Fontaine, Amand (1875-1944)

1. Le témoin
Né le 2 septembre 1875 à Dompierre-du-Chemin (Ille-et-Vilaine), il est le fils d’un instituteur laïc qui exerce dans cette commune de 1869 à 1894.
Entré à l’Ecole normale de Rennes en octobre 1891, il en sort en 1894, brevets élémentaire et supérieur en poche ; il obtiendra, en 1896 et 1899, un diplôme de gymnastique et son certificat d’aptitude pédagogique. Instituteur adjoint à Ercé-près-Liffré (1894) puis Comblessac (1896) dans un premier temps, il enseigne ensuite successivement à Sixt-sur-Aff (1897), Saint-Broladre (1901), Orgères (1902) puis Bain-de-Bretagne (1902). Il obtient enfin, en septembre 1905, une charge d’école à Brain-sur-Vilaine, à quelques kilomètres de là. Cette même année, il a épousé l’une de ses collègues, Henriette Thierry. Deux filles naîtront de cette union. Bien noté, Fontaine obtient une mention honorable en 1909, est proposé pour une lettre de félicitation en 1913, reçoit par ailleurs une médaille de bronze au titre de l’enseignement agricole (1910) puis une médaille de vermeil au titre de l’enseignement horticole (1913). L’instituteur est en effet très investi dans ce type d’enseignement par le biais des œuvres post-scolaires, très à la mode dans ces années 1905-1914, alors que la concurrence entre écoles publique et privée est particulièrement rude en Bretagne.
Il a effectué son service militaire au sein du 70e régiment d’infanterie (Vitré) en 1896-1897. Promu caporal le 16 mai 1897 puis sergent, comme réserviste, en août 1900, il accomplit les différentes périodes de réserve auxquelles il est astreint en 1900, 1905 et 1910. En 1908, il a été versé dans la territoriale, en l’occurrence au sein du 76e RIT (Vitré).
Démobilisé le 7 janvier 1919, il retrouve pour quelques mois l’école de Brain avant d’être nommé directeur d’école à Acigné à compter de septembre 1919. Il occupe encore ces fonctions lorsqu’il fait valoir ses droits à la retraite en septembre 1932. Il se retire alors à Rennes avec son épouse. Amand et Henriette sont tués dans les bombardements de Rennes, le 9 juin 1944.

2. Le témoignage
Appelé à servir à compter du 4 août 1914 comme sergent au sein du 76e RIT de Vitré, Amand Fontaine rédige, sans doute au jour le jour, sur un cahier d’écolier, un journal racontant les premiers jours de combats du régiment sur le front des Flandres, au nord d’Ypres, entre le 18 octobre et le 18 novembre 1914. Les régiments de la 87e DT sont alors en première ligne dans le secteur de Langemarck et subissent les assauts répétés des troupes allemandes engagées dans la première bataille d’Ypres.
Légué aux archives municipales de Rennes avec quelques photos et quelques rares documents se rapportant à la Grande Guerre, ce témoignage complète utilement ceux laissés par d’autres territoriaux de cette division ou de ce régiment sur les combats d’octobre-novembre 1914 :
• CLEMENT, Joseph, Carnets de guerre d’un officier d’Infanterie territoriale. Lieutenant Clément Joseph au 76e RIT, [du] 5 octobre 1914 au 20 novembre 1918, et la première attaque aux gaz du 22 avril 1915, Plessala, Association Bretagne 14-18, 2006
• COCHO, Paul, Mes carnets de guerre et de prisonnier, 1914-1919, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010 [sur le 74e RIT].
Deux enfants de Plaintel morts pour la France pendant la Grande Guerre 1914-1918, Plessala, Association Bretagne 14-18, 2005 [lettres de Jacques Morel, du 74e RIT]
• NEL, Raoul (Dr), Boesinghe ou les combats de la 87e Division territoriale sur l’Yser. 1914-1918, Rennes, Impr. du Nouvelliste de Bretagne, 1922 [sur les 76e et 79e RIT].
• PREAUCHAT, Elie, Carnets de guerre et de captivité d’Elie Préauchat, soldat à la 9e Cie du 74e RIT de Saint-Brieuc, Plessala, Association Bretagne 14-18, 2006.

L’on ne sait rien ou presque en revanche de la suite de la guerre d’Amand Fontaine, si ce n’est qu’il occupe, à compter du début de l’année 1915 sans doute, une position bien moins exposée au sein du 76e RIT : il est alors rattaché à l’état-major de son unité en tant que vaguemestre, ce qui le dispense des séjours en première ligne, alors même que le régiment territorial de Vitré ne connaît plus guère d’épisodes aussi sanglants que ceux qu’il a contés ; le régiment est, entre autres, en 2e ligne lors de l’attaque au gaz du 22 avril 1915, et ce sont les territoriaux de Guingamp (73e RIT) et Saint-Brieuc (74e RIT) qui subissent les plus fortes pertes. Promu sergent-major le 18 juillet 1915, blessé et évacué le 7 septembre 1916, il regagne le front en janvier 1917 avant de passer au 79e RIT un an plus tard, après la dissolution du 76e. Il finit la guerre en servant comme sergent-major au sein de la 9e Cie du 500e RIT, jusqu’à sa démobilisation en janvier 1919.

3. Analyse
C’est avant tout la découverte de la guerre dans toute sa violence qu’offre à lire Fontaine dans ce journal. Il est significatif qu’alors qu’il a été mobilisé en août, qu’il a sans doute participé à la défense des côtes du Cotentin avec le reste de la 87e DT dans les semaines suivantes, ce n’est qu’en arrivant à proximité directe du front, dans les Flandres, le 18 octobre 1914, que l’instituteur débute la rédaction de ce texte. Au cœur des combats au nord d’Ypres, les territoriaux bretons et normands découvrent une situation qu’ils n’avaient sans doute pas imaginée, y compris pendant les 15 premiers jours d’octobre en Flandre française.
La faim – mais Fontaine y insiste moins que d’autres –, le froid des nuits – celles du 3 novembre, « très froide, passée dans la tranchée », ou du 11, « passée dans la tranchée, sous la pluie, le froid et les balles » –, les conditions d’hygiène à l’avenant – le 30 octobre, Fontaine dit « changer de chemise ce que je n’avais pas fait depuis 15 jours et me débarbouiller ce qui ne s’était pas fait depuis 8 jours » –, la fatigue – « je suis vanné » écrit Fontaine le 11 novembre – sont une part essentielle de ce témoignage.
Mais les passages les plus forts sont indubitablement ceux consacrés à la confrontation à la mort et à l’horreur des combats. Alors que les assauts des troupes allemandes font place aux contre-attaques plus ou moins ordonnées de l’infanterie française, le nombre de morts peuplant le no man’s land croît : « nos tranchées sentent le macabée. Les cadavres sont en décomposition » écrit par exemple Fontaine à la date du 7 novembre. Parmi ceux-ci, certains de ses collègues, dont le décès marque profondément l’instituteur : sans doute les connaît-il parfois de longue date, de même que son épouse à qui ce carnet est adressé.
La germanophobie exprimée à l’égard des « Pruscos » et « Alboches », l’indifférence affichée à l’égard de blessés ennemis « trouvés dans une ferme à moitié dévorés par les porcs » – l’épisode tient sans doute de la rumeur – se muent en raison en une compassion sincère alors que les combats se font plus violents : « pauvres Allemands, pauvres Français. Quel mauvais génie vous pousse ainsi à vous détruire » s’interroge-t-il par exemple le 14 novembre.
La peur de mourir – une peur avouée à demi-mot à son cahier et, par ce biais, aux siens, mais une peur dominée – semble expliquer cette évolution. Elle apparaît clairement à compter du 7 novembre : « Nous sommes portés en 1ère ligne d’une situation périlleuse. Ce peut être ma fin ». Et, s’adressant à sa famille : « Pauvre Henriette, pauvres enfants. Heureusement que vous ne me savez pas là ». Le 9, après la mort de plusieurs camarades, il note que « tous y passeront », sa « pensée se port[ant] vers le village de Brain ». « Femme et enfants chéris, je ne crois plus vous revoir ! » confesse-t-il.
Yann Lagadec

Source : LAGADEC, Yann, « “Si jamais tu lis ces lignes, maudis la guerre…”. Amand Fontaine, un instituteur breton dans la première bataille d’Ypres avec le 76e RIT de Vitré (octobre-novembre 1914) », Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, 2012, p. 287-315.
Texte disponible en ligne :
http://www.sahiv.fr/images/stories/lagadec%20fontaine%2076e%20rit%20bmsahiv%202012.pdf

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Clément, Joseph (1876-1968)

Le témoin
Il est né le 23 décembre 1876 à La Bouillie, dans les Côtes-du-Nord. Il s’engage dans l’armée le 30 octobre 1896. Caporal le 2 avril 1898, il est nommé sous-officier le 18 novembre 1898. Le 30 octobre 1909, alors qu’il est au 70e RI de Vitré, il quitte l’armée. Il est mobilisé le 2 août 1914 au 76e régiment d’infanterie territoriale de Vitré. Nommé sergent-major le 4 août 1914, puis adjudant-chef le 25 septembre 1914, il gagne son galon de sous-lieutenant à titre temporaire le 10 novembre 1914. Nommé lieutenant à titre temporaire le 16 juillet 1915, il est confirmé à titre définitif dans ce grade le 12 juillet 1917. À la dissolution du 76e RIT en janvier 1918, il est affecté au 80e RIT de St-Lô. Après la guerre, il sera rattaché au 136e RI de St-Lô, puis passera comme capitaine au 71e RI de St-Brieuc. Directeur de banque à St-Brieuc, Joseph-Marie Clément y décèdera en 1968.
Le témoignage
Il nous a laissé trois petits carnets dans lesquels il a noté, au jour le jour, les événements, grands ou petits, auxquels il a participé de près ou de loin. Ils couvrent la période du 5 octobre 1914 au 20 novembre 1918. Ce sont de tous petits calepins (à peine 8×5) rédigés en une écriture serrée, parfois difficilement lisible. Auprès des annotations rapportées ici, apparaissent toutes les préoccupations matérielles quotidiennes qui sollicitent tout officier d’infanterie. On y trouve des listes de noms de soldats, des instructions pour les vaccinations, des quantités de matériel à prendre au parc, des adresses de parents, d’amis, etc.
Son journal débute par des notes brèves, parfois sèches, témoignages d’une période de mouvements peu propice à des travaux d’écritures. Ensuite, les comptes rendus prennent plus de consistance et introduisent toutes les préoccupations du moment, y compris les récriminations contre les injustices de promotions dans les grades et décorations dirigées vers les non-combattants des États-majors, si petits soient-ils.
L’ouvrage
La reprise des carnets de Joseph-Marie Clément aurait pu se suffire à elle-même. Cependant, p. 8 à 10, il se montre exceptionnellement très disert et relate l’attaque aux gaz du 22 avril 1915, événement que son régiment vécut d’abord en spectateur alors que le 76e RIT s’apprêtait à relever l’autre brigade de la 87e DIT bretonne, celle formée par les 73e RIT (Guingamp) et 74e RIT (St-Brieuc). Ces deux unités vont se trouver plongées dans la nappe de gaz et être décimées, ce qui obligera le régiment territorial vitréen à monter en ligne pour combler la brèche qui se formait, ce que narre le lieutenant Clément. Sur cette journée du 22 avril, les témoignages sont multiples, fort variés, voire contradictoires. Nous avons voulu ajouter au texte du lieutenant Clément (37 pages) un dossier sur cette fameuse journée du 22 avril (60 pages). En consultant les archives militaires de plusieurs pays ou des témoignages de combattants ayant subi cette attaque ou y ayant assisté, nous constatons que, selon la nationalité des témoins, elle fut « la journée » des Belges, celle des Bretons, celle des Anglais ou celle des Canadiens, de façon exclusive. Selon le lieu de la ligne de front, au nord et à l’est d’Ypres, les relations divergent et, surtout, ignorent que ce fut tout un ensemble de régiments de plusieurs nations qui fut touché et non seulement des régiments belges, bretons, anglais ou canadiens. Parmi ces unités, se trouvèrent des troupes qu’on n’évoque presque jamais, alors qu’elles furent sans doute les plus éprouvées : le 1er bataillon de marche d’Infanterie Légère d’Afrique, des « Joyeux » presque tous asphyxiés, et le 1er régiment de marche de tirailleurs algériens. Nous avons voulu présenter un dossier aussi complet que possible sur cette terrible journée et sur « cet incident fâcheux, sans résultat grave » (général Joffre), sans parti pris national ou régional. Nous savons ce que des régiments territoriaux bretons subirent ce 22 avril. Nous savons aussi qu’ils n’étaient pas seuls en ligne et qu’ils ne furent pas les seuls décimés.
René Richard
Carnets de guerre d’un officier d’infanterie territoriale. Lieutenant CLEMENT Joseph 76e RIT de Vitré et La première attaque aux gaz du 22 avril 1915, Plessala, Bretagne 14-18, 2006, 99 p.

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