Hudelle, Léon (1881-1973)

1. Le témoin

Né à Peyriac-Minervois le 9 juin 1881, fils de François Hudelle et de Marguerite Mourlan. Famille de propriétaires aisés. Etudiant en Lettres à Toulouse, il devient un actif militant socialiste. Candidat aux Législatives de 1910 dans l’Aude, il est largement battu par le radical. Il succède à Vincent Auriol, lui-même élu député en 1914, comme rédacteur en chef du Midi socialiste créé en 1908. Par ailleurs, passionné de rugby. Lieutenant de réserve en 1912, capitaine en septembre 1914, il ne monte pas plus haut dans la hiérarchie malgré blessures et citations. Il obtient cependant la Croix de guerre et la Légion d’Honneur après sa deuxième blessure en février 1918. Resté célibataire, il reprend son métier de journaliste après la guerre. Un pacifisme désespéré, fruit de son expérience de la Grande Guerre, le conduit à approuver Munich en 1938 et à poursuivre la publication de son journal sous Vichy, jusqu’en 1944. Il a quelques ennuis à la Libération. Mais ces dernières informations n’ont pas à être prises en compte pour aborder son témoignage de 14-18.

2. Le témoignage

Le carnet personnel de Léon Hudelle porte quelques renseignements, mais l’essentiel de son « témoignage » se trouve dans la collection de 132 photos ramenées du front, et dans 200 articles envoyés au Midi socialiste entre la mobilisation de 1914 et l’armistice de 1918. Carnet et photos originales sont déposés aux Archives de l’Aude, cote 23 Fi. Voir La Grande Guerre 1914-1918. Photographies du capitaine Hudelle, présentées par Rémy Cazals, Carcassonne, Archives de l’Aude, 2006, 128 p., volume dans lequel sont reproduites toutes les photos, sont donnés des extraits des articles, et sont rappelées les pages du caporal Barthas qui se trouvait dans le même régiment, le 280e RI, en Artois à la fin de 1914 et en 1915.

3. Analyse

La plus grande partie des photos concerne justement les secteurs de Vermelles, Annequin, Loos, en Artois, jusqu’à la première blessure du capitaine Hudelle en juin 1915 : ruines, tranchées et abris, popote et rugby, rencontre des Britanniques… Revenu sur le front, au 80e RI, Hudelle combat du côté de Soissons, à Verdun, en Argonne en 1916, à nouveau à Verdun en 1917, en Haute Alsace où il est blessé le 23 février 1918. Les articles concernent d’une part la politique internationale, les fissures de l’union sacrée, l’hostilité au ministère Clemenceau, de l’autre la vie des combattants dans les tranchées. L’article « Poilu » du 26 décembre 1915 a été reproduit dans plusieurs journaux socialistes et a été fort apprécié des combattants. Certains l’avaient recopié et conservé dans leur portefeuille. La censure a amputé quelques-uns de ces articles.

4. Autres informations

– Registre matricule, Archives de l’Aude, RW 532.

– Alain Lévy, Un quotidien régional, Le Midi Socialiste, mémoire de DES, Faculté des Lettres de Toulouse, 1966.

Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918, Paris, Maspero, 1978 pour la 1ère édition.

– Notice dans Les Audois, dictionnaire biographique, sous la dir. de Rémy Cazals et Daniel Fabre, Carcassonne, 1990, p. 193.

– Mémoire de maîtrise de Marie-Pierre Dubois, Léon Hudelle, journaliste socialiste et combattant 1914-1918, Université de Toulouse-Le Mirail, 1997, 124 pages + deux volumes d’annexes reproduisant la totalité des articles de Hudelle, du 1er janvier 1914 au 31 décembre 1918.

– Photo dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 262.

Rémy Cazals, 11/2007, complété 05/2016

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Thivolle-Cazat, Gabriel (1883-1970)

1. Le témoin

Né à Mureils (Drôme) le 30 décembre 1883. Famille d’agriculteurs. Ecole primaire. En 1914, marié, deux enfants. Il passe une partie de la guerre, au début, comme planton au GQG de Joffre (septembre 1914-janvier 1915), puis au QG de Dubail jusqu’en décembre 1915. Il est ensuite affecté au 13e Bataillon de Chasseurs alpins sur le front des Vosges où ses notes s’interrompent en mai 1916. On sait qu’il combattit ensuite en Italie et qu’il survécut à la guerre. Revenu sur l’exploitation familiale à Mureils, il y est décédé le 1er avril 1970.

2. Le témoignage

Deux carnets de notes sont conservés par la famille. Le premier carnet de Gabriel Thivolle-Cazat, de septembre 1914 à décembre 1915, est retranscrit dans Jean-Pierre Bernard et al., Je suis mouton comme les autres. Lettres, carnets et mémoires de poilus drômois et de leurs familles, Valence, Editions Peuple Libre et Notre Temps, 2002, p. 439-454.

3. Analyse

Lassitude, démoralisation et révolte apparaissent de bonne heure. D’abord (4 mars 1915), l’auteur espère la fin victorieuse, mais en novembre, c’est : « Que ça finisse donc comme ça voudra, mais que l’on rentre chez soi. » Il y a tant à faire à la maison et sur les terres. Sentiments d’animosité envers les officiers qui traitent les hommes comme les paysans traitent les animaux. Le 2 avril 1916, près de La Croix-aux-Mines, il entend les Boches de la tranchée d’en face chanter l’Internationale en français.

4. Autres informations

– Rémy Cazals, « Culture de guerre, culture de paix. Retour sur les témoignages de combattants », dans Histoire, défense et sociétés, revue de l’ESID, Université de Montpellier III, n° 1, 2004, « Guerre, paix et sociétés. Pour une histoire totale », p. 59-74.

Rémy Cazals, 12/2007

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Garbissou, Paul (1892-1914)

1. Le témoin

Né à Ouveillan (Aude) le 23 octobre 1892 dans une famille de petits propriétaires viticulteurs. Titulaire du Brevet élémentaire. Il fait son service militaire au 80e RI de Narbonne lorsque la guerre éclate. Grièvement blessé, il meurt à l’hôpital de Zuydcoote (Pas-de-Calais), le 27 décembre 1914.

2. Le témoignage

Dès le 1er août 1914, il prend des notes au crayon sur un très petit carnet, de format 10 x 6,5 cm. La dernière date mentionnée est celle du 25 décembre 1914 : « Nous nous préparons à revenir dans les tranchées […] ». Le carnet fut envoyé après sa mort à sa famille, qui l’a conservé. Le texte a été édité à la suite de celui d’Antoine Bieisse, sous un titre emprunté à ce dernier : Plus d’espoir, il faut mourir ici !, carnets d’Antoine Bieisse et de Paul Garbissou, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1982, 62 p. [le carnet de Paul Garbissou occupe les p. 27 à 49 ; son portrait se trouve en 4 de couverture].

3. Analyse

Début de la guerre dans les Vosges, puis transfert vers la Belgique en passant par l’Aisne. Bataille de l’Yser. Du 1er au 20 novembre, « journées terribles, ayant attaque sur attaque, et laissant chaque jour beaucoup de morts et de blessés ». En dehors des périodes de combat, il décrit les journées « tranquilles », il s’intéresse à la nourriture, il signale les rencontres avec des « pays ». Les nombreuses et longues marches sont aussi mentionnées.

Rémy Cazals, 11/2007

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Gabard, Ernest (1879-1957)

Aquarelle n°12 des Carnets d’Ernest Gabard, 27 décembre 1915

1. Le témoin

Né le 19 mai 1879 à Pau (Basses-Pyrénées, aujourd’hui Pyrénées Atlantiques). Ecole des Beaux-Arts à Paris. Revenu à Pau comme sculpteur. Après la guerre, de retour dans le Sud-Ouest, il réalisa une quinzaine de monuments aux morts qui, d’après les éditeurs du livre cité ci-dessous, participent « de la réprobation silencieuse de cet artiste patriote face à la guerre ».

2. Le témoignage

Ernest Gabard, Carnet de guerre, Aquarelles, novembre 1915 – avril 1916, Pau, CDDP des Pyrénées Atlantiques, 1995, 60 p.

Sergent au 270e RI, il avait sur lui un petit carnet (format 18×14), support de 42 aquarelles. L’édition est due au travail de professeurs d’histoire et de géographie et d’arts plastiques, avec le concours du CDDP de Pau.

3. Analyse

Ces aquarelles donnent à voir les tranchées, les sapes et les abris, les bombardements, la protection contre les gaz, le cantonnement et les loisirs, les blessés et les postes de secours, l’appel après une attaque. En Argonne, entre Sainte-Ménehould et Verdun (carte de localisation, p. 51) entre novembre 1915 et avril 1916.

Aquarelle n°14 des Carnets d’Ernest Gabard, 29 décembre 1915.

Rémy Cazals, 11/2007

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Moulis, Charlotte (1891-1957)

1. Le témoin

Née à Albi (Tarn) le 16 avril 1891. Domestique engagée par la famille de Moustier, elle est aide de cuisine, sous les ordres du chef Thibault au château de Clémery, près de Nomény (Meurthe-et-Moselle). Restée célibataire, elle est décédée à Albi le 12 septembre 1957.

2. Le témoignage

Sur un petit carnet, Charlotte Moulis a pris des notes d’août 1914 à janvier 1915, texte qui se termine par la phrase : « Six mois de front inoubliables ». Le carnet (qui contenait aussi un certificat de bonne conduite) a été retrouvé dans le tiroir d’un meuble acheté aux enchères plus de vingt ans après son décès, qui appartenait peut-être à sa soeur. Il est publié dans Récits insolites. Carnets de Charlotte Moulis, Emile Bonneval, Etienne Loubet, présentation générale de Rémy Cazals, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1984, 67 p. [Charlotte Moulis : Six mois de front inoubliables, p. 13-33], illustrations.

Il est intéressant de remarquer que la fille des châtelains, Anne-Marie de Moustier, a publié son propre récit ; il existerait également un texte écrit par sa mère, la comtesse de Moustier elle-même.

3. Analyse

Le château de Clémery se trouve quasiment sur la frontière de 1914 entre la France et l’Allemagne. Pendant six mois, le secteur est épargné par les tirs d’artillerie, si bien que les nobles propriétaires et leurs serviteurs peuvent rester au château. La guerre qui se déroule à proximité, et jusque dans le parc, n’oppose que des patrouilles et ne fait que quelques morts et quelques blessés, soignés au château, qu’ils soient français ou allemands. Ceux-ci étant qualifiés de Prussiens, cela renforce encore le caractère anachronique de ces épisodes. Ce n’est qu’en janvier 1915 que Charlotte emploie le mot « les Boches » et que l’artillerie rend impossible de rester au château. Auparavant, Charlotte avait décrit les atrocités commises à Nomény, et la victoire de la Marne alors que tout le monde croyait que les combats avaient encore lieu en Belgique.

4. Autres informations

– Anne-Marie de Moustier, Six mois dans un château aux avant-postes. Journal de guerre du 1er août 1914 au 15 janvier 1915, s. l., 1916, 183 p. [se trouve à la BM de Nancy].

Rémy Cazals, 12/2007

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Loubet, Etienne (1887-1976)

1. Le témoin

Né à Pezens (Aude) le 23 février 1887 dans une famille de vignerons propriétaires et de commerçants, épiciers, transporteurs. Catholique pratiquant. Titulaire du Brevet élémentaire. Célibataire en 1914. Marié après la guerre et fixé à Aragon (Aude) comme vigneron, et où il est mort le 28 novembre 1976.

2. Le témoignage

Publié dans Récits insolites. Carnets de Charlotte Moulis, Emile Bonneval, Etienne Loubet, présentation générale de Rémy Cazals, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1984, 67 p. [Etienne Loubet : Ma campagne de Sibérie, p. 51-66], illustrations.

Dans le carnet d’Etienne Loubet, toutes les pages antérieures au 10 décembre 1918 ont été arrachées, vraisemblablement par lui-même avant sa mort. On pense dans la famille qu’il confia certains papiers à des amis pour les brûler. Son séjour sur le front en France n’est connu que par les témoignages familiaux.

3. Analyse

Blessé en février 1915, horrifié par ce qu’il avait enduré sur le front de l’ouest, et ne voulant plus y retourner, il se porta volontaire pour partir en Extrême-Orient en mars 1916. Après un séjour en Indochine, le Bataillon colonial sibérien arriva à Vladivostok le 9 août 1918. Il se dirigea vers l’ouest par le transsibérien pour prendre les Rouges à revers et il se trouvait à Novosibirsk le 11 novembre. Etienne Loubet ne participe pas aux affrontements. Il décrit surtout les déplacements en train et la température hivernale. La retraite commence le 24 décembre. Arrivé à Tien Tsin, il achève ainsi son carnet : « Campagne de Sibérie terminée le 19 février 1919 ».

4. Autres informations

– JMO du Bataillon colonial sibérien, SHDT, 26N 868.

Rémy Cazals, 12/2007

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Gueugnier, Charles (1878- )

1. Le témoin

Charles Gueugnier est né le 5 novembre 1878 à Sétif (Algérie) de François Gueugnier et Carmen Calleya. A 20 ans, il part en Angleterre où il est cuisinier. La guerre le surprend chef de cuisine de l’amiral anglais Berkeley-Milne commandant en chef de l’escadre britannique en Méditerranée. Ce dernier lui propose d’être incorporé dans les forces britanniques mais il décline la proposition et rejoint son régiment, le 4e Zouaves, le 3 août 1914. Charles Gueugnier, fait prisonnier le 12 octobre 1914 au Chemin des Dames, est interné au camp de Merseburg (Saxe). En mai 1918, bénéficiant des accords de Berne, il est libéré du camp et transféré en Suisse, en semi-liberté. Il rentre en Algérie à la fin de 1918, mais sa trace est perdue après la guerre.

2. Le témoignage

A partir du 12 octobre 1914, Charles Gueugnier écrit tous les jours sur des feuillets qu’il cache. Il les recopie sur des cahiers pendant son séjour en Suisse à partir du 4 juin 1918 et continue à écrire régulièrement en Suisse, plus épisodiquement après son retour en Algérie jusqu’à sa démobilisation le 3 mars 1919. Ces neuf cahiers ont été conservés par la famille. De larges extraits des cahiers ont été publiés sous le titre Les carnets de captivité de Charles Gueugnier 1914-1918, présentés par Nicole Dabernat-Poitevin, Toulouse, Accord édition, 1998, 239 p., illustrations.

3. Analyse

La durée du séjour, 4 ans, dans le même camp est tout à fait exceptionnelle et apporte un intérêt accru à son témoignage. Le souci continuel de l’auteur de préserver ses notes souligne sa volonté de ne rien oublier de ses années d’enfermement. De son poste d’observation, de sa situation particulière d’interprète (puisqu’il parlait anglais), il donne une photographie du camp dans le temps, en montrant les liens ou l’animosité entre les prisonniers de différentes nationalités, selon l’importance des groupes, mais aussi l’évolution des rapports entre les prisonniers et les Allemands. A travers ses notes, on repère les différents mouvements de prisonniers vers d’autres camps ou détachements de travail. Le moral des troupes françaises affleure avec l’arrivée de nouveaux prisonniers qui sont, pour ceux du camp, une source d’information sur l’évolution de la guerre. Il note scrupuleusement la météo quotidienne et les menus. Très affecté par une faim permanente, il dresse un panorama de toutes les aides destinées aux prisonniers à travers ses attentes de colis, des envois de pain et des avatars de l’acheminement. On retrouve, comme souvent dans la littérature des prisonniers, les distractions du camp, le commerce interne voire un marché aux puces. Pendant son séjour en Suisse, il décrit les ravages de la grippe parmi les prisonniers qui avaient bénéficié d’un internement ou d’une hospitalisation dans ce pays.

Ce témoignage fourmille de détails au quotidien qui donnent un bon aperçu de la vie d’un camp de prisonniers de guerre.

Nicole Dabernat-Poitevin, 12/2007

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Bonneval, Emile (1888-1936)

1. Le témoin

D’une famille originaire de la Corrèze, Emile Bonneval est né le 21 mars 1888 à Saint-Denis, banlieue parisienne, d’un père employé dans les transports publics. A l’école jusqu’au Certificat d’études primaires. Il entre lui aussi dans la compagnie des transports où il monte les échelons en passant des concours internes : il finit inspecteur de la STCRP. Blessé dès le 4 septembre 1914, bien soigné par les Allemands, il doit cependant subir la dure vie de travail dans les kommandos, ce qui altère sa santé. Il meurt à 49 ans, le 12 mai 1936.

2. Le témoignage

C’était d’abord un tout petit carnet soustrait aux innombrables fouilles des gardiens. Après la guerre, il retranscrit ses souvenirs sur le cahier qui, pendant le service militaire, lui avait servi à copier un répertoire classique de chansons. Le cahier est conservé par la famille. Il est publié dans Récits insolites, Carnets de Charlotte Moulis, Emile Bonneval, Etienne Loubet, présentation générale de Rémy Cazals, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1984, 67 p. [Emile Bonneval : Le prisonnier aux mille tours, p. 35-49], illustrations.

3. Analyse

Au début de la guerre, rejoint le 156e RI à Troyes. Blessé le 4 septembre en Lorraine, ramassé le 6 par une patrouille allemande. Déplâtré le 4 novembre. Interruption des notes de novembre 1914 à mars 1916. On connaît seulement ses déplacements, d’un camp à l’autre. En avril, envoyé en représailles du côté de Tilsitt, où il évoque Napoléon. Travail à la tourbière, colis, punitions. En octobre 1916 au camp de Stendal et en kommandos agricoles, puis dans diverses activités où il n’hésite pas à pratiquer quelques sabotages.

Rémy Cazals, décembre 2007

Complément : photos du fonds Bonneval dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 21 (deux gamins russes prisonniers en Allemagne) et p. 87 (au camp de Stendal, PG français prêts pour un déplacement).

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Bargy, Pierre (1896-1923)

1. Le témoin

Né le 29 janvier 1896 à Meymac (Corrèze). Ses parents tiennent une boucherie. Un de ses oncles est médecin. Baccalauréat en 1913. Inscrit à la Faculté de Médecine de Lyon où il peut suivre deux années de formation avant la mobilisation. Section d’infirmiers du 11e RI, puis médecin auxiliaire en mars 1916. Affecté au 30e Bataillon de tirailleurs sénégalais, sur le front de la Somme du 12 mai au 23 août 1916. Armée d’Orient jusqu’en mai 1918. Après la guerre, il termine son cursus et devient docteur en médecine en 1922. Mort l’année suivante. Sa famille a fait marquer sur sa tombe : « victime de la Grande Guerre ».

2. Le témoignage

Carnets tenus du 25 juin 1916 au 13 juin 1917. Quelques lettres et cartes postales en complément.
Carnets retranscrits par Pierre Chassagne en annexe (54 p.) de son mémoire de maîtrise : Un combattant de 1914-1918 : Pierre Bargy, Université de Toulouse II, 2000, 118 p., avec portrait de P. Bargy et autres illustrations.

3. Analyse

Ayant un certain bagage intellectuel, Pierre Bargy n’insère cependant dans ses notes aucune construction rhétorique sur le thème de la patrie. Il soigne les blessés allemands ; il note que les prisonniers aident à transporter des blessés français. Nombreuses informations sur les conditions matérielles. Fines observations sur les combattants de son unité, les tirailleurs sénégalais en particulier, sur le commandement, sur les forces alliées, sur l’ennemi. Il analyse diverses rumeurs. Vision intéressante de Salonique et de la Macédoine.
4. Autres informations
– Rémy Cazals, « Culture de guerre, culture de paix. Retour sur les témoignages de combattants », dans Histoire, défense et sociétés, revue de l’ESID, Université de Montpellier III, n° 1, 2004, « Guerre, paix et sociétés. Pour une histoire totale », p. 59-74.

Rémy Cazals, 12/2007

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Faure, Elie (1873-1937)

1. Le témoin
Né le 4 avril 1873 dans une famille protestante de Sainte-Foy-la-Grande (Gironde), il était fils de Pierre Faure, clerc de notaire, et de Zéline Reclus, fille de pasteur dissident, et le neveu d’Elisée Reclus. Etudes au collège de Sainte-Foy, puis au lycée Henri IV à Paris. Devenu médecin. Marié, père de deux garçons, il a 41 ans en 1914. Il avait écrit une lettre de soutien à Zola après « J’accuse » en 1898, il donna des cours d’histoire de l’art à l’Université populaire « La Fraternelle » en 1903. Dans l’entre-deux-guerres, il adhéra au Comité de Vigilance des Intellectuels antifascistes, et milita en faveur de l’Espagne républicaine contre Franco. Il mourut le 29 octobre 1937. Il est surtout connu comme auteur d’une Histoire de l’Art en plusieurs volumes.


2. Le témoignage

Elie Faure, La Sainte Face, édition préfacée par Carine Trevisan, Paris, Bartillat, 2005, 423 p. L’initiative de Carine Trevisan rend facilement accessible un texte publié pour la première fois en 1918 et dont Jean Norton Cru avait fait la critique dans Témoins…, p. 430-432. L’édition 2005 est complétée par une série de lettres d’Elie Faure à sa femme et à des amis, par une biographie chronologique détaillée, et par un index des noms de personnes.Elie Faure affirmait ne pas écrire ses « souvenirs » sur la guerre, mais des « idées suscitées en [lui] par la guerre ». Les descriptions directes sont cependant bien représentées. La 1ère partie, « Près du feu », écrite entre mai et juillet 1916, rend compte de la période d’août 14 à août 15 au cours de laquelle il est médecin en arrière des lignes. La 2e, « Loin du feu », évoque sa convalescence, après son évacuation pour neurasthénie, à Paris et sur la Côte d’Azur avec une visite à Cézanne (p. 184-187). La 3e, « Sous le feu », est rédigée dans la Somme entre août et décembre 1916. Le titre général, La Sainte Face, désignerait « la face de la France », d’après l’auteur lui-même, ou encore « la face grave et triste » des combattants. Son goût du paradoxe lui fit envisager de choisir La Sainte Farce, mais il y renonça par égard pour les souffrances produites par la guerre.

3. Analyse
Des pages d’anthologie :

L’ouvrage contient de nombreux passages qui sont des descriptions précises de moments, de situations, qui pourraient faire partie d’une anthologie de textes de témoins de la Grande Guerre comme celles établies par Jean Norton Cru et par André Ducasse :

– l’embarquement de blessés en gare de Dammartin, début septembre 14 (p. 63) ;

– le champ de bataille de la Marne après le recul allemand (66, 68) ;

– le tir du canon de 75 (94) ;

– les tranchées en décembre 1914 (114) ;

– l’arrière front, entre Paris et la Picardie (194), puis le front (195), le retour à la nature et aux activités primitives (196), la cagna (197), l’artillerie (200) ;

– les préparatifs d’attaque (208), la peur sous le bombardement (228) ;

– un camp de prisonniers allemands (277).

Des remarques judicieuses :

Plus brefs, certains passages recoupent le témoignage de bien d’autres acteurs, avec une touche spécifique :- le besoin de se donner des illusions (38) ;- les déplacements sans connaître la destination, les rumeurs (55) ;- les blessés joyeux d’avoir échappé au carnage (62) ;- un blessé français ne voulant pas se séparer d’un blessé allemand (70) ;- le courage sous le regard de l’autre (72) ;- le paysan qui maudit la guerre (125) ;- la ténacité de ceux de l’arrière qui « ont fait le sacrifice de la vie de ceux de l’avant » (141) ;- la guerre, un spectacle pour un Dieu qui y prend du plaisir (157) ;- une intéressante définition du soi-disant patriote (158) : « personnage religieusement attaché en temps de paix à tromper l’étranger et en temps de guerre à tromper le compatriote sur le compte de la patrie » ;- « la ronde échevelée des vaudevillistes et des académiciens proposant à la clientèle leur orthopédie patriotique et morale » (189) ;- la question à poser à Barbusse : « Veux-tu qu’il n’y ait pas eu la guerre, et n’avoir pas écrit Le Feu ? » (190) ;- « les journalistes trouvent très bon le moral des poilus, mais les poilus trouvent trop bon le moral des journalistes » (193) ;- lors d’un bombardement par l’artillerie française : que se passe-t-il là où tombe ce fer ? (201) ;- l’allégresse lorsqu’on peut enlever le masque à gaz (206) ;- la jubilation des prisonniers allemands, la camaraderie avec les poilus (210, 213) ;- « la solitude accroît l’épouvante car, à plusieurs, on se prête l’appui mutuel du mensonge qu’on fait aux autres pour se rassurer soi-même (227) ;- le bourrage de crâne (242, 323) ;- la « zone bâtarde » entre l’arrière et l’avant (271).

La tendance au paradoxe :

Romain Rolland avait noté à propos de La Sainte Face : « Tendance au paradoxe par orgueil de penser autrement que les autres ». Il est vrai que les pages et les paragraphes valorisés ci-dessus sont à cueillir au milieu d’autres pages qui témoignent plus sur la personnalité de l’auteur que sur la guerre. N’avait-il pas lui-même écrit qu’il cherchait à ramasser dans son livre « la plus grande masse possible d’enivrement intellectuel » ? On ne mentionnera pas tous les effets de style agaçants ou pénibles. Retenons cependant la dédicace : « Aux soldats qui ont vécu sous le fer, respiré le feu, marché dans le sang, dormi dans l’eau, je donne ce livre cruel, pour qu’ils le brûlent. »Plusieurs de ces effets, si on les prenait au pied de la lettre, aboutiraient à une sorte de justification de la guerre comme manifestation de vitalité des peuples jeunes. Ainsi les militaristes seraient plus révolutionnaires que les socialistes ; les actes de vandalisme attireraient la sympathie (« Ils sont jeunes. Ils cassent leurs jouets ») ; les généraux français auraient économisé trop de vies humaines… On s’en tiendra là.

Stéréotypes nationaux et régionaux :

Il est également surprenant qu’un homme d’une telle stature intellectuelle en vienne à des stéréotypes infantiles : l’Anglais sportif et flegmatique, l’Allemand solide et mécanique, le Français nuancé et subtil (p. 252) ; la Gascogne sceptique et le Languedoc fanatique, le Dauphiné recueilli, la gouailleuse Champagne (167). Et les constantes dans le temps : Paris est toujours identique depuis Lutèce (135) ; « on retrouve le Gaulois de César sous la capote du biffin » (276)… Le tout au premier degré. De même que l’évocation des tirailleurs sénégalais (104) ou cette page à glisser dans l’anthologie des « bienfaits de la colonisation » (105-106) dont je n’ose pas reproduire la conclusion. Plus utile est la description d’un antiméridionalisme très fort en 1914 : « de gros infirmiers bien nourris lancent des brocards virulents aux petits montagnards [Ariégeois d’un régiment réduit de moitié par les combats] qui sont restés toute une nuit sous le feu, à la même place, tandis qu’eux-mêmes ronflaient dans leur paille fraîche, à l’abri. » (52)

Père et fils :

Enfin, il faut remarquer chez cet homme, qui voit dans la guerre l’expression de la vitalité d’un peuple jeune, le souci d’en préserver son fils né en 1897. Il est « inutile » qu’il s’engage, écrit-il à plusieurs reprises à sa femme. Si on ne peut l’empêcher, qu’il attende la fin de la campagne d’hiver. Il faudrait trouver une situation « où il pourrait rendre le maximum de service avec le minimum de risques », cavalerie, artillerie… Alors, Elie Faure était-il un être humain, avec ses contradictions et ses faiblesses ? Sans doute. Et ce n’est pas dévalorisant de le dire. Mais, alors, c’est un peu fort d’écrire : « La guerre est une admirable école d’énergie et de fatalisme et j’espère que la France entière en profitera. Moi, je n’en ai pas besoin. Je suis celui dont Dostoïevski a dit : ‘Il viendra un homme nouveau, heureux et fier. Celui à qui il sera égal de vivre ou de mourir, celui-là sera l’homme nouveau.’ »

4. Autres informations
– Notice dans Jean Norton Cru, Témoins…, p. 430-432.

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