1. Le témoin
Né le 19 novembre 1876 à Commenailles (Jura) d’un père exploitant forestier, Pierre Michelin est issu d’un milieu modeste. Son certificat d’études obtenu et après avoir parfait son éducation auprès d’un prêtre précepteur, il s’engage à 19 ans au 27ème régiment d’infanterie (Dijon) dans lequel il passe caporal puis sergent avant d’entrer à Saint-Maixent en 1899. Sorti 3ème/307 de sa promotion (Transvaal) il rejoint le 2ème régiment de tirailleurs algériens d’Oran. Son autodidactisme arabe lui servira dès la déclaration de guerre quand il chiffre en arabe le message de mobilisation (page 10). Il reste quatre ans en Afrique où il combat aux côtés de Lyautey. Il atteint le grade capitaine en 1912 et est fait chevalier de la Légion d’Honneur en 1913. De retour en métropole, il sert dans les Alpes et c’est à ce grade que la guerre le trouve à la tête de la 7e compagnie du 157e R. I. de Gap-Barcelonnette. Nommé commandant à titre temporaire à l’issue des combats de la Chipotte dans les Vosges, il l‘est à titre définitif après la Somme en 1916 mais il quitte alors son régiment pour commander le 43e BCP (Langres). En 1918, il commande le 31e BCP (Sélestat) puis c’est à nouveau l’Afrique en 1923 où, au Maroc, il retrouve Lyautey et participe aux combats du Rif avec le 13e RTA. Rentré en France en 1926, il commande le 46e RI (Fontainebleau) puis quatre ans plus tard il revient à Saint-Maixent comme général (brigadier) commandant l’école. En 1935, promu divisionnaire, il commande la 23e division d’infanterie à Limoges et en 1936, ayant reçu sa quatrième étoile, il est placé à la tête de la 5e région militaire à Orléans. Admis à la retraite en 1938, il est rappelé au service à la mobilisation de 1939 et prend le commandement de la 5e région territoriale (Orléans). Il s’éteint à Limoges en 1952 à l’âge de 76 ans et repose au cimetière de Commenailles.
2. Le témoignage
Michelin, Pierre, (Cdt), 1914-1918, Présents ! Union Latine d’Edition, 1932, 204 pages, (réed. Lavauzelle, 1937, 178 pages).
Michelin, Pierre, (Cdt), Carnets de campagne. 1914-1918. Paris, Payot, 1935, 176 pages, collection mémoires, études et documents pour servir à l’histoire de la guerre mondiale.
Bien qu’il l’ait annoncé en frontispice de cet ouvrage, témoignant a minima de son parcours dans la Grande Guerre (page 10), Michelin fournit un témoignage étique, aveugle de son propre rôle militaire et des actions menées malgré quelques fronts particulièrement difficiles tenus. En effet, ses unités sont tragiquement absentes, presque moins citées que ses propres permissions. Quand il se mue historiographe, il multiplie les lieux communs dans un journal discontinu, à la chronologie hachée, comportant de nombreux passages de silence, parfois de plusieurs mois dont certains sont certes dus à des évacuations pour blessures (du 31 décembre 1914 au 3 avril 1915 (page 43). De même pour l’année 1915, entre les dates du 7 octobre 1914 et 16 février 1916, qui est à deviner dans les quelques cinq pages reproduites. Ainsi, peu de personnes sont citées et l’auteur se borne à l’itinéraire dont l’adjonction de cartes vient encore appuyer l’absence de descriptions d’opérations.
Seul le récit, haletant des combats de la Chipotte et quelques rares belles lignes sur l’avance belge peuvent rehausser ce carnet manqué qui peut alimenter le sentiment de Norton Cru qui seul voit en le soldat, jusqu’au grade de capitaine, le vrai témoin combattant. Pour le reste, il est blessé – comment ? où ? – devant Verdun et l’autre seule blessure est une chute de cheval devant Reims.
Donc l’Historien n’apprend presque rien dans un ouvrage qui mélange souvenirs et notes issues d’un carnet de route, parfois délaissé pour des raisons stratégiques. En effet, il déclare (page 160) : « J’ouvre un carnet de fortune, l’interdiction étant formelle de garder sur soi tout document en période d’attaque ». L’auteur disserte sur le monde politique et militaire global en guerre, dialogue avec lui-même, fait de la littérature ou de la doctrine militaire dans un style parfois télégraphique (voir page 21 sur « l’ascendant moral ») qui polluent la relation attendue de son parcours de guerre.
2. Résumé et analyse
1900 : Alors qu’il est sous-lieutenant, le (futur) général Michelin ouvre un carnet d’impressions. A la veille de la « Grande revanche », il le rouvre « en limitant [s]es observations aux évènements officiels, au journal de [ses] déplacement, à quelques impressions ». Ainsi, du 2 août 1914 au 11 novembre 1918, on suit l’officier dans ses périples et ses impressions de guerre. Après une courte garde à la frontière, où il assiste à un exode bigarré et au minage des routes (p. 11), il arrive en Alsace le 18 août, décrivant le sentiment et les attitudes alsaciens (pages 18 et 20). Il y voit aussi des avions (Taube) allemands mitrailler des colonnes d’exode le 25 août 1914 ! (page 22). Il tient Aspach avant d’être débarqué à Saint-Dié à la veille de la bataille de la Meurthe. Il est en grand’garde dans la vallée de la Fave et se replie sur Raon-l’Etape où il va participer aux âpres combats de la Chipotte. Il y avoue ses premiers morts et blessés. La bataille gagnée, le reflux allemand l’amène dans la vallée de la Plaine, sur ce front qui va devenir le lieu emblématique de la guerre des mines : la Chapelotte. Le 157ème ne le verra pas, parti au début de la cristallisation dans la Meuse à l’est d’Apremont. Là, son carnet de guerre se fait lacunaire et l’on devine une année 1915 passée entièrement dans ce secteur. Il décrit toutefois une distorsion d’échelle du front dans la guerre de tranchée ou l’environnement immédiat apparaît plus grand qu’en réalité (page 68) et confirme l’axiome de Norton Cru : « C’est qu’en ligne, l’observation par le créneau, le regard furtif jeté au ras du parapet, ne laissent saisir à la fois qu’un détail« . Il évoque également les fraternisations, réprimées ou non. Ainsi, page 74, des Allemands « qui voulaient causer » sont abattus alors qu’ailleurs surviennent des accommodements dans les bombardements : « Par un accord tacite, des deux côtés de la barricade on ménage les gens et les demeures ». Il revient sur ce point page 104 à propose de trêves tacites et de coups de main.
On retrouve l’officier à Verdun le 17 février 1916. Il avait délaissé son carnet mais, à la veille de la grande bataille, nous fait à nouveau part de la fébrilité de l’activité de son bataillon de terrassiers. En juin, il vient au repos dans une vallée de Celles qu’il connaît déjà et, le 11, il est « nommé d’office au commandement du 43ème bataillon de chasseurs ». Il quitte alors son régiment et arrive en Alsace, dans sa nouvelle unité : « Excellente moyenne d’officiers ; troupe solide (…) hommes faits, calmes, appliqués et prêts ». C’est avec ces hommes qu’il arrive fin août 1916 sur la Somme. Très certainement victime de fortes pertes, le 43ème est au repos complet en Normandie et revient à Belfort pour la campagne d’hiver. En avril 1917, le bataillon participe à l’affaire du Chemin des Dames jusqu’en octobre. Il y évoque très sommairement les mutineries (pages 88 : « 11 juin – L’impatience, l’inquiétude des hommes ont fait éclat : quelques meneurs isolés, des malheureux détournés de leur devoir, ont manifesté. D’où des traductions assez nombreuses devant le Conseil de guerre ; quelques exécutions » et 92, sur l’assagissement des troupes). On sent à ce moment que la guerre dure : le 20 août 1917, il ne voit la solution qu’en 1919 (page 95), sentiment qui sera le même en octobre 1918 ! (page 164). Il avait déjà déclaré à ce sujet le 17 février 1916 : « La guerre accapare, sa longueur réédite indéfiniment les mêmes situations » (page 44).
Il revient à Verdun, où l’on continue de mourir après la mort de masse, puis dans le secteur de Lunéville où il prend contact avec les premiers officiers américains (qu’il décrit pages 115 et 116), tout de « curiosité cordiale ». Il décrit avec émotion les premières croix de guerre qui leur sont remises (page 117). Il reste une longue période en Lorraine puis, devant l’offensive allemande de 1918, est appelé en secteur devant Beauvais. Il commande quelques jours le 152ème R. I. en l’absence du colonel. C’est ensuite Nanteuil-sur-Marne ; la Fère-en-Tardenois et la poursuite, inexorable, en Belgique qu’il délivre en profondeur. Un moment de retour sur soi lui décrire l’attaque comme « un trouble particulier, comme une vague griserie qui appréhende et qu’il n’est pas possible de surmonter dans l’instant ». Il évoque les drames dans la libération et le minage (à retardement des tranchées page 166 et même des paillasses ! page 168), mais aussi la cocasserie de femmes belges balayant la rue sous les obus ! (page 169). Il reste également lucide sur la propagande en croisant, le 29 septembre 1918, en Belgique, un convoi de prisonniers allemands qu’il décrit : « La masse est en très bonne forme physique ; les privations sur le front sont bien l’une de ces affirmations sujettes à caution ». L’Armistice le trouve à Audenarde, en Flandre orientale, sur les rives de l’Escaut. Il est déçu de n’avoir pas porté le fléau de la guerre en terre allemande et « garde pour l’envahisseur les sentiments que cinquante et un mois et onze jours de guerre ancraient au plus profond de [s]on être » (page 176).
Quelques renseignements utiles à des études spécifiques sur l’hygiénisme peuvent encore être collectés ; page 125, liste des mesures contre l’Ypérite, page 130, son bataillon immobilisé par les oreillons, page 140, la grippe espagnole est nommée grippe des Flandres (décrite aussi page 172). Ou encore sur le ravitaillement par avion : « On les ravitaille par avion ; et la pluie de boules de pain, de boîtes de conserve (…) qui éclatent au sol mais dont les débris sont bons, déclenchent une gaîté folle… » (page 162).
4. Autres informations
Lieux cités (date – page) :
1914 : Barcelonnette (25 juillet – 1er août – 10), Alpes, Gleizolles, Larche, Chatelard (2-17 août – 11-15), Alsace Morvillars, Dannemarie, Grosne, Walheim, Illfurt, Bréchaumont, Belfort (18-21 août – 16-20), Vosges, Saint-Dié, Remémont, Coinches, Saint-Benoît, Brû, la Chipotte, (22 août – 12 septembre – 21-32), Raon-l’Etape, vallée de Celles, Rambervillers (12-22 septembre – 33-34), Pagny, Raulecourt, Rupt-de-Mad (26 septembre – 7 octobre – 34-38), Bouconville, Hautes-Charrières, Géréchamp, Vargévaux, Xivray, Flirey, bois d’Ailly (7 octobre – 15 décembre – 39-43).
1915 : Apremont-Loupmont (3 avril – 43).
1916 : Liouville, Rambucourt, Commercy, Pont-sur-Meuse (17 février – 16 mars – 44-52), Behonne, Pretz (Argonne), Ippécourt, Dombasle-en-Argonne, bois de Fouchères, ferme de Verrières, bois de Malancourt, forêt de Hesse, ouvrage 12, réduit d’Avocourt (16 mars – 18 avril – 52-56), Vosges, Laveline, Neuné, Saint-Michel-sur-Meurthe, la Trouche, Pierre-Percée, la Chapelotte (27 avril – 13 juin – 56-58), Alsace, Belfort, Montreux, Dannemarie, bois du Schonholtz, Hangenbach (14 juin – 12 août – 59-62), Vosges, camp d’Arches (13-24 août – 62-63), la Somme, Maurepas, le Forest, Rancourt, la Ferme Rouge (30 août – 10 octobre – 63-70), Normandie, Belfort (11 octobre 1916 – 6 janvier 1917 – 70-76).
1917 : Alsace, Schonholtz, camp de Villersexel (7 janvier – 3 avril – 77-81), Chemin des Dames, Villers-Cotterets, Pierrefonds, Saint-Etienne, Silly-la-Poterie, Neuilly-Saint-Front, Grisolles, Fismes, Baslieu-les-Fismes (4 avril – 9 mai – 82-86), Hurtebise, Craonne, plateau de Vauclerc, Glennes, Maizy, Saint-Brice, Cavaliers de Courcy, (10 mai – 30 octobre – 86-100), Hautvilliers, Rémicourt, fort de Vaux, ravin du Loup, bois des Caurières, marais d’Hassoule, Bezonvaux, Maratz (31 octobre – 28 décembre – 101-110).
1918 : Saffais, forêt de Parroy, Croismare, Laneuveville, Vigneulles (près de Rosières-aux-Salines), Ferrières (29 décembre 1917 – 20 mai – 111-130), la Place (15 km nord de Beauvais), Cuy-Saint-Fiacre, Formerie, Aumale, Montmarquet, Neuilly-Saint-Front, Brény, Rocourt, Nanteuil-sur-Marne, la Bordette, Crotigny, Brumetz, Priez, la Grange-aux-Bois, bois des Préaux, ferme de la Folie, Villers-sur-Fère, Saint-Quentin, la Ferté-Milon, Bazoches, Pont-d’Arcy, Loupeigne, Beuvardes, Thiollet, ferme de la Cense, Citry-sur-Marne (21 mai – 21 septembre – 131-156), Belgique, Amiens, Calais, la Chaussée, Saint-Georges, Gravelines, Killem, Ostyleteren, Langemarck, Hooglède, Wildeman Cabaret, de Wincke, Ouckene, Pandeers, Katelberg, Kalberg, Beveren, Waereghem, Meerlaren, Winkeloek, Audenarde (22 septembre – 11 novembre – 156-176).
Sources biographiques complémentaires
Source http://commenailles.pagesperso-orange.fr/gen_michelin.htm
Yann Prouillet, 4 janvier 2011