Mirabaud-Thorens, Henriette (1881-1943)

Fille du médecin Henri Thorens. Famille protestante des Vosges. Mariée en 1903 avec le banquier Robert Mirabaud. Après la guerre de 14-18, elle préside avec son mari la Société de secours fraternel de Gérardmer qui vient en aide aux familles vosgiennes éprouvées par la guerre. Traductrice de divers auteurs, notamment Emerson et Rabîndramâth Tagore, prix Nobel de littérature. Elle a publié deux volumes de témoignages sur la guerre : Journal d’une civile, en 1917, et En marge de la guerre en 1920, les deux chez le même éditeur, Émile-Paul frères à Paris. Une réédition des deux est envisagée par Edhisto. Je ne peux faire ici que l’analyse du premier titre, acheté chez un bouquiniste. Il est publié avec seulement pour nom d’auteur les initiales H. R. M. La présentation dit que le livre a été victime « des mutilations de la censure, qui ont fait disparaitre d’intéressantes critiques ». Espérons qu’elles pourront être rétablies.
Milieu social
Le texte se présente comme un journal tenu régulièrement du dimanche 26 juillet 1914 (« dans les Vosges ») au vendredi 2 juillet 1915. Le témoignage est sincère (en tenant compte de la crédulité de la narratrice) et de lecture facile. Bien entendu il est marqué par le milieu social d’Henriette : ses fréquentations (des officiers, une marquise, une princesse qui trouve que « le service est plus que défectueux, en ce temps où il n’y a plus de domestiques nulle part », p. 85), ses loisirs (« un bridge de guerre, dont nous étions un peu honteux », p. 87). Même sentiment pour évoquer une « journée mondaine » qui suit l’enterrement de deux soldats (p. 249). Phrase intéressante, p. 70 : « Les enfants, le peuple, ont besoin d’être trompés pour avoir du courage. Pour nous, nous devons en avoir en regardant les réalités en face ! »
Patriotisme
Le 1er août, jour de l’annonce de la mobilisation générale, Henriette écrit : « Si l’on frissonne en pensant aux deuils prochains, on vibre aussi, en imaginant la joie de tant de cœurs alsaciens, quand nos trois couleurs passeront les Vosges… » Elle se réjouit à l’annonce du ralliement des socialistes à l’Union sacrée (« Hervé voulait s’engager », p. 13). Le 9 août, elle décrit des scènes d’enthousiasme et évoque Déroulède (mais elle a aussi noté le ridicule de Hansi « se baladant en pioupiou français », p. 13). Des lettres reçues disent la vaillance du peuple de Paris (p. 27). Les Allemands sont lâches et repoussants ; des Bavarois ont été fusillés par des Prussiens ; « on ne dit que la moitié des atrocités allemandes » (p. 100). Le portrait des Allemands est cependant nuancé ; des actes de bonté sont signalés (p. 103 et autres). Mais « le pauvre curé de la Bourgonce avait mille deux cents bouteilles dans sa cave : il n’en reste plus ! » (p. 108). Quant au pape, il est accusé (p. 330) de soutenir l’Autriche et l’Allemagne.
Rumeurs
« Des bruits divers circulent : Metz et Strasbourg brûleraient. La révolution agiterait l’Allemagne » (2 août). Ce sont les Allemands qui ont fait assassiner Jaurès (p. 13). Une femme aurait raconté à un officier français que « son fils, âgé de sept ans, n’ayant pas voulu donner sa tartine, fut tué d’un coup de sabre » (30 août). Sur plusieurs pages (250, 253, 257, 264, 326, 335) des témoins prétendent avoir vu des enfants aux mains coupées et autres atrocités. Dès les premiers jours, les Français auraient remporté des succès écrasants ; les Russes marcheraient sur Berlin. Parfois elle précise (p. 67) : « Je répète ce que j’entends ! » Un caporal de chasseurs alpins décrit des massacres à la baïonnette (p. 113). En secteur tenu par les Anglais, « à l’heure du thé, les tranchées restent vides » (p. 182) ; comique involontaire ici, mais que Goscinny a repris dans Astérix chez les Bretons ! Quant au commandant F., il a chargé à la baïonnette à la tête de ses hommes et tué de sa main huit Allemands (p. 222).
Espionnite
Dès le 4 août il est question d’espions allemands. Le 30 août, Henriette retranscrit une information venant d’un ami officier : les Allemands sont « renseignés par un espionnage admirable fonctionnant dans nos lignes mêmes, au moyen de téléphones souterrains ». Le 25 septembre, il s’agit d’espions « déguisés en prêtres et en ambulanciers ». Le 27, on aurait fusillé trois espions dont une femme. Le 25 octobre, c’est une femme qui a installé un téléphone dans les W.C. et « un autre truc d’espionnage consiste à faire varier la couleur d’une fumée de ferme : grise, bleue, jaunâtre, blanche. Chaque teinte a une signification. » D’autres espionnes encore le 6 mars 1915.
Opinions politiques et autres
La comtesse de P. lui a décrit « nos gouvernants [qui] actuellement font la fête à Bordeaux où ils ont fait venir leurs maitresses » (p. 104). Antiparlementarisme (« la retraite des quinze mille », allusion au chiffre de l’indemnité des députés, p. 105), mais pas antisémitisme (les Juifs aussi donnent leur vie pour la patrie, p. 102). Henriette pense que le féminisme a fait fausse route (p. 70) : « Nous nous sommes occupés d’antialcoolisme, de socialisme, de féminisme, de syndicalisme, de coopératisme, etc.. Nous cherchions l’esprit de justice. C’était bien, mais ce n’était pas l’essentiel. Il fallait faire du patriotisme. » Et plus loin (p. 260) : « Mes sentiments féministes reçoivent de rudes atteintes ! » Et les « grands précurseurs du pacifisme » nous ont fait beaucoup de mal (p. 209).
Une certaine évolution
Dans sa sincérité spontanée, Henriette est bien obligée de tenir compte aussi de notes discordantes. Elle a des doutes sur l’avance des Russes (28 octobre). Un ami officier signale l’état d’esprit déplorable dans les dépôts où « chacun cherche à exagérer ses incapacités » pour ne pas partir (17 novembre). Le 10 janvier 1915, elle nous dit qu’elle demeure patriote mais que la guerre est une chose « effroyable », tandis que certains industriels « gagnent beaucoup sur la fourniture des munitions ». À Annonay, il y a des Alsaciens qui se comportent mal et qui refusent de s’engager et même de travailler (p. 276 et 289). Des femmes d’Aubenas, « de petite condition », sont heureuses d’avoir leur mari sur le front car, en indemnité, « elles touchent une somme rondelette », tandis que « le mari ne va pas boire au cabaret » (p. 286).
Le Midi
Le 9 novembre 1914, Henriette a déjà évoqué les Méridionaux en citant une lettre d’un ami officier : « Les populations du Midi qu’épargne la guerre auraient grand besoin d’être éduquées par la souffrance. On les sent molles et égoïstes. » À partir de mai 1915, elle entreprend un voyage vers le Sud pour rendre visite aux Alsaciens réfugiés : Lyon, Annonay, Tournon, Privas, Aubenas, Alès… Elle n’aime pas Nîmes (16 mai) : « Beaucoup de monde dans les rues. Du monde prétentieux, et vêtu à la mode d’il y a cent ans. Les voix sont criardes, les robes de couleurs voyantes. Beaucoup de soldats errent par les rues. Visiblement, ils ne sont pas allés au feu […] Ils semblent très satisfaits d’eux-mêmes. » Les réfugiés sont plus ou moins bien accueillis. Ils font baisser les salaires (p. 300). Si Nîmes est laide, Montpellier est pire (p. 303) ; l’hôtel est « de goût fort boche » ; « les cafés pullulent de soldats ». Si Béziers a bien traité les réfugiés, Narbonne est si laide que mieux vaut n’en point parler. Perpignan est bien, mais Madame E. affirme qu’on y voit « quatre ou cinq duels au couteau par semaine ». Henriette aperçoit le Canigou, elle passe à Prades, Carcassonne, Villefranche-de-Lauragais, et retourne à Paris.
Finalement, si sa crédulité est compréhensible – qui rappelle celle de François Blayac, voir ce nom – que dire des bobards contenus dans les lettres qu’elle reçoit de ses amis officiers ?

Dans En marge de la guerre, Henriette Mirabaud-Thorens, bourgeoise parisienne, protestante, féministe d’origine alsacienne possédant une villa à Gérardmer dans les Vosges poursuit ses souvenirs (la période du 26 juillet 1914 au 2 juillet 1915 a été publiée dans l’ouvrage Journal d’une civile, publié aux mêmes éditions en 1917) couvrant la période du 5 juillet 1915 au 30 décembre 1917. L’auteure, très active dans l’aide médicale et philanthropique des poilus poursuit son journal après avoir quitté la cité vosgienne depuis la Suisse puis Paris, où elle côtoie le monde artistique et mondain, puis en faisant quelques retours dans les Vosges. Elle y poursuit sa description d’une petite ville d’arrière-front avec sa sensibilité alsacienne protestante.

Analyse

Deuxième volume du plus important témoin publié de la cité géromoise, ce témoignage d’une bourgeoise active – elle a 5 filleuls de guerre (p. 105) et fait de la photo (p. 295) -, idéalement placée dans l’intelligentsia locale et connectée largement avec les milieux militaires, médicaux et philanthropiques, – elle a également des envolées politiques (p. 228) – en fait un témoin de première importance, notamment sur le paradigme des Alsaciens. Bien entendu, elle rapporte, parfois en toute connaissance de fausseté, les ragots et rumeurs de la guerre mais ceux-ci ne lui sont pas servis par les journaux, mais par son entourage, hétéroclite. De très nombreux éléments sont à dégager et de différents ordres. Un témoignage (presque) complet (il manque l’année 1918) qui mériterait une réédition.

Renseignements tirés de l’ouvrage

Page 12 : Succès de la Fontenelle appris le 27 juillet
13 : Lits démontable des ambulances alpines
14 : Suisse entendant le canon de Verdun
22 : Sur un foyer du soldat refusé à Wesserling par Serret
23 : Sur la guerre manquant au soldat permissionnaire : « Assis pensivement sur les bancs, ils semblaient… s’ennuyer un peu, bien que poliment, sans vouloir le montrer. On sentait que leur âme était ailleurs. La guerre, cela excite, cela agite ; c’est l’imprévu, c’est l’inconnu… Je comprends mieux, depuis que je les ai vus, leurs joyeux retours au front. »
24 : Colis non reçus par les prisonniers
: Marquise conduisant des véhicules à la Croix rouge (fin 28)
25 : Extrait d’un carnet d’un soldat de la Chipotte, abbé Collé ?
28 : Tirs sur des cigognes !
: Lutte contre les alambics par Ribot
32 : Vue de Paris, où le noir est à la mode
33 : Vue du dépôt des éclopés des Champs-Elysées
34 : Retour à Gérardmer, le 10 septembre 1915, trajet, voyage avec Hansi : « … toujours le même, avec son allure de bon géant, taciturne et dégingandé. Mais le pioupiou de 1914 est aujourd’hui sous-lieutenant et décoré. »
35 : « Cela « sent le front » Ceux qui n’y ont jamais été ne peuvent comprendre ce que c’est : mélange d’attente d’angoisse, de vie intense et de mort ». Description de sa villa.
36 : Aviatik descendu au Saut des Cuves
: Rumeur que les Alpins ne font plus de prisonniers
: « Lorrain, vilain ; traître à Dieu et à son prochain » !
37 : Spectacle de la guerre
39 : Général Maud’huy, aimé de ses hommes et le pourquoi
: Promesse de récompense de 20 francs pour l’arrivée au sommet du HWK, qui coûte à un officier 1600 francs
41 : Pouydraguin (vap 79)
42 : « Le pessimisme pour un civil, c’est la désertion pour le militaire »
45 : Orphelines fabriquant des masques à gaz
46 : Rencontre une survivante du Lusitania
49 : Foyer du Gaschney fermé à cause d’un Suisse
54 : Gâchis au front
57 : Artistes camoufleurs, dont Flameng, faux ?
58 : Prophétie d’avant-guerre
62 : Visite de Polybe, Barrès, Rostand, Haraucourt et Daudet.
63 : Mauvais traitement des civils alsaciens (vap 269, 66 le contraire)
: Maquette au cimetière d’un monument aux morts
64 : Anecdote sur un filleul de guerre
70 : Voyant un fumiste mutilé de guerre (borgne), réflexion sur le changement social de la guerre
71 : Joffre à Gérardmer « incognito » !
: Pathéphone
74 : Accident de tramway au Hohneck
75 : Soldat regardant sa femme et sa fille en zone envahie près de Cirey
77 : Grand froid
: Exécution d’un espion
79 : Description de Villaret, Pouydraguin
80 : Anecdote sur l’occupation de Saint-Dié
: Anecdote sur l’alcool
84 : Tardival, couteau de tranchée donné aux Alpins
: Sur les soldats à Paris « trop gâtés »
85 : Sur la capture du 152ème au HWK
86 : Sur les prisonniers de l’ile de Croix, allemands et alsaciens
87 : « J’aurai ou la médaille militaire ou un petit jardin sur le ventre »
89 : Explosion d’un train de munition à Dollwiller
: Espionnite, homme badigeonné de citron pour révéler de l’encre sympathique sur son corps
94 : Récit de la bataille du HWK
97 : Sur les lumières de Paris
101 : Livres français envoyés dans les camps par la société Franklin
102 : Zeppelins sur Paris, ambiance
: Prix pour la capture d’un espion, 3 000 F.
103 : Vue de Jérôme Tharaud, mariage, sa femme
104 : Vue de Barrès et madame
105 : Espionnite à Paris et à Nancy
112 : « Rencontré trois permissionnaires, probablement fraîchement débarqués du train, qui regardaient… on aurait pu croire des magasins d’articles de Paris, des fleurs, etc., non, ils étaient en contemplation devant… des couronnes mortuaires. Ces hommes qui vivent en face de la mort, sont attirés par ce qui la rappelle ».
114 : Phrase attribuée au Kayser : « Si jamais vous reprenez l’Alsace, vous la reprendrez chauve. »
115 : Bruits de Révolution en Suisse, affaire des colonels (vap 116)
116 : Rumeur d’achat d’enfants par les Allemands
117 : Problème médical après le HWK
122 : « Marie me damne », code pour Dannemarie
: Chiffres et statistiques sur les prisonniers
123 : Cite Altiar (une femme, vap 130, 176, 261)
125 : Victime (à Paris) de l’explosion de l’usine de grenades de La Courneuve
129 : Drame populaire intitulé « La Défense de Schirmeck » de Bruno, maire du XVIème arrondissement et professeur à La Sorbonne
130 : Poincaré, nouveaux obus au cyanure de potassium « pouvant tuer instantanément des milliers d’hommes à la fois »
134 : Vue de Mme Péguy, Ferry
135 : Vue de Mme Jules Ferry
138 : « A Mulhouse, on va embrasser les éclats d’obus français qui y tombent !»
: « Je voudrais être une punaise écrasée par les glorieuses bottes de nos poilus »
141 : Vue de Gide
145 : Sur Pétain, qui « saute à la corde tous les matins » (vap 216)
146 : 3 femmes, 3 lumières, espionnite !
150 : Anecdote de la capture de l’ambulance de Perrin en août 14, mais inexactitude (fin 151)
151 : Coterie bourgeoise, princesses, comtesse, etc. et Colette ex-Willy
152 : Usine de brome
: Vue de Mme Brandès aidant des aveugles
154 : Sur la censure touchant la citation d’un fils d’Alfred Dreyfus, infamie ! (vap 265, anecdote)
156 : Boy scouts défilants
177 : Surnoms de tanks anglais, qu’elle appelle « automobiles anglaises blindées qui sautent, sans roues, par-dessus tout », appelées « baleine, requin, limace ». Commentaires sur.
182 : Ambiance et description sociales de Paris, militaires et ouvriers, état d’esprit, mode
184 : « On dit que les Allemands ont choisi pour le rapatriement des prisonniers en Suisse des repris de justice et autres échantillons de ce genre afin que les Français fassent mauvaise impression chez les neutres ».
188 : A son petit musée à la villa, abondé par des militaires en visite
189 : Sur l’assassinat de prisonniers
195 : « Pour le 1er janvier on offrira aux amis un sac de charbon, si l’on en trouve, en guise de sacs de chocolat »
200 : Sur l’alcool au front
204 : Sur les 5 coups de canon de Belfort annonçant la guerre
206 : Subterfuge pour envoyer de la poudre de chocolat à Mulhouse
208 : Œuf dito ?
211 : L’internationalisation de la guerre par l’uniforme
212 : Sarrail épouse Oki (pour Octavie) de Joannis, qui fut infirmière à Gérardmer : « Cette alliance du protestantisme le plus sévère avec l’agnosticisme le plus complet me trouble. Trente printemps alliés à soixante-quatre hivers, c’est amusant. »
217 : Description au 2ème degré de l’horreur des grenades incendiaires
219 : Rumeur d’évacuation de Mulhouse
220 : Barrès à Verdun… pour aller chercher une poupée d’une orpheline de guerre
221 : Sur la TSF et la Tour Eiffel
223 : Sur les champs magnétiques déviant les balles !
227 : Lassitude d’écriture
232 : Long récit sur la fuite de Serbie par les montagnes (fin 255)
249 : Le devenir des Serbes, sont étudiants en France
250 : Colonie pénitentiaire de La Grande Chartreuse pour les délinquants serbes
261 : Indiscipline (mutinerie) à Laveline-devant-Bruyères en juin 1917 : « A Laveline, des officiers ont été sifflés et obligés de se cacher »
: Contact, Allemands bien renseignés, messages lancés par arbalète
263 : Sur sa 1ère parution
264 : Pierres jetées sur un cercueil protestant
267 : Prévision de fin de guerre par un abbé
271 : Contrefeu à l’indiscipline
272 : Consommation d’alcool (vap 279)
275 : Nancy ville morte
276 : Avion français descendu par des Français
: Sur les surintendantes d’usine, femmes à poigne pour gérer les ouvrières femmes
281 : Joute sportive sur le terrain de Ramberchamp (qui leur appartient ?) (vap 295)
283 : Traitement des Kabyles
286 : Vue intéressante d’une scierie canadienne à Martimprey (vap 292, 302, 307)
288 : Vue de Dieterlen (vap 301, 309, 318)
: Vue d’une mission chinoise
289 : Allemands déserteurs
291 : Pétition d’Alsaciens
293 : Visite de Poincaré, Pétain, le roi d’Italie (vap 301)
295 : Faux prisonniers allemands jouant une attaque
296 : Madelon
299 : Pourquoi on met les Américains dans les Vosges, pour les éloigner des Anglais !
306 : Vue du cimetière de Gérardmer
307 : Ambrine contre les brûlures
308 : Vue de l’ouverture du foyer du soldat de La Poste
312 : Tonkinois et Cochinchinois
313 : Epopée d’un Alsacien déserteur
317 : Récriminations contre les grévistes
322 : Noël 17, distribution chaotique de cadeaux aux poilus, contenus des colis. Puis arbre de Noël aux enfants

Rémy Cazals et Yann Prouillet, mai 2021

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Gorceix, Septime (1890-1964)

Le témoin

Septime Gorceix est né à Limoges le 7 octobre 1890. Il est devenu professeur d’histoire et de géographie dans sa ville natale. Pendant la guerre, il sert dans l’infanterie au 67e RI ; il est capturé sur les Hauts de Meuse le 24 avril 1915. La plus grande partie de son livre de témoignage concerne sa captivité et ses tentatives d’évasion. Il est possible que la décision de publication doive à la lecture de Témoins de Jean Norton Cru : il en a fait un compte rendu dans le Bulletin de la Société des Professeurs d’Histoire et de Géographie en mars 1930 (n° 63). Tout en affirmant que son intention est simplement d’attirer l’attention des collègues sur l’ouvrage, Septime Gorceix reconnait son importance considérable : Témoins est « sans précédent dans toute la littérature historique ». Il en décrit la méthode rigoureuse ; il invite les professeurs à bannir les légendes militaires de leur enseignement ; il remarque que, parmi les témoins les mieux classés par JNC, figurent plusieurs universitaires et ajoute : « Plutôt qu’à une simple coïncidence, c’est à une certaine formation de l’esprit critique qu’il faut rapporter cette place de distinction. Il est juste d’ajouter que certains professionnels de l’Histoire sont relégués dans des classements inférieurs. » La même année 1930, Septime Gorceix a publié son propre témoignage sous le titre Évadé et a obtenu le prix Marcel Guérin de l’Académie française.

Septime Gorceix est mort à Paris le 15 mai 1964.

Le témoignage

Évadé (Des Hauts de Meuse en Moldavie), a été publié (233 pages, 7 croquis intéressants) en 1930 par les éditions Payot  dans la collection de mémoires, études et documents pour servir à l’histoire de la Première Guerre mondiale.

L’avant-propos signale que le livre aurait pu être publié dès la fin de la guerre, mais que l’auteur avait préféré passer à autre chose. Cependant il a fini par considérer que l’expérience des générations de la Grande Guerre ne devait pas être perdue. Pour la faire connaitre, sa rédaction définitive pouvait s’appuyer sur des carnets remplis quotidiennement.
Le premier chapitre (Sur les Hauts de Meuse) raconte les combats du 67e RI dans ce secteur du front où, dit-il : « durant la semaine de Pâques 1915, nous ne sommes plus des soldats, mais de vivants blocs de boue ». Les combats ne sont plus une bataille, « mais une boucherie hideuse ». Septime Gorceix devient sergent. Il est capturé avec plusieurs de ses hommes lors d’une attaque allemande, le 24 avril. Deux Allemands menacent de le tuer mais un sous-officier le protège (situation semblable dans le témoignage de Fernand Tailhades, voir ce nom). Plus tard et plus loin, un général s’adresse aux prisonniers en français : « Bon ! Bon ! La guerre est finie pour vous. Elle sera bientôt finie pour tous ! »

2e chapitre : Au camp de Wurzburg-Galgenberg, les prisonniers sont débarrassés de la vermine, mais mal nourris (jusqu’à l’arrivée des premiers colis venant de France). La plupart expriment ouvertement leur satisfaction « d’être tirés de la mêlée », mais Septime nous dit qu’il prend la résolution de s’évader pour retourner au combat. Il y a des gardiens gentils et d’autres brutaux. L’un d’entre eux, qui doit partir au front, se fait signer des attestations de bons traitements à l’égard des Français car « son rêve serait d’être prisonnier en France ».

En juillet, les PG partent en kommando pour faire les moissons ; ils sont très bien accueillis ; c’est l’Angleterre qui est détestée. Retour au camp pour parler de l’information : quelques coupures de presse arrivent dans les colis de nourriture, mais on trouve aussi des journaux français à Wurzburg. On joue à la manille ou au football, on lit, on apprend l’allemand, on chante, on représente des pièces de théâtre, on rédige un journal hebdomadaire. Plusieurs pages du livre évoquent cette feuille, tolérée parce qu’elle peut servir la propagande allemande en pays neutre en montrant cette preuve de tolérance.

3e chapitre : Septime Gorceix a soigneusement préparé son évasion. Il s’est fait envoyer une boussole, une carte, un couteau à cran d’arrêt ; il a acheté en ville un sac tyrolien et une lampe électrique… En août 1916, il choisit de partir en kommando « dans les houblonnières bavaroises » (titre du chapitre) pour avoir moins de distance à parcourir. Mais c’est un échec, décrit sur plusieurs pages. Repris, il est convoyé par un seul gardien qu’il pourrait tuer car il est sans aucune méfiance tandis que Septime a toujours son couteau. Mais il ne peut s’y résoudre. Dans le train qui le ramène au camp, on lui dit que si les Allemands et les Français étaient alliés ils seraient les maitres du monde. Sa punition est légère.

Une deuxième tentative d’évasion conduit Septime Gorceix « à travers la Bavière du Sud » mais se termine « dans les prisons autrichiennes » puis « au camp de Deutsch-Gabel » en Bohême (titres de chapitres). Là, le professeur d’histoire et de géographie organise des conférences, tandis que des Tchèques introduisent « des gazettes allemandes d’extrême gauche ». Des conflits se produisent avec des prisonniers russes particulièrement mal traités.

La troisième évasion se fait lorsqu’il est en kommando en Autriche, en avril 1918. Avec un camarade, le voici à Vienne où ils achètent un plan de la ville. Le prof d’histoire se met en tête « une folie » : « Je veux visiter le Versailles autrichien, me promener dans Schönbrunn et contempler le paysage du haut de la Gloriette. » Il le fait. Passage à Budapest, ville qui semble ne pas connaitre les pénuries alimentaires. Puis « à travers les Carpathes » (titre de chapitre) et en Valachie où les évadés se procurent de faux papiers auprès de Roumains francophiles. « À Bucarest, sous le règne de Von Mackensen », les évadés croisent de beaux embusqués allemands, puis ils se dirigent « vers la Moldavie libre ». Le 7 juin, ils entrent en gare de Iassy et se présentent à la Légation de France.

Rémy Cazals, avril 2021

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Averescu, Alexandru (1859-1938)

1. Le témoin

Alexandru Averescu, est un général de l’armée roumaine pendant la Première Guerre mondiale, Premier ministre du Royaume de Roumanie (février – mars 1918; 1920-1921, 1926-1927), élevé au rang de maréchal en 1930. Officier de carrière passé par l’école supérieure de guerre de Turin, Italie, porté au rang de général en 1906. Entre 1896 et 1898, il fut attaché militaire de la Roumanie à Berlin. En 1907, nommé ministre de la Guerre et, pendant les guerres balkaniques, il mène avec succès la campagne de l’armée roumaine en Bulgarie en 1913. Pendant la Première Guerre mondiale, il se distingue comme un excellent chef militaire, un général inconfortable pour la famille royale de Roumanie, le Premier ministre Ion C.Brătianu et pour le Grand Quartier Général de l’armée roumaine, dirigé par le général Constantin Prezan. Il critiqua l’inaction et les erreurs de décision du général Prezan lors des campagnes de 1916 et de l’été 1917. Bon organisateur, il a mené avec succès la résistance de l’armée roumaine aux armées des Puissances Centrales, obtenant les victoires de Marăşti et d’Oituz de juillet à août 1917. Il était le général le plus aimé de l’armée roumaine pendant la Première Guerre mondiale. Son énorme popularité a fait naître la jalousie des dirigeants politiques qui ont compris son potentiel en tant que concurrent formidable sur la scène politique. En mai-juin 1917, ses opposants ont lancé des rumeurs selon lesquelles, dans le contexte de la dégringolade de l’armée russe en Moldavie, le général préparait un coup d’État et voulait proclamer la république. Cela a conduit à un refroidissement temporaire de sa relation avec la famille royale. Au printemps 1918, il est nommé par le roi Ferdinand de Roumanie Premier ministre, mais il n’est au pouvoir que pendant un mois, remplacé par les intrigues du même Ion I.C Brătianu. En réponse, le général a créé un groupe politique appelé le Parti Populaire et a publié une série d’articles entre avril et juin 1918 sous le titre « Responsabilités » dans lesquels il critiquait sévèrement la préparation de la guerre par le Premier ministre Ion I.C.Brătianu, les décisions désastreuses des généraux nommés à des postes par le même Premier ministre. Devenu Premier ministre après la guerre, le général Averescu s’est avéré être un homme politique faible et décevant par rapport à son adversaire Brătianu, et son étoile politique est rapidement tombée. En 1930, avec le général Constantin Prezan, son grand rival, il est promu au plus haut rang militaire, celui de maréchal. Il meurt en 1938, enterré dans une crypte du mausolée des héros roumains à Marăşti, l’endroit où il avait remporté sa plus brillante victoire.

2. Le témoignage : Alexandru Averescu, Notes quotidiennes de guerre 1916-1918, Bucarest, Institut d’Impression des Arts, 1937.

En 1935, à l’âge de 76 ans, le général termine l’écriture de ses mémoires de guerre. Elles sont très probablement écrites sur la base de carnets des campagnes de 1916-1918, mais aussi des ordres et documents officiels qu’il a conservés. Il les publie dans plusieurs éditions en 1935, 1937 et 1938. L’édition utilisée par nous pour cette documentation est datée de 1937, imprimée à l’Institut d’Impression des Arts à Bucarest. L’œuvre compte 62 illustrations et 402 pages. Ses notes ont été mises à l’index dans la première période de la dictature communiste parce que pendant son gouvernement de 1921 à 1922, pendant le congrès au cours duquel le Parti Communiste Roumain a été créé (mai 1921), tous les participants ont été arrêtés. Ses écrits n’ont longtemps été accessibles qu’aux spécialistes. Et ce n’est qu’en 1992 que les notes ont été rééditées à la maison d’édition de l’Armée Roumaine.

3. Analyse du livre

Alexandru Averescu publia ses notes de guerre à un moment où son étoile avait pali, et où la guerre de 1916-1918 ne valorisait que le Parti National Libéral dirigé par son adversaire, Ion I.C.Brătianu. Celui-ci avait réussi à atteindre l’union de tous les Roumains, à la suite d’une guerre gagnée par les sacrifices des soldats et pas nécessairement par les généraux. Pour cette raison, Averescu a tenté de laisser de côté sa propre version des événements, et comme il l’avoue dans l’avant-propos de l’œuvre, le but de ces notes était « d’apprendre de l’expérience des autres ». Le livre a une préface, puis viennent les notes qui sont regroupées en trois sections: Notre guerre, suivie par annexes et documents.

Comme pour d’autres œuvres commémoratives écrites par les militaires, les Notes d’Averescu souffrent stylistiquement, mais ont l’avantage de la rigueur et de la logique nées de l’esprit des professionnels militaires. Le général offre à ses lecteurs de véritables cours de stratégie militaire, et ses notes sont l’occasion de justifier et de confirmer au fil du temps le réalisme de ses décisions et, surtout, les qualités de grand commandant militaire. L’homme Averescu et son armée sont présentés comme de véritables « pompiers » du front roumain, toujours appelés là où la situation était désespérée. Dans le même temps, il évoque également ses collègues, dont il fait rarement des éloges. Il y a plusieurs personnages, les généraux Iliescu, Prezan, le colonel Sturdza, le major Radu Rosetti, qu’il considère avec des politiciens libéraux dirigés par Ion I.C Brătianu, responsables des échecs de la campagne de 1916, mais aussi pour avoir bloqué ou saboté toutes ses initiatives militaires.

L’homme Averescu est un homme d’une seule pièce. Obsédé par son ego, parfois plein d’envie et de frustrations, il se sent lésé par le roi, mais aussi par les libéraux. Peut-être le meilleur portrait de ses faiblesses a été réalisé par son mémorialiste et collaborateur Constantin Argetoianu. Se référant à la personnalité du général, il écrivait ce qui suit: « Sa complexité était plus apparence que réalité. Averescu n’avait que deux passions dans le monde: les femmes et les galons. Pas la femme, mais les femmes ; pas l’ambition de grandes réalisations, mais les galons. Pour satisfaire ces deux passions, au service desquelles il plaçait une intelligence, une ruse et une force de volonté incontestables, il était capable de tout sacrifier, même les croyances qu’il avait, et d’atteindre la cible du jour en prenant n’importe quel chemin. L’homme le plus populaire de son pays en Europe n’a jamais eu une pensée à construire, il a seulement poursuivi le poste de Premier ministre! »

Tout au long de son œuvre, Averescu insiste sur sa propre valeur en opposition avec le manque de substance de ses adversaires, et il affirme des vérités sans aucune remise en question. Il est le seul mémorialiste roumain qui défie et n’aime pas le général Berthelot, le chef de la Mission Militaire française. Averescu voit le général Berthelot comme un « bon exécuteur » mais incapable de s’immiscer dans les affaires de l’armée. Son témoignage de la campagne militaire roumaine de 1916 est courageux, et les vérités qu’il a dites sont difficiles à digérer, y compris aujourd’hui. C’est le général qui fait un portrait presque offensant pour l’armée roumaine. Averescu parle du manque d’équipement, des troupes qui paniquent facilement, et dit que ceux qui paniquent sont les professeurs des écolestransformés du jour au lendemain en officiers. Vous pouvez voir ici le mépris d’un soldat de carrière pour les réservistes.

En septembre 1916, l’armée roumaine à Dobrogea est encerclée par les troupes germano-bulgares et 30 000 soldats sont faits prisonniers. Encore une fois, ses réflexions sur la catastrophe de Turtucaia sont dures : « Des unités improvisées, des officiers improvisés, une grande ineptie en préparation de la part du commandement supérieur… Turtucaia a été un vrai désastre. Qui va expier la perte de tant de vies et cette honte? Qui? Les erreurs des commandants et des politiciens ont des conséquences désastreuses pour le pays et non pour eux-mêmes. » Il utilise évidemment ces réalités incontestables pour frapper ses adversaires et conclut : « C’est le travail de Iliescu-Rosetti (général Dumitru Iliescu et major Radu Rosetti, proche d’Ion I.C. Brătianu), sous l’égide de l’I.I.C.Brătianu! » Le 27 novembre, le général Averescu écrit : « La désagrégation progresse à vue d’œil. Ceux qui ont préparé la guerre peuvent se féliciter ! »

Quelques semaines plus tard, son ton devient encore plus critique, quand, après le retrait chaotique en Moldavie de toute l’armée roumaine, l’épidémie de typhus éclate : « Nous avons pensé à Budapest et nous faisions une stratégie élevée et nous n’avons pas pris les mesures les plus élémentaires pour organiser le service sanitaire… »

Averescu, se référant à la campagne de 1917 où il a remporté une brillante victoire à Mărăşti, critiquait à nouveau la direction de l’armée roumaine qui a arrêté son offensive qui aurait conduit à son avis à chasser l’armée allemande de Roumanie. La même critique est adressée à l’armée russe qui ne se bat plus et est en plein désarroi à cause de la propagande bolchevique.

Pour conclure, le travail du général Averescu est un témoignage précieux des opérations militaires et de l’atmosphère entre les dirigeants de l’armée roumaine, des liens entre l’armée et les politiciens. Il révèle à la fois le sublime et le ridicule de ces années. En ce qui concerne la postérité du commandant et homme politique Averescu, la récupération de sa mémoire a commencé timidement après la chute du communisme en Roumanie. En 2005, une fondation Alexandru Averescu a été créée qui a contribué à ramener dans la mémoire collective la personnalité de cette armée. A l’occasion du Centenaire de la Première Guerre mondiale, la figure d’Alexandru Averescu a été largement médiatisée. Au cours de ces années, une série d’études et d’ouvrages ont paru dans lesquels Averescu a fait l’objet de l’analyse d’historiens.

Dorin Stanescu, avril 2021

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Carles, Émilie (1900-1979)

1. Le témoin

Émilie Allais, épouse Carles (1900-1979), naît dans une famille de cultivateurs, au village de Val-des-Prés (Hautes-Alpes). Sa mère est foudroyée pendant le travail aux champs en 1904, et son père élèvera seul ses six enfants. Un des frères et le beau-frère de l’auteure meurent sous l’uniforme pendant la Grande Guerre. É. Carles mène ensuite une carrière d’institutrice dans le Briançonnais, se rapprochant à travers son mari Jean Carles de la sensibilité anarchiste. Ils tiennent longtemps une pension de vacance qui accueille des estivants du milieu libertaire. Son livre autobiographique, qui se veut un témoignage fidèle, décrit la dure vie des paysans de la montagne briançonnaise, durant la première moitié du XXe siècle.

2. Le témoignage

« Une soupe aux herbes sauvages » a paru aux éditions Jean-Claude Simoën en 1977. Le livre (322 pages), réalisé avec la collaboration de Robert Detanque, a rencontré un succès rapide et massif, succès relayé par le passage d’É. Carles dans les émissions de Bernard Pivot (« Apostrophes », 10.02.1978) et de Jacques Chancel (« Radioscopie », 20.03.78). Les tirages, avec les traductions et les éditions de poche, ont totalisé plusieurs centaines de milliers d’exemplaires.

3. Analyse

Seule, une petite partie du livre d’Émilie Carles relate l’expérience de la Première Guerre (deux chapitres, puis des évocations dispersées). Le récit de la déclaration de guerre, dans ce village reculé du Briançonnais, rejoint le meilleur Giono, pour reprendre la formulation de W. Rabinovitch (Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, n° 1 – 2/1983. – en ligne -). Lorsque sonne le tocsin en août 1914, Émilie Allais est occupée avec les siens à la « pleine moisson » sur le plateau, lui-même isolé au-dessus du village. Entendant les cloches de la vallée qui se rejoignaient et ne voulaient plus s’arrêter, la famille ne comprend pas de quoi il s’agit. Il faut que le garde champêtre monte vers eux avec son clairon, pour leur expliquer que :

– « c’est la guerre, c’est la guerre ! »

– « Mais avec qui ? »

– « Ben, avec les Allemands ! Les Allemands nous ont déclaré la guerre. » (p. 57)

Elle relate qu’un certain nombre de villageois prennent la guerre avec légèreté, « à la rigolade » (p. 58), mais d’autres, les « inquiets », sont catastrophés à cause des moissons, hésitent, et résistent jusqu’à la dernière minute « Il y a eu des cas de bonhommes qui sont allés se cacher dans la forêt et ce sont les femmes, qui les ont menacés de les dénoncer aux gendarmes, qui les ont décidés à se rendre. Finalement ils sont tous partis. » (p. 58).

Catherine Allais. Catherine, une des sœurs d’Émilie, s’était mariée en avril 1914 avec Joseph « le laitier », c’était un mariage d’amour et non d’intérêt, ce qui, souligne l’auteure, était rare au village. Lorsque Joseph, mobilisé, voulut rejoindre son unité, sa jeune femme voulut l’en empêcher. Le récit, soutenu par le talent de conteuse d’Émilie, décrit alors la façon dont sa soeur s’accrochait à son mari pour l’empêcher de partir: « Sur le sentier qui va de Granon au village, ils se traînaient l’un l’autre, elle tirant vers le haut, lui vers le bas.  Ils sont descendus comme ça jusqu’à un endroit qu’on appelle « l’écuelle du loup », attachés comme deux malheureux qui se savent condamnés à la séparation. Ils étaient désespérés. (…) il lui disait « Mais voyons Catherine laisse-moi aller, il faut bien que je parte sinon ils viendront me chercher, ils fusillent les [déserteurs, veux-tu qu’ils me fusillent ? » (…) elle était comme folle, elle lui criait « Non, non, je ne veux pas que tu t’en ailles (…)» C’était pitié de les voir et de les entendre, mais il a bien fallu qu’elle le lâche. » (p. 68) On trouve peu de descriptions de ce type de désespoir lors du départ : ces souffrances étaient-elles si rares ? Ces scènes, par ailleurs, étaient-elles dicibles et relatables? Catherine, enceinte, meurt ainsi que l’enfant lors de l’accouchement en avril 1915. L’auteure termine cet épisode en évoquant la tristesse froide du jeune veuf, qui – d’après elle, et à travers des témoignages de ses camarades – a tout fait, au front, pour se faire tuer : « À force de s’exposer il est arrivé à ses fins » (p. 72).

[L’auteure a changé certains noms dans son récit, Joseph le fromager s’appelle en fait Blaise Orsat (159e RI, tué au Chemin des Dames en juin 1917), et erreur sur Mémoire des Hommes, il n’est pas né dans la Somme mais en Savoie.]

Joseph Allais. Émilie Carles raconte qu’en 1915, elle est encore peu consciente des réalités de la guerre, et qu’elle ne remet pas encore en doute, par exemple, la parole du curé lors du prône du dimanche : « À l’entendre, la France était l’enfant chérie de Dieu tandis que l’Allemagne n’était que la terre du diable. Le poilu n’avait pas de devoir plus sacré que d’étriper le boche venimeux. Je n’exagère pas, c’était comme ça ! » (p. 73). C’est le témoignage de son frère Joseph (classe 1916), qui lui ouvre les yeux, lors de son retour en permission à Val-des-prés. Il lui décrit, en cachette du père, son refus de la guerre : il évoque les capitalistes qui font des fortunes, les chefs qui prennent du galon, et déclare que les Allemands « sont comme nous ». Il explique à sa sœur que la guerre n’est pas ce qui en est dit, « c’est quelque chose de monstrueux, je suis contre, mille fois contre. » (p. 74). L’auteure, qui a dix-sept ans, raconte être restée interdite devant tant de rébellion, « lui qui était la douceur même », et assure que c’est lui qui « lui a ouvert les yeux ». La liaison faite avec l’enseignement est à souligner : «Parce que tu es jeune, tu veux devenir institutrice, tu dois savoir la vérité » (p. 75). Difficile, dans ce récit qui date de soixante ans après les faits, de faire la part entre ce qui ressort de la prise de conscience précoce, du travail de maturation, lié à l’influence du milieu libertaire qu’elle fréquente à Paris en 1919-1920 alors qu’elle travaille dans une institution de jeunes filles, et enfin de l’influence des idées de son mari qu’elle rencontre en 1927. Elle évoque la triste fin de son frère, d’abord prisonnier en 1918, et qui répète dans ses lettres qu’il souffre de la faim, ses colis étant pillés par les Allemands. Ce n’est qu’au mois de juin 1919 qu’elle apprend son décès. Au pays, un autre prisonnier démobilisé lui décrira l’état de Joseph, qu’il n’avait d’abord pas reconnu à cause de sa maigreur : «Il avait attrapé toutes les saloperies qui traînaient dans ces camps, la diarrhée, la dysenterie et il n’avait plus la force de se défendre contre rien. » (p. 98) É. Carles souligne, à plusieurs reprises, la triste coïncidence de la date de la mort de son frère, le 11 novembre 1918, avec celle de l’Armistice : « ultime dérision, il était mort de faim le jour de l’armistice, le 11 novembre, au moment même où la France chantait et dansait dans les rues et sur les places. » (p. 96). Il est intéressant de noter qu’il est en fait mort le 22 octobre : la proximité des dates, et le récit répété, étiré sur soixante ans, ont peut-être fini par persuader Émilie que son frère était mort le 11 novembre. La famille n’a jamais pu savoir où reposait Joseph (p.98) : « Malgré les recherches et les demandes on n’a jamais pu savoir où il se trouvait exactement. Des Avesnes il y en avait cinq en France. Tout ce qui nous est resté de lui c’était son souvenir et une plaque en émail contre le mur du cimetière. » Ladite plaque, partagée avec le mari de Catherine, a été depuis accrochée juste derrière le monument aux morts de Val-des-Prés, et est nettement visible (photo du centre) grâce au site « Monument aux morts – UnivLille ».

[Sur la plaque, le mois du décès de Joseph (premier prénom Amédée, 279e RI) est octobre 1918, et il y a erreur sur le site Mémoire des hommes, qui se trompe lui aussi d’Avesnes : il ne peut y avoir de Feldlazarett à Avesnes-le-Comte en octobre 1918, on est en pleine zone anglaise et assez loin du front.]

Ce sont ici les principales évocations pour la Grande Guerre, il n’y a ensuite que quelques références dispersées, avec par exemple l’évocation de la traque des frères Bertalon (sic, en fait Berthalon, des détails dans Charton J.L., L’Alpe n°14, et Damagniez S., Nostre Ristouras n°10 – en ligne – ), des insoumis qui, vivant dans les estives et dans des grottes, échappèrent pendant treize ans aux gendarmes. Ce sont des protestants qui ont pris le maquis au nom du « Tu ne tueras point ». Ils ne seront arrêtés qu’en 1927, car la cloche sonnait dès qu’apparaissait un képi : « Ce qui m’enthousiasmait le plus dans cette histoire des frères Bertalon, c’était la solidarité du village à leur égard. » (p. 106) Le reste du récit est de grande qualité, et à cause de son âpre franchise, le livre a été très mal accueilli à Val-des-Prés lors de sa parution; c’est ce même ton original et passionné qui explique son grand succès d’édition à la fin des années soixante-dix.

Vincent Suard – mars 2021

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Lanois, Lucien (1891-1980)

Né le 14 août 1891 à Villeroy-sur-Méholle (Meuse). Sa famille tient un café-tabac-épicerie dans le village. Il fait de bonnes études primaires et, au « certif », il est classé 1er du canton, comme Louis Barthas. Comme lui encore, Lucien Lanois reste artisan, menuisier, puis cultivateur. Il passe toute sa vie à Villeroy, en dehors de son long service militaire. En effet, entré au 155e RI à Commercy en 1911, dans le cadre de la loi des 2 ans votée en 1905 à l’initiative de Jaurès, il doit effectuer une année de plus à cause de la loi des 3 ans. Le 30 juillet 1914, il écrit à ses parents : « Malgré tout la classe vient et dans une cinquantaine de jours je serai de retour avec vous. » Ce sera dans une cinquantaine de mois. Il est donc resté plus de sept ans sous les drapeaux.
Baptême du feu le 21 août, il s’en tire « sans une écorchure », mais il est blessé au pied le 6 septembre 1914 ; la balle de shrapnel n’est extraite que le 20 octobre. Dans la deuxième quinzaine de novembre, sa famille reçoit des autorités militaires l’annonce de son décès. Heureusement, Lucien n’avait pas cessé d’écrire depuis l’hôpital de Moulins. Suit une période de soins, de convalescences. En septembre 1915, il est classé inapte à retourner au front et remplit diverses tâches à l’arrière, par exemple matelassier ou gardien de prisonniers. En avril 1916, il est « récupéré » comme ravitailleur au 25e d’artillerie et participe à l’offensive de la Somme. Dans l’Aisne en avril 1917, puis en Meurthe-et-Moselle. Il connaît également une longue période dans les Vosges de juin 17 à février 18 avant d’être à nouveau hospitalisé en août.
Le témoignage qu’il a laissé est énorme, un « hyper-témoignage » dit Yann Prouillet, comme celui de Gaston Mourlot que sa maison d’édition, Edhisto, a déjà publié en 2012 : La Grande Guerre d’un « récupéré », Journal et correspondances de Lucien Lanois de 1914 à 1918, présentés par Gisèle Lanois, Senones, Edhisto, 2020, 635 pages, 362 illustrations, 2 millions de signes. La correspondance occupe les pages 14 à 466. Elle comprend 317 lettres de Lucien et 257 cartes postales marquées de la date de son passage et de sa signature, parfois plus précisément personnalisées par une croix de situation ou par un bref commentaire. Sur certaines légendes de cartes, la censure avait noirci les noms des villages ; Lucien les a rajoutés de sa main. Le livre compte aussi 163 lettres reçues par le soldat. Celui-ci, en 1976, âgé de 85 ans, a rédigé un récit à partir de ses carnets de guerre (qu’il a ensuite détruits) et de sa correspondance. Le texte des cahiers occupe les pages 469 à 621 du livre.
L’appareil critique comprend une présentation par sa petite-fille Gisèle qui explique comment elle a rassemblé les documents que Lucien avait distribués à ses enfants et petits-enfants ; une chronologie précise de la guerre de Lucien ; un index des noms de lieux ; un glossaire iconographique. Comment Yann Prouillet réussit-il à abattre une telle besogne de recherche, composition, relecture, diffusion ? Je pense que l’expression sportive « mouiller le maillot » doit être ici retenue. Comment réussit-il à vendre un tel monument au prix unitaire de seulement 29 euros ?
Une suggestion : achetez et faites acheter ce livre par les bibliothèques.

Rémy Cazals, mars 2021.

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Kuhr, Piete (1902-1989)

1. Le témoin
Elfriede Alice « Piete » Kuhr est née le 25 avril 1902 à Schneidemühl, ancienne capitale de la Prusse-Occidentale, aujourd’hui Piła en Pologne. Sa mère, qu’elle vénère, dirigeant une école de chant à Berlin, distante de près de 300 kilomètres, Piete vit chez sa grand-mère avec Willi-Gunther, qu’elle surnomme Gil, son grand frère de 15 ans, qui deviendra apparemment aviateur en 1918. Rien n’est dit d’un père. De son témoignage transpire son statut social, manifestement aisé. Grandissant, en 1918, elle travaille dans un foyer pour enfants de sa ville où elle deviendra soignante. En 1920, elle rejoint sa mère à Berlin puis devient danseuse. En 1927, elle épouse un célèbre acteur juif, Léonard Steckel, avec lequel elle aura une fille, Anja. Après l’accession au pouvoir d’Hitler, un officier SS lui conseille de quitter le pays. Elle abandonne le « Quartier rouge » de Berlin pour la Suisse où, fidèle aux propensions qu’elle a nourri dans son adolescence, et qui transpirent de son journal de guerre, elle consacre son temps aux réfugiés. Une pathologie cardiaque met fin à sa carrière de danseuse ; elle se consacre à l’écriture jusqu’à sa mort le 29 mars 1989 à Seehaupt en Bavière.

2. Le témoignage
Le journal de guerre de Piete Kuhr est publié, pages 19 à 68, dans Filipovic, Zlata et Challenger Mélanie, Paroles d’enfants dans la guerre, Paris, XO éditions, 2006, 455 pages.
Piete débute son journal de guerre le 1er août 1914 sur les conseils de sa mère : « Elle pense que çà m’intéressera quand je serai grande. C’est vrai » (p. 23). Elle y décrit tout à la fois son environnement, la vie de la petite ville de Schneidemühl en y ajoutant son état d’esprit, volontiers frondeur, et ses sentiments quant à la vie qu’elle mène, maintenant profondément bouleversée par la guerre. Pourtant, celle-ci dure et pèse sur le moral de l’adolescente à tel point qu’elle déclare, le 1er septembre 1916 : « J’arrête mon journal de guerre. Je ne peux plus continuer. Cette guerre ne finira jamais. Je ne vais pas continuer à écrire jusqu’à ce que mes cheveux aient blanchi » (p. 57). Heureusement, malgré un cafard grandissant, elle le poursuit toutefois mais de façon plus épisodique ; en effet, on trouve 20 dates pour 1914, 4 pour 1915, 6 pour 1916, 5 pour 1917 et 5 pour 1918. Pourtant, malgré la ténuité de son écriture, de nombreux renseignements d’ambiance et psychologiques peuvent être dégagés de son journal d’une adolescente en Prusse-Occidentale.

3. Analyse
Piete décrit d’emblée une ville pavoisée de « drapeaux à toutes les fenêtres » (p. 24) alors même que l’Allemagne n’a pas encore déclaré la guerre. Elle tente de comprendre les raisons de cette folie qui gronde et fait montre d’un bon sens enfantin. Très vite, elle affiche une adhésion militariste ; elle dit : « J’étais furieuse de n’avoir que douze ans et de ne pas être un homme. A quoi sert un enfant, pendant une guerre ? A rien. Il faut être soldat. La plupart des hommes s’engagent volontairement » (p. 26). Elle y revient à plusieurs reprises dans un premier temps. Alors qu’elle ravitaille des soldats en partance pour le front, elle dit : « Je me prenais pour un soldat dont on s’occupait bien, et j’étais très heureuse » (p. 31) souhaitant abandonner l’insouciance de son enfance : « … je ne joue plus à la poupée. C’est si petit des poupées… Elles n’ont rien à faire dans une guerre. – Tu voudrais jouer à quoi, alors ? – Aux soldats, j’ai répondu » [à Greta, sa bonne] (p. 49). Le 4 août elle décrit longuement le départ du régiment de la ville (le 149. I.R.), avec ses hommes décorés. Elle dit : « Tous les soldats portaient des guirlandes de fleurs des champs autour du cou ou sur la poitrine. D’immenses bouquets de marguerites, comme s’ils pensaient abattre leurs ennemis avec des fleurs » mais immédiatement, elle note que « Leurs visages étaient graves. Je m’attendais à les voir rire et plaisanter » (p. 29). Plus loin, elle ajoute encore alors que les troupes venues de tous les horizons défilent dans la petite capitale : « Les soldats et les réservistes rient et chantent. Ils saluent joyeusement en arrivant, puis en partant » (p. 31). Sus à l’ennemi ; un chant en démontre la différence de traitement : « Que chaque Prussien tue un Russe. Que chaque Allemand rosse un Français. Et les Serbes auront ce qu’ils méritent. Que les démons soient serbes ou russes, nous les écraserons » (p. 32). C’est bientôt (6 août) le temps des premiers bourrages de crânes sur les Russes, menés au front à coups de fouet et déjà en famine, ou les premières victoires, telle celle de Liège annoncée le 7 alors que le dernier fort de la ville ne tombera que 9 jours plus tard. Cette partie de la Prusse étant majoritairement composée de polonais, divisés entre Russie et Allemagne, l’armée les recrute par voie d’affiches : « Polonais, soulevez-vous et engagez-vous avec le respecté gouvernement allemand » (p. 35). Pourtant aux derniers jours d’août, Piete assiste à l’arrivée des premiers réfugiés venant de la Prusse orientale (p. 40). Elle y décrit aussi l’antisémitisme, exacerbé, et rapporte entendre « Profiteurs de guerre ! » dès le 7 septembre (p. 43). Hélas, les journaux publient les noms des premiers morts parmi les soldats qui appellent leurs soldbuch, (quelle désigne « carte d’identité militaire »), « ticket pour la mort ». Piete y a peur d’y trouver des noms connus et déjà elle dit : « La guerre aurait vraiment mieux fait de finir » (p. 36). Les premiers blessés affluent en effet dans la ville, qu’elle décrit. Puis, malgré la distance, elle dit : « Les combats font rage sur le front de l’Est, tout le long des quatre cents kilomètres de la ligne. En étant immobile, et très attentif, on sent la terre trembler légèrement sous nos pieds » (p. 40). Par les écoles, elle participe à l’effort de guerre par le tricotage (chaussettes, écharpes, bonnets, mitaines, gants et oreillettes) pour les soldats, plus tard, ce sera par d’incessantes quêtes et récoltes. Elle décrit : « Tous les jours, on nous répète : « Chaque pfennig pour les soldats ». Mamie dit que je vais la ruiner, avec les quêtes de l’école. Maintenant, il y a une grande Croix de fer en bois accrochée au mur de l’école et nous devons y planter mille clous en fer. Quand ils seront tous cloués, ce sera vraiment une Croix de fer. On peut en planter autant que l’on veut. Les clous valent cinq pfennigs pièce, ceux en argent dix. Jusqu’à maintenant, j’en ai planté deux en fer et un en argent. Ça fait une distraction. L’argent récolté est consacré à l’effort de guerre » (p. 47). Plus loin, à la demande de l’Etat, le 11 mars 1915, de collecter des métaux, cuivre, fer, plomb, zinc, bronze et vieux fer, elle pille à nouveau la maison grand-parentale pour participer à la compétition des classes. Elle fait un état des lieux : « J’ai retourné la vieille maison de fond en comble. (…) J’ai pris des vieux couverts, cuillers, fourchettes et couteaux, des brocs, des bouilloires, un plateau, une coupe en cuivre, deux lampes en bronze, de vieilles boucles de ceinture et plein d’autres choses », allant même jusqu’à fondre elle-même ses soldats de plomb (pp. 53-54). L’ambiance en ville, entre réfugiés et trains de combattants, amène des scènes de folies, civile comme militaire (pp. 41 et 42), puis les premiers morts prisonniers et espions exécutés (p. 44). D’ailleurs, un terrain appartenant à sa famille jouxtant le cimetière devient celui des prisonniers russes décédés. Suit maintenant la mort d’un ami, le premier qui tombe au front, fils d’une conseillère municipale, puis de l’un des élèves de sa mère, le ténor Dahlke, tué à Maubeuge. Ce décès affecte cette dernière qui, dès lors, reproche à la jeune diariste le contenu de son journal et lui prescrit : « … tu devrais considérer la guerre sous un jour plus héroïque. Une vision trop terre à terre brouille la grandeur des événements. Ne te laisse pas envahir par une sotte sentimentalité… » (p. 46) alors que ses écrits reflètent bien ce qu’elle constate et son chagrin, jusqu’au blasphème. Elle dit à ce sujet : « Mamie prie Dieu pour qu’il le protège [Paul Dreier]. Si Dieu exauçait toutes nos prières, aucun soldat ne mourrait. Mais il ne les entend même pas. Le tonnerre des fusils a dû le rendre sourd comme un pot » (p. 49). Lentement s’insinue le cafard et le 31 décembre 1914, elle dit : « Pourquoi est-ce que je ne suis pas avec les soldats ? Pourquoi je ne suis pas morte ? Çà sert à quoi, que je vive encore cette vie ? Elle ne m’a jamais donné aucun plaisir ; d’abord l’école, et maintenant la guerre. Je le pense vraiment, je ne peux pas écrire autre chose ; je ne peux pas, maman, tu m’entends ? Et je ne le ferai pas. Elle est comme çà, notre vie et si je devais la raconter autrement, je dirai des mensonges. Je préfèrerais encore ne plus rien écrire du tout » (p. 52). Le 25 avril 1916, elle dit : « Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. J’ai quatorze ans ! Je ne sais toujours pas exactement ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, dans cette guerre. Je me réjouis de nos victoires et je suis hors de moi en pensant aux morts et aux blessés. Hier, j’ai entendu dire qu’il y a un hôpital caché dans la forêt, où vivent des soldats qui ont le visage arraché. Ils doivent être si effrayants que les gens normaux ne peuvent pas les regarder. Des choses comme çà me plongent dans le désespoir » (p. 56). Le 29 novembre 1918, elle termine son journal allégoriquement en rendant visite au cimetière des prisonniers du camp de Scheidemühl et dit enfin : « Dans la mort, on pourrait dire que tous les hommes ressemblent aux autres » (p. 67).

L’ouvrage se poursuit par la reproduction du journal de Nina Kosterina (Russie), Inge Polak, (Autriche et Royaume-Uni), Gunner W.-G. Wilson (Nouvelle-Zélande et Egypte), Hans Stauder (Allemagne), Sheila Allan (Australie et Singapour), Stanley Hayami (Etats-Unis), Yitskhok Rudashevski (Lituanie) et Clara Schwarz (Pologne) pour la Seconde Guerre mondiale. Ed Blanco (Etats-Unis) pour la guerre du Vietnam. Zlata Filipovic (Bosnie-Herzégovine) pour la guerre des Balkans. Shiran Zelikovitch (Israël) et Mary Masrieh Hazboun (Palestine) pour la deuxième Intifada. Et enfin Hoda Thamir Jehad (Irak) pour la guerre d’Irak.

Un cahier photographique central illustre ces témoins, dont Piete Kuhr.
Son témoignage a été utilisé dans une série dramatique diffusée en 2014 : 14 – Des armes et des mots — Wikipédia (wikipedia.org)
Renseignements complémentaires relevés dans l’ouvrage :
(Vap signifie « voir aussi page »)

Page 27 : Proscription à l’école et dans la famille, des mots étrangers ; « adieu » ou « journal », trop français. Chaque manquement entraîne une amende de 5 pfennigs
33 : Elle fait une croix en cire pour célébrer la première victoire
48 : Évoque Verdun en novembre 1914
50 : Vue de Noël 1914 (vap p. 55 pour Noël 1915 et 58 Noël 1916)
54 : Voit un zeppelin, le LZ 35
55 : Offre pommes et fleurs aux soldats de l’hôpital
56 : Fait une tombe pour son chat, tué à coup de fusil par un voisin
58 : 25 décembre 1916 : « On fait la queue pour une malheureuse miche de pain »
61 : Elle vole une pâtisserie avec une amie
66 : A peur de la grippe espagnole

Yann Prouillet, février 2021

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Gérard, Louis-Charles (18..-19..)

1. Le témoin
Nous n’avons pas recueilli d’information biographique à propos de Louis-Charles Gérard qui indique à la fin de son œuvre l’avoir rédigée à Roches-les-Blamont, dans le Doubs, en 1932. Il annonce également un autre récit en préparation intitulé L’épave, lequel ne semble pas toutefois avoir été publié.

2. Le témoignage
Gérard, Louis-Charles, Les dessous de la gloire, Besançon, imprimerie Jacques et Demontrond, 1932, 248 pages.
Léon Giraud est incorporé pour sa période militaire le 9 octobre – semble-t-il – 1912 au 81e bataillon de chasseurs à pied de Montabélard. Il va y apprendre le métier au cours d’une longue vie de caserne, faite de services et de menus tracas ; un milieu où il va gagner le respect de ses camarades ainsi que le galon de caporal. Les bruits de guerre rapprochant le bataillon de la frontière, c’est dans les Vosges qu’il prend sa place « assignée sur la ligne Messimy » (p. 202). Après le baptême du feu en Alsace, le caporal Giraud est lui-aussi fauché par l’implacable destinée de chair à canon quelque part dans la Champagne Pouilleuse, à proximité d’une ferme de la Folie.

3. Analyse
L’auteur place son héros dans le 81e BCP de Montabélard. Cette commune comme cette unité n’existent pas, les BCP à la mobilisation « s’arrêtant » au numéro 71. Son témoignage ne correspond pas non plus au 55e BCP de Montbéliard, dont le parcours n’est pas commun avec celui décrit dans l’ouvrage de Gérard. Car l’auteur a bien fait ses classes, et vraisemblablement la Grande Guerre, dans les chasseurs à pied. Son caporal Giraud y décrit fidèlement, et longuement, la vie de caserne, son microcosme et son jargon, son argot, y développant quelques scènes typiques d’intérêt pour l’historien. Il décrit la mobilisation en caserne (déroulement, vocabulaire, etc.) (p. 70) et glose sur la discipline : « Il est écrit dans le Règlement : Le supérieur doit obtenir de l’inférieur une obéissance entière et une soumission de tous les instants. Tous les actes de la vie militaire tendent à asseoir cette opinion présentée sous forme d’axiome. Tous les esprits sont atteints de cette psychose particulière, d’où naît l’aveugle soumission » (p. 86). Il décrit une marche-manœuvre sous la pluie : « Aux fenêtres, des gens étonnés regardaient passer le morne défilé des soldats courbés sous la rafale, les fusils crosse en l’aire, comme on le fait aux enterrements. Et vraiment cela ressemblait à un enterrement : choses, bêtes et gens semblaient plongés dans un deuil cruel » (p. 89) ou une séance d’escrime à la baïonnette (p. 121). Son tableau (p. 195) de la lecture de la presse allemande par les officiers afin de galvaniser les soldats est certainement chose vue. Il est également opportun dans sa réflexion sur la guerre qui mélange les origines sociales : « Cela me fait plaisir de constater que, si la guerre arrive, nous y seront tous, sans distinction de fortune ». (p. 205). Il y revient plus loin (pp. 210-211), et dit, en septembre 1914 : « Tout d’abord, j’ai perdu encore là une autre illusion, j’avais cru à la sincérité de cet élan qui nous portait tous indistinctement à un commun sacrifice ; sous l’uniforme qui nous rendait frères égaux, j’avais conçu le fol espoir d’une mentalité nouvelle enfantée par le danger pressant ; je voyais dans ce généreux geste d’union sacrée, apparaître les bases d’une société meilleure, qui allait se tremper dans le creuset de la souffrance et cimenter dans le sang, l’éternel monument d’une fraternité effective ». Il découvre les PCDF et les embusqués.

Vient la guerre. L’épreuve du feu passée, il dit en septembre 1914 « Je me demande par quel miracle je suis encore en vie ! » (p. 210). Puis il décrit sa vision des soldats après quelques semaines de guerre : « Tous ces combattants n’offraient plus rien de la physionomie habituelle des soldats du temps de paix. Des uniformes salis et déchirés, des faces osseuses et tannées, sur lesquelles une barbe d’un mois appliquait un cachet crapuleux, des gestes brusques, des voix rauques, des yeux durs où brillait une flamme inquiétante, c’était, en quelques traits, ce qu’offrait la vue des survivants de ce premier mois de campagne ! » (p. 214). Il termine sa campagne quelques jours plus tard, adossé à la margelle d’un puits, une artère fémorale coupée, pleurant « sur sa jeunesse sacrifiée, sur ses deux dernières et inutiles années qu’on avait volées à son affection filiale, sur les petites méchanceté qu’il avait supportées, sur la cruauté criminelle des hommes qui déchaînent la guerre, sur la bêtise de ceux qui la font, sur le néant de ce qu’elle représente » (p. 243-244).

D’idéaliste, Gérard, dans un ultime chapitre appelé « Remords », adresse, la guerre terminée, un pamphlet pacifiste aux anciens combattants : « Il faut bien l’avouer, on ne nous a pas consultés pour rédiger les traités, moutons nous étions, moutons nous sommes restés, sous la houlette de nos bergers, nous n’avons pas eu le courage d’élever la voix. Nous nous sommes laissés canaliser dans nos foyers, par petites paquets, et, sitôt repris par l’égoïsme, nous nous sommes vautrés dans l’indifférence, dans la lâcheté ! On nous a jeté, comme à des enfants, des hochets, des rubans qui flattaient notre fatuité. Pour étouffer nos scrupules, on a agité sous nos yeux, les spectres d’un danger puéril. Nous n’avons pas su résister, « ô corruption de l’argent ! », à l’appât des misérables primes qu’on nous offrait…, que votre sang avait payées…, et comme des mercenaires, nous avons empoché nos trente deniers ! Nous avons fermé les yeux, nous n’avons pas voulu démasquer les gens de la coulisse « (p. 245-246).

Dès lors, malgré que la classification de cet ouvrage soit de l’ordre du roman, la guerre ne concernant que les pages 201 à 244, Les dessous de la gloire constitue un bon témoignage anonymisé du dressage d’un chasseur à pied.

Parcours de guerre : Août 1914, départ de la caserne (fictive) de Ban-sur-Meurthe (201) – Vallées de la Plaine et du Rabodeau (Vosges) (203) – début septembre : Mirecourt, Neufchâteau, Chaumont, Bologne, vallée de la Marne (214) – Saint-Dizier (219) – Montier-en-Der (220) – Champagne Pouilleuse (221) – début de la bataille de la Marne (227) – Ferme de la Folie (231).

Autres informations relevées
Page 13 : Hussards surnommés « trotte-secs »
15 : Il cire les sabots de son cheval pour l’occasion
22 : Essai des chaussures à l’incorporation
23 : Pliage du paquetage
90 : Bienfait du chant sur le cafard de la marche
101 : Cigarettes Maryland et Londrès et courses de rallye-paper : « Le jour de la course, deux cyclistes, chargés de musettes bourrées de papier déchiré menu, partaient de grand matin semer par monts et par vaux ces papillons marquant la piste que devaient suivre les coureurs… ».
128 : Pose de la bande molletière
129 : Vue du « triste camp de Valdahon »
132 : Recevoir l’ours = recevoir la solde
166 : Anciens cassant la visière des képis des bleus
168 : Affecté au 21e corps, parcours de Montabélard à Ban-sur-Meurthe
195 : Lecture de la presse allemande par les officiers afin de galvaniser les soldats : « N’oubliez pas que, s’il y a des Allemands intelligents, c’est que les Français ont occupé vingt ans l’Allemagne »
215 : terribles taureaux pour territoriaux
216 : Le brutal = le canon
229 : Description de la marche « en tiroir »
221 : Vision d’exode
231 : Stratagèmes pour étancher la soif : « … on ramassa des balles boches, dont la chemise de nickel éclatée permit d’extraire le plomb, espérant que le froid du métal parviendrait à ramener un peu de salive ; on mâcha des aiguilles de pin, mais le soulagement était de si courte durée qu’on y renonça bientôt. Des hommes souhaitèrent d’attraper la bienheureuse balle qui mettrait fin à leur supplice ».

Yann Prouillet, février 2021

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Bascoul, Paul (1893-1915)

Témoignage disponible aux archives départementales de l’Hérault. Original : ADH 1 J 1719 (archives personnelles et familiales) et 1 J 1720 (correspondance) consultables en ligne.

Etudiant en mathématiques, soldat puis caporal dans le 122e RI.

1. Le témoin

Paul Benjamin Charles Bascoul est né le 16 janvier 1893 à Béziers de Benjamin Bascoul, négociant en bois et charbon, décédé d’un cancer de la bouche, et de Marcelle Cros, institutrice. Il est le second d’une fratrie de quatre enfants. Interne au collège d’Agde, bachelier de l’enseignement secondaire en 1910, il poursuit des études en classe préparatoire scientifique au Lycée Joffre de Montpellier, et réussit le concours d’entrée à Polytechnique. En juillet 1914, il est reçu aux certificats de licence de mathématiques à l’université de sciences de Montpellier. Il est également maître-répétiteur au collège de Clermont-l’Hérault. Classe matricule 1404 au centre de recrutement de Béziers, Paul est d’abord « sursitaire 21 », puis incorporé le 11 août 1914 dans le 122e régiment d’infanterie de Rodez qui fait partie de la 31e DI et du 16e corps d’armée. Soldat, il passe caporal fin novembre 1914. Il est tué à Beauséjour en Champagne le 17 mars 1915.

2. Le témoignage

Il fait partie des centaines de documents et témoignages mis en ligne par les archives départementales de l’Hérault – entrée 14-18, mot clef « Paul Bascoul » – à l’occasion du Centenaire.

Le lot est constitué d’une centaine de souvent longues lettres et de cartes quasi quotidiennes, adressées entre le 12 août 1914 et le 15 mars 1915 par Paul à sa mère surtout, mais aussi à sa sœur ainée Juliette, surnommée « Youyou »,née en 1890, institutrice à Murviel-les-Béziers à ses deux frères, Etienne et Henri, à des parents et amis dont particulièrement Emile Rouvière, médecin, et Marguerite Triolle. Les deux premières lettres sont datées des mercredi 12 et jeudi 13 juillet mais ces chiffres correspondent en réalité aux jours du mois d’août. Le lot comprend encore un cahier des transcriptions de la correspondance de son fils effectuées par Marcelle Bascoul, de quatre lettres revenues du Front avec la mention « le destinataire n’a pu être atteint » (16 mars – 3 avril 1915). S’y trouvent également des lettres de condoléances reçues de parents, de proches et de relations ainsi qu’un portrait photographique de Paul, son diplôme de baccalauréat et enfin des coupures de presse annonçant son décès (16 avril – 9 juillet 1915)

Sous leur formé numérisée, les lettres sont présentées dans leur intégralité et le parcours militaire de Paul a été retracé en annexe par les agents des archives. Le témoignage a traversé le siècle par le biais de sa sœur puis du fils adoptif de celle-ci. Les lettres croisées ouvrent de larges fenêtres sur l’importance des envois entre les fronts, la pression sociale et affective exercée en toute bonne fois de l’arrière, la violence des premières batailles, le rythme spécifique de la guerre sur le front mais aussi sur les premiers émois amoureux d’un jeune homme, fils et frère aimant, bon élève obéissant, enserré progressivement dans une somme d’injonctions contradictoires sous la violence des tirs d’artillerie dans les Flandres et la Marne. Il appartient par bien des éléments à cette catégorie d’intellectuels qui sont au cœur du corpus des « 42 » de Nicolas Mariot. La confrontation entre les imaginaires de la guerre et sa réalité s’avère sans surprise douloureux.

3. L’itinéraire militaire

L’arrivée à la caserne de Rodez le 12 août douche rapidement son enthousiasme ; il met 17 heures de train pour relier Béziers à Rodez et à son arrivée on lui refuse « neuf fois » l’entrée faute de place, attendant « (…) le départ du 322e RI dans 9 jours. Chaque jour, il arrive des hommes, la caserne en contient deux fois comme elle ne peut en contenir (…)» et conclut par cette sentence le 15 août « (…) en vérité en vérité je vous le dis, l’état de siège c’est l’anarchie (…) » Hébergé en ville, il reste optimiste ; « « J’ai rencontré des étudiants dans mon cas avec lesquels je passerai du bon temps je crois » mais rapidement à cours d’argent, il insiste pour coucher à la caserne y compris sur la paille. Finalement, une fois encaserné et habillé, la rencontre avec les autres soldats, des territoriaux, est difficile ; « (…) J’ai essayé de lire un peu ce soir. Impossible. Les odeurs de pieds de mon voisin m’incommodaient à tel point que j’ai du fuir à travers les salles et y vadrouiller sans but comme le juif errant (…) ». L’altérité a ses exigences ; il a du mal avec « ces vieux grognards fraichement descendus de la montagne et qui sentent l’écurie à plein nez ». Le 24 août il envoie à Juliette une réponse lyrique qui révèle son exaltation ;

« Tu me dis bien heureux de ne pas être comme les camarades du même âge à la frontière ? Tu me connais mal. Je préfèrerais le sacrifice utile du sommeil et de ma subsistance aux privations que je subissais ici inutilement à cause du désordre qui régnait. Je préfèrerais les fatigues de la marche forcée à la rencontre de l’ennemi, les affres des nuits passées à la belle étoile sous la menace des boches l’allemand que l’inaction où je suis réduit ici et la vie oisive et inutile que je mène à la caserne. Il m’est pour moi très pénible de songer justement que tandis que tous les jeunes de ma génération se battent, moi je reste en arrière inutile. Je brule du désir de faire la campagne à leurs cotés. Et maintenant qu’à l’habit militaire je me suis fait, maintenant qu’auprès de vous aucun sentimentalisme ne me retient plus, maintenant que je sais maman guérie et que j’ai l’esprit plus tranquille, j’ai demandé à partir avec les premiers partants. Mais rassurez-vous ce ne sera pas encore ».

Les premiers portraits de gradés ne sont pas flatteurs ;

« (…) La vie de caserne va commencer pour nous dans toute son horreur sous l’autorité paternelle de notre commandant Souligne dit « Soubise » une brute alcoolique et bougonne, jurant et tempêtant comme un officier prussien. Un effet de sa tendre sollicitude a été de nous supprimer la liberté de 11 heures à 3 heures. Ca va barder comme nous disons »

Marc Souligne, commandant major au 122e RI est tué à Beauséjour lui aussi le 2 avril 1915. Il est présent dans le témoignage de Pierre Bellet (CRID, 96e RI). Mais finalement, Paul fait état de sa surprise face à l’absence d’encadrement et de formation militaire ; « (…) à peine un lieutenant durant 10 minutes (…) ». A ce moment-là, il pense qu’il va rester trois ans à la caserne pour y être formé. Il continue de toucher son traitement de 30 francs par mois comme maître-répétiteur mais demande assez régulièrement de l’argent.

Le 20 septembre, c’est le départ, soit un mois à peine après son arrivée à la caserne, et le 22 septembre, il envoie sa première carte du front de Lorraine (Toul). Le choc est rapide, le ton tente pourtant d’être rassurant ;

« (…) Immédiatement après la descente du train nous nous sommes mis en marche vers la ligne de feu. Nous y arrivons ce soir après 20 kms de marche. Notre régiment se bat à 200 mètres en avant. Tout ce soir nous avons entendu rouler la canonnade. Elle vient à peine de cesser à la tombée de la nuit. Demain nous irons peut-être au feu. Je ne peux vous donner beaucoup de détails ma carte serait retenue. Sachez seulement que tout va bien. Je me porte à merveille. Je ne suis nullement fatigué du voyage ni de la marche que nous avons faites. »

Le 24 ; « (…) La canonnade est furieuse J’ai fait mes débuts dans une tranchée. Nous n’avons pas tiré un seul coup de fusil (…) ». Le 26, il écrit sa première carte à son ami Emile Rouvière mobilisé comme médecin dans le 5e DEF ; « « (…) les obus pleuvent mais ils n’ont fait aucun mal dans nos rangs. Le seul casque à pointe que j’ai encore vu est celui qu’une de nos patrouilles a trouvé hier dans une tranchée (…) ». Mais dès le 28, il écrit à sa mère ; « Il me tarde que la guerre soit finie. La canonnade est furieuse ; nous n’avons pas encore tiré un coup de fusil ; nous assistons à un duel d’artillerie ou nous sommes vraisemblablement supérieurs car nous avançons. Je supporte très bien les fatigues de la campagne (…) ».

A partir du 3 octobre, il est au repos à Nancy. Dans ses longues lettres, il se plaint de l’absence de courrier, explique le roulement des compagnies en ligne. Il demande un colis « de chocolat, de saucisson, des cartes géographiques, des cigarettes, des gants fourrés et des caleçons ». Les premières lettres lui parviennent au bout de 3 semaines, tandis que lui manque régulièrement de papier. Le 12 octobre, il précise déjà qu’ « « à peine quelques obus tombant sur les vitrages où nous sommes cantonnés ont-ils tué quelques hommes. A l’abattement des premiers jours a succédé une résignation sereine qui raffermit l’espoir de vous revoir ». Ses demandes soulignent qu’il n’envisage pas une guerre longue ; « Tu pourrais m’envoyer une centaine de francs j’en aurais assez jusqu’à la fin de la campagne » (20 octobre). Les exercices militaires se succèdent à l’abri « (…) Jeudi 22 octobre : il y a longtemps que nous nous sommes battus nous effectuons de bonnes marches le long du front je suis content de voir que je tombe les kilomètres sans plus de fatigue que les plus endurcis des troupiers. La marche de 35 kilomètres n’a pas entamé ma belle humeur. (…) ».

Dans les Flandres belges : Fin octobre, c’est l’arrivée dans les Flandres belges dans la terrible bataille d’Ypres ; « (…) 27 octobre nous approchons du front maintenant. Ici la guerre déploie tout son art meurtrier et toute sa formidable industrie. Engins de toute sorte, Anglais, Boers et Belges des Hindous, des prisonniers allemands démoralisés (…) ». La correspondance devient une puissante élégie, les pieds dans la boue et la tête sous les obus. Il envisage sa propre disparition et s’en ouvre à plusieurs reprises, d’abord à sa sœur ;

« (…) Ah ma chérie ! on sent mieux le prix l’affection lorsqu’on risque de la perdre. Le plus grand sacrifice que je ferai à la Patrie, si je dois tomber, sera celui de votre amour. Mais il ne faut pas penser à cela. Il y a près de 20 jours que je ne suis pas allé au feu. Et si par hasard je ne devais pas revenir, il ne faudrait ni me plaindre ni me pleurer (…) »

Rapidement il fait état de son état d’esprit désabusé  :

« (…) J’ai trouvé cette nuit dans une tranchée abandonnée une carte où un boche disait à un combattant de sa nationalité «  C’est dommage que tu ne sois pas encore à Paris. Vise bien pour qu’il en soit bientôt fini de tous ces pantalons rouges » Je n’ai pu m’empêcher de me rappeler le mot d’Henri «  Zigouille le plus de boches que tu pourras et gare-toi ». Tout ça c’est pas facile à faire (…) ».

Après sa sœur, il prépare sa mère à sa disparition (Marcelle a souligné les dernières volontés sur son cahier) ;

« (…) Tu dois te résigner à mon absence maman chérie et si je ne revenais par hasard, ne me pleure pas, que mon souvenir te soit léger, aimable, et souriant. Ne me plains pas ; j’accepte le sacrifice et je serai content de faire mon devoir. Je t’embrasse maman chérie aussi tendrement que je t’aime. Ton Paul chéri ».

Dans les tranchées, Paul exprime un sentiment de déshumanisation de façon récurrente à partir du 4 novembre ; « Le temps dans les tranchées se passe à se terrer comme les lapins dans des trous que nous creusons pour se mettre à l’abri des obus ». Souffrant de solitude, il se rapproche d’un camarade biterrois avec lequel les relations sont parfois difficiles dont le portrait n’est pas toujours flatteur ; «(…) L’ami Clément a été ce blessé ce matin à l’épaule droite très légèrement. La gravité est celle d’un rhume de cerveau (…) ».

Fin novembre il écrit à sa sœur :

« Je ne voudrais pas que vous ayez trop de foi en mon retour, Certes nous devons le souhaiter et pour ma part je le désire ardemment, mais ma chérie vous devez vous préparer à la pire fatalité. Si je ne reviens pas ma volonté est que vous ne fassiez pas rechercher mon corps comme j’ai vu certaines familles le faire, je voudrais que mon souvenir vous soit léger agréable et non pas obsédant et triste. Aussi je voudrais que ma mémoire ne vous soit pas une obsession douloureuse mais un souvenir souriant où se mêlera votre fierté de mère et de sœur de me savoir tombé au champ d’honneur en faisant mon devoir. Hélas le champ d’honneur ! n’est souvent qu’un champ de betteraves, morne et froid où la mort est lente et dure. Peu importe vous ne devez penser qu’à l’auréole dont s’entoure la mémoire des héros et qui doit rejaillir sur vous. Malgré tout ce que je peux dire j’espère bien vous revoir. Vous pouvez être assurées que je serai prudent je prends de plus en plus l’expérience de la guerre, je ne serai ni téméraire, ni fanfaron (…) » 

A partir du 7 décembre, nouveau répit ; il bénéficie d’une formation en arrière du front dans le seul quartier d’Ypres qui ne soit pas encore bombardé, pour apprendre à construire des tranchées modèles, il est finalement à l’abri durant presque un mois. A son retour, le nombre élevé de camarades morts pendant son absence le laisse très déprimé et il fait le récit à sa mère de l’extrême violence aux tranchées ;

« Dans tous les cas il est possible qu’un grand nombre de nous restera sur le champ. La guerre prend un caractère de sauvagerie outrée. En divers points les boches ont achevé dans les tranchées les blessés tombés entre leurs lignes. Quand ils montent à l’assaut, ils ont coutume de pousser devant eux les prisonniers en criant de ne pas tirer. Aussi la consigne est de ne pas faire de prisonniers et de tirer sur tout homme qui se rend ».

Ces écrits rejoignent les récits de Benjamin Simonet ou Pierre Bellet qui appartiennent à la même D.I. Nostalgie de la famille, du pays se lisent le 6 janvier 1915 lorsqu’il reçoit un paquet de sa sœur qui le rend lyrique ;

« Quelle touchante idée ma chère petite sœur de m’envoyer des raisins, des fruits par excellence de mon pays, ma terre de prédilection. Chaque grain tenait enfermé un peu du soleil de là-bas qui brille si joyeux et dont je suis ici si privé. Que le ciel est triste sur ce coin déshérité de la terre. Il semble que le ciel se soit voilé devant les horreurs commises par les hommes et que derrière son voile humide, il pleuvra une pesante larme avec chaque goutte de pluie. Au dessus des hommes qui ont l’air d’être des jouets, Je fais mon devoir sans haine aveuglément le cœur ulcéré des souffrances que je fais naître mais sans laisser faiblir mon bras. Je ne vis que pour vous qui pansez les plaies. »

Le 7 janvier, dès son retour en 1ere ligne il a du enterrer son meilleur ami sous les balles, se retrouve tâché de sang et c’est une ballade allemande qui lui vient sur les lèvres ;«  Oh comme les morts vont vite ! Oh comme les morts sont lourds ! ». L’épisode est relaté plusieurs fois dans les lettres de diverses façons selon la ou le destinataire.

Sur l’arrière front, avant la Champagne, il retrouve un peu d’énergie pour féliciter son frère Étienne de sa blessure à la bouche « tu peux être fier de ta glorieuse cicatrice qui t’a laissé la lumière ». Même s’il se plaint ; « Depuis que nous avons quitté la tranchée on nous ennuie de toutes les façons. Ou bien nous faisons des marches, des exercices » Il peut dormir dans un lit, faire deux repas, se laver, se reposer, écrire, lire, autant de compensations essentielles à sa ténacité. Il entame encore le 26 janvier avec Marguerite Triolle, un début d’un flirt épistolaire et échange sur la musique classique et la poésie en usant largement de son capital symbolique pour user de rhétorique convenue :

«  Nous autres, les petits soldats de la belle France si nous sommes contents de nous battre pour nos foyers, pour nos maman, pour nos sœurs, nous sommes fiers aussi de savoir que les yeux des belles filles nous regardent. Mais combien contraire à notre tempérament, combien répugnante à notre esprit cette guerre de tranchées que no6us impose le Teuton ! et que ne donnerait-on pas pour rencontrer une fois pour toute le boche en rase campagne »

Mais, au même moment, à son frère Étienne mobilisé comme lui, il envoie son testament; « L’un de nous ne peut espérer revenir » et lui demande de consoler sa mère, de payer ses dettes (100 francs à 4 camarades) de devenir le chef de famille et lui lègue sa montre en or. La philosophie devient un ressource mentale qu’il exprime à sa mère ;

«  Nous sommes partis des enfants nous vous reviendrons des hommes. Pendant les longues heures d’angoisse dans la tranchée, heures pendant lesquelles s’ajoute la pensée torturée, on revoit le passé, le cœur gonflé de toutes les larmes qu’on ne pleure pas. Pour avoir étanché le sang, pansé les plaies, on se sent plus compatissant ; pour avoir vu la haine aveugle meurtrir injustement, on devient plus tolérant et plus conciliant. On se sent grandi par toutes les souffrances. Rien ne nous rend si grand qu’une grande douleur. Ceux qui reviendront seront de doux philosophes, ils auront appris à aimer la vie en côtoyant la mort »

Sur le front de Beauséjour, les lettres quotidiennes sont très brèves : 15 mars 1915, « 4e jour sur le front ». Son régiment combat en première ligne dans la commune de Minaucourt (Marne), au fortin de Beauséjour, théâtre de violents affrontements (février – mars 1915). Le 17 mars 1915, il est tué. Commence pour la famille un long travail de deuil sans corps, jamais identifié, ni retrouvé. Aucun de ces frères et sœur n’aura d’enfant. Seule Juliette adopte tardivement un petit garçon.

Christine Delpous – février 2021

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Argetoianu, Constantin (1871-1955)

Ministre et Premier ministre, la politique était sa principale occupation pendant toute sa vie. Il est né dans une famille de l’aristocratie roumaine, héritant ainsi une fortune importante qui lui a permis de se consacrer uniquement à la politique. Il a étudié le droit, les lettres et la médecine à Paris pendant huit ans. Il a commencé sa carrière dans l’appareil du ministère des Affaires étrangères dans les relations consulaires de Constantinople, Rome, Vienne et Paris, et à partir de 1913, il est devenu membre du Parti conservateur (un parti des grands propriétaires fonciers) et député. Il est nommé ministre de la Justice en janvier-avril 1918, dans un gouvernement à l’existence éphémère dirigé par le plus populaire général roumain de la Première Guerre mondiale, Alexandru Averescu. Il a ensuite été ministre de l’Agriculture, de l’Intérieur, des Finances, chef du Sénat et Premier ministre de Roumanie du 28 septembre au 23 novembre 1939. En 1944, il quitte la Roumanie pour la Suisse, où il reste jusqu’en 1946, et il revient dans l’espoir de participer à la démocratisation de la vie politique. C’était une grosse erreur. Parce qu’en 1921, en tant que ministre de l’Intérieur, il a arrêté les délégués qui formaient le Parti Communiste Roumain et fut constamment un adversaire de l’URSS, il a attiré la haine des communistes. Arrêté en 1950 par le régime communiste, emprisonné dans les prisons de Jilava, Galati et Sighet, il meurt en prison à Sighet le 6 février 1955.

Son témoignage : Mémoires. Pour demain. Des souvenirs d’hier, vol. III-V, Partie V (1916-1918), Bucarest, Humanitas, 1992-1995.

Constantin Argetoianu est considéré aujourd’hui en Roumanie comme l’un des mémorialistes roumains les plus importants, sinon le plus important, du XXe siècle. Argetoianu notait dans ses carnets les événements qu’il a vécus et les commentait dans un style personnel à la fois franc et sarcastique. L’implication dans la vie politique et la collaboration avec les plus grandes personnalités roumaines lui ont donné de précieuses informations sur l’histoire de l’époque. Les politiciens et l’élite du pays sont présentés avec les côtés humains des tares et des vices, dépouillés de l’aura que l’histoire a crayonnée dans ses écrits. Les livres d’histoire ne conservaient pas d’informations sur les relations extraconjugales de la reine Marie et de toute la famille royale, sur la corruption des ministres et de leurs maîtresses, sur l’incompétence des politiciens et leur égoïsme, mais Argetoianu les nota toutes. Son travail mémorialiste chronologique, qui s’étend de 1888 à 1944, compte 25 volumes regroupés en souvenirs, mémoires et journaux intimes qui constituent une lecture captivante, un mélange d’histoire et de commérages, d’engagement émotionnel et parfois de manque d’objectivité et de ressentiment envers les gens et les faits. En 1950, lors de la perquisition qui a précédé son arrestation, toutes ses notes ont été confisquées par la Sécurité de l’État, puis remises à l’Institut d’histoire du Parti Communiste Roumain où elles n’ont été lues que par un petit groupe de chercheurs. Les passages décrivant les tares de l’ancienne classe politique et de la famille royale ont été copiés et sont entrés dans les livres d’histoire ou ont été publiés dans le magazine d’histoire le plus lu de l’époque. Le dictateur Nicolae Ceauşescu lui-même a demandé que ses manuscrits soient dactylographiés afin de les lire en personne. Après la chute du régime communiste, les manuscrits se sont retrouvés sous la garde des archives nationales. Depuis 1991, ils ont été imprimés dans les maisons d’édition Humanitas et Machiavelli, l’édition complète se terminant en 2009, et celui qui a pris soin de cette édition était l’historien Stelian Neagoe, Il va sans dire que les mémoires d’Argetoianu comptent parmi les livres commémoratifs les plus vendus.

Analyse du livre :

La guerre décrite par Constantin Argetoianu est la guerre vue des bancs du Parlement, dans les coulisses des décisions politiques en temps de guerre, et non du front. C’est une guerre prise du point de vue de l’opposition, puis du point de vue du ministre qui a négocié la trêve avec les Puissances Centrales en 1918. Le déclenchement de la guerre en 1914 le surprend dans les bains de Karlsbad. Il revient à la campagne et note que le monde de « la belle époque » est terminé. La Roumanie décide de rester neutre pendant un certain temps, au regret du roi Charles Ier, germanophile convaincu, mais au grand soulagement de tous. Les deux courtes années qui se sont écoulées entre le début de la guerre et l’entrée de la Roumanie dans l’Entente sont décrites par Argetoianu dans les mots suivants : « La neutralité! L’horrible époque de notre histoire, dans laquelle nous mettons nos cuivres sur notre visage. Au lieu de travailler jour et nuit et de fabriquer l’instrument de grande union de Roumanie, nous nous sommes battus pendant deux ans, dignes héritiers de Byzance et Fanar ! Nous avons fait de la politique et des affaires au lieu de faire le travail! Cet âge de neutralité, avec sa folie et ses hontes… il aurait été utile d’être décrit dans ses détails, pour la punition de notre génération et pour l’édification de l’avenir. » L’entrée de la Roumanie dans la guerre à l’été 1916 est une occasion d’enthousiasme général, y compris chez cet homme cynique, que peu de choses peuvent impressionner. Il décrit l’euphorie ressentie par cette étape vers l’accomplissement de l’idéal national – la Transylvanie. « Aveuglé, j’étais comme les autres », dit-il, obligé d’ouvrir les yeux. La réalité avait été cachée par le gouvernement dirigé par Ion I.C. Brătianu qui, dans ses messages au pays, mais aussi aux Alliés, avait parlé d’une armée d’un million d’hommes, bien préparée et prête pour la victoire. Bientôt, le manque d’armes, l’expérience de la guerre, la superficialité des généraux politiquement nommés commencent à être remarqués. L’armée roumaine subit une catastrophe militaire à Turtucaia le 6 septembre 1916 avec la capture de 28 000 prisonniers. « Turtucaia a été une punition pour toute la saleté que nous tolérions dans notre pays depuis si longtemps. Brătianu avait préparé la paix (obtenir la Transylvanie) et non la guerre », écrit Argetoianu. La série de catastrophes se poursuit, l’armée est vaincue en Transylvanie, puis dans le sud de la Roumanie, et les autorités organisent un retrait chaotique du gouvernement, du parlement, de l’administration centrale à Iasi, en Moldavie où la résistance serait préparée. Dans ses mémoires, Argetoianu découvre et signale la tricherie de la classe politique. Les membres du gouvernement utilisent des wagons de chemin de fer à des fins personnelles pour transporter leurs marchandises en Moldavie. Le ministre de l’Agriculture avait besoin de 17 wagons pour transporter ses sièges, ses tables, son bois de chauffage, ses cornichons, tandis que l’épouse du gouverneur de la Banque Nationale transportait ses ficus en train. Pendant ce temps, soldats et blessés se retirent à pied de la saleté et des routes enneigées. Avec eux, un million et demi de civils fuient vers la Moldavie par crainte des Allemands. À Iaşi, le mémorialiste décrit l’invasion de Bucarest et les lacunes de toutes sortes, ainsi que l’organisation de réseaux de spéculation et de corruption avec l’aide de ministres ou de hauts fonctionnaires. Tout est triste et démoralisant. Au cours des troubles d’un hiver rigoureux, la folie de la nourriture et du bois pour le chauffage se combine à l’épidémie de typhus exantematique. C’est incroyable, décrit Argetoianu, mais les trains remplis de contaminés (avec typhus) ou de soldats malades affluaient tous les jours à la gare d’Iasi. Au milieu de l’épidémie, la plate-forme de la gare, les salles d’attente et le hall étaient remplis de soldats couchés sur le ciment ou sur le sol, vêtus de chiffons… « Les poux grouillaient sur eux. J’ai vu beaucoup d’images de l’enfer dans ma vie, mais aucun fantasme de peintre ou dessinateur ne pourrait peindre une icône aussi tragique de l’horrible. » La vie derrière les tranchées laisse à Argetoianu un goût amer, tandis que les ministres vont avec leurs maîtresses, et les dames de l’aristocratie, sous le prétexte du travail dans les hôpitaux pour les blessés, vivent avec des officiers roumains, français ou russes. Mais qui s’en soucie, à la guerre comme la guerre. Au printemps et à l’été de 1917 au Parlement, il y a des débats houleux sur les lois par lesquelles les soldats devaient se voir accorder la terre et le suffrage universel à introduire, et Argetoianu décrit ces actions politiques, tandis que sur le front l’armée roumaine résiste héroïquement et rejette les tentatives allemandes d’occuper la Moldavie. Même si l’issue finale de la guerre a été favorable aux Roumains, Argetoianu juge sans relâche celui qui a dirigé le pays dans ces années: « La responsabilité de la catastrophe interne dans les deux années de grands procès – et toutes les répercussions de cette catastrophe sur le sort final de la guerre – il mène l’ensemble, quoi qu’il en soit, Ionel Brătianu ». Ses dernières notes sur la guerre se résument aux paroles d’un autre homme politique du pays qui a déclaré que « la Roumanie a tellement de chance qu’elle n’a plus besoin de politiciens… »

Dorin Stanescu, février 2021

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Arnaud, René (1893-1981)

1. Le témoin
René Jacques André Arnaud est né le 2 juillet 1893 à La Rochelle (Charente-Maritime). Il dit être entré au lycée de Rochefort en sixième à l’âge de dix ans. C’est son père qui choisit pour lui la langue anglaise : « Ce jour-là, sans s’en douter, mon père avait orienté toute ma destinée », ce qui précipitera la fin heureuse de sa guerre. Il aura certainement une scolarité brillante puisqu’il est normalien et entre en guerre en septembre 1914 à Vannes, obtenant le grade de sous-lieutenant en trois mois. Dans son témoignage, peu avant le Chemin des Dames, il se classe comme « homme de gauche ». Il meurt à Paris le 15 janvier 1981.

2. Le témoignage et analyse
René Arnaud annonce dès le titre l’angle sous lequel il va délivrer son témoignage. Son récit, écrit au début des années 60, est alors un mélange de souvenirs et de réflexions, souvent opportunes, avec pour fil conducteur la démonstration de l’absurdité de la guerre et de ceux qui la font, des militaires de carrière ou des civils sous l’uniforme, y compris réservistes. Ce biais rend son témoignage réfléchi, en forme de récit chronologique mais surtout concentré sur des grandes phases vécues dans trois régiments ; le 337e, 6e bataillon (Fontenay-le-Comte), (janvier 1915 – juin 1916), le 293e (La Roche-sur-Yon) (juin 1917 – novembre 1917) et quelques mois au 208e RI (Saint-Omer) (décembre 1917 à son changement d’affectation, en juillet 1918).
Avec son ami Guiganton, ils entrent en guerre « pleins d’ardeur et d’enthousiasme. Notre seule crainte avait été que la guerre se finît trop vite, avant même notre arrivée au front : quelle humiliation eût été la nôtre, de rester en dehors de la grande aventure de notre génération ! Et puis la flamme de la guerre attirera toujours les gars qui ont 20 ans » (p. 8). Il reviendra d’ailleurs mi-1916 avec plus de lucidité sur ces premiers sentiments : « Bien qu’une grosse marmite allemande vînt toutes les deux minutes s’écraser à droite dans les bois, j’eus quelque envie pour ces « embusqués » – qu’en même temps je méprisais -, et qui faisaient la guerre avec un minimum de risques, alors que l’enchaînement des causes et des effets avait fait de moi, petit intellectuel chétif d’avant-guerre, un lieutenant d’infanterie, c’est-à-dire pratiquement un homme condamné à mort, sauf grâce exceptionnelle. Et je ricanai en me rappelant qu’en 1914 je n’avais qu’une peur : que la guerre ne finît trop vite et que je n’eusse pas le temps d’y prendre part » (p. 88). Il reviendra page 204 sur cette expression en disant : « Un condamné à mort en sursis célèbre-t-il son anniversaire ? » Sa rencontre avec celui qu’il qualifie de « mon premier colonel » est lucide : « Si le colonel prenait son absinthe biquotidienne, si, coiffé d’un képi à manchon bleu, il évoquait les grandes manœuvres, c’est que la guerre n’était au fond pour lui qu’une continuation de la vie de garnison, à peine modifiée. Qu’il y eût cette fois de vraies balles dans les fusils et de vrais obus dans les canons, il n’en avait cure : car il ne mettait jamais les pieds en première ligne et ne dépassait guère vers l’avant son poste de commandement » (p. 13). Poursuivant ses tableaux, s’affranchissant parfois de la chronologie, en janvier 1916, assez familier avec son capitaine, qui le surnomme « Noisette », il relate comment il obtient sa première décoration : « Vous chercherez avec mon secrétaire dans le Bulletin des Armées un motif de citation à l’ordre du régiment ! C’est ainsi que je reçus la Croix de guerre et ma première étoile. Après avoir rêvé d’être décoré sur le front des troupes, quelle dérision ! J’eus du moins la pudeur, en rédigeant moi-même mon motif inspiré du Bulletin, d’éviter la grandiloquence ordinaire, les « N’a pas hésité… » ou les « N’a pas craint… » et de me référer simplement à mon baptême du feu où j’avais le sentiment d’avoir fait honnêtement mon métier » (p. 19). Baptême du feu qu’il avoue d’ailleurs avoir reçu tardivement, précisant : « Ce n’est qu’un mois et demi après mon arrivée au front, le 28 février, que je reçus en première ligne le baptême du feu ». Il n’est pas très ému de son premier mort (P. 34) mais dit plus loin (p. 36) sur son inhumation, cérémonialisée « Mais on n’enfouit pas ce corps comme celui d’un chien » : « Bien que la religion me fût devenue assez étrangère, je fus profondément remué par ce modeste effort de spiritualité au milieu des brutales réalités de la guerre ». En effet, cette mort le renvoie à la sienne : « Et j’étais si plein de vie qu’il m’était impossible de m’imaginer comme lui, couché sur un brancard, avec cet air distant qu’ont les morts. D’ailleurs n’était-il pas inscrit que j’en reviendrais ? ». (Il revient plus tard sur ce sentiment d’en sortir, alors qu’il subit un pilonnage à Verdun « Alors que la mort me frôlait à chaque minute, je sentais en moi la volonté, la certitude de vivre » (p. 117) (…) « Je vis donc emporter ce cadavre sans y voir pour moi aucun présage » mais il est bien plus ambigu quand il poursuit : « Ces images éveillaient alors en moi obscurément je ne savais quel plaisir : c’est beaucoup plus tard que je devais découvrir que ce plaisir était d’ordre sensuel et qu’il y a un lien mystérieux entre la mort et la volupté » (pp. 34-35). Il revient la page suivante à cette notion dans un tout autre domaine : « Nous couchions dans les caves, dont les murs étaient abondamment illustrés de pages découpées dans la Vie Parisienne, sarabande de petites femmes montrant leurs cuisses demi gainées de soie : nous n’avions pas attendu les Américains pour orner nos chambres de « pin-up »» (p. 36).
Sur la notion de héros, il en a une définition réaliste : « Le héros véritable à la guerre, ce n’est pas l’officier à qui il est facile d’oublier le danger qu’il a la volonté de faire son métier, ce n’est pas le technicien – mitrailleur, artilleur, signaleur – qui lui aussi peut ignorer les périls s’il se concentre sur le fonctionnement de sa technique ; le héros, c’est le simple soldat sans spécialité qui n’a qu’un fusil en main pour se distraire de l’idée de la mort ». (pp. 39 et 40).
Afin d’attester du surréalisme et du tragique de la guerre, René Arnaud multiplie les anecdotes telle celle de ces guetteurs tirant sur des oiseaux migrateurs pour s’amuser, entrainant un effet domino de fusillade, puis d’artillerie et causant finalement 7 morts dus à cette fausse alerte, ou ce lieutenant d’artillerie chauffé par l’alcool qui fait tirer au canon sans motif, entraînant lui aussi une riposte mortelle (p. 44).
Il n’est pas toutefois hermétique au bourrage de crâne, notamment sur le ramassage des blessés, n’y voyant qu’espionnage et traîtrise, tel en juin 16, ce : « Souvent, à ce que l’on nous avait dit, des combattants ennemis s’approchaient sous le couvert de la Croix-Rouge, dissimulant dans leur brancard une mitrailleuse » (p. 135). Mais il fait côtoyer ce sentiment avec l’horreur des corps en décomposition, qu’« il nous fallait pourtant regarder en face » et de conclure ; « Et nous n’avions qu’une pensée fugitive pour les proches de ces « disparus », qui fussent devenus fous à voir ce que la guerre avait fait de leur fils, de leur mari ou de leur amant » (p. 49). Il poursuit encore : « Et puis, en rentrant de la ronde, on secouait ces funèbres pensées, on se jetait sur la mangeaille avec un appétit de jeune loup comme dans ces repas de famille qui suivent les enterrements à la campagne. La vie reprenait le dessus, on bâfrait, on buvait, on savourait un verre de fine, on fumait un cigare et on ne pensait plus à nos cadavres jusqu’à ce que la prochaine ronde remît sous nos yeux ce « je ne sais quoi qui n’a de nom dans aucune langue » (pp. 49, 50).
Le 6e chapitre est un tableau de sa vision de l’armée anglaise, bien équipée, et à l’ « odeur de merisier et de tabac sucré ».
Près de cent pages sont consacrées au front de Verdun. Elles montrent, par l’ambiance et l’anecdote, l’homérique de cette phase. Sur l’abnégation du soldat qui « y tient », il dit : « On nous disait de tenir : y avait-il tant de mérite à ne pas bouger de sa tranchée où on était bloqué, et à y attendre passivement la fin du pilonnage, dans l’incapacité physique d’agir ? » (p. 117) Devant cette débauche d’obus, dont il dit : « tous les obus ne tuent pas – il y en a même fort peu qui tuent. Mais il en tombait tellement cette fois-ci que quelques-uns frappaient juste », il se révolte pourtant : « A la fin, c’en était trop. Le spectacle de ces paquets de chair fragile qui attendaient la mort sous un déluge de fer et de feu me révolta. En cette minute je ne pensai à la Providence que pour la nier ou la maudire. Morand, mon ordonnance, l’avait dit dans son simple langage : « Est-ce que le Bon Dieu devrait tolérer des choses pareilles ? I doit pu guère s’occuper de nous à c’t’heure ! ». Oui, le ciel était vide. Il n’y avait point de dogme du péché qui pût donner un sens à un pareil massacre ». Devant tant de mort et de souffrance ; « Cette longue série d’émotions excessives avait fini par tuer en moi l’émotion elle-même » (pp. 118-119). Car la mort tombe du ciel, impersonnelle, anonyme : « Je remarque tout à coup un grand corps qui marche là, vers la droite, je vise, j’ai l’intuition du tireur qui tient là son but, j’appuie sur la détente et, tandis que le recul me secoue l’épaule, le grand corps disparaît. Je me demanderai plus tard si c’est ma balle ou la balle d’un autre qui l’a atteint ou s’il s’est simplement jeté à terre devant la fusillade trop intense. C’est en tout cas le seul Allemand que je crus avoir « descendu » en trois ans et demi de campagne, et sans en être sûr » (pp. 122-123). La relève arrive : « tous les survivants eurent un sursaut de joie ; ils allaient en sortir ». Mais le capitaine envisage de laisser les morts à leur sort. Suit un tableau saisissant d’assainissement du champ de bataille (p. 140). A Verdun, revenu dans la sécurité relative de la ville, succédant à 10 jours d’enfer dans le secteur de Thiaumont, il constate qu’une trentaine d’hommes sur 130 sont redescendus ; il les décrit : « La plupart n’ont ni sac, ni ceinturon, certains n’ont même plus leur fusil. Ils s’en vont furtifs, en désordre, comme s’ils avaient fui la bataille. Leurs yeux sont encore fiévreux dans leur visage noirci par la barbe, le hâle et la crasse. Ces héros ne font guère figure de héros » (p. 143). Il en tire un bilan décalé devant le communiqué : « Y n’parlent pas d’nos pertes », grommelle un homme. Mais il est le seul à grogner. Les autres ont aux yeux une petite flemme d’orgueil : « Ça, c’est nous ! » L’être humain tire sa fierté de ses pires souffrances » (p. 144). Les pertes au 237e RI ont été si importantes qu’il est fondu avec le 293e « que nous n’aimions point » dit-il, bouleversant totalement l’unité, et de fait sa cohésion (p. 147). Après quelques jours de repos, le régiment reconstitué est renvoyé dans l’enfer avec la mission de reprendre Thiaumont. Il dit : « Chacun pensait : « On en revient une fois, pas deux ! » » (p. 148). Et Arnaud de constater la recrudescence des consultants du médecin aide-major, soldats comme officiers qui en font autant ! (p. 150). Dans ceux qui y retournent, il décrit les blessés légers filant vers l’arrière après s’être lestement déséquipés et dit : « On eût dit qu’ils avaient étudié le manuel du parfait évacué » ! (p. 156). Plus loin, il fait le calcul lucide et surréaliste « que pour faire un prisonnier on dépensait 300 000 francs (…) [79 829 927,88 € ndlr] pour un prisonnier, « cela mettait cher le gramme de Boche » ! (p. 170).
Il participe ensuite au 16 avril 1917, et est témoin des mutineries ; « nous n’en croyions pas nos oreilles » (p. 175) en avançant qu’elles n’ont pas concerné son régiment, expliquant que « par tempérament et par tradition le Vendéen est docile et respectueux de ses chefs » (p. 176). Il en impute la cause aux officiers cultivant l’inégalité et, arguant qu’il connait ses hommes, caviarde auprès de ses troupes la « littérature » ampoulée émanant du GQG, mais pas celle venant de Pétain. Il rapporte ensuite l’épisode de La Marseillaise chantée par Marie Delna le 19 juillet suivant qui tempéra un peu pour le général Des Vallières la loyauté de sa division (151e).
Au début de décembre 1917, René Arnaud, qui a été promu capitaine à 24 ans au mois d’aout précédent, se trouve affecté à un nouveau régiment suite à la dissolution, en novembre, du 293, mais sans citer celui, « de réserve du Nord » qui l’accueille. Il intègre une unité qui porte la fourragère aux couleurs verte et rouge de la Croix de guerre. Au passage, il dit ce qu’il pense de ces fourragères, notamment en les rapportant à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale ! Mais il avance : « Un régiment dissous, c’était un régiment suspect : si on nous avait supprimés, c’est sans doute que nous ne valions pas grand-chose, peut-être même que nous avions mis la crosse en l’air » (p. 182). S’il ne cite pas son nouveau et ultime régiment, c’est qu’il n’a pas digéré cette affectation. Mal reçu par ce qui apparaît être le 208e RI de Saint-Omer, il dit : « En outre, je tombais dans un régiment où l’atmosphère était assez déplaisante » et « était ce qu’on appelle vulgairement un panier de crabes » tel qu’il acquiert un manifold pour se garantir contre les mauvais coups ! (pp. 184-185). En mars ou avril suivant, ayant répondu à une demande d’officiers connaissant l’anglais, il est affecté au début de juillet 1918 à l’armée américaine comme « officier informateur ». Il en déduit : « Je fus comme ébloui par cette nouvelle. En une seconde, j’eus le sentiment que la guerre était finie pour moi, que je survivrais, et je fus d’un coup délivré de cette sourde angoisse qui pesait sur moi depuis trois ans et demi, de cette hantise de la mort qui m’avait obsédé comme elle obsède les vieillards en bouchant leur avenir ». Plus loin, il ajoute : « J’avais le sentiment d’être invulnérable » mais sans que cela gomme son impression d’abandonner ses hommes (pp. 204 à 206). Son témoignage s’arrête sur sa « profonde reconnaissance à ceux qui sont ainsi venus in extremis faire pencher en notre faveur le plateau de la balance ». (p. 208). S’ensuit un appendice final de 73 pages, inutile et comportant quelques erreurs, intitulé « petite histoire de la Grande Guerre »

Est-il un bon témoin ? Fin mai 1916, alors qu’il monte à Verdun, il se souvient avoir vu au bord de la route, entre Vaubécourt et Rembercourt-aux-Pots, « des tombes de deux soldats tués ici même le 8 septembre 1914 : Rémy Bourleux, soldat au 37e de ligne ; Constant Thomas, soldat au 79e de ligne » (p. 83). Recherches effectuées, ces deux soldats n’ont pas été identifiés et les deux régiments cités ne combattaient pas à cet endroit à la date précisée mais en Meurthe-et-Moselle. Mais il est plus précis quand il évoque la mort de l’Etreusien René Breucq BREUCQ René, 05-10-1884 – Visionneuse – Mémoire des Hommes (defense.gouv.fr), effectivement tué le 20 juillet 1918 au combat de Neuilly-Saint-Front (p. 207).

Renseignements complémentaires relevés dans l’ouvrage :
(Vap signifie « voir aussi page »)

Page 93 : L’absinthe et comment on la consomme
Vue de volontaires américains conduisant des ambulances Ford de la Croix Rouge « qui s’étaient jetés dans la guerre dès 1915 comme dans une gigantesque partie de base-ball »
19 : Comment il reçoit sa Croix de guerre en se l’attribuant lui-même.
25 : Colonel reprenant théâtralement son poste juché sur un lorry
28 : Vue d’un déserteur allemand polonais
29 : Général enfreignant la consigne de l’interdiction de porter le passe-montagne
33 : Bruit de l’obus (vap 63, 97, 104, 105 et 116)
34 : Poêles « empruntés » au village voisin
35 : Vue du château de Bécourt, près de La Boisselle
34 : Pas ému de son premier mort, mais ému plus loin (p. 36) de la spiritualité
37 : Reçois tardivement son baptême du feu, le 28 février
: Hallucination du guetteur
38 : Odeur poivrée de la poudre
44 : Coup de foudre d’amitié entre deux hommes « sans qu’aucun élément trouble vienne s’y mêler »
48 : Cigarette, seul recours contre l’odeur des cadavres
51 : Bruit du train
53 : « Le vin est pour eux chose plus sacrée que le pain »
55 : « Heureux le bœuf qui ne sait pas qu’on le même à l’abattoir »
59 : « Sentiers « canadiens » faits de petit rondins joints où couraient deux rails de bois qui fixaient le tout »
Rats et odeurs de rat crevé
Vue « pittoresque » d’un capitaine de marsouins « à l’allure d’alcoolique »
61 : Touche l’Adrian, « que nous essayâmes en nous esclaffant, comme si c’eut été une coiffure de carnaval »
66 : Propos défaitistes de Vendéens parlant de la défense de la Champagne pouilleuse : « Si tieu fi d’garce de Boches veulent garder ce fi d’putain d’pays, y a qu’à l’leur laisser : ça sera pas une perte ! Ollé pas la peine de s’faire tuer pour ça ! ». (vap 80 sur le 15ème Corps)
67 : Poêle improvisé fait d’un vieux bidon de lait et de tuyaux de gouttière
68 : Jambe momifiée par le gel
: Différence entre active et réserve : « je suis un réserviste, un soldat d’occasion ! » (vap 94)
71 : Interrogatoire comique de prisonnier allemand qui pense retourner dans sa tranchée après
73 : Sur le 17e RI, le régiment du midi crosse en l’air et la chanson révolutionnaire de Montéhus
76 : Ce qu’on trouve dans un bazar militaire
82 : 10 minutes de pause toutes les 50 mn de marche
: Mai 1916, vue de deux tombes du 8 septembre 14 mais non confirmées par les recherches
84 : Vue de la Voie Sacrée interdite aux colonnes d’infanterie, ordre contourné par coterie
85 : Rumeur des gendarmes pendus à Verdun
86 : Haine, mépris et envie contre les officiers d’état-major
: Camions ornés de la Semeuse
: Sur les Vendéens et les Midis
87 : « « Embusqué » s’écrivait désormais avec un A, l’A cousu au col des automobilistes »
90 : « Le vrai front commence au dernier gendarme »
: Vue de la citadelle de Verdun, son ambiance, son aspect d’« entrepont d’un paquebot plein d’émigrants » (vap 95 comment on en sort)
94 : Sur le drapeau et son utilisation : « le drapeau était un embusqué et la guerre était sans panache »
: Odeur de sueur et de vinasse flottant dans les casemates
96 : Sur la veulerie d’un homme qui a peur, son sentiment devant cet homme
105 : Sur la mort survenue aux feuillées, accident qu’une citation aurait heureusement transformé en mort glorieuse
111 : Allègue que « le « système D » n’est pas traduisible en allemand »
112 : Couleur des fusées françaises et allemandes
116 : Bruit des obus
122 : Stahlhelm « en forme de cloche à melon »
: Odeur alliacée (de l’ail) de la poudre
123 : Reçoit une balle dans son casque, lui ayant fait sauter le cimier
124 : Accident de grenade F1 à douille en carton (vap 129 et 136)
133 : Regarde passer les « bouteilles noires », des obus
134 : Capitaine déprimé, « l’alcool ne le soutenait plus »
135 : Grenade grésillante
136 : Sentiment d’être sourd et pense à la « fine blessure »
137 : Blessés dont il remarque « leur soumission passive au destin »
140 : Odeur fétide d’une corvée montante
145 : Officier de l’arrière, escadron divisionnaire, semblant sortir d’une première page de La Vie Parisienne
146 : Pense avoir perdu sa jeunesse à Verdun
155 : Vider sa vessie en cas de balle au ventre
173 : Pillage d’une cave de Champagne
174 : Notion du bien et du mal floutée par la guerre
: Sur le vin : « Chacun sait que le soldat français croit avoir des droits sur toute bouteille de vin qui est à sa portée »
182 : Fourragère rouge et verte (Croix de guerre), citée à l’ordre de l’Armée deux fois, Jaune (Médaille militaire) citée 4 fois, Rouge (Légion d’Honneur) citée 6 fois
189 : Vue d’une fête sportive
212 : Affiche de la mobilisation générale toujours présente sur un mur parisien en 1964.

Yann Prouillet – février 2021

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