1. Le témoin
André Bourgain est né en 1883. Il est issu d’une famille de la bourgeoisie des métiers du droit. Le grand-père se tournera vers la viticulture puis le père, après la crise du phylloxéra vers la céréaliculture. Sa mère, Louise Noury est le frère du colonel Noury, propriétaire du château de Chantermerle, à Sainte-Pézenne près de Niort. Il a deux frères ; Henri et Pierre. André effectue sa scolarité au collège Saint-André de Poitiers où il obtient la première partie de son baccalauréat. En 1911, alors qu’il effectue une traversée sur un navire de commerce effectuant une liaison entre Le Havre et les Antilles, le navire manque de couler dans une tempête. Il abandonne alors une profession qu’il juge aventureuse. Le 22 juillet 1913, il signe à Poitiers un engagement militaire qui l’affecte au 114e RI de Saint-Maixent mais à l’issue d’une altercation avec son capitaine, ne va pas au bout de sa préparation militaire. C’est donc comme simple soldat qu’il fait la campagne avec son régiment en Lorraine puis en Champagne où il est blessé en septembre 1914. C’est au cours de sa convalescence qu’il rédige les souvenirs de ses deux mois de campagne. De retour au front à une date inconnue, il est promu sergent le 26 février 1915, est gazé puis est porté disparu devant Loos. Fait prisonnier, il est interné à Lunebourg, près de Soltau, camp duquel il tentera de s’évader une dizaine de fois. Il ne regagne la France que le 8 janvier 1919. D’abord cultivateur à Mignaloux-Beauvoir (Vienne), il se lance dans l’immobilier commercial, se spécialisant dans la mutation des débits de boissons. En 1921, André Bourgain se marie à Madeleine Sarget, issue d’une famille de propriétaires terriens et le couple s’installe dans une maison bourgeoise de Saint-Martial-sur-Isop. Trois enfants (Gabriel, Edith et François) naissent de leur union. Courtier d’assurance, il est élu maire de sa commune en 1931 jusqu’en 1944. Il meurt d’un infarctus en 1953.
2. Le témoignage
Kocher-Marbœuf, Eric – Azaïs, Raymond, Le choc de 1914. La Crèche, Geste éditions, 2008, 147 pages.
André Bourgain part donc à la guerre au sein de la 14e escouade de la 8e compagnie du 114e RI Prêt pour la mobilisation, celle-ci se déroule avec calme et détermination puis le train dépose le régiment à Maxéville en Meurthe-et-Moselle. Là, marches et contremarches laissent l’unité inemployée à l’arrière des combats de la bataille de frontières. Ainsi, ce n’est que le 24 que le régiment subit son baptême du feu entre Cercueil et Erbéviller, laissant 400 hommes hors de combat. Tenant la ligne de feu jusqu’au 3 septembre, le 114e est enlevé et transporté sur la Marne près de Fère-Champenoise. Dès son arrivée « dans un petit bois », il est soumis au bombardement et doit retraiter, peu de temps ; la bataille de la Marne est gagnée, c’est la poursuite jusqu’à Mourmelon. Le 26 septembre, André Bourgain est blessé à la tête par un shrapnel. Bien que légèrement touché, il est évacué dès le lendemain et ne reprendra apparemment pas son carnet de guerre dans la suite de sa campagne.
Eric Kocher-Marbœuf, professeur à l’université de Poitiers, présente dans l’édition deux témoignages (dont un des très rares carnets de guerre de gendarme, voir dans ce dictionnaire la notice de Célestin Brothier) dans la campagne d’août-septembre 1914. Dans une préface opportune, résumant bien les enjeux historiographiques récents autour du témoignage, il rapporte – sans que la précision du cheminement par fausses pistes revête un réel intérêt – l’enquête effectuée en amont de la publication du carnet de Bourgain. Quand au témoignage d’André Bourgain, celui-ci n’a pas pu s’affranchir d’une unité dont le rôle dans la période considérée (août-septembre 1914) se révèle finalement fort ténu sauf l’exposé des quelques engagement auxquels il participe sont chargés d’intensité et d’honnêteté. Bourgain ne cède pas au bourrage de crâne même si sa relation à la guerre reste fortement « domestique » par son lien au ravitaillement quotidien. Cela est dû à une activité militaire peu intense en combats de son régiment. Il y apprend pourtant la guerre, et que le feu tue, différemment selon l’endroit où éclate l’obus (page 122) et heurte l’esprit de corps en trouvant « honteux » la déroute du 137e RI (Fontenay-le-Comte) (page 106).
Dès lors, à part quelques pages intenses et quelques descriptions intéressantes, le choix de rapprocher Bourgain de Brothier reste à démontrer. Enfin l’imbrication des deux carnets avec la date d’écriture comme fil conducteur peut être débattue étant donné la diversité des rôles des deux témoins et une pratique de réécriture sur souvenirs frais des deux témoins.
Des notes opportunes rendent l’édition de qualité à peine minorée par quelques rares erreurs de retranscription (croix rouge au lieu de croix de guerre page 90 ou Chalon-sur-Saône au lieu de Châlons-sur-Marne pages 100 et 115). L’ouvrage est illustré de deux portraits des témoins.
Lieux cités (date – page) :
1914 : Saint-Maixent (1er – 3 août – 37-40), Parthenay (3-5 août – 41-46), Thouars, Saumur, Tours, Saint-Pierre-des-Corps, Orléans, Troyes, Mirecourt, Chalon, Chervigny, Maizières, Neuves-Maisons, Pont-Saint-Vincent (6-7 août – 47-49), Neuves-Maisons, Ludres (8-10 août – 50-51), Nancy, Nomény, Lay-Saint-Christophe (11-12 août – 52-53), Dommartin-sous-Amance (15-17 août – 57-58), Brin-sur-Seille, Nancy, Saint-Max (18-19 août – 59-62), Velaine-sous-Amance (21-23 août – 63-65), Cercueil, Erbéviller (24-25 août – 66-72), Réméréville, Serres (26 août – 3 septembre – 73-97), Hoéville, Réméréville, Cercueil, Jarville (3-4 septembre – 97-100), Toul, Chalon, Troyes, Thaas, Gourganson (5-6 septembre – 101-103), Gourganson, Faux-Fresnay, Euvy (7-11 septembre – 104-114), Châlons, Mourmelon-le-Grand (12-27 septembre – 115-125).
Rapprochements bibliographiques
Paul, Pierre, Le 114ème au feu. Historique de la guerre 1914-1918, S. éd., 1919, 40 pages.
Tézenas du Montcel, Henry, Lettres de guerre, Protat Frères, 1928.
Quivron, D. (Cpt), « Peur ne connaît, mort ne craint ». La longue marche du 114ème R. I., A.I.A.T. (Saint-Maixent), 1980.
Yann Prouillet, février 2011