Planté, Alban (1882-1919)

Né à Valence-sur-Baïse (Gers), le 16 avril 1882. Études au séminaire d’Auch. Curé de Margouet-Meymes. Nommé à Cassaigne le 18 avril 1914, il ne peut occuper son poste que pendant quelques mois car il est mobilisé et affecté à la 17e section d’infirmiers militaires de la 67e division de réserve (celle du docteur Voivenel, voir ce nom).
Henri Faget a retrouvé dans sa famille et autour les lettres envoyées à ses paroissiens notables par le curé devenu soldat (« déguisé en soldat », comme il le dit lui-même dans sa lettre du 28 août 1914, lettre qui demande aussi des nouvelles de « Monsieur Maurice », Maurice Faget, fils de ses correspondants principaux, et père d’Henri). Voir la notice Faget Maurice. Les lettres sont réunies dans un petit livre à compte d’auteur d’Henri Faget, publié sous le titre Alban Planté, Lettres d’un prêtre-soldat à ses paroissiens, avril 1914-décembre 1916, chez l’auteur (henri.faget459@orange.fr), 2014, 102 p.
Dans ses lettres, le curé emploie un ton de respectueuse et amicale plaisanterie. Il se préoccupe de la décoration de sa chère église ; il lance quelques piques à certains confrères à propos du denier du culte. Il demande l’envoi de son calice pour pouvoir dire la messe, mais il doit y renoncer car le paquet risquerait de s’égarer. De Cassaigne, ces dames lui envoient une étrenne qu’il utilise pour venir en aide à une famille éprouvée (p. 46 et 50). Lors des grandes fêtes chrétiennes, il adresse des lettres pastorales à ses paroissiens pour les réconforter.
Au début de la guerre, il passe quelque temps à Toulouse (p. 10), mais il arrive à Suippes en Champagne le 16 août, il gagne l’Argonne, puis se replie vers Verdun avant que la victoire de la Marne ne rétablisse la situation (p. 88). Il écrit : « Les services de la voirie n’ont plus de secrets pour moi, puisque j’ai passé un peu par tous : j’ai raclé la boue, cassé des cailloux, curé des fossés, enlevé des fumiers, déchargé du sable et du ciment, charrié du gravier avec la brouette pour la reconstruction d’un pont. […] Enfin, le 8 décembre, j’étais à ma grande joie affecté comme infirmier-major à la salle des fiévreux dans notre ambulance de Sommedieue. » Il lui arrive de dormir dans un grenier infesté de souris et de rats (p. 30-31), mais il est souvent accueilli dans des couvents (p. 20 et 38) car « les bonnes sœurs n’ont pas voulu que je couche dans le foin ».
Les lettres contiennent une fois l’expression « maudite guerre » (13 novembre 1914, p. 30), et reconnaissent l’existence du « cafard » qui est l’équivalent du spleen ou de l’ennui (p. 35). Mais il ne cesse de dire que la santé morale de l’armée est bonne (30 octobre 1914), que les soldats sont étonnants d’enthousiasme (17 janvier 1915), alors que les Allemands connaissent la faim (d’après la lettre d’un prisonnier qui aurait écrit : « assi lou pan coummenço à manca »). D’un autre côté, c’est Dieu qui dirige les opérations : « les fautes de la France pèsent bien lourd dans un plateau de la balance de Dieu », mais cela peut être compensé par les pleurs, les prières, les sacrifices (p. 25). Dans tous les cas, le Christ aime les Francs (p. 43) et Dieu ne voudra pas imposer à la France des épreuves trop dures (p. 47). Quant à la religion, « elle nous réconforte en ce sens qu’elle nous apprend à accepter la souffrance de la main de Dieu (p. 49).
La lettre pastorale pour être lue le 25 décembre 1915 (p. 75-80) revient sur « le courage incontestable de nos valeureux soldats et le génie incontesté des chefs qui les commandent ». Elle expose les raisons de ne pas faire la paix « dans l’état actuel des choses » et elle souhaite « que notre Patrie sorte de l’épreuve actuelle grandie moralement aux yeux du monde entier ».
La lettre du 5 avril 1916 est envoyée de Dax où le curé Planté est soigné par les Pères Lazaristes. Son état de santé s’est dégradé à un tel point qu’il a été évacué. De là, il s’insurge contre la « rumeur infâme » exposée par un journal de Toulouse (La Dépêche, dont il ne cite pas le titre) qui prétend que les prêtres ne font pas leur devoir militaire de Français. « Tous les prêtres-soldats de France ont magnifiquement rempli jusqu’au bout le rôle qui leur a été départi au début de la campagne. » Que les journalistes qui font la guerre à Toulouse viennent passer quelque temps dans les tranchées !
La dernière lettre retrouvée, de décembre 1916, envoyée aux paroissiens, évoque son départ pour l’armée d’Orient. Il en profite pour faire l’histoire des premières années du siècle, ouvertes par l’Exposition universelle et les affirmations de « Science, Civilisation, Progrès ». Mais « la principale préoccupation était le plaisir ». Puis on a voulu chasser les congrégations et imposer la loi de Séparation « pour étrangler l’Église de France ». C’est le danger de la Patrie et la guerre qui ont fait retrouver l’union.
Henri Faget nous informe qu’aucune autre lettre n’a été retrouvée. Revenu à son presbytère de Cassaigne, Alban Planté y est mort le 5 avril 1919.
Rémy Cazals, avril 2016

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Lot-et-Garonnais (9 témoins nouveaux)

Impulsée en 2004 par la publication du livre Agen et les Agenais dans la Grande Guerre et en 2008 par les commémorations du 90e anniversaire de l’armistice, une vaste opération, menée notamment par les Archives départementales, a visé à faire émerger et collecter les témoignages de guerre dormant encore dans les familles lot-et-garonnaises. Plusieurs d’entre eux avaient fait l’objet d’exhumation et de publication dans le cadre de travaux associatifs à Agen, Aiguillon, Tonneins, Casseneuil ou Monflanquin (à travers les activités de la très dynamique revue Sous les Arcades). De nouvelles sources directes sont donc venues rejoindre aux Archives départementales les carnets de Valéry Capot, sergent puis adjudant au 9e RI d’Agen (voir ce nom) ou ceux de Victor Guilhem-Ducléon, lieutenant au 20e RI qui, égaré dernière les lignes allemandes après le 22 août 1914, se cache et survit en Belgique occupée avec d’autres camarades pendant plusieurs mois avant de pouvoir regagner les lignes françaises. Citons le carnet d’Armand Errard, originaire de Castelmoron-sur-Lot, maréchal-ferrant de son état, carnet tenu du 19 décembre 1914 (avec quelques pages de souvenirs du début de la campagne) au 5 septembre 1916. Il n’est pas directement en première ligne, mais juste à l’arrière avec le train de combat. Citons également la correspondance de Jean Millon d’Ainval, autre belle pièce ainsi récupérée. L’auteur, de la classe 15, écrit quasi journellement à son père et décrit avec force détails son incorporation, la vie de caserne, la première épreuve du feu. Les photographies de Jean Delbert, mobilisé en 1915 et devenu sous-lieutenant d’infanterie, témoignent quant à elles d’une vie au contact des combats et de la boue prégnante des tranchées. Enfin, la correspondance de l’agriculteur Joseph Aurel, soldat de réserve, fait montre d’un grand pessimisme, l’auteur signant toutes ses cartes postales d’un laconique « Joseph Adieu ». Lui reviendra finalement vivant de la guerre, à la différence de Philippe Feilles dit Faustin, né le 15 février 1879 à Razimet, cultivateur, mobilisé au 130e RI puis au 9e RI en 1915. Il est tué à l’ennemi, le 29 mai 1916, à Avocourt dans la Meuse. Tous ces documents ont en commun d’avoir été numérisés, ce qui garantit aujourd’hui leur conservation et leur mise à disposition d’un large public.
Dans le sillage de cette collecte, plusieurs témoignages ont pu être à leur tour publiés. L’association La Mémoire du Fleuve de Tonneins a réuni une douzaine de sources directes dont celles du séminariste Paul Glannes et de l’ouvrier-serrurier Marcel Garrigue (voir ces noms). Elles montrent toutes combien les identités en guerre ont pu être différentes. Citons dans la catégorie des témoignages publiés, à côté de la correspondance d’Henri Despeyrières, les lettres de René Charles Andrieu, d’abord simple soldat, sergent puis sous-lieutenant à la fin du conflit, ou les carnets de Jérôme Castan, modeste employé de banque mobilisé au 14e RI, rejoignant le front italien en 1917 (voir ces noms). Le bulletin de septembre 2007 de la Société des Amis du Vieux Nérac, déjà à l’origine de la publication du témoignage de guerre de l’infirmière Léonie Bonnet (voir ce nom), permet également de prendre la mesure de la richesse des sources privées locales. Citons le journal de l’avocat et conseiller général Paul Courrent, engagé volontaire de 42 ans en 1914, tantôt fantassin territorial, tantôt greffier et substitut du commissaire rapporteur d’un conseil de guerre, et le carnet de guerre de Raoul Labadie conservé pour l’année 1915 dans lequel ce sergent du 214e RI âgé de 24 ans témoigne des combats aux Éparges. Il est optimiste en avril 1915 : « Nous progressons de partout. » Il ne parlera jamais de son expérience après-guerre.
Enfin, deux autres correspondances réinventées comme document d’histoire sont venues enrichir ce déjà large panel de témoins de la Grande Guerre. Avec ses cartes postales publiées dans la Revue de l’Agenais, Abel Basset, né en 1875, agriculteur, donne vie à la parole paysanne (voir ce nom). À l’opposé du spectre social, le jeune Herman Douzon, classe 18, issu d’une famille de propriétaires, investie dans la représentation locale de la IIIe République, tente d’échapper à l’infanterie en s’engageant volontaire en 1917 dans l’artillerie lourde.
Au final, l’émergence des soldats lot-et-garonnais dans la sphère du témoignage combattant s’explique en partie par le rôle moteur des acteurs de la mémoire du département, soutenus par l’intérêt croissant de notre société pour les récits de vie. Elle montre le poids de l’écriture populaire en guerre, l’importance aussi de poursuivre le travail de collecte des sources issues de toutes les strates de la société. Ainsi est-il possible de réévaluer les liens front /arrière dans la réalité des pratiques d’échanges, le rapport des sociétés à la guerre par le biais des différentes identités sociales qui les composent, dans leurs singularités et sur la durée du conflit.
Alexandre Lafon

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Mercadié, Maurice

Dans le cadre des activités de la bibliothèque patrimoniale du Grand Cahors, ont été recueillis des témoignages lotois sur la période de la Grande Guerre, regroupés en chapitres thématiques : Didier Cambon et Sophie Villes, 1914-1918, Les Lotois dans la Grande Guerre, tome 1 Les Poilus, préface du général André Bach, Les Cahiers historiques du Grand Cahors, 2010, 197 p.
Cultivateur à Montgesty (Lot), Maurice Mercadié a laissé son témoignage dans 200 lettres adressées à sa famille. Il a combattu au 1er RI. Dès le 19 septembre 1915, il aspirait à la « bonne blessure » : « L’autre jour, j’ai eu des camarades qui ont été blessés au cours d’un bombardement, je voudrais bien être blessé moi aussi pour aller passer quelques jours tranquilles dans un hôpital. » Et il a été blessé deux fois, en septembre 1916 et en août 1918.
Son attitude d’hostilité à la guerre s’exprime en particulier en 1918 (p. 80). Le 19 mars, après de longues marches, il conclut : « Je vous assure que nous en avions assez. » Le 21 avril, contre les officiers : « Les officiers du bataillon ont été assez nettoyés. Mais celui que j’aurais voulu voir partir par exemple, c’est le nôtre, je ne lui souhaite pourtant pas de mal mais une belle blessure qu’on ne le voie pas de quelque temps. » Il va jusqu’à s’en prendre violemment à ceux qui dirigent le monde : « Ah c’est malheureux de passer une vie si pénible ! Mais je me demande si ces bandits qui sont en tête de tout ne seront pas bientôt fatigués de faire égorger les peuples ? Où veulent-ils en venir ces misérables ? »
Rémy Cazals, avril 2016

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Rozière, Adrien

Dans le cadre des activités de la bibliothèque patrimoniale du Grand Cahors, ont été recueillis des témoignages lotois sur la période de la Grande Guerre, regroupés en chapitres thématiques : Didier Cambon et Sophie Villes, 1914-1918, Les Lotois dans la Grande Guerre, tome 1 Les Poilus, préface du général André Bach, Les Cahiers historiques du Grand Cahors, 2010, 197 p.
Adrien Rozière était dans la vie civile ouvrier pâtissier à Lherm. Sa photo est dans le livre, p. 63. Il est parti avec le 120e RI et a rédigé des carnets dans un style spontané.
Fait prisonnier en septembre 1916, il a su décrire avec justesse le terrible moment de la capture, lorsque lui et ses camarades sont entourés de soldats allemands « baïonnette au canon et y en avait qui faisaient mine de nous embrocher et ils poussaient des cris comme des sauvages, on était blancs comme du papier ». Ils sont conduits vers l’arrière : « Un soldat qui parlait très bien le français nous a parlé un grand moment et il nous a dit que l’on pouvait être contents car l’on était presque sauvés et lui ne l’était pas. [Situation équivalente vécue par Fernand Tailhades, voir ce nom.] Il nous a dit qu’il avait travaillé 3 ans à Paris et il nous a quittés en sifflant Sous les ponts de Paris. » Au camp de Würzburg, décrit p. 188-189, Adrien et ses camarades découvrent quelque chose qu’ils ne connaissaient pas, la faim. Il parle du premier colis reçu : « Ce cher premier colis que avec je vais pouvoir contenter mon pauvre estomac qui souffre tant depuis mon arrivée, car il faut croire que depuis ce jour-là on a plus mangé à sa faim, chose qui m’était inconnue. Et tout le monde au camp était comme moi. » Les gardiens du camp sont souvent brutaux, mais la vie en kommando de travail est plus agréable et, le 25 décembre 1916, les prisonniers français sont invités aux fêtes de Noël, ils reçoivent un petit cadeau et le souhait qu’ils retrouvent au plus tôt leur famille.
En décembre 1917, il a bénéficié d’une libération sanitaire par la Suisse.
Rémy Cazals, avril 2016

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Bibinet, Cyrille

Dans le cadre des activités de la bibliothèque patrimoniale du Grand Cahors, ont été recueillis des témoignages lotois sur la période de la Grande Guerre, regroupés en chapitres thématiques : Didier Cambon et Sophie Villes, 1914-1918, Les Lotois dans la Grande Guerre, tome 1 Les Poilus, préface du général André Bach, Les Cahiers historiques du Grand Cahors, 2010, 197 p. La photo de Cyrille Bibinet illustre la couverture du livre.
Ce cultivateur de Saint-Martin-Labouval (Lot), marié et père d’une fillette de deux ans, est parti au 11e RI de Montauban. Il a successivement rempli huit carnets qu’il venait soigneusement déposer chez lui lors des permissions, car il accordait une grande importance à la conservation de ces souvenirs. Le texte montre sa curiosité intellectuelle.
Le départ est noté par une phrase laconique (p. 29) : « Par ordre de mobilisation générale du 2 août 1914, fallut se séparer de ma famille, abandonner tous mes travaux agricoles pour endosser l’habit militaire et aller lutter contre un peuple envahisseur jaloux de notre bien-être. » Il est blessé le 15 septembre 1914 et apporte un témoignage intéressant (p. 112-113) sur l’épisode : « J’étais tombé la tête en bas, les jambes paralysées sans pouvoir me remuer. » Lorsque passe un homme de son escouade, il l’appelle. « Enlève-moi mon sac, lui dis-je ; ton sac, me dit-il, tu n’en a pas, l’obus te l’a emporté. »
De retour sur le front, il apprécie la rencontre des « pays » pour boire une chopine ou tenir conversation (p. 165) : « Il me semblait être en famille. » Le comportement vis-à-vis des prisonniers varie. Ainsi, en juin 1915 (les éditeurs du livre n’ont pas indiqué le lieu) : « Toutes les tranchées étaient démolies et englouties pleines de Boches. Les zouaves faisaient des prisonniers, mais les tirailleurs [algériens] point. Ils se régalaient de jeter des grenades ou des bombes à travers les tranchées englouties où les Boches criaient « Kamarade » et les tirailleurs répondaient « Pas Kamarade », boum, une grenade et tous étaient tués ou blessés. »
Au cours d’une permission, « profitant de la saison qui fut très favorable, je fis une bonne partie des semailles en blé » (octobre 1917, p. 159). Mais on a beau être un agriculteur dur à la peine, à la guerre, c’est autre chose : « Nov. 1917, secteur de Verdun. Je rejoins le PC de ma nouvelle compagnie d’affectation. Il faisait une nuit si obscure que le guide se perdit en cours de route et, de trous d’obus en trous d’obus, dans la boue, dans l’eau sans pouvoir allumer la moindre lumière, nous étions à la merci des balles de mitrailleuses et des obus. On passa ainsi trois heures dans des angoisses terribles sans pouvoir s’orienter et le ventre vide. Enfin, un homme de liaison d’un autre régiment venant à passer nous mit dans la bonne direction et à 9 h et demie on arrivait au poste du commandant exténués de fatigue et de faim, pleins de boue et mouillés jusqu’à la ceinture… Je ne puis vous exprimer dans quel état nous étions, les trois qui faisions route ensemble. C’était lamentable, jamais dans la vie civile je n’aurais voulu faire ainsi, m’aurait-on payé avec des billets de mille francs. »
Ses vœux du 1er janvier 1918 peuvent servir de conclusion (p. 79) : « Combien y en avait-il pas qu’il y a un an croyaient que cette guerre serait finie. Et pourtant nous y voilà encore et plus fort embarrassés que jamais. On nous a tenus par des dires, par des discours, par des bourrages de crâne et aucune promesse n’a abouti. Faut espérer quand même, comme on a la routine de le dire en France, que l’année 1918 sera meilleure que les trois précédentes, qu’elle sera fructueuse pour nos armes ou pour notre diplomatie, qu’elle nous amènera la paix tant désirée par tout le monde et que chacun reprendra sa vie normale de famille sachant supporter les diverses difficultés qui viendront encore entraver notre vie. »
Une édition intégrale des carnets de Cyrille Bibinet serait une initiative intéressante.
Rémy Cazals, avril 2016

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Marcenac, René

Dans le cadre des activités de la bibliothèque patrimoniale du Grand Cahors, Didier Cambon et Sophie Villes ont recueilli des témoignages lotois sur la période de la Grande Guerre et les ont regroupés en chapitres thématiques : Didier Cambon et Sophie Villes, 1914-1918, Les Lotois dans la Grande Guerre, tome 1 Les Poilus, préface du général André Bach, Les Cahiers historiques du Grand Cahors, 2010, 197 p. René Marcenac, fils de commerçants de Cahors, titulaire du baccalauréat, est l’un de ces témoins. Il a rédigé des carnets dont de très larges extraits sont donnés dans le livre.
C’est en juin 1915, au 59e RI, qu’il découvre les tranchées. Un ancien lui montre les morts restés dans le no man’s land, « une longue ligne de capotes bleues qui étaient allongées dans la plaine ». Il a écrit de belles pages sur une patrouille de nuit en août, récit qui débute avec la remise d’instructions à un camarade pour avertir la famille au cas où… En septembre, lors d’une « relève descendante », les soldats expriment leur joie : « On blague, on rigole. » Marcenac note qu’en annonçant une attaque pour le lendemain, l’officier affirme que les défenses allemandes seront détruites et qu’il n’y aura plus « qu’à avancer l’arme à la bretelle ». Sans commentaire, les poilus se mettent à échanger leurs adresses pour que les survivants renseignent les familles des tués. Et : « Quelques soldats, un peloton sans doute vient de franchir le parapet, une seconde, un éclair, et les voilà fauchés pour toujours car les mitrailleuses ennemies ont fait leur travail. » Ensuite : « Un des devoirs les plus tristes à faire est certainement la visite de ceux qui sont morts. Il faut quelquefois, pour retourner les poches des poilus, plonger la main dans le sang. On y trouve de toutes choses, des débris de tabac qu’on jette, les carnets de souvenirs précieux pour les familles, la photo de la femme ou de la fiancée… On les enveloppe sous le nom et le matricule du soldat. Comment ne pas penser à la douleur de la maman qui compte sur le retour de son cher fils. Parfois, hélas, le soldat a perdu son livret, la chaîne de la plaque s’est brisée, pas une lettre, pas une enveloppe ne laisse tomber son nom. Force est d’enterrer le mort sans aucun renseignement. » Une fois, Marcenac signale un caporal détrousseur de cadavres (p. 127).
Comme tant d’autres fantassins il a vu des Allemands faits prisonniers et envoyés à l’arrière (p. 96), des Français tués sous le tir des canons français (p. 98) : « C’est terrible d’être tué par les nôtres. On a beau faire allonger le tir, on a beau envoyer un agent de liaison, notre artillerie fauche toujours. » Une trêve (p. 111, texte daté du 16 juin 1915, lieu non mentionné) : Des prospectus annonçant des victoires russes sont envoyés aux Allemands qui finissent par se montrer. « Pendant un quart d’heure environ nous causons entre Français et Allemands, faisant des signes de se rendre. « Jamais », répond l’officier allemand, un homme à monocle. Notre lieutenant qui cause l’allemand leur parle des dernières victoires que nous avons eues. En réponse à la victoire russe, le Boche nous répond en français : « On vous trompe, nous avons pris les forts de Vaux et de Douaumont, vous vous figurez que ce n’est rien ça ? » Des deux côtés ennemis tout le monde est sur le parapet. Après un bon quart d’heure de causerie, tout le monde rentre dans la tranchée. Boches et Français ne sont plus visibles, c’est fini. »
À Verdun en novembre 1917, il écrit une de ces nombreuses pages d’anthologie sur le sujet de la boue, à l’occasion d’une marche nocturne : « Le brouillard devient plus intense, on ne voit plus où on pose le pied. Ouf ! Les pieds s’enfoncent dans la boue qui atteint jusqu’au mollet, parfois aux genoux. La terre qui a été bouleversée par les bombardements continuels, remuée en tout sens, forme glaise, et l’eau reste à la surface ou, si elle parvient à s’infiltrer quelque peu, forme une boue épaisse, gluante. Plus nous avançons, plus cela devient pénible. Un homme tombe à l’eau et disparaît ; à grand peine nous le sortons. Plus loin, c’est un homme enlisé que les hommes arrachent à la boue. Ah ! comme le sac est lourd ! On sent l’eau qui coule le long du corps ayant traversé les effets. […] Mais voilà que soudain un murmure passe le long de la colonne : « Nous sommes perdus, perdus ! » Ah il n’y a rien qui vous coupe les jambes comme cela : perdus ! […] Je prends mon couteau et je coupe ma capote à hauteur de la vareuse, mes camarades font comme moi, nous voilà soulagés un peu car la capote traînant sur la boue emmenait avec elle un paquet de boue. […] Petit à petit le jour arrive, on se regarde, on est méconnaissable […] Eh bien tous les huit nous nous sommes mis à rire. Cela nous paraissait si bizarre notre tenue que nous avons ri et puis la tristesse nous a repris. De tous côtés, aussi loin que notre vue pouvait apercevoir, une mer de boue, des trous d’obus remplis d’eau et rien que des trous d’obus, pas une vie humaine. »
Il a su voir les relations entre soldats et officiers (p. 173) : « Dans la vie du poilu il est des choses que celui-ci ne peut oublier. La plus importante, c’est le mal que le gradé lui a fait. En première ligne, l’officier tâche d’être bien avec le soldat mais à l’arrière, pour la moindre chose qu’il fasse, le gradé fait valoir ses droits en punissant sévèrement l’homme qui a fauté pour bien peu bien souvent. Cependant le poilu, bien souvent père de famille obsédé par le cafard, par la misère que subit sa famille, a des minutes de faiblesse, un moment de laisser aller. Malheur au pauvre poilu s’il commet une faute, aussi légère soit-elle. Ah ! triste vie que ce métier militaire. Quand donc serons-nous affranchis de ce joug qui pèse tant sur nos épaules de forçats, quand, quand ? »
Ce n’est que le 15 septembre 1919 qu’il est démobilisé (p. 82) : « Le cauchemar était fini. »
Rémy Cazals, avril 2016

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Dantony, Etienne (1879-1917)

Dans le cadre des activités de la bibliothèque patrimoniale du Grand Cahors, Didier Cambon et Sophie Villes ont recueilli des témoignages lotois sur la période de la Grande Guerre et les ont regroupés en chapitres thématiques : Didier Cambon et Sophie Villes, 1914-1918, Les Lotois dans la Grande Guerre, tome 1 Les Poilus, préface du général André Bach, Les Cahiers historiques du Grand Cahors, 2010, 197 p. Un de ces témoins, Étienne Clément Dantony, né à Montgesty (Lot) le 29 novembre 1879, agriculteur, est parti en guerre au 131e RIT, puis a été versé au 9e RI. Dans sa lettre du 10 août 1914 , il tente de rassurer sa famille : « Nous sommes vieux pour aller au front, aussi nous sommes à passer du beau temps et il nous faut en profiter. » Il se soucie du travail à la ferme, là-bas, « au pays » : « Dans votre lettre, vous me dites qu’au pays il ne fait que pleuvoir, cela ne vous avancera pas pour les travaux du printemps, surtout pour commencer de labourer les vignes et s’il pleut comme vous me dites, c’est impossible que vous puissiez y rentrer, surtout dans le terrain du Sierey » (15 mars 1916). Et, le 20 avril : « Quoique nous soyons bien, notre absence se trouve à dire pour les travaux de la maison ; j’aurais bien voulu, s’il m’avait été possible, vous aider à travailler les vignes, le temps m’aurait pas été si long. »
Comme tant d’autres, il aspire à retrouver sa vie du temps de paix : « Il me tarde beaucoup que cette maudite guerre finisse et qu’on nous laisse reprendre l’ancienne vie civile car à présent l’on en est fatigué de cette maudite vie. Ce n’est pas une existence. Il faut avoir espoir que cette guerre ne peut pas durer toute la vie et qu’avant longtemps Dieu nous accordera la paix tant désirée et elle sera la bienvenue. »
La « maudite guerre » a pris sa vie le 22 mai 1917 dans la Meuse.
Rémy Cazals, avril 2016

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Gardes, Simon (1893-1914)

Dans le cadre des activités de la bibliothèque patrimoniale du Grand Cahors, Didier Cambon et Sophie Villes ont recueilli des témoignages lotois sur la période de la Grande Guerre et les ont regroupés en chapitres thématiques : Didier Cambon et Sophie Villes, 1914-1918, Les Lotois dans la Grande Guerre, tome 1 Les Poilus, préface du général André Bach, Les Cahiers historiques du Grand Cahors, 2010, 197 p.
Simon Antonin Gardes est l’un d’eux. Il est né le 28 octobre 1893 à Payrac (Lot) et a été tué à l’ennemi le 20 décembre 1914 à Perthes-les-Hurlus, à l’âge de 21 ans. Sergent au 7e RI, il était passé au 207e RI. On a peu de choses de lui : une photo (p. 63 du livre) et quelques lettres adressées à ses parents et à sa sœur Marie. Certaines nous apprennent qu’il était catholique pratiquant : il assiste à la messe, aux vêpres. Le 2 novembre 1914, il écrit : « Des Cadurciens se trouvent au 207e. Ils n’osaient pas faire leur devoir de catholique à Cahors, ils le font à 5 km de l’ennemi. J’ai encore fait ma communion ce matin. »
Le 29 juillet, en pleine crise internationale, il avait écrit à Marie : « Je vois que tu as l’air de te faire beaucoup de mauvais sang pour moi à cause de la guerre. Tu sais que, si elle éclate, il faut que je parte et cela fait que si je vous sais tous à vous faire de la bile et pleurer, comment veux-tu que moi, qui n’ai besoin que de courage et de sang-froid, je résiste à tout cela ? Je puis t’affirmer que, s’il le faut, je partirai de bon cœur et avec du courage en main. Tu sais qu’entre l’Allemagne et nous il faut que ça casse une fois ou l’autre. Si l’heure est arrivée, nous verrons qui aura le dernier mot, mais nous ne craignons rien. » Cependant, dès le 14 octobre, il écrit : « Nous en avons soupé presque tous de la guerre. » Et il termine sa lettre du 18 décembre par un « Vivement la paix ! » Il sera tué deux jours plus tard.
Rémy Cazals, avril 2016

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Lafon, Ernest

Dans le cadre des activités de la bibliothèque patrimoniale du Grand Cahors, Didier Cambon et Sophie Villes ont recueilli des témoignages lotois sur la période de la Grande Guerre et les ont regroupés en chapitres thématiques : Didier Cambon et Sophie Villes, 1914-1918, Les Lotois dans la Grande Guerre, tome 1 Les Poilus, préface du général André Bach, Les Cahiers historiques du Grand Cahors, 2010, 197 p.
Le témoignage de l’instituteur d’Albas, Ernest Lafon, est peu contextualisé. On ne donne pas son âge ; on dit seulement qu’il a écrit une « relation » des premiers jours de la guerre, vus du Lot ; on sait seulement qu’il a été mobilisé au 131e RIT. Mais ses notes sur juillet-août 1914 sont intéressantes. Il constate que les journaux de fin juillet ont rétrogradé l’affaire Caillaux à la rubrique des faits divers, tandis que les nouvelles de la tension internationale deviennent de plus en plus inquiétantes. « C’est avec une fièvre croissante qu’on attend l’arrivée du courrier. Incapable de continuer ma classe avec calme, je fais les cent pas autour des rangées de bancs. » L’assassinat de Jaurès est « un véritable coup de massue asséné sur nos cerveaux déjà si abattus ». Le télégramme annonçant la mobilisation générale arrive à Albas le 1er août. C’est le dernier jour d’école avant les grandes vacances ; avant de se séparer, maître et élèves crient ensemble : « Vive la France ! » Le 3 août, il voit partir un groupe de jeunes gens qui annoncent leur retour « pour les vendanges ou au plus tard pour boire le vin nouveau ».
Il rejoint la gare de Camy à bicyclette pour assister au départ du train : « Quelle foule ! Il en est venu de partout, de la montagne et de la plaine. Les nôtres, tranquillement assis à l’ombre d’un platane, se trouvent un peu isolés au milieu de toute la population luzechoise qui, fanfare en tête, accompagne ses enfants. Comment rapporter tant d’émouvantes scènes, le stoïcisme de la part de ceux qui restent et qui s’efforcent de maintenir leur abnégation à l’altitude du courage de ceux qui s’en vont ? Je vois encore ces couples muets, la femme appuyée sur l’épaule du mari observant une héroïque froideur, une réserve sublime pour éviter toute défaillance. »
Rémy Cazals, avril 2016

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Sudres, Pierre (18..-1936)

Dans le cadre des activités de la bibliothèque patrimoniale du Grand Cahors, Didier Cambon et Sophie Villes ont recueilli des témoignages lotois sur la période de la Grande Guerre et les ont regroupés en chapitres thématiques : Didier Cambon et Sophie Villes, 1914-1918, Les Lotois dans la Grande Guerre, tome 1 Les Poilus, préface du général André Bach, Les Cahiers historiques du Grand Cahors, 2010, 197 p.
Parmi ces témoins, Pierre Sudres est conseiller de préfecture à Cahors, issu d’une famille aisée de Saint-Céré. Il a témoigné sur un carnet de route, peut-être revu après la guerre, mais la précision des dates atteste de notes détaillées prises sur le moment.
Rappelé à la préfecture du Lot pendant ses vacances, il est bien placé pour connaitre les nouvelles au moment de la crise de l’été 1914. « L’assassinat de Jaurès éclate comme un coup de foudre. » Puis, lorsque la nouvelle de la mobilisation arrive, le préfet « est très pâle, très ému » ; « les cloches de la cathédrale s’ébranlent, celles des autres églises ne tardent pas à les soutenir de leurs notes lentes et lugubres » ; « les femmes pleurent et se désespèrent ». Lui-même se sent effondré, écrasé, mais il se ressaisit : « Je fais l’offrande de ma vie à mon pays. Le devoir qui va s’imposer à tous les hommes valides de France, je l’accomplirai. […] Je possède quelques biens. Ma mère ne sera pas dans le besoin. Et puis je ne peux pas permettre que nos biens soient défendus par ceux qui n’en ont pas. »
Les combats d’août 1914 commencent mal. Le « Journal de guerre » de Pierre Sudres, sergent au 207e RI, dont de nombreuses pages sont reproduites dans le livre, décrit la retraite des soldats et l’exode des civils : « Poignant spectacle, je contemple le cœur serré ces longues théories de chariots surchargés parfois d’objets inutiles, indice du désarroi et de la rapidité avec laquelle ils ont été assemblés. Je suis d’un regard compatissant ces hommes âgés, ces enfants, ces femmes, ces vieillards qui suivent les restes d’un foyer brutalement abandonné. » La retraite des troupes se fait dans le plus grand désordre après la défaite de Bertrix. On a de la peine à creuser des tranchées car les soldats se sont débarrassés de leurs outils portatifs. Puis c’est la bataille de la Marne, les troupes comprenant « confusément » dès le 6 septembre que la situation est en train de changer.
En décembre 1914, il connait son « grand premier coup de chien », l’assaut sous les balles et la prise d’une tranchée allemande dont les occupants préfèrent se rendre : « Ils ont considéré comme inutile de résister, n’ayant pas sans doute une possibilité de retraite. Ils manifestent du reste une visible satisfaction et ils ne paraissent qu’inquiets de la réaction que cette attaque va provoquer de la part des leurs. » Pierre Sudres en tire un bilan critique : « Décidément, cette attaque partielle me paraît être injustifiée. Ses faibles résultats sont trop disproportionnés avec les pertes qu’ils coûtent. »
Pierre Sudres finira la guerre comme sous-lieutenant. Atteint par les gaz, il en gardera des séquelles jusqu’à sa mort en 1936.
Rémy Cazals, avril 2016

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