Vilhet, Albin (1896-1981)

1. Le témoin

Né le 11 octobre 1896 à Nyons dans une famille de cultivateurs catholiques. Il obtient le certificat d’études primaires. Il restera cultivateur. Mobilisé au 4e Génie de Grenoble en août 1916. Il part pour le front en juillet 1917. Survivant, il abandonne ses idées religieuses, choqué par le thème de la guerre comme moyen de régénérer l’humanité développé par certaines autorités catholiques. Il milite à l’ARAC et au parti communiste. Il est mort à Nyons en 1981, dans la ferme où il était né.

2. Le témoignage

Albin Vilhet a laissé à sa fille des « Mémoires » sur cahiers d’écoliers et les 356 lettres qu’il avait écrites à ses parents pendant la guerre. Des extraits de celles-ci sont publiés dans Je suis mouton comme les autres. Lettres, carnets et mémoires de poilus drômois et de leurs familles, présentés par Jean-Pierre Bernard et al., Valence, Editions Peuple Libre et Notre Temps, 2002, p. 329-340.

3. Analyse

Arrivant à la caserne en période des gros travaux agricoles, il s’enquiert de ce que font ses parents ; il les informe que les copains « du pays » se rencontrent au café de Nyons. La formation au Génie est plus longue que dans l’infanterie car il y a des techniques à apprendre, par exemple la construction d’un pont sur l’Isère.

En février, puis en avril 1917, il signale le tapage et les violences de ceux qui doivent partir pour le front ou pour Salonique sans avoir obtenu de permission. En juin, il décrit les grèves, en particulier celle des tourneuses d’obus qui passent dans la rue avec un drapeau rouge.

Aux armées à partir de juillet 1917, il évoque surtout les bombardements, en particulier les effets des gaz. En 1918, la guerre de mouvement reprend. On se déplace beaucoup et on vit sur le pays : « Lorsqu’on a été installé, on a été faire un tour dans le village pour voir si rien ne traînait et nous avons trouvé de tout. On charriait les tonneaux de pinard à pleines charrettes. Pour ma part, j’ai pris 4 poules et 4 lapins qu’on va manger ce soir à l’escouade, et une petite chèvre que je vais traire et garder pour boire le lait tous les matins » (15 juillet 1918). Cette chèvre bien utile, il refuse de la vendre 25 francs, puis il la cède pour 20 francs à « une pauvre femme qui en a besoin » avec ses six enfants.

Après l’armistice, « ce n’est pas le travail qui manque à présent, car les ponts sont tous sautés et il faut les refaire en vitesse ». La démobilisation n’est pas pour tout de suite, mais « enfin, à présent que les obus ne tombent plus, tout ça n’est rien ».

Rémy Cazals, juillet 2008

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Verdun, Théodore (1877-1943)

1. Le témoin

Il est né le 2 juillet 1877 à Merville (Haute-Garonne), fils de Jean-Baptiste, agriculteur propriétaire, et de Anne Raymonde Donat, institutrice. Il s’est marié avant 1914 et il avait une fille. Il a exercé les professions de comptable et de commissionnaire. Mobilisé au 135e RIT de Mirande, comme lieutenant. Son carnet nous met en présence d’un homme lucide, auteur de remarques pertinentes. Une allusion au « grand Jaurès » indique peut-être des sentiments de gauche. Il a survécu à la guerre.

2. Le témoignage

Théodore Verdun a tenu un carnet du 31 juillet 1914 au 6 juin 1915. On ne sait pas pourquoi il a cessé à cette date. Mais on sait que le régiment a été dissous en juin 1915. D’autre part, Théodore Verdun a eu des problèmes de santé qui l’ont fait admettre à l’hôpital de Châlons-sur-Marne du 23 janvier au 11 février 1915, et qui l’ont fait affecter à l’arrière-front comme porte-drapeau en avril 1915. Il est possible qu’il ait quitté la zone des Armées en juin. Cela n’a pas d’impact sur le témoignage conservé.

Celui-ci est un carnet de 198 pages de 21 lignes chacune, bien lisibles dans l’ensemble, d’une écriture régulière, avec une bonne orthographe. Il est vraisemblable qu’il a recopié d’après un original tenu au jour le jour. Lorsqu’il a rajouté des phrases de commentaire, il a tenu à les noter en changeant la forme de l’écriture, ce qui les rend facilement identifiables. Le carnet est illustré de quelques photos, de qualité médiocre, de coupures de journaux et de cartes des divers fronts en 1915. Une copie sur microfilm est disponible aux Archives municipales de Toulouse, sous la cote 1 Mi 2.

Transcription intégrale du carnet dans le mémoire de Master 1 d’Etienne Houzelles, Théodore Verdun, un combattant de la Grande Guerre, Université de Toulouse Le Mirail, septembre 2006, p. 87-149. Le texte est précédé d’une étude sur les témoignages de 1914-1918, accompagné de notes explicatives, et suivi d’annexes.

3. Analyse

– Description de l’attitude des populations lors de l’annonce de la mobilisation : pleurs, consternation, résignation à l’inéluctable, puis enthousiasme de groupe au départ et aux passages dans les gares.

– Critique de la théorie du combat à la baïonnette qui n’a rien à voir avec la réalité, et apprentissage de la construction de tranchées, ce que la théorie n’avait pas prévu.

– Le 5 novembre 1914, de la tranchée, il tire vers les Allemands : « Quel résultat ai-je obtenu ? Ai-je tué ? Je ne le saurai jamais… Maudite soit la guerre. »

– Pratiques funéraires des soldats pour permettre d’identifier les tombes des camarades. Ramassage des cadavres dans le no man’s land. Il trouve le carnet de route d’un mort, le sergent Masson, de Lerroux (Indre).

– Critique sévère et fréquente des attaques n’aboutissant qu’à de lourdes pertes. Il emploie l’expression : « la consommation en hommes » (15 mars). Rares sont les chefs cherchant à économiser des vies humaines. Or, « un homme terré en vaut douze » (fin mars). « Le grand Jaurès avait raison dans ses théories sur la défense de la France » (18 mai). « Si le haut commandement avait fait creuser des tranchées sur nos frontières dès que la guerre a été déclarée, la horde allemande aurait été arrêtée et fauchée, le sol français n’aurait pas été envahi et nous n’aurions pas fait tuer nos jeunes soldats par centaines de milliers » (18 mai). A propos du régiment d’active de Mirande, il écrit (même date) : « Dans ce régiment, comme dans bien d’autres, il ne reste que le numéro, il a été reconstitué pour la quatrième fois avec des hommes tirés de partout. Quand le régiment rentrera à Mirande, le numéro du régiment sera porté par de braves inconnus dans le pays gascon. Pour ce motif, osera-t-on le faire entrer et défiler dans cette ville de garnison ? S’il en était ainsi, quel spectacle douloureux serait imposé aux milliers de veuves et d’orphelins du pays. » « La bravoure individuelle n’a plus de raison d’être. On ne lutte pas ainsi contre du matériel » (5 juin).

– Les Allemands restent les ennemis. Leurs chefs portent une lourde responsabilité dans la déclaration de guerre, mais ils ne sont pas les seuls : « Maudite soit la guerre et ceux qui l’ont déchaînée ou n’ont pas fait l’impossible pour l’éviter », écrit-il le 24 janvier 1915.

– Comme dans la plupart des témoignages, on trouve ici la description de la boue et des hommes transformés en blocs de boue (10 décembre 1914).

– Les territoriaux aménagent des gourbis (11 décembre 1914). Un peu à l’arrière, ils peuvent les doter du plus de confort possible, comme un rappel de la vie civile (31 mai 1915). Mais une grande partie de l’énergie est déployée pour aménager le gourbi des grands chefs : ainsi celui du général Radiguet, le 10 mars.

– Critique habituelle du bourrage de crâne qui veut faire croire à l’épuisement des Allemands, aux victoires des Russes, au succès de l’opération des Dardanelles.

– Théodore Verdun signale la forte influence exercée par l’aumônier sur les officiers du régiment (5 mai).

– A l’hôpital de Châlons-sur-Marne, il a sous les yeux les atroces blessures de ses camarades (5 au 10 février 1915) : « Je note seulement l’émotion que j’ai éprouvée lorsque, tendant la main à un pauvre blessé couché dans son lit, cet homme pour répondre à mon geste m’a dit simplement : ‘Mon lieutenant, je n’ai plus de bras, on me les a amputés hier tous les deux’. Le camarade de ce soldat n’avait qu’une jambe. Un troisième avait eu les deux yeux arrachés. Un autre avait la tête dans un état indescriptible. » Un autre, devenu fou, a oublié la langue française ; il n’est apaisé que par des mots d’occitan (30 janvier).

– Et cela fait contraste avec les beaux officiers embusqués de Châlons, « qui ont trouvé le moyen de faire la guerre de la façon la plus agréable » (11 février).

Rémy Cazals, juillet 2008

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Poizot, Charles Henri (1891-1966)

1. Le témoin

Il est né à Saint-Quentin (Aisne) le 14 mars 1891 dans une famille catholique. A la déclaration de guerre, il est employé dans une petite entreprise de textile. Au 67e RI de Soissons, il est sergent dans l’équipe des téléphonistes. Démobilisé le 30 juillet 1919. Il se marie en 1920 à Tarare (Rhône) où il choisit de demeurer. Il aura deux filles. Il meurt en 1966.

2. Le témoignage

La famille a conservé six petits carnets d’une écriture fine et lisible, au crayon ou à l’encre. Les quatre premiers contiennent des notes assez brèves à la date du jour, encore plus brèves vers la fin de la guerre. La période couverte va du 28 juillet 1914 au 22 février 1919. Les deux autres contiennent diverses listes de noms et adresses, des comptes, le texte de ses deux citations, etc.

Les carnets ont été « retranscrits, commentés et préfacés par Dominique Bussillet », petite-fille de l’auteur, sous le titre Histoire d’un Poilu. Carnets de Charles-Henri Poizot du 67e RI, Parçay-sur-Vienne, Editions Anovi, 2003, 143 pages. Le livre est illustré de photos de l’auteur et de pages des carnets.

3. Analyse

– Au cours des premières semaines de guerre, Poizot revient à plusieurs reprises sur la puissance de l’artillerie allemande. Il signale un « acte de sauvagerie » des Allemands (22 septembre) mais il n’en a pas été le témoin. Le 13 octobre, il dit avoir assisté à l’exécution d’un soldat du 106, fusillé pour abandon de poste. Autres exécutions quelques jours plus tôt.

– Le 11 novembre 1914, malade depuis plusieurs jours, il se présente à la visite. Il est exempt de service avec « prière de ne pas revenir ». Il avait en fait la fièvre typhoïde, et il a quand même réussi à se faire évacuer le18 novembre. Il ne revient sur le front qu’en mai 1915, constatant que le régiment avait beaucoup souffert.

– L’offensive de Champagne en septembre 1915 est présentée aux soldats comme devant être décisive : « J’y vais de bon cœur car, maintenant que je suis rapproché de mon pays, j’ai l’espoir que je verrai bientôt mes parents libérés du joug des Allemands » (23 septembre). Le 67e est devant Souain, l’attaque est terrible, les résultats sont décevants. Nouveau « calvaire », « carnage », à Verdun en juin 1916. Et dans la Somme, près de Suzanne, en septembre : « 25 septembre. Et puis ça me dégoûte je ne dirai rien, nous avons passé 8 jours en première ligne, couchés dans la terre, la boue, la pluie, j’ai été enterré par un obus, la tranchée est nivelée, des copains tombés à côté de moi, quel carnage. » Aussi, le 12 avril 1917, à la veille de l’offensive Nivelle, sept points d’interrogation expriment son scepticisme : « On nous fait une conférence sur la grande attaque qui va avoir lieu. Cette fois on va les avoir ??????? A part ça, les Boches sont toujours à Saint-Quentin. Quel cafard. Vivement la fin. »

– L’originalité de Poizot, c’est d’être un soldat des « pays envahis », coupé de sa famille pendant presque toute la durée de la guerre. Il évoque à plusieurs reprises ses parents restés sous la domination allemande. Il n’arrive pas à leur donner de ses nouvelles. Il n’en reçoit, indirectement, qu’en mai 1916. Il ne peut aller chez lui en permission. Il passe sa convalescence à Paris après la typhoïde. Il va en permission dans le Gers, chez M. Cartan, hôtelier à L’Isle-Jourdain, qui l’accueille comme s’il était un membre de sa famille (13 janvier 1916), puis chez Mme Ducos à Gimont (16 août 1916). Tous les retours de permission produisent un « cafard intense ». Une brève éclaircie, lorsque le régiment débarque à Fère-en-Tardenois (19 juillet 1916) : « Nous sommes dans l’Aisne. Il me semble que les pays sont plus beaux et les gens moins arrogants. »

Rémy Cazals, juillet 2008

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Marceau, Louis (1881-1915)

1. Le témoin

Né à Billy-source-Seine (Côte d’Or) le 28 avril 1881. Vraisemblablement instituteur (dans son carnet, il dit avoir rencontré un de ses anciens camarades d’école normale). Habite Dijon avec sa femme. Il a un fils de 4 ans en 1914 : le carnet contient une mèche de ses cheveux et du muguet envoyé à son père. Louis Marceau est maréchal des logis au 48e régiment d’artillerie coloniale, où il s’occupe du ravitaillement. Il meurt des suites de ses blessures le 10 octobre 1915 à Mareuil (Pas-de-Calais).

2. Le témoignage

Un carnet format 11×17, portant étiquette de la Boulangerie Epicerie Mercerie Rochotte, à Laveline-devant-Bruyères. Il comprend 58 pages pré-numérotées + 47 pages intermédiaires également écrites. Sur certaines sont collées des fleurs séchées et la mèche de cheveux signalée plus haut. Carnet commencé le 1er août 1914, terminé le 1er août 1915. Il est possible qu’un second carnet ait été amorcé et n’ait pas été envoyé à la famille. Celui-ci contient des coupures de journaux et, à la fin, les deux dernières lettres de Louis Marceau à sa femme, datées du 9 et du 10 octobre. Sur cette dernière, les phrases : « Tu sais bien que mon seul plaisir est d’avoir quelque chose de toi » et « Qu’est-ce que nous recevons comme obus ». Il aurait été mortellement blessé peu après avoir écrit ces mots.

3. Analyse

Départ de chez lui le 2 août. Le régiment va d’abord dans les Vosges, puis, à partir de septembre 1914, il est en Artois. Louis Marceau s’occupe du ravitaillement. Il circule beaucoup à cheval. Il ne signale que ses déplacements, ce qu’il mange, où il couche, le courrier reçu ou impatiemment attendu, les colis. Il voit des prisonniers et des blessés. Le danger vient seulement, pour lui, des obus.

Pratiquement pas de remarques personnelles en dehors de la question du courrier de ses proches. Au tournant de 1914 et 1915, il note : « L’année finit par une engueulade avec notre lieutenant » et « Bonne année et bonne santé à ma Lili et à mon Billy, à tous. Vivement que l’on retourne en Côte d’Or. »

Un éclairage indirect sur ses préoccupations est fourni par les coupures de journaux et ce qu’il a recopié sur le carnet. On a ainsi des textes hagiographiques sur Joffre, l’excellence du Service de santé, les exploits d’un aviateur belge et ceux d’un fantassin français, laissant supposer une fin victorieuse du conflit. De même la transcription d’une prophétie de 1600 sur l’Antéchrist (Guillaume II) et sa défaite finale occupe plus de dix pages, soit 10 % du carnet. Les coupures de journaux, sans précision de source, ont pour titres : « Combien de temps durera la guerre ? » et « La Victoire est peut-être très proche ».

4. Autres documents

– Site Mémoire des Hommes pour la fiche de décès de Louis Marceau.

– Une double page du carnet de Louis Marceau est reproduite dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 322.

Rémy Cazals

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Chalmette, Léon (1886-1961)

1. Le témoin

Il a lui-même écrit au dos de la couverture de son carnet : « Né le 15 novembre 1886, commune du Sappey, canton de Grenoble Est, département de l’Isère. » En lisant le texte, on comprend que Léon Chalmette est cultivateur : en août 1917, en permission chez lui, il fait les foins. Fin 1917, il évoque sa fiancée Léa ; il l’épouse le 30 novembre 1918. Léon Chalmette est décédé à Lumbin (Isère) le 14 décembre 1961.

2. Le témoignage

Il s’agit d’un carnet format 10×15 trouvé par hasard, mais qui fournit quelques éléments pour en établir le contexte. Les précisions suivantes sont données au tout début : « Carnet de notes appartenant à Chalmette Léon, caporal 174e RI, 2e Compagnie, 15e escouade. » Le carnet compte 58 pages écrites. Il débute le 24 décembre 1916 et se termine le 27 mars 1919. Il y avait vraisemblablement des notes sur la période 1914-1916, mais je ne les ai pas. Nous y apprenons que Chalmette s’est trouvé à Baudricourt (Vosges) en 1916, sans autre précision. Lorsqu’il décrit une attaque à la baïonnette, le 4 mai 1917, il dit qu’il s’agit pour lui de la première fois.

Les 33 premières pages sont d’une écriture régulière avec la même encre. Elles paraissent avoir été écrites à l’hôpital en janvier ou février 1918 en reprenant des notes journalières portées sur un autre support. A partir de la sortie de l’hôpital, de fréquents changements d’encre laissent penser qu’il a poursuivi l’écriture, sinon au jour le jour, au moins en suivant la chronologie. Très lisible, bonne orthographe.

3. Analyse

Du 24 décembre 1916 (retour de permission) au 26 avril 1917, il n’est question que de repos, stage, marches et cantonnements. Le 26 avril, le régiment prend les lignes après avoir traversé les villages d’Hermonville et Cauroy, « celui-ci démoli complètement ». Quelques jours sous les obus, puis :

« Le 3, la journée se passe en bombardement, surtout de notre côté, car paraît-il que nous devons attaquer le lendemain. Le 4 mai en effet, vers les 3 h du matin, notre artillerie redouble de violence, et à 6 h 45 on saute sur le parapet, baïonnette au canon, moment tragique pour moi que c’est la première fois que je vois ça, c’est beau et c’est terrible. Un feu de barrage d’enfer nous coupe la route et cependant nous avançons toujours. Le terrain devant nous, on ne le voit presque pas, un brouillard de poussière soulevée par les obus, ainsi que la fumée produite par les éclatements d’obus, tel qu’en plein jour on y voit pas à dix mètres devant soi. Plus loin sur notre route, une mitrailleuse nous crache des balles ; on se planque dans un trou d’obus ; enfin l’on repart et l’on arrive sans trop de mal à la tranchée boche conquise (tranchée Lambert, secteur du Godat). Comment ai-je pu passer à travers de tout ça, un vrai ouragan de fer, quoi, je me le demande encore. Enfin il est 6 h du soir et encore point de mal, mais une soif qui me dévore. On a tout bu le jus des Fritz. »

L’affaire n’est pas terminée. Il faut résister aux bombardements et à deux contre-attaques avant la relève.

« Le 11 mai, l’on vient de me dire que nous remontons en première ligne ce soir. Quelle barbe ! Ce qui me console, c’est que j’espère bientôt partir en perm… Ce soir, j’ai le numéro 2 à la compagnie. Vivement 5 heures que je le sache.

12 mai. Agitation au régiment. Le 3e bataillon rouspète de remonter en ligne, et cependant il faut aller relever le 409e. Nous autres, le 1er bataillon, nous ne montons que demain. Pour moi, je m’en fous car je suis pour partir en perm. »

Après le retour de permission, déplacements, repos, puis remontée en ligne près de Reims :

« 17 juillet. Partons de Tinqueux à 21 h pour monter en ligne où nous arrivons à minuit. Nous relevons la Cie du 170e qui tient l’emplacement de la voie ferrée au secteur du Cavalier de Courcy. Triste secteur : les tranchées comblées en partie, presque pas de réseaux, et l’on est à quinze mètres des Boches. La première nuit, tout se passe bien, et le lendemain grande stupéfaction parmi nous : les Fritz se montrent et nous disent amicalement bonjour.

18 juillet. Dans le tantôt, un des leurs se rend volontairement. Il s’amène avec un bouteillon, ayant dit à ses copains qu’il allait chercher de l’eau, mais ils l’attendent encore car nous l’avons gardé. Nous lui avons donné à manger car le pauvre bougre, à ce qu’il nous a dit, depuis la veille n’a mangé qu’un petit bout de pain. Il nous dit aussi que chez eux ils n’ont plus de patates et n’ont de la viande que trois fois par semaine. Les jours suivants, tout se passe bien. Les Boches nous envoient des paquets de cigarettes et demandent du pain et du chocolat en place. Nous pouvons travailler à remettre le secteur en état à l’aise car eux font pareil, et soit d’un côté comme de l’autre personne ne tire jusqu’au 24, jour de la relève. »

Rémy Cazals, juillet 2008

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Bringuier, Pierre (1884-1970)

1. Le témoin

Né à Yssingeaux (Haute-Loire), le 24 août 1884 dans une famille aisée. Après des études de Droit, il devient greffier de justice. Le 22 juillet 1914, il épouse Elisabeth Jassoud, fille de médecin. Le voyage de noces en Suisse est interrompu par la mobilisation. Pierre part avec le 358e RI. Après la guerre, le couple aura six enfants. Domiciles successifs à Bourg-de-Péage et Romans où Pierre Bringuier meurt en 1970.

2. Le témoignage

La correspondance de Pierre et Elisabeth compte 1500 lettres, celles que recevait le soldat étant renvoyées, à la fois pour ne pas alourdir le sac, et pour être conservées. Des extraits concernant uniquement la première année de guerre sont publiés dans Je suis mouton comme les autres. Lettres, carnets et mémoires de poilus drômois et de leurs familles, présentés par Jean-Pierre Bernard et al., Valence, Editions Peuple Libre et Notre Temps, 2002, p. 365-379. Une édition complète, quel qu’en soit le support, serait sans doute souhaitable.

3. Analyse

– Dès le 17 août 1914, victime du bourrage de crâne qui annonce des victoires, Pierre Bringuier exprime l’espoir de la fin de la guerre et des retrouvailles avec son épouse. Le 22 septembre, l’espoir n’a pas disparu, mais la tonalité est différente : « Il me semble difficile que les nations engagées puissent prolonger plus longtemps l’effort formidable qu’elles fournissent actuellement. » Et le 15 avril 1915 : « Je vis avec la confiance absolue que nous aurons la paix à la fin de l’été ou au moins au commencement de l’automne ; la perspective d’une seconde campagne d’hiver, comme tu dis, serait trop épouvantable. Vivre encore une année de cette vie, oh mon Dieu ! » A son jeune beau-frère qui exprime le désir de voir un champ de bataille, il répond qu’il lui souhaite de n’en voir jamais autrement que sur les photos des périodiques (4 novembre).

– Comme la plupart des hommes des tranchées, il déteste les embusqués qui, loin du front, « avec des attributs militaires plus ou moins bizarres et des fonctions plus ou moins précises, passent le temps assez joyeusement » (12 décembre). Il dit son agacement de voir des « touristes » venir visiter les cantonnements de repos (22 mai). Le contraste entre la vie dans les tranchées et à l’arrière est trop fort pour être supporté par ceux qu’il désigne comme « les pauvres diables du front » (27 mai). Le comble, c’est quand on prétend obliger les soldats à écrire à enveloppe ouverte pour faciliter le contrôle par « le premier butor venu » (8 août) ; certes, la mesure est rapidement annulée mais elle a produit un effet fâcheux, et l’affaire a montré l’incohérence du commandement (12 août). « L’incompétence est actuellement une règle assez générale dans ce qui reste de cadres à notre armée », écrit-il plus tard (23 août) à propos de la direction du travail des téléphonistes.

– Il a, en effet, obtenu de devenir téléphoniste, ayant compris que l’installation des lignes présentait moins de dangers que le combat proprement dit (5 février 1915) : « En fait, les risques à courir me semblent à peu près comparables à ceux que court l’artillerie, c’est-à-dire peu de choses à côté de ceux du fantassin qui fait le coup de feu. »

– Sans vouloir tout rapporter ici, on peut noter quelques autres remarques sur des points particuliers. Une réflexion bien venue sur le lieu commun du pantalon rouge : « Lorsque l’on distingue sa couleur rouge, c’est que l’on a déjà bien aperçu autre chose du bonhomme, et particulièrement sa capote sombre se détachant sur l’horizon » (22 novembre 1914). La description de la messe de Pâques devant « quelques centaines de soldats boueux et hirsutes » (5 avril 1915). La petite joie de recevoir, dans un colis, de la nourriture du « pays », une « pogne » de Romans. Et toujours le besoin d’écrire à sa femme et de recevoir ses lettres.

Rémy Cazals, juillet 2008

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Laporte, Henri (1895-1982)

1. Le témoin.

Henri Laporte est né à Étréaupont (Aisne) en 1895. Reçu au concours d’entrée des Arts et métiers, il intègre finalement avant guerre l’administration des chemins de fer. Témoins de la retraite en août 1914 alors qu’il habite avec sa famille à Hirson (Aisne, à quelques kilomètres de la frontière belge), il reçoit son ordre d’appel à Montreuil sous bois où il est réfugié avec sa mère et ses deux sœurs le 27 novembre 1914. Après plusieurs mois d’instructions au dépôt du 151e RI à Quimper (stationné en temps de paix à Verdun), Henri Laporte part volontaire pour le front le 10 avril 1915. Deux fois évacué, une première fois en 1915, puis en 1916 après une blessure par obus, il termine la guerre au dépôt à l’arrière, inapte au service armé.

2. Le témoignage

Publié en 1998 (Laporte Henri, Journal d’un poilu, Paris, Mille et Une Nuits, 135 p.), l’ouvrage ne reprend que des extraits du journal de guerre d’Henri Laporte dont on peut consulter les originaux auprès de l’Association pour l’autobiographie (APA, 015000 Ambérieu-en-Bugey). Du point de vue de la forme du témoignage, à plusieurs reprises, l’auteur évoque ses « souvenirs » mais qu’il appuie dans une première partie sur un carnet de route tenu pendant le conflit (jusqu’au chapitre VIII, p. 92). La deuxième partie n’est écrite qu’à partie « de souvenirs lointains, basés sur quelques notes prises au hasard, sans beaucoup de détails » (p. 92). L’auteur semble avoir arrêté son carnet après son passage, difficile, dans la fournaise de Verdun. L’ensemble du récit couvre une période s’étalant de la fin août 1914 à janvier 1919 au moment de la démobilisation de l’auteur. Henri Laporte décrit dans son récit avec minutie à la fois la variété des combats auxquels il a participé, et la découverte du feu de l’artillerie qui anéantit les hommes sans que ceux-ci ne puissent en maîtriser la puissance. D’abord en Argonne, il découvre le front dans le secteur de La Harazée, précisément dans le ravin de Blanloeil. Il participe alors à plusieurs combats très meurtriers dans une partie du front alors active (voir attaque allemande et résistance du 1er juillet 1915 décrites avec beaucoup de détails, p. 56-58). En juillet 1915, il est une première fois évacué du front pour une fièvre typhoïde et après plusieurs séjours dans les hôpitaux de la zone des armées et de l’arrière (Tarascon), il reprend le chemin du dépôt en septembre. Comme Henri Despeyrières (caporal fourrier), Laporte devient très rapidement agent de liaison dans la compagnie de mitrailleuse de son régiment. Après un séjour « monotone », marqué par le froid et l’humidité en Champagne, entre Suippes et Tahure fin 1915, le régiment d’Henri Laporte se porte par une marche forcée de trois jours sur le front de Verdun dès le 25 février 1916. Les pages consacrées à cette période couvrent une partie importante du témoignage publié, dans lesquelles s’étalent l’horreur des combats, entre la fureur du bruit et la puissance des obus, et le « massacre » des hommes tirés à vue par les mitrailleuses. Mis au repos plus au sud toujours en Lorraine, le combattant Laporte est gravement blessé dans la Somme. Evacué sur l’arrière, il se voit définitivement classé « inapte aux armées » à Quimper en août 1917. La guerre pour lui se terminera entre dessin et formation musicale dispensée aux blessés et aux jeunes recrues avant leur départ au front.

3. Analyse.

Le récit d’Henri Laporte permet en premier lieu de suivre l’intégration progressive de la jeune recrue dans son uniforme de soldat, puis dans la guerre elle-même. D’« amateur », le civil, encore vêtu du costume de ville au dépôt, devient après le « baptême du feu », un vrai « poilu ». Ainsi, la guerre se découvre peu à peu, de l’arrivée dans la zone des armées à celle en première ligne. Très vite, elle impose une réalité qui ne correspondait pas à ce qu’en attendait le jeune homme. Devant le spectacle des corps mutilés de ses camarades, Henri écrit après quelques jours dans les tranchées, « quelle horreur, la guerre » (p. 45). Les lettres reçues de sa mère l’aide sans aucun doute à tenir, tout comme la participation aux cérémonies religieuses lorsqu’il le peut (p. 42). Si l’on retrouve certains thèmes connus (duels d’artillerie qui ravagent les unités, conditions de vie des fantassins au front, mouvements de troupes), ce témoignage met en lumière la grande variété des secteurs rencontrés (secteur où parfois une entente tacite permet de limiter la violence – p.95) et le cycle irrégulier de violence/repos. L’auteur regrette ainsi l’Argonne (pourtant secteur actif mais où la guerre vécue correspond à la représentation de l’auteur) lorsque son régiment se porte en Champagne où l’artillerie écrase les hommes. Verdun reste la grande épreuve, tant du point de vue de la violence subie, que de celle mise en œuvre contre un ennemi qui n’est dans son récit jamais rabaissé.

Henri Laporte évoque avec force le rapprochement entre les hommes provoqué par la guerre : certains camarades deviennent des compagnons, parfois des amis avec lesquels la complicité partagée permet d’atténuer la pesanteur de la vie militaire et guerrière. Parti seulement soldat, Laporte devient combattant, puis « poilu », le bleu s’efface pour devenir vis-à-vis des autres « l’ancien », alors que peu de camarades partis avec lui ont survécu. Riche de plusieurs mois dans les tranchées, il est porteur d’une expérience partagée ensuite avec les nouveaux arrivants. Cette camaraderie de tranchée s’étend au-delà du champ de bataille, puisque Henri trouve lors de sa convalescence une place dans une entreprise parisienne grâce à l’un de ses camarades de combat.

Ainsi, sans être forcément d’une grande originalité, ce témoignage offre néanmoins quelques informations supplémentaires pour la compréhension de l’impact de la guerre sur les hommes qui la firent.

Alexandre Lafon, juillet 2008.

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Lacombe de La Tour, Bon (1889-1940)

1) Le témoin

Né le 19 novembre 1889 à Paris (18e arrondissement). Père : Alphonse Eugène Elie Lacombe de la Tour, militaire de carrière ; chef d’escadron de hussards puis commandant de l’Ecole de Guerre puis commandement d’une division de cavalerie pendant la Grande Guerre. Gouverneur militaire de la province de Luxembourg après la guerre. Mère : Marie-Madeleine Martelet.

Différentes affectations dues à son statut de militaire de carrière. 21 septembre 1910, 2e classe au 21e Régiment de Chasseurs à cheval. Brigadier puis maréchal des logis en 1911. Entre à Saint-Cyr le 12 décembre 1911. Sous-lieutenant le 10 juillet 1913. Affecté au 3e Chasseur à cheval. A la déclaration de guerre, appartient au 4e Chasseur à cheval. Nommé lieutenant le 1er octobre 1914.

Appartient au 10e BCP durant la guerre. Le corps franc est constitué d’éléments hétérogènes provenant du Centre d’instruction divisionnaire et de différentes unités constituant la 170e D.I. (3e et 10e B.C.P., 17e et 116e R.I.). L’auteur mentionne des « chasseurs », des « cavaliers » et même des territoriaux lorsqu’il est chargé d’occuper et diriger le centre de résistance de la Renière (le front est tenu de façon discontinue grâce à ces multiples C.R. du côté français comme du côté allemand). Pour une opération particulière, le corps franc peut être renforcé par des pelotons d’élite d’autres unités (voir, par exemple, p 20) ou des unités ayant des compétences particulières (sapeurs du Génie pour destruction des réseaux, p 21).

Nommé capitaine le 26 juillet 1918.Marié le 17 décembre 1934 à Cécile Ker-Saint-Gilly. Campagne en Syrie et au Levant. Affecté au 1er Régiment de Spahi Marocain puis au 21e Spahi en 1921. En 1932, est nommé chef d’escadron au 6e Régiment de Spahis algériens. Rentre en France en 1939, prend le commandement d’un groupe de légionnaires volontaires du 1er Régiment Etranger de Cavalerie. Mortellement frappé au combat le 9 juin 1940 dans le bois de Noroy (Oise).

2) Le témoignage

La Vosgienne 1917-1918. Une compagnie franche dans la Grande Guerre. Souvenirs du lieutenant-colonel Bon De la Tour, Société philomatique vosgienne (collection « Temps de Guerre »), 2000, 104 p.

Présentation et préface : Jean-Claude Fombaron et Yann Prouillet.

3 cartes, photos, 3 annexes.

3) Analyse

Décembre 1917 – janvier 1918 : patrouilles spatialement très restreintes dans le secteur de la ferme de la Planée (ouest de la forêt communale de Celles-sur-Plaine) puis, dans un premier temps, prudentes patrouilles aux lisières du « bois Neutre ». Occupe et dirige parallèlement le centre de résistance dit de la Renière (avec P.C « au château d’eau »). L’exploration du bois Neutre est faite lors d’ « une vaste opération » sans aller jusqu’au lignes allemandes.Cantonne au village de Nompatelize (lieu qu’il connaît déjà pour y avoir combattu en 1914).

Février 1918 : patrouilles dans le secteur de Launois et du Ban-de-Sapt.

Mars 1918 : à partir du 1er, préparation d’un coup de main d’envergure dans le secteur de Saint-Jean-d’Ormont. Répétitions et entraînements dans le secteur de Nompatelize. L’opération prévue pour la nuit du 8 au 9 est finalement déclenchée puis annulée face aux difficultés techniques. L’auteur part vers le Moulin de Frabois pour continuer la préparation du coup de main qui a échoué. Le projet de coup de main est reprogrammé pour la nuit du 12 au 13. Les choses ne se passent pas comme à l’entraînement et on ne parvient pas à mettre en place les charges allongées avant le déclenchement des tirs de l’artillerie.

21 au 31 mars : région de la Faite, cote 604, pour la préparation d’un autre coup de main visant à faire des prisonniers. L’opération qui échoue dans la nuit du 31 au 1er est remontée la nuit suivante et réussit.

Avril 1918 : du 7 au 15 avril, préparation d’un coup de main sur le bois de Laitre (Ban-de-Sapt). L’opération initialement prévue pour la nuit du 15 au 16 est abandonnée du fait d’un orage. L’opération est accomplie le 15, de jour, à la faveur d’un brouillard. Entre temps, Bon de La Tour a modifié ses plans et obtenu l’aval du général Rondeau.

Nuit du 15 au 16 : constatant que l’unité allemande qui est face à lui n’a pas encore opéré de patrouille, il préfère tendre une embuscade à cette éventuelle patrouille (secteur Saint Jean d’Ormont – Vercoste). Une patrouille allemande sort de la tranchée de la Sane par le point 53-36 mais échappe à l’embuscade française qui n’a pas su respecter les plans initiaux. Le coup de main est reprogrammé pour le 17 au soir dans le même secteur, avec soutien d’artillerie. Il réussit et permet de ramener 3 prisonniers.

19 avril : La Vosgienne doit épauler un autre corps franc sur le secteur de la Chapelotte mais la 170e D.I. est avisée qu’elle doit changer de secteur. L’opération est annulée.

Mai 1918 : déplacement de la 170e D.I. dans la région d’Epinal puis transport jusque dans la région de Senlis (Fleurines). Le corps franc est entraîné comme troupe de choc en vue d’une offensive ou contre offensive.

Septembre 1918 : mention de la dissolution de « la Vosgienne ».

Les souvenirs du lieutenant colonel Bon de La Tour constituent un témoignage d’une belle tenue et d’une grande précision chronologique pour appréhender le fonctionnement d’une compagnie franche dans les Vosges en 1917-18. Le premier mérite de ce témoignage est sans doute de montrer combien il est délicat et complexe de monter un coup de main afin de ramener des prisonniers. Pénétrer dans les lignes adverses défendues par des réseaux atteignant par endroit plusieurs dizaines de mètres d’épaisseur et gardés par des petits postes n’est pas chose simple. Parvenir à capturer des prisonniers qui ont reçu l’ordre de se replier en cas d’attaque, dans des lignes très faiblement occupées l’est encore moins. Les objectifs des premières patrouilles sont donc modestes mais permettent à la troupe et à son commandement de s’aguerrir. Pour un type d’opération plus ambitieuse, une préparation minutieuse s’impose. Les membres du corps franc passent bien plus de temps à observer les habitudes de l’ennemi, préparer et répéter l’opération qu’à l’accomplir. Ils se construisent patiemment un savoir-faire technique : analyse du renseignement pris au contact de l’ennemi, neutralisation des réseaux et coordination de l’action avec l’artillerie.

Le second mérite de ce témoignage est de montrer que l’échec est un paramètre incontournable de ce genre d’entreprise : l’action respecte rarement les scénarios répétés au cours des entraînements. L’imprévu fait partie intégrante de l’opération et menace sans cesse ses chances de réussite. Les échecs sont au cœur de ce témoignage. C’est l’analyse de leurs causes qui permet d’améliorer la préparation de l’opération suivante.Loin des clichés littéraires (Capitaine Conan de Vercel), Bon de la Tour montre aussi que les corps francs ne sont pas exclusivement constitués de soldats d’élite et que les défaillances de certains soldats ne sont pas si exceptionnelles que cela. La compagnie franche ne s’aguerrit qu’avec le temps et chaque échec permet d’en éliminer les maillons les plus faibles. Et même lorsque le corps franc ne sera plus constitué que d’éléments triés, notre témoin montre qu’il tolère chez ses hommes une défaillance ponctuelle. Tolérance d’autant plus naturelle que l’auteur de ces souvenirs sait également objectivement mesurer les siennes (cf. p 62).

Soulignons enfin combien l’existence de ces compagnies atypiques est précaire : leur longévité au sein d’une division est souvent liée à leur capacité à réussir les difficiles missions qui leur sont confiées.

J.F. Jagielski, juin 2008

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Muzart, Georges (1869-1961)

1. Le témoin

Né le 11 mars 1869 à Fismes (Marne). Géomètre-expert de formation (fonction qu’il remplira jusqu’en 1927). Service militaire au 3e Génie d’Arras. S’installe à Soissons en 1898. Elu conseiller municipal de cette ville en avril 1912. Mobilisé du 2 au 31 août 1914 comme G.V.C. puis de décembre 1916 à février 1917 (rappel de la classe 1889). Maire de Soissons en 1915 par délégation préfectorale jusque fin 1916. Conseiller d’arrondissement à partir de 1919 (radical-socialiste). Reçoit la Légion d’Honneur pour son comportement durant la Grande Guerre (décret publié au J.O. du 10 janvier 1921). Premier adjoint au maire en 1925. Occupe différentes fonctions durant l’entre deux guerres : président de la chambre des géomètres experts de l’Aisne, président du syndicat agricole de petite et moyenne culture, président de la société coopérative de reconstruction. Suite au décès du maire de Soissons, Fernand Marquigny, prend la succession de celui-ci en 1942. Se retire de la vie publique après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Décédé le 1er août 1961.

2. Le témoignage

La première version publiée de ce témoignage l’a été dans le journal La Dépêche de l’Aisne.

La première version éditée de ce témoignage s’intitule Soissons pendant la guerre, Editions Soissonnais 14-18, 1998, 261 p., ISBN 2-9508870-2-3 (préface de Denis Rolland et Jean-Luc Pamart, illustrations photographiques). Cette édition comprend deux annexes qui ne font pas partie du témoignage de Muzart : « Visite de Georges Clemenceau en 1919 » (p 241-249) et « Visite de Raymond Poincaré, le 12 février 1920 et remise de la Croix de la Légion d’Honneur à la ville » (pp 249-260). L’édition de 1998 ne respecte pas la version présentée dans la presse : elle ne traite que de la période allant de 1914 à 1925 alors que le manuscrit (conservé par la famille) couvre la période allant jusqu’en 1944 ; un redécoupage en chapitres a été établi, découpage que nous reprenons dans l’analyse de ce témoignage. Les préfaciers indiquent la suppression de « rares passages » tout en précisant que « la forme, malgré certaines lourdeurs, n’a pas été modifiée. » (voir préface p 5)

Notons enfin que ce témoignage cite régulièrement le contenu de certains documents officiels (affiches, délibérations, comptes-rendus de conseil municipaux, etc…) et rapporte le contenu d’autres témoignages de civils et militaires (oraux ou écrits) qui ont été confiés sans doute tardivement à l’auteur (pp 55-56, 78-80, 109-118 par exemple). Il se veut également un témoignage visant « à rétablir la vérité historique » (p 122), notamment lorsque les propos du témoin ou des témoins cités contredisent les versions officielles défendues par les militaires (affaire de Crouy).

3. Analyse

L’intérêt de ce témoignage de semi-civil (quittant assez rapidement son affectation de G.V.C) repose sur deux aspects qui nous paraissent essentiels : la durée sur laquelle porte ce témoignage (des prémices de la guerre jusqu’en 1919) et la place qu’occupe ce témoin dans une ville de province où la quasi totalité des édiles abandonnent la ville face à la menace ennemie ou aux conditions de vie extrêmement délicates puisque Soissons, jusqu’en 1917, est une ville qui se trouve en première ligne.

Prémices et occupation allemande (p 6-57)

La relation de la période qui précède l’occupation de la ville par les Allemands est particulièrement riche. On y voit l’entrée en guerre d’une petite ville de province qui se trouve sur la route de Paris. La description de cette période abonde en notations relatant la mobilisation et le départ de la garnison locale (67e R.I.), les premières mesures prises par les autorités municipales face à la menace de guerre (comité de secours), l’attitude des Soissonnais en cette période de tension (brèves manifestations patriotiques et ambiance d’union sacrée, montée de l’angoisse face à l’absence de nouvelles et à l’afflux de réfugiés colportant les premières rumeurs d’atrocités allemandes, rapide apparition de l’espionnite) et la première prise de contact avec les réalités de la guerre (trains de blessés, mise en place d’ambulances, mobilisation des services hospitaliers, premières inhumations).

Avec l’arrivée des Allemands, le témoignage se précise encore : abandon de la ville par les troupes franco-anglaises, disparition des édiles locales à de rares exceptions près, peur et violence des troupes allemandes envers les civils (boucliers humains, pillages, viols, menaces de brûler la ville, exécutions sommaires, prise d’otages). Muzart fait alors partie des rares élus qui sont demeurés en ville et qui décident, par la force des choses, de devenir les interlocuteurs de l’armée d’occupation. Les Allemands se servent (vins, vivres) ou ont recours aux réquisitions que l’auteur doit essayer de satisfaire au mieux sans toutefois aller trop loin et devenir ainsi complice de l’ennemi. La position est délicate et ce, d’autant plus, qu’il faut remettre en état de fonctionnement les commerces ou les industries de première nécessité (boulangeries, moulins) pour nourrir la population civile qui est restée dans la ville ainsi que les réfugiés (populations venant de Belgique et du Nord, Verdunois). Bénéficiant d’un laisser-passer lui permettant d’aller réquisitionner la campagne, Muzart décrit également les violences que subissent les fermes aux alentours de Soissons.

L’apparition de convois allemands se dirigeant vers le nord, bientôt suivis de soldats, laisse entendre aux habitant de la ville que la situation évolue. Le reflux des troupes allemandes s’accompagne d’un renforcement des pillages. Les nouvelles réquisitions ne pouvant être satisfaites, l’autorité allemande se raidit et menace d’emmener le témoin pour en faire un prisonnier. Ce dernier est alors contraint à la fuite.

Après la Marne (pp 59-108)

Les Français entrent dans la ville le 13 septembre. Les Allemands font sauter l’ensemble des ponts qui permettent le franchissement de l’Aisne. Un groupe de sapeurs allemands, victime d’une panne de camion, est fusillé sommairement. Ces destructions bloquent l’avance des poursuivants et les contraignent à construire des ponts provisoires au moment où les Allemands s’installent sur les hauteurs septentrionales qui dominent la ville. Soissons connaît alors une première vague de bombardements intenses, obligeant les populations civiles à s’installer durablement dans les caves des habitations. La position des troupes françaises demeure inconfortable. Dominées par un ennemi qui a décidé de s’installer durablement en creusant les premières tranchées, éprouvées par les récents combats de la Marne, elles ne parviennent pas à déloger les Allemands des hauteurs de Pasly et Cuffies. L’état-major de la 45e D.I. (général Arrivez) s’installe à l’hôtel de ville qui est copieusement arrosé d’obus. C’est à cette époque que se répandent les premières et tenaces rumeurs d’espionnite comportées tant par les civils que par les militaires. L’une d’entre elles prétend que le maire de Soissons, Becker, aurait été fusillé pour avoir, avant la guerre, préparé l’installation de l’artillerie ennemie dans les carrières de Pasly. En fait, depuis l’arrivée des Allemands, le maire de Soissons a quitté la ville et c’est sans doute cet « abandon » qui est à l’origine de la « légende infâme ».

Avec l’installation des états-majors apparaissent rapidement des tensions entre le pouvoir civil et militaire. Les militaires, qui ont tendance à voir des espions partout, se méfient des civils. Muzart intervient auprès de Maunoury (commandant la VIe armée) pour sauver du peloton d’exécution deux de ses concitoyens accusés à tort d’espionnage.

Il prend à nouveau en charge la délicate question du ravitaillement des civils et des militaires dans la ville en réorganisant le « Fourreau économique ». Cette question est d’autant plus sensible que la ville ne possède plus les fonds qui ont été emmenés par le receveur municipal au moment de l’avance des Allemands. Ne sont restés à Soissons que « les habitants qui n’avaient pas les ressources suffisantes pour entreprendre un voyage vers un but incertain. » Ces habitants pauvres – femmes, vieillards et enfants – ne peuvent subvenir à leurs besoins que par leur travail. Or toutes les activités économiques ont été arrêtées. Un ravitaillement public est organisé. Le prix des denrées de première nécessité est contrôlé afin d’éviter toute spéculation. Les services municipaux sont en cours de réorganisation. Ils assurent l’évacuation des cadavres de chevaux ainsi que le déblaiement des maisons incendiées ou bombardées. Le manque de ravitaillement et d’argent oblige les plus nécessiteux à s’engager dans ces travaux de première urgence. Du travail contre des denrées, tel est le système adopté, faute d’argent…

La ville de Soissons reçoit la première visite du préfet de l’Aisne. A cette occasion Muzart est nommé maire de la ville et le préfet lui demande de révoquer les fonctionnaires municipaux qui ont déserté leur poste, ce que refuse l’intéressé. Muzart apprend qu’un comité de solidarité en faveur de la ville – il s’agit du Comité central des Réfugiés de l’Aisne – est en train de se constituer à Paris. Quelques jours plus tard, Muzart reçoit la visite du président de ce comité, Gabriel Hanotaux. Peu de temps après cette visite arrivent les premiers colis de vêtements et de vivres de ce comité dont la distribution est réservée aux plus nécessiteux. Un comité de secours est constitué dans la ville pour assurer équitablement la distribution de ces dons. L’évêque de Soissons, Mgr Péchenard, en prend la direction.

Le sous-préfet Andrieux qui avait évacué ses services sur Oulchy-le-Château, se réinstalle à Soissons. Les services postaux sont également réorganisés. En cette période de réaménagement des services de l’Etat, le nouveau maire est amené à prendre une série d’arrêtés visant à organiser la vie des Soissonnais dans une ville à proximité immédiate du front. L’installation d’un nouveau général à l’Hôtel de Ville, détend les relations entre les autorités militaires et civiles. L’arrivée dans l’état-major du général Legay du député du Nord Cochin permet de mettre à l’abri les objets de valeur du musée ou de la cathédrale ainsi que l’évacuation des manuscrits de la bibliothèque vers la B.N. Une passerelle et un pont de bateaux sont jetés sur l’Aisne par les Anglais, permettant ainsi de relier le quartier Saint-Waast au reste de la ville.

De nouvelles rumeurs s’installent dans la ville. L’une d’elles prétend que les carrières qui dominent la ville auraient été repérées par l’armée allemande bien avant la guerre pour leur servir de base de repli. Muzart dément clairement ces allégations pourtant reprises dans les mémoires de Mgr Péchenard qui se contente alors de paraphraser les allégations de Léon Daudet.

Les civils constatent l’inefficacité des attaques partielles pour reconquérir les crêtes ou des tentatives de destruction des réseaux allemands par le Génie à l’aide de cisailles. L’inexpérience et l’entêtement du commandement sont criants…

Le retour du secrétaire général de la mairie à la fin septembre provoque un mini scandale parmi le personnel municipal resté en poste. Muzart l’écarte définitivement. L’autorité militaire évacue sans ménagement la population civile du quartier de Vauxrot qui se trouve en première ligne et qui doit servir à l’installation d’une tête de pont au nord de l’Aisne (préparation de « l’affaire de Crouy »). Des renforts coloniaux arrivent pour cette opération. Les enfants de moins de 14 ans et les vieillards doivent évacuer la ville.

L’ « affaire de Crouy » (pp 109-123)

Muzart relate les événements de la bataille de Crouy en s’appuyant sur le témoignage du commandant Schneider du 231e R.I. « qui séjourna avec son régiment à Soissons du 13 septembre au 1er mai 1915. » Cette relation souligne combien le manque de préparation pour cette attaque était criant : cartographie du secteur d’attaque plus qu’approximative, encombrement extrême des boyaux avant même que l’attaque n’ait démarré, mauvais positionnement des troupes d’assaut par rapport aux plans établis, impréparation des postes de commandement, dotation en matériels de guerre nettement insuffisante, liaisons entre les unités d’assaut quasi inexistante… Comme pour la plupart des offensives françaises de la Grande Guerre, l’effet de surprise est nul : avant même le déclenchement de l’offensive, les Allemands bombardent copieusement les pentes et amènent immédiatement des renforts. Chez les assaillants, dans l’obscurité de la nuit du 8 au 9 janvier, souffle un vent de panique qui augure mal pour la suite car les pertes sont déjà sévères. Ne pouvant avancer, les Français peuvent tout au plus conserver les tranchées qui ont été conquises au début de l’offensive par les troupes marocaines. La situation empire encore lorsque les Allemands contre-attaquent et atteignent la saillant de Saint-Paul aux abords de la ville. Seule l’intervention très tardive de la 14e D.I. parvient à contrecarrer l’attaque allemande et empêche que la situation ne tourne à une véritable débâcle française. Le témoignage du commandant Schneider souligne enfin que l’échec de cette offensive est dû plus à la mésentente entre deux divisionnaires qu’aux conséquences de la crue de l’Aisne qui furent présentées à l’époque comme la raison principale de ce revers.

Le 14 janvier, Muzart rencontre Maunoury et lui demande un ordre écrit lui intimant de faire évacuer Soissons. La réponse orale du commandant de la VIe armée va dans ce sens. Toutefois Maunoury fait parvenir à Muzart un courrier contredisant ses propos et lui conseillant uniquement « de faire pression » sur les Soissonnais pour évacuer définitivement la ville. Comme le souligne à juste titre l’auteur, « en insérant au communiqué que la ville de Soissons avait été évacuée, n’allait-on pas affoler l’opinion publique ? » L’autorité militaire – en pleine bataille – ne peut (et ne veut…) accorder son concours à l’évacuation massive des civils et ne sont finalement évacués que les vieillards et les infirmes. Il faut attendre l’arrivée de la 63e D.I. pour que l’organisation d’un réel système défensif aux abords de la ville soit mis en place.

La guerre au quotidien (pp 125-156)

Les efforts de l’artillerie allemande se concentrent sur l’usine élévatoire de Villeneuve-Saint- Germain afin de priver la ville en eau courante. L’usine, placée sur une éminence, est protégée par une enceinte bétonnée. Une seconde captation d’eau est organisée. L’hôtel de ville, repéré par les Allemands, est en partie abandonné. Les archives municipales sont déplacées à Hartennes. Seule une permanence est maintenue dans les locaux de la mairie. Malgré la remise en état du moulin de Chevreux, l’approvisionnement en blé et farine demeure problématique. Il en est de même pour la viande. Les épiceries sont rares mais parviennent à satisfaire le ravitaillement. Les Soissonnaises sont mises à contribution pour la fabrication de masques à gaz voués aux civils. Des abris contre bombardement sont réalisés, notamment dans les caves d’une banque et celles de l’hôtel de ville. Les services hospitaliers sont réorganisés. C’est un médecin militaire qui assure l’essentiel des consultations.

La qualité des relations entre autorités militaires et civiles dépend fortement des interlocuteurs sollicités. Muzart dénonce les agissements d’un commandant major de la garnison qui, ayant senti que des tensions existaient entre le préfet et le sous-préfet, cherche à « donner libre cours à ses instincts d’autoritarisme » que lui autorise l’état de siège. Ce représentant de l’autorité militaire affirme son pouvoir en jouant avec la délivrance des laisser-passer qui ne sont accordés qu’à ceux qu’il peut soudoyer.

Le charbon fait défaut. Des stocks appartenant à la Compagnie du Nord sont rachetés par la ville et distribués aux habitants sur présentation d’un bon signé du maire. La situation empire lorsque le préfet décide de réquisitionner ces stocks, décision contre laquelle Muzart ne peut agir. Du fait de cette décision autoritaire, les relations entre la ville et l’autorité préfectorale se dégradent également. Muzart intervient cependant avec succès auprès de Franchet d’Esperey pour se débarrasser définitivement du major de garnison.

Certains habitants de Soissons opèrent des déménagements de leurs biens meubles. Muzart encourage cette démarche et parvient même à organiser un service régulier autorisant l’amélioration de la qualité de ces transports. L’autorité militaire consent, de son côté, à évacuer certains stocks précieux laissés à l’abandon, notamment des cuirs. Les convois sont organisés nuitamment pour ne pas éveiller l’attention des artilleurs allemands. Des collections archéologiques du musée et des ouvrages de la bibliothèque sont à nouveau mis à l’abri.

A l’image de Reims, Soissons devient une ville-martyre. Elle est fréquentée par « des visiteurs de marque. » Hommes politiques (Sarraut, Damimier, Klotz), hommes de lettres (Loti, Kipling, Ginisty) et journalistes (Babin de l’Illustration) la parcourent et narrent dans de nombreuses publications le quotidien d’une ville du front. C’est aussi l’époque où Muzart est sollicité pour témoigner en faveur de tel ou tel civil susceptible de recevoir – à tort ou à raison – la croix de guerre qui est accordée à une certains nombres de femmes pour leur réel dévouement (épouse du sous-préfet, directrices d’hôpitaux, etc).

Les tiraillements au sein de l’autorité civile, entre le préfet et le sous-préfet, se poursuivent et entraîne la constitution de « clans » qui s’entredéchirent, tout en favorisant leur clientèle respective… L’autorité du maire est même quelque peu écornée par ces querelles de palais où l’attribution de décorations ou de prix aux civils paraît prépondérante (affaire Macherez pour l’attribution du prix Audiffred décerné par l’Académie des Sciences morales et politiques).

Conseil municipal de guerre (pp 157-184)

La difficulté de réunir dans la ville en état de siège un conseil municipal oblige Muzart à convoquer cette réunion, le 4 novembre 1916, à Paris dans les locaux de la mairie du 10e arrondissement qui accueillait déjà le Comité de l’Aisne. Les mémoires de Muzart reproduisent ici in extenso le procès-verbal de ce conseil municipal transplanté.

L’année 1917 (pp 185-206)

Les querelles au sein de l’autorité civile ne se sont pas éteintes. Loin s’en faut. En novembre 1916, Muzart, qui est entré en conflit ouvert avec le préfet au moment de l’attribution du prix Audiffred à Mme Macherez en lui refusant son soutien, se voit menacé par ce dernier de mettre fin à son sursis d’appel qui lui a été octroyé afin d’exercer les fonctions de maire. Muzart (qui appartient à la classe 89 !) acquiesce à la décision préfectorale et se rend au dépôt du 9e Territorial à Dreux dans lequel il demeure affecté jusqu’en février 1917. Un nouveau maire est nommé par le préfet. Muzart est finalement mis en sursis d’appel comme agriculteur et revient dans le Soissonnais à Arcy-Sainte-Restitue où il dirige une exploitation agricole. Conservant sa qualité de conseiller municipal, il reste en contact avec sa ville (dans laquelle il semble résider assez fréquemment) et se tient parfaitement au courant des événements du quotidien qu’il continue à relater pour la période où il n’occupe plus les fonctions de maire, tout en participant aux différents conseils en tant que conseiller municipal « mobilisé ».

L’anéantissement (pp 207-213)

Suite à l’enfoncement du front sur le Chemin des Dames le 27 mai 1918, Muzart est contraint d’abandonner avec sa famille la ferme d’Arcy-Sainte-Restitue. Les réfugiés si dirigent vers Oulchy-Le-Château puis Fossoy (environs de Château-Thierry). Contraints d’évacuer du fait de la violence des combats, ils quittent l’Aisne pour la région d’Auxerre. Là, Muzart intervient auprès du préfet afin d’améliorer le sort des axonais nouvellement arrivés. Apprenant le recul des armées allemandes sur l’Aisne, il décide de repartir pour Arcy-Sainte-Restitue. La ferme n’a subi que des dégâts mineurs mais les cultures ont souffert des combats. Les champs « sont débarrassés de tout ce qui pouvait gêner le passage de la moissonneuse. » De retour à Soissons, Muzart ne peut que constater les nouveaux et importants dégâts qu’ont provoqués les bombardements aériens.

La vie repend (pp 215-240)

La ville n’est plus qu’un champ de ruines où ne demeurent que certains bâtiments épargnés. Le retour des Soissonnais est pénible : « Leur consternation était navrante à voir, la plupart revenaient du centre ou des côtes, ne pouvaient malgré quelques nouvelles reçues, se faire à la vision qu’ils avaient de nos ruines. »

Le retour de la municipalité permet d’organiser les premiers secours. « Chacun se loge comme il peut dans ce qui reste de maisons, se confectionne un abri avec les débris utiles qu’il peut trouver. » Un hôtel épargné rouvre ses portes. Muzart, dont le domicile a été détruit, réacquière un nouveau domicile à Soissons. En février 1919, Fernand Marquigny, premier adjoint démobilisé, prend les fonctions de maire et préside le premier conseil municipal d’après guerre. Les priorités sont naturellement d’organiser la reconstruction de la ville : intervention des S.T.P.U, construction de baraquements provisoires pour l’accueil des ouvriers de la reconstruction, réouverture des commerces, remise en état des infrastructures essentielles. C’est la période où chaque propriétaire qui a subi des dommages de guerre doit constituer un dossier d’indemnisation qui devra être adressé aux commissions de réparations que l’Etat vient d’instituer.

Fin 1919 sont organisées les élections municipales. Le vote des Soissonnais se porte majoritairement sur les anciens membres de la municipalité et tout particulièrement sur ceux qui eurent des responsabilités durant la guerre. Muzart est facilement réélu (y compris aux élections du conseil d’arrondissement). Sur proposition de Fernand Marquigny, il refuse cependant la charge de maire qu’il estime ne pouvoir remplir convenablement et soutient la candidature de ce dernier.

La reconstruction permet de modifier la ville « en lui donnant de belles et grandes places, de larges avenues, des grandes rues permettant le roulage nouveau en assurant la sécurité et la commodité aux piétons ». Manquant d’argent, l’Etat français incite les villes détruites à contracter des emprunts de démarrage auprès de banques étrangères. En 1921, le Canada est sollicité. Le 14 février de la même année, la ville reçoit la Croix de Guerre, « conséquence directe de la distinction de la Légion d’Honneur qui lui avait été accordée le 12 février 1920. » Soissons s’enrichit « d’un stade de toute beauté permettant aux habitants de se délasser, de se distraire ». Le nouveau maire devient député, la ville est ainsi « représentée à la Chambre des Députés ».

4. Autres informations

Anonyme, Soissons avant et pendant la guerre, Guide illustré Michelin des champs de bataille, 1919, 63 p.

Babin Gustave, « Soissons sous le canon », L’Illustration du 6 mars 1915.

Barbusse Henri, Lettres de Henri Barbusse à sa femme 1914-1917, Flammarion, 1937, 261 p.

Baudelocque, Une œuvre de guerre – 1914-1920 – Le Comité Central des Réfugiés de l’Aisne. Son organisation – Ses ressources – Son action, Imprimerie Risch, s.d., 202 p.

Péchenard P.L. (Mgr), Le Martyr de Soissons. Août 1914-juillet 1918, Gabriel Beauchesnes, 1918, 432 p.

J.F. Jagielski, juin 2008

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Bion, Wilfred (1897- 1979)

1. Le témoin

Né aux Indes, Wilfred Bion est revenu en Angleterre à l’âge de 8 ans pour y suivre sa scolarité. Il s’engage à l’âge de 18 ans au sortir d’une public school (école privée). Durant la Première Guerre mondiale, W. Bion sert dans les chars (5e bataillon de blindés) comme sous-lieutenant, lieutenant puis capitaine et reçoit pour ses actions la Distinguished Service Order ainsi que la Légion d’honneur. Après la guerre, il effectue des études de médecine à Londres. Au début des années trente, il débute sa formation de psychanalyste avec notamment John Rickman et plus tard Mémanie Klein.

Batailles : 3e bataille d’Ypres (31 juillet-novembre 1917) ; offensive allemande du printemps 1918 (avril) ; bataille d’Amiens (août 1918)

2. Le témoignage

L’ouvrage Mémoires de guerre. 26 juin 1917-10 janvier 1919 est une traduction de Wilfred Bion : War Memoirs, 1917-19, London, H. Karnac Books, 1997. L’édition française (Larmor-Plage, Editions du Hublot, 1999) a été dirigée par Francesca Bion, son épouse. Cet ouvrage se compose de plusieurs pièces : d’une part le « journal » qui est en réalité une somme de souvenirs mis en récit en 1919 au Queen’s College à Oxford (p. 209). Le récit débute par cet avertissement : « je ne suis pas absolument sûr de l’exactitude de certaines choses car j’ai perdu mon journal. » (p. 17).

Dans son introduction Francesca Bion précise : « Voici le rapport de Bion sur ses états de service en France dans le Royal Tank Regiment de juin 1917 à janvier 1919. Il le rédigea peu de temps après son arrivée au Queen’s College à Oxford suivant la démobilisation et l’offrit à ses parents, sous la forme de trois cahiers cartonnés et manuscrits, en compensation de n’avoir pas écrit durant la guerre [In place of letters I should have written ! écrit W. Bion] » (p. 13)

L’ouvrage reproduit un certain nombre de croquis et photographies.

Wilfred Bion relut son « journal » cinquante-trois ans plus tard, en 1972, au moment où sa femme décide de transcrire le « journal » afin d’en faciliter la lecture et de prévenir la perte de l’original. Il a alors 75 ans et une solide expérience en tant que psychanalyste. Cette transcription et relecture donna à Bion l’idée de commenter son « journal » ; Francesca publie donc les « commentaires » à la suite du « journal » proprement dit. Cependant, Bion et son épouse avaient également effectué un voyage en France en 1958 et visité les champs de bataille où Bion avait combattu près d’Amiens. Le texte inachevé issu de ce voyage dans le passé est également publié.

Ces témoignages successifs se complètent de manière très attachante et stimulante. Ils ne constituent pas seulement un témoignage de plus sur la guerre, mais aussi un document de première main pour tous les chercheurs travaillant sur le fonctionnement de la mémoire.

3. L’analyse

Stratégie d’évitement : un certain nombre d’officiers « avaient connu bien des combats et qui pour s’y soustraire s’étaient engagés dans les blindés » (p 20).

Chars : description du char Mark IV (p. 25-26) : « Un des grands inconvénients de ce char était que quand on voulait tourner, il fallait s’arrêter pour le faire […]. Cela vous transformait en cible et parfois quand on mettait du temps pour réenclencher la vitesse, c’était extrêmement dangereux » (p. 28) ; le char Mark V Ricardo : plus facile à manoeuvrer ; mais gaz toxiques émanant du moteur qui asphyxient les hommes (p. 123 et 127).

La mauvaise réputation des chars : 7 novembre 1917, retour au camp de Wailly ; « au cours de notre séjour, la 51e division des Highlands vint s’entraîner avec nous. […] Ypres avait détruit leur foi dans les chars et ils n’avaient que mépris pour nous » (p. 50-51).

12 avril 1918 : « L’ennemi avait percé et n’avait pas été refoulé. Le corps des blindés avait été rappelé en renfort, mais cette fois en tant que troupes d’infanterie – pas assez de chars n’étaient prêts et de toute façon le lieu de l’action ne prédisposait pas à leur déploiement […] Notre mission serait de tenir de petits postes isolés et d’y rester même si l’ennemi perçait. » (p. 89) ; « Nous avancions en file qui n’en finissait plus, trébuchant et jurant, quand l’aube commença à poindre. On ne savait pas dans quoi on allait se retrouver et on s’en moquait – de toute façon, « grâce à dieu, nous n’avions pas nos « f…s » chars » » (p. 91)

Août 1918 : « Le corps des blindés avait grand besoin de nouvelles recrues, mais nos pertes au combat faisaient mauvaise impression auprès des troupes. […] Deux batailles surtout y contribuaient en plus de la bataille du 8 août. L’une était le désastre du 10, l’autre la bataille effroyable à laquelle avait participé le 1er bataillon. […] Il n’y eut aucun survivant en dessous de grade de major. Malheureusement tous ces chars détruits étaient visibles de la route. Le manque de main d’œuvre ne permit pas d’enterrer les morts et pendant des jours, ces chars restèrent là où ils avaient été frappés – un spectacle effroyable pour chaque soldat qui empruntait cette route pour monter au front. Le résultat fut que tout le monde était convaincu que les chars étaient des pièges mortels. » (p. 149)

Les devoirs des chefs :

30 juillet 1917, départ pour Hazebrouk ; la troisième bataille d’Ypres et Passchendaele est déclenchée le 31 juillet. Débarqués à 6 km du front, en pleine nuit ; la négligence et l’incompétence des chefs révoltent officiers et soldats (p. 33) ; (p. 51) ; (p. 52)

Avril 1918 : remonter le moral des hommes : « […] Plaisanter bêtement au mess, afficher sa peur, tout ça contribuait à détruire le moral et comme vous allez le voir, le mien était déjà bien bas » (p. 101) ; enrayer une panique par l’exhibition de leurs revolvers (p. 117) ; un officier méprisé : (p. 120).

Esprit de compétition entre unités: p. 33 ; p. 51, idem. Décorations : « La plupart d’entre nous se firent tuer alors qu’ils tentaient de mériter une décoration » (p. 214).

3e bataille d’Ypres :

Préparation de l’assaut sur Zonnebeke, 23-25 septembre 1917 (p. 33-39) : « Dans l’après-midi nos pigeons arrivèrent… » (p. 38-39)

Départ pour la bataille : « A 19 heures 30 on monta dans des camions qui nous amenèrent au canal. La tension diminuait – les hommes étaient très gais et chantaient. La traversée d’Ypres les fit taire cependant. On nous arrêta et il nous fallut mettre nos casques et préparer nos masques à gaz. La désolation s’empara alors de nous et à partir de là, il y en eut très peu qui continuèrent à parler. On s’arrêta au canal car il était dangereux de continuer en camion. […] On nous donna notre ration de rhum par char. Au contraire de l’infanterie, nous ne pouvions la consommer avant le combat, car le rhum avait tendance à endormir les hommes dans la chaleur du char. Au mess, on avait déjà surnommé le rhum le « passeur de canal », car il était supposé donner suffisamment de courage pour franchir le canal d’Ypres. Le nom lui resta. » (p. 39)

Attaque de chars : (p. 40-47) ; l’enlisement dans la boue, sous les obus et la mitraille ; les chars doivent être abandonnés ; deux chars seulement ont atteints leurs objectifs ; un mort, plusieurs blessés ; mais le lendemain, il faut tenter de récupérer les chars enlisés (p. 48)…

Accès de folie : p. 49 ; folie meurtrière : p. 294 ; Shell-shock : p. 76-77 ; perte croissante de sang froid : p. 168 ; p. 236-237 ; p. 245 ; p. 296-297

Doutes et réflexions sur le bien-fondé de la guerre : septembre 1917 : (p. 40) ; août 1918 : (p. 137) ; paix : (p. 203) ; démobilisation (11 janvier 1919): « On débarqua à Folkestone où l’organisation était excellente. On nous donna à tous, officiers et hommes de troupe, des biscuits et une grande tasse de thé. On marcha ensuite jusqu’au camp de Shorncliffe. Je crois que d’une certaine façon nous étions déprimés par le manque d’accueil. Personne ne nous prêta attention, personne ne semblait savoir que nous revenions du front et que nous étions contents de rentrer » (p. 205)

Démoralisation :

Noël 1917, une grande beuverie signe d’une profonde démoralisation ; sentiment d’abandon : « Une équipe d’officiers incompétents en France, et chez nous un pays qui ne se rendait compte de rien – tel semblait être notre soutien. Quant à la religion, sûr qu’elle n’avait rien à voir avec la guerre. » (p. 79-81) ; l‘offensive allemande du printemps 1918 : Bion apprend la nouvelle de l’offensive allemande pendant sa permission à Londres (début mars 1918) ; une curieuse ambiance à la gare Victoria : « Tout le monde était terriblement enjoué. Tous étaient convaincus que c’était la fin et faisaient des plaisanteries sur le retour aux camps et aux tranchées maintenant à des kilomètres derrière les liges allemandes » (p. 87) ; de retour sur le front : « […] Je me surpris souhaiter être tué car au moins alors je me serais débarrassé de cette intolérable détresse… » (p. 105-106) ;

Les ravages de la guerre sur les corps (p. 137.) [Bion revient sur un épisode particulièrement traumatisant dans le texte Amiens, p. 262-263. Voir plus bas.]

Photographie 39 : « Les effets d’un obus britannique sur un groupe de soldats allemands aux avant-postes. La photo a été prise sur un chemin donnant sur la route Amiens-Roye » (p. 139) ; au premier plan, un corps auquel manquent la tête et une jambe..

Combattre dans les chars : (p. 138-137) ; la photographie 41 montre un « Char frappé de plein fouet. Cette photo dépeint en fait l’engagement de Zonnebeke, le 26 septembre 1917. C’est là que ce char fut touché par un obus d’un calibre plus gros que d’habitude. C’est une scène qui m’est familière et qui continue à me remplir d’horreur. Bien entendu, après un tel coup au but, il n’est pas imaginable que l’équipage en réchappe. Même avec un obus de 18 livres, les chances de survie étaient limitées – surtout si le char était touché au niveau du siège du conducteur ou de celui du chef de char. Mais cet obus devait être un 150. C’est à ce genre de spectacle que l’infanterie canadienne fut confrontée au cours de la bataille du 8 août. La peur d’être ainsi touché rendait le travail des blindés déplaisant. Chaque fois que je partais au combat dans un char, je craignais que l’un de ces obus ne pénètre à tout instant, et le siège de l’officier n’en devenait que plus solitaire et plus exposé de minute en minute » (p. 143) ; Photographie 48 : « Une photo d’un char du 5e bataillon progressant dans la brume du 29 septembre au petit matin. Remarquez l’officier et le soldat qui suivent le char. C’était la technique employée pour autant qu’il s’agissait d’une situation du genre suivez-le-guide : on ne laissait dans le char que le nombre d’hommes nécessaire à son fonctionnement ; les autres suivaient, les mains dans les poches et les épaules courbées » (p. 163)

Soldats paralysés par la peur : p. 147 ; découverte d’un soldat allemand terrifié : p. 271 ; effet terrifiant des chars sur les fantassins allemands : (p. 274)

Les soldats des services de l’arrière sont raillés : p. 186-187 ; p. 189-191

Enfant de l’ennemi : p. 202 (Cf. S. Audoin-Rouzeau, L’enfant de l’ennemi, Paris, Aubier, 1995)

53 ans plus tard, les Commentaires insistent sur la peur et la solitude ressenties (p. 213). Bion éprouve ce que l’on appelle le syndrome du survivant, mélange de dépression et de sentiment de culpabilité d’avoir survécu : « […] je ne me suis jamais remis d’avoir survécu à la bataille d’Amiens » (p. 219)

Amiens est un texte rédigé à la suite d’un voyage effectué à Amiens le 3 août 1958 ; dans le Prélude Bion émet cette réflexion qui peut sembler contredire la teneur essentielle du « Journal »: « […] pourra-t-on jamais de nouveau rassembler un aussi grand nombre d’hommes à l’esprit et au physique aussi splendides ? Est-il possible, s’ils se rassemblaient de nouveau, qu’ils soient imprégnés d’une telle dévotion pour la guerre, d’une foi si mystique et si totale en sa capacité à guérir les maux du monde […] ? Les merveilleuses expériences du temps de paix n’étaient vraiment rien à côté ou plutôt elles détenaient en elles les germes d’une sorte de malaise qui ne serait purgé que par le processus de la guerre. » (p. 226)

Le texte de souvenirs qui suit est rédigé à la troisième personne. A nouveau, Bion revient sur la peur éprouvée lors d’une reconnaissance la veille de l’attaque (p. 233-234) ; « Il se ressentait des activités d la matinée et il était en particulier en proie à la crainte anxieuse que sa détérioration [nerveuse], dont il était maintenant persuadé, ne se révèle de manière spectaculaire dans la bataille à venir. En fait, sa crainte était plutôt que ce ne soit pas quelque chose de spectaculaire, mais simplement cette sorte de terrible déclin qu’il avait vu si souvent chez d’autres… », p. 236-237 ; p. 248 ;

Nettoyage d’un village [Berle aux Bois, 8 août 1918]: « Au bout d’un moment, les troupes françaises de tête […] pénétrèrent dans le village qui tombait entre leurs mains en un quart d’heure. Elles procédèrent à l’opération de nettoyage qui consistait à passer de maison en maison en lançant des grenades dans les escaliers menant aux caves pour s’assurer de ne pas être tracassé de ce côté-là non plus » (p. 270).

Allusion à la plume blanche que certaines femmes anglaises tendaient aux garçons pour les incliner à s’engager en leur faisant honte : p. 302. (Cf. Nicoletta F. Gullace, The Blood of our sons, Men, Women, and the Renegociation of British Citizenship During the Great War, London, Palgrave Macmillan, 2002, p. 73 et ss.)

Frédéric Rousseau, mai 2008.

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