Né à Valence-sur-Baïse (Gers), le 16 avril 1882. Études au séminaire d’Auch. Curé de Margouet-Meymes. Nommé à Cassaigne le 18 avril 1914, il ne peut occuper son poste que pendant quelques mois car il est mobilisé et affecté à la 17e section d’infirmiers militaires de la 67e division de réserve (celle du docteur Voivenel, voir ce nom).
Henri Faget a retrouvé dans sa famille et autour les lettres envoyées à ses paroissiens notables par le curé devenu soldat (« déguisé en soldat », comme il le dit lui-même dans sa lettre du 28 août 1914, lettre qui demande aussi des nouvelles de « Monsieur Maurice », Maurice Faget, fils de ses correspondants principaux, et père d’Henri). Voir la notice Faget Maurice. Les lettres sont réunies dans un petit livre à compte d’auteur d’Henri Faget, publié sous le titre Alban Planté, Lettres d’un prêtre-soldat à ses paroissiens, avril 1914-décembre 1916, chez l’auteur (henri.faget459@orange.fr), 2014, 102 p.
Dans ses lettres, le curé emploie un ton de respectueuse et amicale plaisanterie. Il se préoccupe de la décoration de sa chère église ; il lance quelques piques à certains confrères à propos du denier du culte. Il demande l’envoi de son calice pour pouvoir dire la messe, mais il doit y renoncer car le paquet risquerait de s’égarer. De Cassaigne, ces dames lui envoient une étrenne qu’il utilise pour venir en aide à une famille éprouvée (p. 46 et 50). Lors des grandes fêtes chrétiennes, il adresse des lettres pastorales à ses paroissiens pour les réconforter.
Au début de la guerre, il passe quelque temps à Toulouse (p. 10), mais il arrive à Suippes en Champagne le 16 août, il gagne l’Argonne, puis se replie vers Verdun avant que la victoire de la Marne ne rétablisse la situation (p. 88). Il écrit : « Les services de la voirie n’ont plus de secrets pour moi, puisque j’ai passé un peu par tous : j’ai raclé la boue, cassé des cailloux, curé des fossés, enlevé des fumiers, déchargé du sable et du ciment, charrié du gravier avec la brouette pour la reconstruction d’un pont. […] Enfin, le 8 décembre, j’étais à ma grande joie affecté comme infirmier-major à la salle des fiévreux dans notre ambulance de Sommedieue. » Il lui arrive de dormir dans un grenier infesté de souris et de rats (p. 30-31), mais il est souvent accueilli dans des couvents (p. 20 et 38) car « les bonnes sœurs n’ont pas voulu que je couche dans le foin ».
Les lettres contiennent une fois l’expression « maudite guerre » (13 novembre 1914, p. 30), et reconnaissent l’existence du « cafard » qui est l’équivalent du spleen ou de l’ennui (p. 35). Mais il ne cesse de dire que la santé morale de l’armée est bonne (30 octobre 1914), que les soldats sont étonnants d’enthousiasme (17 janvier 1915), alors que les Allemands connaissent la faim (d’après la lettre d’un prisonnier qui aurait écrit : « assi lou pan coummenço à manca »). D’un autre côté, c’est Dieu qui dirige les opérations : « les fautes de la France pèsent bien lourd dans un plateau de la balance de Dieu », mais cela peut être compensé par les pleurs, les prières, les sacrifices (p. 25). Dans tous les cas, le Christ aime les Francs (p. 43) et Dieu ne voudra pas imposer à la France des épreuves trop dures (p. 47). Quant à la religion, « elle nous réconforte en ce sens qu’elle nous apprend à accepter la souffrance de la main de Dieu (p. 49).
La lettre pastorale pour être lue le 25 décembre 1915 (p. 75-80) revient sur « le courage incontestable de nos valeureux soldats et le génie incontesté des chefs qui les commandent ». Elle expose les raisons de ne pas faire la paix « dans l’état actuel des choses » et elle souhaite « que notre Patrie sorte de l’épreuve actuelle grandie moralement aux yeux du monde entier ».
La lettre du 5 avril 1916 est envoyée de Dax où le curé Planté est soigné par les Pères Lazaristes. Son état de santé s’est dégradé à un tel point qu’il a été évacué. De là, il s’insurge contre la « rumeur infâme » exposée par un journal de Toulouse (La Dépêche, dont il ne cite pas le titre) qui prétend que les prêtres ne font pas leur devoir militaire de Français. « Tous les prêtres-soldats de France ont magnifiquement rempli jusqu’au bout le rôle qui leur a été départi au début de la campagne. » Que les journalistes qui font la guerre à Toulouse viennent passer quelque temps dans les tranchées !
La dernière lettre retrouvée, de décembre 1916, envoyée aux paroissiens, évoque son départ pour l’armée d’Orient. Il en profite pour faire l’histoire des premières années du siècle, ouvertes par l’Exposition universelle et les affirmations de « Science, Civilisation, Progrès ». Mais « la principale préoccupation était le plaisir ». Puis on a voulu chasser les congrégations et imposer la loi de Séparation « pour étrangler l’Église de France ». C’est le danger de la Patrie et la guerre qui ont fait retrouver l’union.
Henri Faget nous informe qu’aucune autre lettre n’a été retrouvée. Revenu à son presbytère de Cassaigne, Alban Planté y est mort le 5 avril 1919.
Rémy Cazals, avril 2016
Voivenel, Paul (1880-1975)
1. Le témoin
Son père, d’origine normande, était capitaine de gendarmerie dans les Hautes-Pyrénées, ce qui explique la naissance de Paul Voivenel à Séméac, le 24 septembre 1880. Il fait des études de médecine à Toulouse et se spécialise dans les maladies mentales, montrant aussi un vif intérêt pour la littérature et le rugby. Lors des manœuvres de 1913, il sauve la vie de l’attaché allemand von Winterfeldt, victime d’un accident, ce qui lui vaut une décoration prussienne qu’il renvoie lors de la déclaration de guerre. Pendant la guerre, il devient médecin de bataillon au 211e RI de Montauban, puis au 220e. Il connaît les premiers échecs de 1914, la Marne, les attaques stériles de 1915, puis deux engagements à Verdun, en février et septembre 1916. Il est alors nommé médecin chef de l’ambulance 15/6, puis d’une ambulance Z, spécialisée dans les soins des victimes des gaz.
Après la guerre, il reprend son activité de médecin neuropsychiatre à Toulouse, rédigeant de nombreuses chroniques médicales, littéraires et sur le rugby (il est président d’honneur de la Fédération française de ce sport). Le monument aux morts de son village d’adoption, Capoulet-Junac (Ariège), dû au ciseau de son ami Bourdelle, est inauguré par le maréchal Pétain en novembre 1935. Grand notable, ses sympathies le portent vers le maréchal au pouvoir. Ses œuvres du début des années 40 en témoignent, mais il n’est pas inquiété après la chute du régime.
2. Le témoignage
Jean Norton Cru donne à Paul Voivenel une place dans Témoins. Il cite quatre livres de réflexions, écrits en collaboration : Le courage (1917) qui ignore les meilleurs témoins, cite quelques bons et beaucoup de médiocres ; La psychologie du soldat (1918), plus concret, mais marqué par un nationalisme superficiel ; Le cafard (1918), affaibli par la prise en compte des héros de romans ; La guerre des gaz (1919), journal d’une ambulance Z, étude émaillée de souvenirs personnels sur le service de santé en général. Jean Norton Cru estime que Voivenel a eu raison de publier ces volumes, mais qu’il n’a pas fait montre d’assez d’esprit critique, qu’il s’est laissé prendre aux pièges d’une littérature verbeuse et irresponsable. Sa conclusion : « Nous aurions beaucoup gagné, et Voivenel aussi, à ce qu’il s’en tînt à sa 67e division et à son poste de secours. »
Voivenel s’est félicité des remarques positives de JNC et a admis ses critiques : « Il fait à mes livres de guerre les reproches que précisément je leur ferai moi-même. » Mais il avait tenu un carnet personnel et, piqué au vif par la conclusion de JNC, il le publie entre 1933 et 1938, en quatre volumes faisant un total de 1256 p., sous le titre Avec la 67e DI de réserve (Paris, Librairie des Champs Elysées), recueillant les appréciations favorables de Genevoix, Dorgelès, et Pétain. Gérard Canini en a donné les passages concernant Verdun, tirés des tomes 2 et 3, dans Paul Voivenel, A Verdun avec la 67e DR, Presses universitaires de Nancy, 1991, 186 p.
3. Contenu
Le docteur Voivenel décrit les illusions des premiers jours, puis l’adaptation à la guerre des tranchées. En plein accord avec Jean Norton Cru et tant d’autres bons témoins, il note qu’il n’a pas observé de blessure par baïonnette. Pour médecins et infirmiers, les périodes calmes alternent avec l’afflux de blessés qu’on ne peut soigner que sommairement (voir Albert Martin et Prosper Viguier). Il note la distribution de gnôle avant l’attaque et le fait qu’à ce moment-là, « ne pas obéir serait se déshonorer ». Il critique les attaques stupides pour alimenter le communiqué : « Pour ne rien obtenir on s’est entêté à sacrifier des hommes. » Voivenel s’en prend aux officiers d’état-major « tirés à quatre épingles » et aux décorations distribuées de manière scandaleuse. Le fantassin, quant à lui, « veille, il creuse, il va en patrouille, il vit en permanence au milieu des dangers qui excitent l’imagination des autres. Il ne se croit pas héroïque, mais il plante des piquets en avant de la tranchée, installe des réseaux de fil de fer, porte sur le dos d’énormes rondins, le charbon, la chaux, va au ravitaillement à une heure de marche par tout temps, se fait par surcroît tuer dans des assauts dont le pourcentage de pertes est presque connu à l’avance, et… passe devant le Conseil de guerre à la moindre vétille. » Le docteur note des blessures ou maladies « bidon » quand ça se gâte, mais il admet la « peur morbide » et défend toujours les soldats : il est fier qu’aucun n’ait été fusillé au sein de la 67e division.
Il critique les embusqués (notamment certains confrères toulousains, ainsi que les journalistes) et le bourrage de crâne, donnant à Barrès le titre de « littérateur du territoire ». Il partage la mauvaise appréciation de Jean Norton Cru sur Barbusse et Remarque, mais épargne son ami Dorgelès. D’ailleurs, les légendes peuvent avoir l’utilité de maintenir le moral. Se retrouver entre Méridionaux, et parler occitan, cela peut avoir le même effet. Mais, au final : « De près, c’est ignoble. C’est affreux la guerre. »
Rémy Cazals
Caubet, Georges (1887-1964)
1. Le témoin
Né à Toulouse le 12 octobre 1887. Fils de Baptiste Caubet, cheminot, et de Marie Ponsole, qui tient un petit café-restaurant. Ecole normale de Toulouse, de 1904 à 1908. Instituteur à Lagraulet en 1908. Marié, il a une fille unique. Sergent au 214e RI, 67e Division, celle du docteur Paul Voivenel. Après la guerre, instituteur à l’école de garçons de Fenouillet (Haute-Garonne), de 1919 à 1926, puis à Toulouse. Georges Caubet est mort à Toulouse le 9 mars 1964.
2. Le témoignage
Georges Caubet, Instituteur et sergent, Mémoires de guerre et de captivité, présentés par Claude Rivals, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1991, 135 p., illustrations.
De ses notes prises pendant la guerre, Georges Caubet a tiré trois récits rédigés : « Mes souvenirs sur Verdun – Cumières, Chattancourt, le Mort Homme » (février-mars 1916) ; « Comment je fus fait prisonnier » (8 juin 1918) ; « Six mois de captivité » (juin-décembre 1918). On sait par ailleurs qu’il fut blessé par éclat d’obus le 13 septembre 1916.
Important appareil critique par Claude Rivals, professeur de sociologie à l’université de Toulouse II.
3. Analyse
Le récit de Georges Caubet contient une description « classique » de l’enfer de Verdun, puis du poids de la faim en Allemagne, sur les civils, les soldats, les prisonniers. Il se caractérise par les jugements les plus variés sur les Allemands (combattants et gardiens, soldats et officiers, civils et civiles…) en fonction des multiples situations vécues sur le front, en marche vers la captivité, au travail près des lignes de tranchées en contravention avec les conventions de La Haye, enfin dans les camps de Dülmen et de Cottbus.