Couvreur, Henri (1895-1981)

1. Le témoin
Henri Couvreur, né à Carvin (Pas-de-Calais) dans une famille dont le père dirige une petite tannerie, a étudié au collège Saint-Joseph à Lille et obtenu la première partie du baccalauréat. En 1914, sa famille se réfugie à Bordeaux et il est incorporé (classe 15) à Limoges. En juin 1915, il est versé au 127e RI (Valenciennes) où il servira toute la guerre: d’abord en secteur en Champagne, il participe à l’offensive de septembre, puis passe l’hiver 1915-1916 dans « un secteur pépère » (p. 45); engagé à Verdun de février à avril 1916, il passe par Craonne puis participe à la bataille de la Somme (août – septembre 1916). Après un stage d’aspirant à Saint-Cyr, lors de l’attaque d’avril 1917, il rejoint sur l’Yser son unité engagée en Flandre (août – décembre 1917). En 1918, il rejoint Craonnelle, Montdidier et puis recule avec son unité lors de la poussée allemande. Actif dans la guerre de mouvement de mai et juin, il participe à l’offensive alliée (le 17 juillet) avec le grade de sous-lieutenant. Blessé le 18, il est évacué par Paris, Béziers et Lamalou-les-Bains. Avec sa convalescence et un nouveau stage à Saint-Cyr, il ne réintègre pas le front et est démobilisé en 1919.
2. Le témoignage
La Société de recherches historiques de Carvin a publié en 1998 les Mémoires de Guerre 1914 – 1918 d’Henri Couvreur (229 pages, ISBN 0398 2661). Le manuscrit a été apporté à l’association érudite par deux enfants d’Henri, et la publication, encouragée par sa petite-fille Patricia Meurisse (qui a rédigé une biographie), a été facilitée par le fait qu’Henri Couvreur, historien amateur, avait fondé ladite Société dans les années soixante.
Le manuscrit a été très légèrement modifié par les éditeurs (format, mise en page). L’auteur avait rédigé une première version en 1921, suivant des notes et des courriers conservés, puis a repris l’ensemble en 1934 « en ne retenant que les faits intéressants» (prologue). Un point final est apporté (« terminé le ») le 13 mars 1939. C’est donc un texte mûri, réécrit avec une distance de vingt ans, mais qui se tient à une progression chronologique relativement précise. La réécriture postérieure est souvent nette mais cela ne nuit pas, semble-t-il, au caractère historique du document.
3. Analyse
Offensive de Champagne, Verdun, la Somme, l’Aisne en avril 1917… Le 127e RI d’Henri Couvreur est une unité très exposée, et il a plusieurs fois, par hasard, la chance d’être de bataillon de réserve ou d’appui, ou d’être en stage, lors du moment le plus meurtrier des combats ; ainsi, entré aux tranchées en juillet 1915, il n’est blessé que le 18 juillet 1918.
Il évoque la préparation de l’attaque meurtrière de septembre 1915 en Champagne, montrant que la volonté des hommes est résolue : « en finir, en finir… » (p. 33). Le discours d’exhortation du lieutenant à sa compagnie avant l’attaque trouve des accents spécifiques (24 septembre, p. 33) : « Il nous a exhorté à accomplir totalement notre devoir. Il nous a rappelé que nos parents, nos femmes, nos enfants dans le Nord, attendent depuis longtemps l’heure de la délivrance. » Son bataillon, unité d’exploitation, n’est finalement pas éprouvé, à cause ou grâce à l’échec de la rupture des lignes par le reste du 127e. Puis le témoignage, relativement classique, évoque la vie en secteur et la bataille de Verdun, où, bien qu’engagée plusieurs fois, du 26 février au 29 mars 1916, sa compagnie a des pertes relativement faibles. Son régiment, appartenant à la 1ère DI, est relevé car (p. 69) « si le 127e a été privilégié, le 1er Corps a payé son tribut à Verdun. »
Reprenant après Verdun le secteur de Craonne, H. Couvreur participe à la relève d’unités du 18e CA de Bordeaux, dans ces tranchées depuis septembre 1914, et l’auteur note amèrement que ce corps « ne s’est jamais battu », « qu’il possède des accointances en haut-lieu» et qu’il a encore tous ses cadres de la mobilisation. A la relève (fin avril 1916), des incidents ont lieu avec l’arrivée des Lillois du 43e RI (ils appartiennent avec le 127 à la 1ère DI). Le narrateur restitue une scène d’affrontement verbal, dans laquelle il est difficile de faire aujourd’hui la part de la reconstruction, mais qui montre que l’ambiance est exécrable (p. 73, 23 ou 24 avril 1916, plateau de Craonne) :
«- Le bon temps est fini, tas de veinards… Allez-y, en route pour Verdun! C’est bien votre tour…
– T’as pas su y venir, crevé… Nous on tient tout notre secteur… On va pas chercher les voisins…
– Pas étonnant, on faisait risette aux boches… Nous on n’arrête pas de s’battre… Vous n’en foutez pas une rame, tas de fainéants…
– Ta gueule, Ch’ti mi… C’est pas à nous de se faire crever la paillasse pour tes sales patelins pourris ! »
L’auteur garde son sens critique avec « tous ces rapports plus ou moins exacts et amplifiés au 43» et l’encadrement a repris la main lors de la relève par le 127e : le croisement des unités se fait en silence : (p. 74) « seuls nos yeux peuvent lancer à l’adresse de tous ces beaux gaillards d’active, (…) tranquilles comme Baptiste depuis dix-huit longs mois de guerre, les reflets de l’injustice dont nos cœurs sont pleins. »
Il est envoyé ensuite sur la Somme pour la deuxième partie de l’offensive ; de famille catholique fervente, il s’engage dans la ligue du Sacré-Cœur à son arrivée ; à trois reprises il attaque à Maurepas et Comble: ce sont des échecs partiels, les Allemands se montrant particulièrement coriaces (p. 95, 3 septembre 1916) : « Après le passage de nos troupes, des boches même blessés qui avaient fait « Kamarad » au passage de la vague d’assaut reprirent leurs fusils et tirent dans le dos de ceux qui venaient de les épargner. » Le moment le plus terrible de l’expérience de guerre de Couvreur a lieu lors d’une attaque (Ferme de Priez), lorsque, empêché de progresser il doit plonger dans un trou d’obus avec d’autres. Ils s’entassent à six dans le même creux, deux sont tués et expirent sur eux, quand un troisième va aussi être touché ( p. 101, 25 septembre 1916) : « [je fais glisser le cadavre sur moi] quand je vois, horrible folie, l’oncle Brenet se risquer au bord de son trou et faire signe à son neveu Roche de le rejoindre. Je vois avec horreur le pauvre Roche se lever sur sa jambe valide. Il n’est pas de sitôt debout qu’une balle le frappe en pleine tête, et le fait plonger mort dans les bras de son oncle. » Pour les nordistes, on constate souvent que l’expérience de la Somme est décrite comme pire que celle de Verdun. Le souvenir reste absolument intact (p. 101) « Elle fut, cette fraction de seconde, d’une intensité telle qu’après vingt-deux ans, nous sommes en décembre 1938, je revois encore ce tableau vivant figé. » Il décrit aussi le lugubre tableau, en revenant vers l’arrière, des trous d’obus qui recèlent chacun un ou deux cadavres qui se laissent découvrir progressivement. Lors de son départ de la Somme, sa section a eu 5 tués et dix blessés, la situation étant pire dans les autres compagnies.
Revenu à l’arrière, il prend beaucoup de photographies des hommes et des officiers, et finit par organiser un petit commerce florissant avec des photos de groupe (p. 111, octobre 1916) : « Le petit rouleau tiré était expédié à Saulieu où mes sœurs le développaient et m’adressaient quelques épreuves. Je les soumettais aux intéressés et passais les commandes par douzaines. » Un stage d’aspirant lui permet ensuite d’échapper involontairement à l’offensive d’avril 1917.
Le 127e RI, dont la division est alors commandée par l’ancien ministre de la guerre Messimy, est ensuite envoyé, équipé de neuf, dans la région parisienne pour une longue marche « publique » de plusieurs jours, et arrive le 20 décembre 1917 à Sarcelles près d’Ecouen, « cette marche a pour but de relever le moral des civils et de favoriser l’emprunt en cours. Dans chaque ville, bourg ou bourgade, nous défilons au pas cadencé, drapeau déployé. Nous sommes nippés de neuf et cela produit son effet. » (p. 121). Le général Messimy soigne sa popularité et organise des revues monstres, des dames se trouvant incidemment sur le parcours et semant « des billets de 10, de 20, voire de 50 francs ! »
Promu aspirant après son stage de Saint-Cyr, il a évité du fait de sa formation non seulement l’attaque sur le plateau de Craonne mais aussi à l’automne un combat dans les Flandres, à la forêt d’Houdhust.
A partir de fin avril 1918, le récit est centré sur le difficile rôle de chef de section dans la guerre de mouvement qui reprend, alternant replis, formation d’îlots de résistance (mai-juin) puis reprise de la progression vers l’avant (juillet). Les gaz sont omniprésents et ces combats dans le Soissonnais sont aussi durs pour les civils, quand les troupes françaises investissent des villages qu’ils viennent d’évacuer: Pernant, 30 mai 1918, p. 139 « Quand nous en repartons quelques heures plus tard [du village de Pernant], tout a été mis sens dessus dessous. Poules, lapins, provisions de toutes sortes sont mis à profit ; rien ne résiste à nos estomacs vides. Les armoires sont pillées de fond en comble (…) nous passons en festin quelques bonnes heures, voulant surtout profiter de ces quelques instants de répit. » L’auteur ralentit ensuite son récit pour évoquer l’investissement progressif du village du Port, qui commande un pont de l’Aisne, avec des Allemands qui tirent depuis des lucarnes et se cachent dans les caves. L’affaire dure plusieurs jours et le récit s’étire de la page 140 à 183 pour 5 jours de combats très sporadiques mais très dangereux autour de ces quelques maisons. L’exécution d’un blessé allemand est signalée (p. 183) : « une des sentinelles détachée dans le bois (…) découvrit dans un fourré un boche blessé abandonné. Sans crier gare, notre homme lui colla une balle dans la tête (…) Copieusement j’eng…uirlandais notre homme. Celui-ci laissa passer l’orage et sèchement me dit ces simples mots : « – ils ont bien tué mon frère »; Je venais de lui signifier qu’il serait traduit en conseil de guerre s’il recommençait. »
Promu sous-lieutenant, H. Couvreur participe à l’attaque du 17 juillet et est blessé au bras d’un éclat de grenade défensive française (p. 207) «bienheureuse blessure ! Maintenant qu’officiellement je venais d’être déclaré hors de combat, un autre homme s’empare de moi. Je ne suis plus le guerrier acharné au combat et je me sens redevenir un homme. » Il est dirigé sur Senlis dans un centre d’évacuation des blessés. Il décrit un grand baraquement avec des bancs où se regroupent sans ordre les blessés (p. 208) « Il y avait de tout : des soldats, des sergents, caporaux, capitaines, des diables bleus, des bicots, des noirs, des bleus horizon, des kakis, des artilleurs, des fantassins, des aviateurs. »
L’auteur ne remontera plus en ligne, et lorsqu’à l’occasion d’une permission dans Carvin libéré (novembre 1918), il constate que la tannerie familiale n’est plus que ruine, il conclut ses mémoires de guerre avec des considérations positives (nous avons la victoire) et volontaristes (le travail nous attend), et il conclut par un curieux « tout va bien ! » (p.212), suivi de « terminé ce 13 mars 1939 ». A cette date effectivement, la tannerie a été reconstruite et agrandie…

Vincent Suard, décembre 2016

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Bertier de Sauvigny, Albert (1861-1948)

1. Le témoin

Issu d’une grande famille de l’ancienne noblesse d’origine bourguignonne. Entretient des relations sociales avec ce milieu. Semble partager des idées politiques plus ou moins conservatrices. Membre du C.I.O. avant la guerre. Propriétaire du château de Coeuvres. Maire de cette commune durant toute la guerre (ne quitte sa commune qu’entre le 31 mai et le 20 juillet 1918). Malgré son engagement durant la guerre, n’est réélu ni 1919 ni en 1925.

2. Le témoignage

Pages d’histoire locale 1914-1919. Notes journalières et souvenirs, Imprimerie de Compiègne, 1934, 525 p. Edition illustrée (dessins de l’auteur ?) Carte. Préface. 17 annexes.

Réédition Soissonnais 14-18, 1994, 523 p. Fac-similé de l’édition originale. Photographies et documents divers (c’est cette réédition que nous utiliserons ici).

Une dédicace : « A mes fils, en mémoire de leur aîné mort pour la France. »

Les souvenirs d’Albert Bertier de Sauvigny constituent une source de premier ordre pour mieux connaître la vie d’un village de l’immédiat arrière front, Coeuvres dans l’Aisne, durant toute la guerre et l’immédiat après guerre. Ils laissent apparaître deux types de narration, mêlant d’ailleurs deux typographies distinctes.

L’une est constituée à partir de notes journalières qui semblent ici retranscrites mais ont été à l’évidence complétées voire complètement réécrites par la suite, sans que l’on puisse vraiment savoir si le contenu de ce journal a été ici utilisé dans sa totalité. Ces notes sont parfois introduites par une phrase du type : « Je relève dans mon journal : (…) » (p 23).

L’autre est une mise en récit de ces notes, faisant entrer ce type de témoignage dans la catégorie des souvenirs de guerre. Ce second type de narration s’appuie alors sur d’autres sources que celles dont l’auteur a pu être le témoin direct (cf. ci-dessous, fin du chapitre I).

Le récit est alerte, vivant, avec une chronologie très précise. Il fourmille de détails dont l’intérêt est variable si l’on sort d’une perspective purement locale. La position sociale de Bertier facilite ses relations tant avec les autorités militaires (allemandes ou françaises) qu’avec un certain nombre de notables locaux ou nationaux. Ces souvenirs abordent également la période de l’immédiat après guerre avec l’évocation de l’année 1919 (recherche et identification des corps, gestion des cimetières provisoires, reconstruction du village).

3. Analyse

Vu la longueur du témoignage, nous adoptons ici une approche volontairement synthétique qui variera en fonction de l’intérêt des chapitres. Le contenu des annexes (souvent riche) est mentionné mais ne sera analysé que très brièvement.

Avant-propos

P I à IX : implication de l’auteur dans le comité international d’organisation des J.O. à la veille de la déclaration de guerre.

Première partie : du 22 juillet au 31 décembre 1914

Chapitre I (p 1 à 10)

Visite privée en Allemagne du 22 au 26 juillet 1914 puis départ précipité pour l’Angleterre où l’auteur apprend l’existence de l’attentat de Sarajevo et ses conséquences.Retour en France début août : mobilisation. Arrivée à Coeuvres le 2 août : première réquisitions militaires.« Des notes prises journellement par moi pendant mon séjour auprès de mes administrés, puis – après mon départ volontaire pour l’armée jusqu’à mon retour au pays – un journal tenu par mon ami Maurice Desboves et une fréquente correspondance échangée soit avec lui, soit avec le secrétaire de mairie, soit avec mon garde-régisseur Leblanc, m’ont permis de reconstituer l’existence quotidienne de mon village pendant ces années inoubliables. » (pp 9-10)

Chapitre II (p 11 à 22)

2 juillet et jours suivants : départ des premiers mobilisables de Coeuvres : « (…) personne à ce moment ne se rend compte de la terrible réalité. » (p 11) L’auteur reçoit l’aide des habitants du village pour faire face à cette situation. Destruction des plaques du bouillon Kub (rumeur apparue dès le début du conflit). Réquisitions militaires et création d’une Commission de ravitaillement. Union sacrée au niveau de la presse régionale. Protection d’une ressortissante autrichienne suspecte conduite à Paris. Arrivée des réfugiés de Verdun (dans le cadre du plan d’évacuation de la région fortifiée). Début de la vague d’espionnite. Avalanche de circulaires et télégrammes due à la proclamation de l’état de siège (directives absurdes). Mise en place de dispositions en faveur des familles nécessiteuses (abus). Etablissement de barrages et de contrôles dans la traversée des villages (espionnite aigue ; l’auteur mentionne un retour accru de cette tendance après la bataille de la Marne).

Chapitre III (p 23 à 32)

24 au 30 août : désertion de certains fonctionnaires et notables face aux menaces d’invasion.

L’auteur pressent que cette région de l’Aisne sera envahie et occupée. Arrivée des populations du Nord. Départ conseillé des familles de « quelques notabilités » malgré un télégramme du général commandant la 2e Région (rassurant…) Trains pour Paris bondés. Premières rumeurs concernant les atrocités commises par les Allemands. Absence de directives émanant des autorités civiles. Présence des troupes anglaises.

Chapitre IV (p 33 à 38)

31 août : repli en ordre de l’armée anglaise (mais pillages). Patrouilles de Uhlans signalées (accrochages avec des gendarmes). Départ de certains habitants, d’autres entendent rester : « De-ci de-là des conciliabules ont lieu dans la soirée, de maison à maison. Le pitoyable défilé des fuyards ne produit pas le même effet sur tous. Il affole les uns et les entraîne à l’exode ; au contraire il détermine d’autres à rester, qui déclarent : « Si je dois mourir, j’aime mieux que ce soit chez moi que par les chemins ! » » (p 36)

Chapitre V (p 39 à 60)

1er septembre : poursuite du retrait des troupes anglaises, talonnées par les Allemands (cette retraite semble s’accomplir cette fois dans un certain désordre). Un officier britannique quelque peu paniqué conseille à l’auteur de partir. Des habitants du village qui se sont mis en route sont refoulés, probablement par les autorités militaires. Un sous-officier anglais, réfugié chez un habitant et ivre, accuse le maire d’être un espion. Même comportement avec d’autres habitants. Bertier est obligé d’intervenir pour le calmer et s’en débarrasser.

Irruption d’un dragon allemand à la recherche de soldats anglais. Il braque son arme sur le maire mais dialogue calmement en français. A l’arrivée des patrouilles allemandes, Bertier fait connaître sa qualité de maire et demande à être l’interlocuteur privilégié (les échanges se font toujours en français avec les officiers). Le maire donne des consignes afin que chacun reste chez soi. Des traînards de l’armée anglaise déambulent toujours dans une certaine confusion qui ne peut qu’affoler la population civile et entraîner des répressions (les atrocités allemandes semblent connues de l’auteur dès cette période). Un jeune civil est tué par les patrouilles de Uhlans (corps abandonné puis récupéré par ses camarades). Installation des Allemands (Bavarois) dans le château de Coeuvres (propriété du maire). Passage du duc de Slesvig-Holstein (beau-frère de Guillaume II), il s’installe temporairement au château et félicite le maire d’être resté à son poste. Un cantonnier et sa famille, prisonniers des Allemands, bénéficient de l’intervention du maire pour être libérés. Les Allemands, selon les propos du journal du maire, emploie un stratagème leur permettant de justifier une éventuelle répression : ils affirment avoir subi des pertes, fussent-elles imaginaires… Le duc reçoit un télégramme de Guillaume II lui annonçant la défaite des Russes. Bertier demeure sceptique mais considère que la guerre est véritablement perdue, au vu de l’avancée allemande et de leur proximité par rapport à Paris. Le duc invite Bertier à souper, ce dernier décline catégoriquement l’ « invitation »… Evocation du comportement du même duc au château de Bellignies (Nord) qui appartenait à la famille de Croÿ. Ce dernier obligea les châtelains à dîner en sa compagnie, les menaçant d’abandonner une ambulance en cas de refus (cet épisode a été raconté par Marie de Croÿ à l’auteur en 1931 ; il est également relaté dans les mémoires de Marie de Croÿ dont on trouvera la référence dans la 4e partie).

Bertier s’enquière de ses administrés : il a surtout des craintes pour les fermes isolées de sa commune. La boulangerie est particulièrement sollicitée par la troupe d’occupation.

Poursuite du passage des troupes allemandes qui donne l’impression d’une totale défaite. Les habitants sont contraints à mettre des seaux d’eau devant le seuil de leurs maisons pour que les soldats puissent se désaltérer. Hymnes de victoire : dans 3 jours, ils seront à Paris…

Le soir, Bertier est à nouveau obligé d’intervenir auprès d’un haut gradé allemand (le prince de Saxe-Meiningen) pour sauver de l’exécution son adjoint Debuire. Cette rumeur s’avère finalement fausse sans que Bertier parvienne à élucider son origine. Harassé par cette journée mouvementée, Bertier doit néanmoins continuer à administrer sa commune occupée, notamment avec l’arrivée des services postaux militaires allemands. L’état-major qui occupait le château le quitte à 3 heures du matin.

Chapitre VI (p 61 à 78)

2 au 7 septembre : flot ininterrompu de troupes allemandes. Pillages sans ordres de réquisition mais un officier allemand accorde 250 kg de farine pour la population civile. Un officier qui porte un nom polonais semble très affecté par la tâche qui lui a été confiée : enterrer les morts.

Un médecin allemand soigne un dragon grièvement blessé. Ce dernier confie au maire un certificat de bons soins.

Certains officiers du Slesvig « pacifiques et corrects » (p 66) ont peu de sympathie pour les Prussiens. Le cadavre d’un civil est à nouveau découvert. Evocation du canon vers Château-Thierry (bataille de la Marne). A partir du 7 septembre, les troupes allemandes refluent vers le nord.

Chapitre VII (p 79 à 98)

9 et 10 septembre : reflux de la cavalerie (non engagée) puis de l’infanterie allemande. Arrivée au château de l’état-major de la 1ère armée (Von Klück, qui fait bonne impression à l’auteur). Installation des lignes téléphoniques.

Chapitre VIII (p 99 à 106)

11 septembre : départ de Von Klück et de son état-major. Reflux d’isolés allemands. Arrivée de la cavalerie française puis de l’infanterie. Combats sporadiques d’arrière garde. Les Français ne sont pas sûr de pouvoir tenir le village (risque de bombardement allemand).

Chapitre IX (p 107 à 122)

12 au 14 septembre : arrivée des avant-gardes françaises du 7e CA. Enterrement de soldats allemands et français. Evocation rétrospective des exploits de l’escadron Gironde (cf. également annexe I). Canonnades vers le nord (passage de l’Aisne). Installation de troupes françaises dans le village. Les combats pour passer l’Aisne s’avèrent particulièrement difficiles car les Allemands se sont retranchés sur les plateaux qui la jouxtent (bataille de Fontenoy et du plateau de Nouvron). Arrivée des premiers blessés français (63e DI). L’armée fournit des vivres à la population du village.

Chapitre X (p 123 à 130)

15 au 20 septembre : combats pour la prise des plateaux du nord de l’Aisne (pluie). Retour de certains habitants qui avaient fui. Remise de plaques d’identité à un major chargé de l’assainissement du champ de bataille. Fixation des lignes et entrée dans la guerre de position.

Chapitre XI (p 131 à 160)

21 septembre au 17 octobre : installation de l’état-major de la VIe armée (Maunoury) dans la château de Coeuvres. Près de 5 000 hommes vivent dans le village (premières tensions entre les autorités civiles et militaires au sujet des réquisitions et de l’installation des troupes). Interdiction des débits de boisson pour la troupe. Visite de Gabriel Hanotaux (distribution d’argent). Pénurie de charbon et de vivres. Mesures de police à l’égard des civils considérées comme vexatoires. Espionnite. Départ de l’état-major de la VIe armée.

Chapitre XII (p 161 à 172)

18 octobre au 18 novembre : visite de l’épouse du maire de Fontenoy (situation très difficile dans ce village de première ligne).

Visite de Melles B. et C. fiancée et sœur du maréchal des logis C. mort à l’ambulance le 20 septembre et inhumé au cimetière de Coeuvres. Elles sont accompagnées d’un ami, ancien commissaire à Besançon. La fiancée insiste pour qu’on exhume le corps du soldat. Refus motivé de Bertier dans la mesure où le corps est enterré en fosse commune, ce qui oblige à exhumer les autres corps. La fiancée s’incline devant cette raison.

Ouverture d’une fosse commune  où reposent des Anglais au Rond de la Reine [parmi ces corps, celui du neveu de Lord Cecil ; un monument le commémore aujourd’hui ; Doumer évoquera le devenir de ce corps lors dans le procès-verbal de la séance du 31 mai 1919 de la Commission Nationale des Sépultures militaires, cf. AN F2 2125]. Voyeurisme d’une passante lors de ces exhumations.

Chapitre XIII (p 173 à 182)

21 novembre au 24 décembre  : établissement à Coeuvres de l’état-major du 7e CA (nouvellement commandé par le général De Villaret). Visite du sous-préfet. Arrivée de wagons de charbon (suite à l’intervention d’Hanotaux ; évocation de la création du Comité des Réfugiés de l’Aisne). Enterrement d’un soldat allemand. Sur la croix figure l’inscription : Hic jacet ignotus Teutonicus miles. Création de compagnies agricoles. Conseils de révision (Villers-Cotterêts, Vic-sur-Aisne). Visite de deux femmes au général De Villaret (dont une actrice) malgré l’interdiction de la zone aux civils.

Deuxième partie : du 1er janvier 1915 au 31 décembre 1917

Chapitres XIV à XXIV (p 185 à 286)

1915 : le village est devenu un lieu de cantonnement des troupes (va-et-vient incessant de diverses unités). Afflux de troupes en vue de l’attaque de la cote 132 (affaire de Crouy). Blessure des généraux Maunoury (VIe armée) et De Villaret (7e CA) lors d’une visite aux tranchées. Bombardement du village. Mandats pour occupation du village par l’armée (indemnités de cantonnement lucratives pour certains habitants). Déjeuner avec l’abbé Payen qui a accompagné jusqu’au peloton d’exécution 2 soldats (exécution dans un hameau de Saint-Cristophe-a-Berry). Visite d’une ambulance : 2 soldats blessés ont commis des violences sur leur sergent et ont fait une tentative de suicide commune. Un capitaine du Génie réquisitionne du matériel pour inventer et fabriquer un lance-grenade sous forme d’arbalète. « La mission d’annoncer ces tristes nouvelles aux parents des pauvres soldats tombés au Champ d’Honneur, revient bien souvent et constitue l’un des côtés douloureux du rôle des maires. » (p 223). 4 août 1915 : l’état-major du 7e CA quitte le village pour s’installer à Longpont. 1er octobre : réouverture de l’école du village.

1916 : nombreux décès dans l’ambulance entraîne la création d’un nouveau cimetière (ambulance importante, les blessés viennent de loin). Arrivée de la main d’œuvre travaillant pour la défense du Gouvernement militaire de Paris (mauvaise réputation, cégétistes…). Lutte des autorités militaires contre la vente de vin par les civils.

1917 : le village se vide de militaires suite au recul allemand. Cantonnement de troupes participant à l’offensive du Chemin des Dames (repos). Mutinerie du 370 RI. Arrivée de 5 escadrilles de chasse à la ferme de Vaubéron (installation de hangars). Nomination d’un délégué et d’un suppléant de la commune à la Commission cantonale des dommages de guerre.

Troisième partie : du 1er janvier au 23 octobre 1918.

Chapitres XXV et XXVI  (p 289 à 312)

1918 : les cultivateurs se plaignent qu’un grand nombre d’ouvriers quittent les fermes pour aller travailler à l’avant (meilleures rémunérations). Propagande allemande envoyée par ballonnets (Gazette des Ardennes). Les habitants ne touchent plus depuis 6 mois leurs indemnités de cantonnement. Visite de Guy de Lubersac stationné au camp d’aviation de Vaubéron (cf. également annexe XV).

Chapitre XXVII (p 313 à 328)

Mai : installation du CI de la 1ère DI. Départ de certains habitants après l’attaque allemande du 27 mai sur le Chemin des Dames. Défilé incessant de troupes. Installation de l’état-major du 1er CA (général Lacapelle). Mise en sécurité des archives communales. 31 mai : arrivée massive de troupes. Evacuation des civils par camions militaires et sur ordre de l’autorité militaire (quelques « obstinés irréductibles prétendant qu’on n’a pas le droit de les obliger à partir », pp 323-324). Bertier quitte le village pour Paris sous les premiers bombardements.

Chapitres XXVIII et XXIX (p 329 à 332)

Juin : évacuation et dispersions des habitants du village évacué vers la Normandie et la Bretagne. Récit de l’« odyssée de ceux de mes administrés qui étaient restés dans Coeuvres après l’évacuation » (témoignages indirects).

Chapitre XXX (p 357 à 368)

20 juillet : retour de Bertier à Coeuvres : le village a beaucoup souffert des offensives et contre-offensives. La propriété du maire est en partie détruite. Présence de trous individuels et de cadavres allemands dans les parages du village (effets des gaz). Bertier est invité à aller déjeuner à l’état-major du XXe CA (château de Montgobert). Autorisation pour une deuxième visite à Coeuvres occupé par les Britanniques dont l’état-major est installé dans les creutes environnantes (aménagées grâce à la récupération des biens des habitants évacués).

Chapitre XXXI (p 369 à 376)

Août-septembre : nouvelle visite à Coeuvres. Retour de 4 habitants (retours tolérés par l’autorité militaire qui pourtant ne les autorise pas officiellement). Des équipes militaires sont réquisitionnées pour moissonner. Nomination à l’Officiel de Bertier comme chevalier de la Légion d’Honneur à titre militaire. Multiplication des retours clandestins de civils. Visite de Bertier à Paris : intervention auprès du Comité Central des Réfugiés de l’Aisne.

Chapitre XXXII (p 377 à 386)

14 septembre : réinstallation définitive de Bertier dans sa commune (chez l’habitant). Cantonnement de troupes et intervention du Génie pour réparer les habitations (futur STPU à l’efficacité douteuse…). Utilisation des prisonniers pour le déblaiement du village (collecte d’obus non explosés ; un supplément de nourriture pour ceux qui aident de leur mieux). Manque de baraques (n’arriveront qu’en novembre). Action appréciée du CARD (Comité américain des Régions dévastées d’Ann Morgan, cf. annexe VII) et de l’Association de l’Aisne dévastée (fondée en juin 1916).

Chapitre XXXIII (p 387 à 390)

Octobre : récupération de carton bitumé dans un magasin du STPU. Début de la longue correspondance du maire aux familles qui ont perdu un proche dans le secteur : « Je me suis fait un devoir de répondre moi-même très exactement aux parents qui recherchent des militaires disparus dans notre région. » (p 389) Le retour des sinistrés est ralenti par la pénurie de maisons habitables (et secteurs non déminés). Réclamation du maire pour obtenir plus de prisonniers allemands (sentiment d’injustice).

Quatrième partie : du 24 octobre 1918 au 3 mai 1925

Chapitre XXXIV (p 393 à 398)

12 novembre : le retour du silence : pas d’avion, pas d’artillerie. Cérémonie à Paris pour la réception de la Légion d’Honneur. Début des exhumations et réinhumations. Visite du sous-préfet accompagné d’un architecte canadien. Projet de coopérative de reconstruction.

Chapitre XXXV (p 399 à 412)

Janvier 1919 : recherche de cadavres non inhumés. Mise en chantier de la coopérative de reconstruction (apparition des architectes démobilisés). Arrivée des familles à la recherche des disparus, de morts ou de blessés. Une mère voulant soigner son fils gazé est à son tour victime du gaz. 9 mars : violente diatribe de l’auteur à l’égard des politiciens qui bradent la victoire (vise Clemenceau que Bertier ne semble pas porter en son coeur…). On compte les victimes du conflit… Difficultés face au ravitaillement. Correspondance avec les familles à le recherche de leurs morts : certaines familles entendent que leurs morts reposent là où ils sont tombés, près de leurs camarades. Projet de création d’une voie de 0,60 pour aider à la reconstruction (ne sera finalement pas utilisée…).

Chapitre XXXVI (p 413 à 422)

Mai : la remise en état des terres et du village permet d’exhumer de nombreux cadavres. Loi du 17 avril 1919 sur les dommages de guerre (charte dite des sinistrés). 15 juin : création de la coopérative de reconstruction (27 adhérents). Procession et visite dans les cimetières militaires provisoires. Localisation des tombes isolées. Visite des familles. Intervention de Bertier à l’Assemblée des Etats-généraux des Régions libérées de Laon en faveur de la question des tombes isolées (Bertier dénonce à plusieurs reprise l’absence puis l’incompétence des services de l’Etat-civil du champ de bataille, cf. annexe V). 3 septembre : départ de Bertier pour Douaumont afin d’y rechercher son fils (ce qui explique sa sollicitude à l’égard des familles de disparus…). Recherche qui demeure sans résultat. Second voyage sans résultat. 12 octobre : « Assemblée générale de la Coopérative. Les architectes et les entrepreneurs nous promettent monts et merveilles. » (p 420)

Chapitre XXXVII (p 423 à 430)

Déplacement du cimetière du village vers l’extérieur, à côté du cimetière militaire. 30 novembre : élections municipales, Bertier n’est pas réélu, victime d’une kabale locale… Il continue à travailler au sein de la coopérative de reconstruction (où la favoritisme s’installe… mais à mettre en relation avec sa non réélection…). Erection du monument aux morts en 1926 (cf. annexe XII). La commune reçoit la croix de guerre.

Annexes

Annexe I : le raid de la 5e DC [épisode le l’escadron Gironde]

Annexe II : Ambulances ayant fonctionné à Coeuvres [simple liste]

Annexe III : Aide de l’armée à l’agriculture

Annexe IV : Evacuation et exil

Annexe V : Tombes isolées et cimetières [particulièrement riche]

Annexe VI : Récupération

Annexe VII : Le Comité américain des Régions dévastées

Annexe VIII : La reconstitution

Annexe IX : Les familles décimées

Annexe X : Dans les régions envahies

Annexe XI : De Douaumont à Coeuvres [quête du fils disparu]

Annexe XII : Le monument aux morts [inauguration non exempte de règlements de compte politiques, comme ce fut souvent le cas…]

Annexe XIII : Les morts de la commune de Coeuvres-et-Valsery

Annexe XIV : Les instituteurs de l’Aisne [exécution par les Allemands d’instituteurs après la guerre de 1870]

Annexe XV : Le Marquis de Lubersac [pilote durant la guerre ; s’investit beaucoup ensuite dans la reconstruction]

Annexe XVI : Elections et nouvelle municipalité du 3 mai 1925 [dans un contexte de querelles politiques locales]

Annexe XVII : Entre bons Français

4. Autres informations

CLERMONT Emile, Le passage de l’Aisne, Grasset, 1921, 128 p. [rééd. Soissonnais 14-18, 2002, 158 p.]

DE CROY Marie, Souvenirs de la princesse Marie de Croÿ, Plon, 1933, 281 p.

HARDIER Thierry, JAGIELSKI Jean-François, Combattre et mourir pendant la Grande Guerre (1914-1925), Imago, 2001, 375 p.

ROLLAND Denis, La grève des tranchées, Imago, 2005, 448 p. [sur la mutinerie de Coeuvres, pp 197-203]

J.F. Jagielski, mars 2009

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