en plus que nous sommes faits pour nous faire tuer, rien de plus. On nous jette à la boucherie avec autant de désinvolture qu’on se moque de nous procurer, non pas le bien-être, mais le minimum de garantie nécessaire à la santé des hommes. […] Je suis de plus en plus furieux. Nos hommes méritent mieux que cela. » L’expression « chair à canon » est employée le 12 février suivant.

RC (d’après les notes de Nicolas Mariot)

*Benjamin Simonet, Franchise militaire. De la bataille des frontières aux combats de Champagne, 1914-1915, Paris, Gallimard, 1986.

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Delfaud, Marc (1887-1962)

Le livre :
Marc Delfaud, Carnets de guerre d’un hussard noir de la République, Editions italiques, 2009, 680 p., cahier photo de 8 p., publié sous la direction du général André Bach qui fournit de nombreuses notes explicatives. Photo de Marc et de son épouse, Jeanne, dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 177.
Texte établi par Jeanne Delfaud, fille de l’auteur, qui a également donné à la fin quelques pages de biographie : né en 1887 à Saint-Denis-du-Pin en Charente inférieure, Marc Delfaud était fils de maréchal-ferrant ; devenu instituteur, il s’est marié en 1911 et le couple a eu un poste double à la campagne ; après la guerre, il enseigne dans les classes élémentaires du lycée de Rochefort, puis du lycée Voltaire à Paris, jusqu’à sa retraite en 1951 ; il est l’auteur d’un manuel d’arithmétique ; révolté par la guerre, il a fait un bref passage au PCF et il restera toujours un syndicaliste ; ses carnets sont au nombre de 18.

Préface d’Antoine Prost :
– pour connaître la guerre, il faut comprendre le vécu des combattants : qui d’autre qu’eux a vraiment su ce qu’était la guerre ? ; chacun l’a décrite avec ses convictions antérieures, sa personnalité
– la situation de téléphoniste explique d’aussi bonnes conditions d’écriture
– MD a montré la solidarité du petit groupe ; le commandement ne sort pas grandi de son témoignage
– antimilitariste, son texte ne contient pas de considérations patriotiques
– il souligne le caractère précoce du mécontentement qui aboutira aux mutineries
– les chefs seraient épouvantés s’ils savaient ce que pensent les hommes ; à demi-voix ils s’entretiennent de leur hâte d’en finir par tous les moyens

« Un instituteur dans la tourmente », par André Bach
– les témoignages sont irremplaçables car le corpus échappe au discours dominant imposé et récusé par les combattants ; leur publication est un phénomène de société ; AB critique ceux qui ont parlé de « dictature du témoignage »
– on n’a pas basculé en 1914 dans un unanimisme qui aurait gommé tous les débats de société antérieurs

Carnet 1 (11 septembre – 24 décembre 1914) [les numéros en tête de ligne renvoient aux pages]
Soldat au 206e RI de Saintes
20. « Quoi que nous éprouvions, il nous faut partir en beauté »
21. blessés allemands : « les malheureux paraissent épuisés » (12/09/14)
24. pillage : orgie succédant à la fièvre du combat, aux angoisses, privations
27. en Lorraine, population à moitié boche
31-32, puis 54, 57, 64, 79. types de chefs : idiot, adoré, mauvais sujet…
36. content quand artilleurs français restent tranquilles (25/09/14)
48. tombes embellies
49. panique
55. recherche du confort
70. déserteurs allemands : ils en ont assez (11/11/14) ; mutilation volontaire
76. Nancy : promeneurs oisifs élégants
81. patrouilles françaises et allemandes font en sorte de ne pas se rencontrer
82. poilus épuisés parlent de tirer sur les gradés, sauf le capitaine qui est aimé (28/11/14) ; aussi 87, 200.

Carnet 2 (25 décembre 1914 – 6 mars 1915)
109. encouragement à avion français au combat
111. prostitution généralisée
120. comme des gosses, combat de boules de neige (entre Français)
126. angoisse à l’arrivée d’une marmite
133. pillage d’un village pour le confort des officiers

Carnet 3 (7 mars – 30 juillet 1915) Saint-Mihiel
157. fraternisations interdites
165. Bavarois préviennent qu’il vont être relevés par des Prussiens
166-167. autres cas de fraternisations
167. embusqués autour du colonel
171. concours de tir entre Français et Allemands qui tourne mal
177. hommes devenus fous sous bombardement
182. le 78e a refusé de marcher (longue note : il s’agit en fait du 63e, et c’est le drame de Flirey)
187. population civile se demande si la révolution ne va pas éclater (30/04/15)
195. exercice ridicule : attaque avec clique et drapeau
210. les Allemands voient les travailleurs, mais ne tirent pas

Carnet 4 (30 juillet – 16 septembre 1915) Lorraine
228. indigné/correspondances ouvertes (08/08/15) ; mesure rapidement suspendue
236. ennui mortel en attendant permission
239. le général demande des patrouilles ; les soldats se débinent au premier coup de feu

Carnet 5 (24 septembre 1915 – 26 février 1916)
251. permission, détresse au moment de repartir
258. les nettoyeurs ont touché un grand couteau de boucher, arme ignoble (19/10/15)
269- 272. distractions : chasse, collets, luge, football ; essai de passer dans l’auxiliaire pour myopie
275. tranchées inondées, fraternisations (31/12/15)
278. cafard, années gâchées
291. autre trêve tacite

Carnet 6 (26 février – 2 avril 1916) Verdun
306. bombardement infernal, gros calibres, dégâts, souhait de la fine blessure ; All. et Fr. en ont assez
308. prisonniers sans résistance, enchantés de leur sort
310. les Fokker maîtres des airs
312. Fr. se rendent ; All. se rendent
326. l’usure des tubes d’artillerie fausse le tir et provoque accidents

Carnet 7 (3 avril – 18 juin 1916) Hauts de Meuse
Ecrasement sous déluge de projectiles ; réparer lignes téléphoniques sans cesse rompues ; tâche dérisoire immédiatement remise en question ; et la boue…
334. désertions
361. les 75 nous tirent dessus
366. encore un refus de marcher (29/05/16)
369. bombardement formidable, pas un blessé
372. la peur de retourner à Verdun

Carnet 8 (26 juin – 21 septembre 1916)
382. trêve tacite, accords, gare aux officiers
385. attend la maladie comme une délivrance
385-387. fraternisation ; envoyez grenades à telle heure car le vieux doit venir
386. action stupide et représailles coûteuses
395. injustice en faveur des officiers pour les permissions
401. chez tous : haine pour galonnés, désespoir, souci de sauver sa peau
405. Mangin : mangeur d’hommes
407-408. cortège de blessés, horreurs
417. démoralisation de tous, même les officiers (08/09/16)
423. je ne souhaite qu’être blessé ou mourir

Carnet 9 (22 septembre – 3 décembre 1916)
435. un officier qui ne sort pas de son trou
436. joie de se trouver dans un bois verdoyant, loin du canon
444. ceux qui ont tenu depuis deux ans sont usés jusqu’à la corde

Carnet 10 (11 décembre 1916 – 8 avril 1917)
451. Propositions de paix de l’Allemagne : nous sommes étourdis, grisés ; mais les Alliés vont refuser
471. les coups de main n’ont pour but que de maintenir l’esprit offensif de la troupe

Carnet 11 (16 avril – 21 mai 1917)
Retour de permission
494. critique de Nivelle = première sincérité de la presse (02/05/17)
498. le je m’en fichisme du commandement

Carnet 12 (22 mai – 24 juillet 1917)
511. permissionnaires font état d’effervescence sur le parcours
514. au 234 on chante l’Internationale, série d’incidents
527. échos de nombreuses rébellions
529. finalement, la peur des sanctions et l’amour-propre l’emportent

Carnet 13 (3 – 27 août 1917)
551. un troupeau morne et triste, mais surveillé de près
555. des Russes, ivres

Carnet 14 (28 août – 30 octobre 1917)
578. nouvelles d’Italie (Caporetto)

Carnet 15 (11 novembre 1917 – 16 février 1918)
583. à Libourne, on ne se croirait pas en guerre
588. une femme évacuée raconte que les Boches ont coupé les mains de tous les jeunes enfants
598. comment les hommes peuvent-ils tenir ? (16/01/18)

…. Carnet 18 (31 octobre 1918 – 30 janvier 1919)
657. c’est la puissance matérielle qui permet de gagner la guerre
658. le 11 novembre 1918 : ravissement extatique
660. soldats californiens n’ont qu’une pensée : rentrer chez eux

Postface par André Bach :
Les derniers carnets montrent la lente usure morale et physique. Rescapé de Verdun, Marc Delfaud se referme sur lui-même ; il est comme en hibernation.

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