Faget, Maurice (1877-1942)

1. Le témoin

Maurice Faget avait 37 ans en 1914. Il est né à Cassaigne (Gers) le 5 juillet 1877 dans une famille de propriétaires ruraux aisés. Ses études l’ont porté jusqu’au « niveau bac », après quoi il a géré les propriétés familiales. Il ne s’est marié qu’après la guerre, en 1920. Son fils est né en 1921. Maurice Faget est mort pendant la Deuxième Guerre mondiale, à Cassaigne, le 20 août 1942.

2. Le témoignage

Du 7 août 1914, au lendemain de sa mobilisation à Agen au 129e régiment territorial d’infanterie, jusqu’au 22 janvier 1919, peu avant sa démobilisation, il a écrit à sa famille, principalement à ses parents et à sa sœur aînée, Gabrielle, veuve, ainsi qu’à son neveu, également mobilisé. Il est toujours resté 2e classe, au 129e RIT jusqu’à la dissolution du régiment en août 1917, puis au Groupement de Brancardiers du Corps d’Armée. Son fils Henri a retrouvé 535 lettres et les a publiées à petit tirage : Henri Faget, Lettres de mon père, 1914-1918, chez l’auteur, château de Cassaigne, 32100 Cassaigne (henri.faget459@orange.fr). Le livre est illustré de deux cahiers de photos (Maurice Faget, ses camarades, les tranchées, ruines de Souain…).

3. Analyse

Il arrive en Champagne fin octobre 1914. Le 10 janvier, il y décrit le rôle des Territoriaux : « Quoique nous allions à notre tour en première ligne, nous n’occupons pas, nous territoriaux, les postes très dangereux et lorsqu’il s’agit d’attaquer nous sommes toujours remplacés par l’active, d’ailleurs la meilleure preuve, c’est que depuis le début de la guerre, notre régiment n’a pas de mort, ni blessé dans le service des tranchées. » En période de « repos », ils sont « occupés du matin au soir à différentes corvées toujours pour améliorer ou refaire les tranchées. Quand donc pourrons-nous lâcher les pioches et les pelles du gouvernement ? » (29 mai 1915). Ou bien (3 juin) : « Demain soir, nous rentrons au camp pour cinq jours, mais on ne désire guère plus ce séjour car du matin au soir il faut faire l’exercice comme des bleus. »

Pendant toute la guerre, Maurice Faget reçoit d’assez gros mandats et beaucoup de colis de nourriture, dont il fait le commentaire en retour. Au dire même de son fils, éditeur des lettres, le livre est « un véritable inventaire de la gastronomie gasconne, foies gras, confits, civets, ris et cervelles, volailles en accommodements les plus variés, gâteaux pastis, crêpes, merveilles, etc. » Le soldat y puise réconfort, de même que dans les lettres reçues, qui « chassent les idées noires » (7 mai 1915).

Car, les idées noires, oui, elles sont exprimées : « sale guerre » (15 janvier 1915) ; « les plus las sont les officiers qui se font évacuer en masse » (29 janvier) ; lui et ses camarades sont « rassasiés de la guerre, mais que faire ! » (7 mai). Comment la guerre pourrait-elle finir ? « Enlever une par une toutes les tranchées est, à mon avis, impossible ou bien c’est l’anéantissement complet de tous les Français valides » (18 mars 1915). « A moins d’événements extraordinaires, mon opinion, malgré tout ce que racontent les journaux, est que nous sommes encore pour longtemps sous les armes. Ça coûte trop cher de prendre des tranchées. Je crois que c’est par la famine qu’on aura les Boches et personne ne connaît leurs approvisionnements » (27 avril).

Passant à Châlons-sur-Marne, le 25 juin 1915, il note : « Je vous assure que ce mouvement de grande ville m’étonnait un peu depuis plusieurs mois que nous vivons en dehors de la vie ordinaire. » Par contre Suippes (12 juillet), Souain (13 juillet) sont en ruines. Ce sont des visions qui dépriment, de même que les faveurs accordées aux « embusqués, ordonnances, flatteurs, etc. » pour le tour de permission.

Le 26 septembre, lors de l’attaque de Champagne : « Ça chauffe ferme pas très loin de nous, mais nous ne risquons rien, ma Compagnie est affectée à amener à l’arrière les prisonniers. » Le 2 octobre : « Nous sommes occupés toute la journée à nettoyer les tranchées boches et françaises. Nous entassons le matériel abandonné et enterrons cadavres d’hommes et de chevaux. C’est plutôt navrant mais petit à petit on s’habitue à ces tristes choses et, l’égoïsme poussant, on aime mieux être croque-mort que monter à l’assaut. Il me tarde d’être plus vieux de quelques jours pour connaître le résultat de cette poussée malheureusement très dure. » Déception, le 10 octobre : « On s’attendait à un plus grand résultat de cette attaque qui nous a coûté très cher en hommes. » « Et ce sera une campagne d’hiver à recommencer, et ce printemps prochain nouvelle attaque ! C’est désespérant. » Cette hantise d’une nouvelle campagne d’hiver revient fréquemment dans les témoignages des combattants, des fantassins en particulier.

Maurice Faget obtient sa première permission en décembre 1915. En 1916, il est dans la Somme, puis dans l’Oise. Planton auprès du commandant, c’est une « gâche » qui lui permet de se chauffer « auprès d’un bon poêle » et de plaindre « les pauvres poilus qui sont dans la tranchée », mais ne l’empêche pas de soupirer après « la paix !!! », le 1er avril 1916, comme le 15 juillet après la fête nationale : « Nos quarts auraient été levés avec plus de gaieté si ce mousseux avait apporté la paix. »

Il ne participe pas aux combats de Verdun et de la Somme en 1916, mais, au 16 avril 1917, il est au Chemin des Dames, pour la seule semaine de guerre véritable qu’il a connue (d’après ses propres dires recueillis par son fils, voir p. 210). Le 20 avril, il écrit : « Nous voilà hors de la fournaise depuis hier soir et Dieu sait si on respire d’aise après les huit jours passés sur les lignes. Par miracle le 129e a eu très peu de casse à déplorer, mais hélas tous les régiments ne peuvent en dire autant. Le 2e Corps colonial dont nous faisons partie a été décimé et pour quel résultat : une avance à peu près de 1500 mètres. Je ne veux pas me souvenir de l’horreur du champ de bataille, avec tous ses morts couverts de boue. […] Nous ne savons rien de l’ensemble des opérations, depuis huit jours nous sommes sans journaux, il me tarde que le cycliste les porte, mais quelle confiance accorder à leurs dires ? D’ici une dizaine de jours on verra le résultat de l’offensive, mais déjà, pour moi, je crois bien qu’elle n’a pas donné les résultats qu’on escomptait. »

En mai 1917, il est près de Lunéville et remplit des fonctions de secrétariat : « La paperasse continue toujours à affluer, c’est effrayant. Je n’avais jamais tant usé de plumes de ma vie. Il vaut mieux bien faire ça que de monter la faction » (4 juin). En août, il est transféré au GBC. « Je fais fonction de secrétaire de l’office d’état civil du champ de bataille, chargé d’identifier les morts, recueillir leur succession et les inhumer (4 octobre). « Quand donc finiront ces massacres ? »

Rémy Cazals, juillet 2009

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Beck, Suzanne (1870-1966)

1. Le témoin

Suzanne Beck est l’épouse du percepteur de Crécy-sur-Serre, dans l’Aisne. Il ne semble pas que la famille Beck y soit installée depuis longtemps ; Suzanne se considère comme étrangère au village. Elle fait par ailleurs référence aux colonies indochinoises où elle a vécu plusieurs années. Si elle ne fait jamais référence à la religion, elle est cependant attachée à une certaine morale républicaine et patriotique.

Suzanne Beck a été séparée de son mari et de sa fille aînée au moment de l’invasion et vit avec ses deux fils, Jean et Raymond, respectivement 17 et 12 ans au début de la guerre. Elle décide de faire partir son fils benjamin, Raymond, en décembre 1916 pour la « France libre » pour lui éviter les souffrances liées à l’occupation. Elle fait alors le choix de rester à Crécy-sur-Serre pour garder les archives de la perception et s’occuper de son fils aîné, le personnage principal de son récit. Le bourg est évacué le 10 octobre 1918, Suzanne Beck et son fils trouvent alors refuge à 15 km au nord-est, à Marle où ils subissent une nuit de bombardement particulièrement traumatisante.

2. Le témoignage

Les « Carnets de l’invasion, Crécy-sur-Serre 14-18 » par Suzanne Beck, 15 carnets manuscrits, sont conservés à l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, inv. 26176-26189. Le premier carnet a été perdu, le témoignage débute le 22 octobre 1914. Il manque également la période allant du 17 avril au 6 juin 1917. Suzanne Beck prenait généralement ses notes au crayon. Les carnets ont été numérotés et datés au stylo par sa petite-fille qui a assuré la retranscription puis confié les carnets à l’Historial.

Suzanne Beck écrit dans un style direct assez vivant des notes quotidiennes. Elle relaie les informations et les rumeurs qui circulent en ville, raconte ses journées, ses angoisses et ses rencontres. Elle utilise son carnet comme un confident à qui elle s’adresse directement. La précision de ce qui est raconté varie selon son moral, les notes sont parfois prises de manière elliptique.

Suzanne Beck a relu ses carnets en 1940 et a rajouté occasionnellement certaines indications.

Les couvertures ou les dernières pages des carnets sont parfois utilisées par Suzanne pour noter ses menus ou les crédits qu’elle a contractés.

3. Analyse

Crécy-sur-Serre est un chef-lieu de canton de 1666 habitants en 1911, situé à 15 km au nord de Laon, dans le département de l’Aisne. Il est occupé par les Allemands de fin août 1914 à début octobre 1918. Une kommandantur y est installée en avril 1915 après que le bourg eût été sous l’autorité du commandant de Sains-Richaumont. Le bourg est alors éloigné du front. Avec le retrait des Allemands sur la ligne Hindenburg en février-mars 1917, Crécy-sur-Serre devient une ville de garnison beaucoup plus importante et les habitants doivent partager leur logement avec des troupes toujours plus nombreuses. Le bourg est finalement évacué le 10 octobre 1918.

Comme la plupart des civils ayant tenu un journal durant l’occupation allemande, Suzanne Beck est d’abord attentive aux attitudes et aux ordres promulgués par les Allemands : réquisitions en tout genre, logements, obligation de travailler, contributions et amendes… Son témoignage donne également à voir comment un village réagit à cette situation d’occupation. Elle rend en particulier compte de ses interrogations quant à l’attitude à adopter face aux ordres. Cela l’angoisse et l’empêche même de dormir. Après avoir tenté d’esquiver les ordres concernant le travail et avoir dissimulé les biens réquisitionnés, la famille Beck opte pour une attitude plus prudente, dans l’intention de ne pas se faire remarquer. Jean Beck a refusé un certain temps de se rendre aux appels pour aller travailler, puis il finit par obtempérer. Les travaux agricoles sont alors pour lui l’occasion de rencontres et d’amitiés avec des jeunes gens de l’agglomération lilloise qui ont été réquisitionnés pour le travail en 1916. Jean Beck est ensuite employé dans une colonne de travail à quelques kilomètres de Crécy-sur-Serre en 1917. Il parvient ensuite à travailler pour des Allemands ce qui lui évite de repartir en colonne de travail.

Si les ordres allemands continuent d’être une source d’angoisse durant les quatre ans d’occupation, les principales préoccupations de Suzanne Beck témoignent des difficultés de la vie en région occupée : trouver de l’argent, de quoi manger et de quoi se chauffer. La famille Beck semble subir une sorte de déclassement social, du moins au début de la guerre. La municipalité refusant d’avancer les traitements de fonctionnaires, la famille se retrouve sans sources de revenus et vit à crédit en se contentant du strict minimum. Finalement, c’est avec le travail demandé par l’autorité allemande aux habitants que la famille Beck trouvera une nouvelle source de revenus. Le froid est une autre souffrance que doivent subir les Beck en particulier durant le premier hiver, alors qu’ils n’ont pas de quoi s’acheter du charbon, et durant les deux derniers hivers particulièrement rigoureux. Suzanne Beck raconte que son haleine se transforme en gel sur l’oreiller en février 1917. Du fait des pénuries alimentaires et de la promiscuité, les maladies sont fréquentes telles la dysenterie dont sont victimes les Beck en 1915. Une autre maladie est qualifiée de « mal de guerre » par Suzanne Beck, il s’agit d’une faiblesse généralisée dont les symptômes sont des troubles de mémoire et une forme de repli sur soi. Suzanne Beck se plaint continuellement de ce mal à partir de 1917.

A partir de 1916, la famille Beck reçoit fréquemment à loger des Allemands, travailleurs civils, soldats ou officiers. Suzanne Beck se montre dans son journal volontiers germanophobe. Elle utilise régulièrement les termes de « sales boches », « d’animaux », de « cochons », de « barbares » pour qualifier les Allemands dans leur ensemble. En fait, cette haine est davantage tournée vers l’autorité allemande jugée comme arbitraire et vers les officiers accusés de tous les excès. En revanche, des liens se créent, des discussions naissent avec les Allemands logés. C’est particulièrement Jean Beck, bien que farouchement patriote, qui recherche la compagnie des Allemands pour exercer son allemand et échanger avec des jeunes gens ayant le même âge que lui.

La vie à Crécy-sur-Serre est marquée par l’isolement et le manque d’informations fiables. Le premier courrier que reçoit Suzanne Beck provenant de sa fille et de sa mère à Paris date de juillet 1916. Elles utilisent pour communiquer les cartes postales de la Croix Rouge dans lesquelles la correspondance est limitée à 20 mots. Suzanne Beck craint qu’avec le temps le lien se distende avec sa fille. Du fait de cet isolement, les informations sont essentiellement d’origine allemande et inspirent la méfiance. Cela fait naître des rumeurs très nombreuses sur l’évolution du front. Mais la guerre apparaît aussi dans le quotidien par le son du canon qui fait d’abord naître l’espoir jusqu’à ce que la population s’habitue à un son auquel on ne donne plus beaucoup de signification. L’imminence d’une offensive est toutefois visible à Crécy-sur-Serre lorsque les troupes sont concentrées et que des hôpitaux de guerre sont installés comme en avril 1917 ou en mai 1918.

Les carnets de Suzanne se font également l’écho des tensions qui peuvent traverser le village. Assez vite, la rancœur des habitants est tournée contre les populations évacuées des villages du front accusées de toutes les compromissions et de tous les vices. Les habitants semblent s’inscrire dans deux clans, partisans ou adversaires du maire. Ces derniers accusent l’équipe municipale de clientélisme et de compromission. Une autre source de tension concerne la guerre, de nombreux habitants estimant, selon Suzanne Beck, que le gouvernement français les avait abandonnés.

Le récit de Suzanne Beck s’achève sur l’évacuation de Crécy-sur-Serre, la population est alors conduite sur Marle. La fin de la guerre est particulièrement pénible pour Suzanne qui doit vivre dans la promiscuité avec d’autres familles, passer une nuit particulièrement traumatisante sous les bombes, puis voir partir son fils emmené par l’armée allemande avec tous les hommes mobilisables à Vervins, dans le nord du département. Le carnet s’achève le 11 novembre alors qu’elle n’a pas encore retrouvé ses enfants.

4. Autres informations

Philippe Salson, Faire face à l’occupation : horizon d’attente et arrangements au sein de la population de l’Aisne occupée (1914-1918), mémoire de Master 2 Recherche, sous la direction de Frédéric Rousseau, Université Paul Valéry – Montpellier III, juin 2009, 230 p.

Philippe Salson, juillet 2009

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Maillard, René (1873-1934)

1. Le témoin

René, Joseph, Albert Maillard est né à Saint-Biez-en-Belin, canton d’Ecommoy, département de la Sarthe, le 10 juillet 1873, dans une famille de cultivateurs. Engagé volontaire pour trois ans le 4 octobre 1892 à la mairie du Mans pour le 66e régiment d’infanterie. Clairon en octobre 1893. Caporal clairon en novembre 1894. Libéré du service en septembre 1895. Entre cette date et août 1914, il se marie, il a au moins une fille, il exerce la profession de cultivateur. En 1914, il a 41 ans. Il est appelé par le décret de mobilisation générale comme garde-voie, du 12 novembre au 12 janvier 1915. Rappelé à l’activité le 3 mars. Le corps n’est pas clairement précisé, peut-être le 28e Territorial. Son carnet le montre réalisant des travaux (abris, sapes, boyaux), exposé au danger, mais sans combattre. Il passe infirmier le 18 janvier 1917. Il est détaché agricole le 12 septembre 1917. (D’après sa feuille matricule aux Archives de la Sarthe, cote 1R 1055, demandée par la famille, et diverses indications tirées de son carnet. La feuille matricule contient cependant une erreur sur sa date de naissance. Un René Henri Maillard est né dans la même commune le 21 août 1873. Cette date a été notée sur les feuilles matricules des deux hommes, mais 1R 1055 correspond bien à René Joseph Albert). Ce dernier est décédé à Ecommoy le 24 février 1934.

2. Le témoignage

Le seul texte conservé par la famille figure sur un carnet de format 15 x 9,5 cm, à l’italienne. Il couvre la période du 29 mai au 23 septembre 1916. Ecriture au crayon, difficilement lisible. Bonne orthographe. La règle a été de remplir chaque jour une page d’une quinzaine de lignes. Quelques journées plus importantes occupent deux pages. Le carnet est la propriété de Mme Catherine Imbert, 6 rue Jean XXIII, 95600 Eaubonne. Il est venu au jour à l’occasion de l’exposition de carnets de combattants réalisée par la Médiathèque d’Eaubonne en novembre 2008.

3. Analyse

Dans un texte parfois illisible, on peut noter quelques passages.

2 juin : dégradation d’un soldat du 14e RI.

7 juillet : « On dit que le général Antoine [Anthoine ?] a fait brûler 1500 lettres du Corps d’Armée. »

9 juillet : « Manon [?] m’écrit que le foin est tout en dedans. »

10 juillet : « Jour de mes 43 ans et me voici encore soldat pour le salut de la France, et toujours au repos dans l’Oise. […] La haine que j’ai contre ces sales Boches me donne l’ardeur de les combattre. » [Il est donc né le 10 juillet 1873, c’est ce passage qui a permis de corriger l’erreur.]

12 juillet : « Les hommes de la 7e escouade sont ivres. Le lieutenant Bellanger [?] vient de les faire taire. Le moment est critique. Il me semble que nous en verrons de cruelles. »

14 juillet : « On revient se coucher sur un peu de paille, 6 bottes pour la Cie, que le lieutenant Bellanger [?] a payées 36 sous. » A cette date, son unité arrive sur le front de la Somme, près d’un village nommé Le Quesnel. Maillard dirige son escouade pour faire creuser des boyaux et des sapes, construire des abris. Les hommes ne combattent pas, mais ils sont sous les obus et les gaz.

16 juillet : « Le commandant [Herenburg ? Hidenbourg ?] dit en revenant, voyant un pauvre cultivateur herser : Ne faudrait-il pas un coup de canon sur cet attelage, pour labourer un dimanche ? Toutes ces choses vous font mal au cœur. Ce soir nous devons avoir repos. »

21 juillet : « Ma chère petite Manon [?] m’apprend le succès de ma fille. » [certificat d’études ?]

31 juillet : « La guerre devient terrible. »

2 août : « Je suis tellement fatigué que je n’en puis plus. »

3 août : « Partis ce matin à 4 heures. J’ai la fièvre mais je veux faire mon devoir car il n’y a rien pour se soigner et le repos consiste à être de garde ou travaux dans le cantonnement. Nous voyons des choses ignobles au sujet des officiers qui vivent comme des seigneurs. »

10 août : il est proposé comme sergent, mais cela n’aboutira pas.

12 août : allusion aux beaux blés qui couvrent les alentours, et personne pour les ramasser.

13 août : « Aujourd’hui dimanche, mais on ne s’en aperçoit guère. Les travaux et services sont les mêmes, sans jamais de repos. Les choses sont écœurantes. Chaque officier a un chien, petit ou gros, et ils ne s’en font pas, ils se nourrissent bien au dépourvu [?] de nous autres, pauvres poilus. »

14 août : « Nous continuons les travaux du Génie. »

18 août : « Il y a deux hommes du 139 […] punis de prison pour n’avoir pas exercé leurs armes sur des poilus en rébellion. Tout ceci est triste. »

26 août : « Au travail toute la journée. Beaucoup d’hommes vont à la visite ce matin, exténués de fatigue. »

4 septembre : « Rencontrons toujours des prisonniers et des blessés, nous enjambons les morts dans les boyaux. »

5 septembre : « Je cueille 8 prisonniers que j’amène à mon poste ; ils me donnent des cigares, cigarettes, une bouteille de liqueur ; ils sont heureux. »

Le 13 septembre, il est évacué, ayant la gale. A l’hôpital, il signale le bonheur de dormir dans des draps. Il accorde une grande importance à la possibilité de se laver, de changer de linge et de vêtements. Le traitement de la gale comprend de l’oxyde de zinc. Il est rapide puisque le retour à la tranchée a lieu le 19 septembre. Son absence a duré à peine une semaine, et il a 4 colis et 19 lettres qui l’attendent. Il part en permission le 22 septembre 1916, et le dernier texte est du 23. S’il a repris son récit, c’est sur un autre carnet qui n’est pas conservé.

Rémy Cazals, avril 2009

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Benoist, Jérémie (1895-1967)

1. Le témoin

Né le 15 décembre 1895 à Brizay, canton de Chinon, Indre-et-Loire. Cultivateur. Le 12 mars 1916, il écrit : « C’est la première fois que je vois la mer. » Marié après la guerre, le 5 octobre 1920 ; cinq enfants. Décédé le 8 janvier 1967 à Tavant.

2. Le témoignage

Trois petits carnets : du 17 décembre 1914 au 23 février 1916 (Artois) ; du 23 février 1916 au 1er octobre 1918 (Verdun, Somme, Orient) ; du 1er octobre 1918 au 17 septembre 1919 (Orient). La reproduction directe de ces carnets et leur transcription, ainsi que quelques photos figurent sur le site http://chezbeniguet.free.fr/phpfiles/carnetsdeguerre.php

3. Analyse

Les carnets ne contiennent que des indications matérielles. L’auteur ne fait que très rarement part de ses réflexions.

1er carnet : il est au 32e RI. Bombardements, boue, travail, marches, fatigue. Au « repos », des exercices. En ligne, attente impatiente de la relève. Le 12 novembre 1915, il assiste à une dégradation.

2e carnet. A Verdun, cote 304, le 24 avril. Assiste à un combat aérien. Le 4 mai : « Nous sommes démoralisés complètement. » Puis Champagne, alternance de journées calmes et agitées. Somme. Evacué le 22 octobre sur l’hôpital de Rennes. Part pour l’Orient, sans dire ses motivations. Arrive à Salonique après passage par l’Italie. 227e RI. Juillet 1917 : chaleur et marches, fatigue. Des espions dans la population civile de Macadoine. Les Serbes pendent les suspects par les pieds et les bâtonnent pour les faire avouer. Chose incroyable, dit Jérémie Benoist. L’hiver 17-18 est très froid. Il faut monter la garde contre les loups qui viennent attaquer les ânes et les mulets. En juillet 1918, il est instructeur mitrailleur de l’armée grecque. Le 30 septembre, les Bulgares signent l’armistice.

3e carnet. Les Bulgares se rendent prisonniers par régiments entiers. Le 18 octobre, entrée à Sofia. Problèmes de ravitaillement, ravages de la grippe. Le 25 décembre 1918, à Novi Sad : « Je visite la ville qui est très belle, je rencontre mon pays, Vivien, et nous nous promenons ensemble. » Retour par l’Italie. « Après 4 ans et 9 mois de service militaire et 38 mois de campagne. Fin ? »

Rémy Cazals, avril 2009

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Pierrefeu, Jean de (1883-1940)

1. Le témoin

Les informations biographiques sur Jean de Pierrefeu sont très lacunaires, notamment en ce qui concerne sa jeunesse : né en 1883, au sein d’une famille bourgeoise, probablement parisienne, il reçoit une solide éducation. Son intérêt pour les milieux d’affaires le conduisit, aux alentours de 1905, à embrasser la carrière de journaliste. Il évolue rapidement dans la dynamique équipe de L’Opinion, un hebdomadaire politique – avec une affinité marquée pour certains courants nationalistes – fondé le 18 janvier 1908 sous le patronage du futur président de la République Paul Doumer. Nationaliste convaincu, Pierrefeu partage avant-guerre les idées de Barrès, et participe à l’enquête d’Agathon, Les jeunes gens d’aujourd’hui (d’abord publiée sous forme d’articles dans le journal L’Opinion au cours de l’année 1912) en rédigeant un court article traitant de la jeunesse littéraire d’avant-guerre. A partir de 1910, Pierrefeu loue une chambre au sein de la pension Laveur au Quartier Latin à Paris. Mobilisé le 1er août 1914 en tant que sergent-major réserviste, Jean de Pierrefeu est blessé et reste quelques semaines en convalescence à l’hôpital de Dijon. Jugé inapte à reprendre le combat, il est intégré aux contingents auxiliaires, à la garde d’un dépôt de l’intérieur, avant d’être affecté le 23 novembre 1915, avec le grade de sous-lieutenant, à la Section d’information, au sein du Grand Quartier Général, à Chantilly. Son rôle est de première importance : il est chargé de rédiger le communiqué officiel aux armées. A partir de 1916, il est responsable de la rédaction du communiqué de l’armée de Salonique. Il oeuvre toujours pour L’Opinion et est intégré au nouveau comité de rédaction de L’Eclair en décembre 1917. Démobilisé en 1919, il se consacre dès la fin de la guerre à l’écriture dans des ouvrages portant sur divers sujets : Comment j’ai fait fortune, La dictature des marchands, Le Mercure volant, La comédie de Limoges, Le Roman diplomatique de Gênes, L’Homme nu sauvera le monde, Vocabulaire du temps présent, Les mille et unes nuits littéraires. Mais ce sont ses ouvrages sur la Grande Guerre qui lui valent ses plus grands succès et ses plus dures critiques (voir ci-dessous). Il dirige la collection « Combattants européens » à la Librairie Valois, lancée en mars 1930. En 1940, Pierrefeu réaffirme avec conviction son soutien au maréchal Pétain et dirige la revue Les Cahiers de la Jeune France, « organe de la Révolution nationale ». Il meurt la même année.

2. Le témoignage

Après la Grande Guerre, Jean de Pierrefeu fut au cœur d’une polémique importante suscitée par ses ouvrages extrêmement incisifs critiquant le haut-commandement français et, plus généralement, l’ensemble du corps des officiers d’active.

Son premier ouvrage relatif à la Grande Guerre est une brochure consacrée à La deuxième bataille de la Marne (Paris, Renaissance du Livre, coll. « Les cahiers de la victoire », 1918). Il y retrace l’évolution des conceptions tactiques et stratégiques du commandement français depuis la bataille de Verdun. Il publie ensuite L’offensive du 16 avril. La vérité sur l’affaire Nivelle (Paris, Renaissance du Livre, coll. « Les cahiers de la victoire », 1919) dans lequel il commence à se démarquer de l’histoire officielle. Son expérience de guerre fait directement l’objet d’un autre ouvrage intitulé GQG. Secteur I. Trois ans au Grand Quartier Général par le rédacteur du communiqué (Paris, L’Edition française illustrée, 2 tomes, 1920). Conçu comme un reportage, Pierrefeu dresse un tableau vivant du quotidien du GQG et, pour la première fois, commence à livrer son jugement personnel des événements. Le premier tome est consacré à la succession des événements allant de son arrivée à l’état-major (23 novembre 1915) au renvoi du général Nivelle (15 mars 1917) ; le second volume va de la prise de fonction de Pétain à l’armistice, le 11 novembre 1918. Les trois ouvrages qui suivent vont plus loin encore dans les prises de positions de l’auteur. Bâti comme un dialogue fictif entre l’auteur et son « démon familier », incarnation d’un esprit conforme aux « bonnes mœurs françaises », Plutarque a menti (Paris, Grasset, 1923) est probablement l’ouvrage qui a le plus suscité la polémique. Son oeuvre précédente lui avait déjà valu quelques critiques ; en s’attaquant aux officiers et à leurs méthodes tactiques et stratégiques, en se posant à contre courant de l’histoire officielle de la guerre, il essuie ici la colère de nombreux détracteurs et voit paraître une sorte de réponse officielle de l’armée à ses accusations (Général ***, Plutarque n’a pas menti, Paris, La Renaissance du Livre, 1923). L’ampleur de la polémique et le succès du premier ouvrage encouragent Pierrefeu à poursuivre ses réflexions dans un Anti-Plutarque (Paris, Les Editions de France, 1925) puis dans Nouveaux mensonges de Plutarque (Paris, Rieder, 1931).

3. Analyse

L’oeuvre de Jean de Pierrefeu est marquée par son expérience de journaliste avant-guerre. Le style adopté par ses premiers écrits est proche d’un reportage d’information, comme en témoigne l’incontestable recherche d’objectivité affichée dans l’avant-propos du premier tome de GQG, secteur I : « Cet ouvrage est le compte-rendu loyal des observations que j’ai pu faire au Grand Quartier Général ».

De son expérience quotidienne en tant que rédacteur du communiqué officiel, on ne sait finalement pas grand chose outre sa surprise de voir qu’on lui confie une tâche aussi importante, la difficulté de cette entreprise – informer sans trop en dire, ni sans donner le sentiment que l’on cache la réalité de la situation militaire -, et quelques pistes sur les différentes manières de procéder.

En revanche, il livre un témoignage très riche sur le Grand Quartier Général : à la manière d’un reporter, c’est toute un vaste et complexe ensemble de services interdépendants, disposant d’une hiérarchie interne officieuse, que chacun se devait de respecter, qui se dévoile. Pierrefeu épingle également les conditions de vie luxueuses et d’un grand prestige des membres du GQG. La société militaire essuie ainsi, dès GQG. Secteur I, les plus violentes critiques. Par « société militaire », ce sont principalement les officiers titulaires du brevet d’état-major et tous ceux qui aspirent à le devenir que Pierrefeu désigne. Il observe au jour le jour les mœurs et les conceptions de cette élite d’une « caste » militaire – dans laquelle les principaux intéressés ne se reconnaîtront pas à en croire Plutarque n’a pas menti. Sont dénoncés sous la plume de Pierrefeu l’attachement de ces hommes à leurs traditions et la recherche d’un avancement rapide.

Quelques personnalités concentrent plus particulièrement l’attention de Pierrefeu : Joffre, Nivelle et Pétain, qui se sont succédé à la tête du GQG. Au sujet de Joffre, le témoignage de Pierrefeu est contradictoire : présenté comme un homme doté de bon sens et de volonté, soucieux de prendre seul ses décisions, le généralissime aurait été manipulé par son entourage. Nivelle, ensuite, est présenté comme un généralissime médiocre, soumis à des influences multiples, engagé dans une terrible surenchère de promesses qu’il fut incapable de tenir. Le second volume de ses souvenirs au GQG s’ouvre avec l’arrivée de Pétain au GQG, auquel l’auteur voue une admiration sans borne : porteur d’espoir, le nouveau généralissime a, toujours d’après Pierrefeu, substitué la compétence à l’ambition au rang des principales vertus des officiers du GQG et est devenu le sauveur de la France.

D’un désir manifeste de livrer un témoignage sur son expérience en tant que rédacteur du communiqué officiel et membre du GQG, Pierrefeu glisse peu à peu, dans l’après guerre, à une entreprise d’analyse critique et de dénonciation des erreurs militaires commises durant la Grande Guerre. La figure de Plutarque est alors convoquée pour fustiger le Culte des Grands Hommes auxquels, d’après Pierrefeu, les Français – sous influence directe de groupements d’intérêts souhaitant entretenir le « mensonge social » – sont si attachés.

L’œuvre de Pierrefeu porte la marque de sa désillusion : jeune journaliste enthousiaste au début de la guerre, il prend progressivement conscience des effets destructeurs des conceptions tactiques du GQG et de ses erreurs : le culte du « cran » et de l’offensive du généralissime Joffre et de son entourage, les risques inconsidérés pris par d’autres officiers, négligeant le facteur surprise, commettant de graves erreurs dans la préparation des batailles, se laissant influencer par des intérêts politiques dans l’espoir d’obtenir plus de gloire, plus d’honneur, plus de reconnaissance. Au bout de trois ans de guerre, l’arrivée de Pétain à la tête du GQG contraste fortement avec ses prédécesseurs, incarnant brusquement aux yeux de Pierrefeu un modèle de vertu et de professionnalisme qui lui redonne espoir et l’amène dans tous ses ouvrages d’après-guerre à le mettre sur un piédestal.

Au final, Jean de Pierrefeu a laissé une oeuvre d’une grande richesse. Son parcours avant-guerre comme journaliste et sa position particulière comme membre du GQG et rédacteur du communiqué officiel l’ont amené à proposer un regard acéré sur la guerre. Dans sa maîtrise consacrée à « Jean de Pierrefeu et la Grande Guerre », Fabrice Pappola rappelle ce qui fait la spécificité de cette oeuvre, à la fois témoignage d’un reporter, rapport d’un analyste militaire et interrogations d’un philosophe.

4. Autres informations

PAPPOLA Fabrice, Jean de Pierrefeu et la Grande Guerre. Les désillusions d’un jeune nationaliste, mémoire de maîtrise sous la direction de Rémy Cazals, Université Toulouse II-Le Mirail, 2001.

CAZALS Rémy, « Plutarque a-t-il menti ? », dans les actes du colloque Retrouver, imaginer, utiliser l’Antiquité, sous la direction de Sylvie Caucanas, Rémy Cazals et Pascal Payen, Toulouse, Privat, 2001, pp. 141-146.

OLIVERA Philippe, La politique lettrée. Les essais politiques en France, 1919-1932, thèse d’histoire, Université de Paris I, 2001, pp. 585-589.

08/03/2009

Marty Cédric.

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Tuffrau, Paul (1887-1973)

1. Le témoin

Paul Tuffrau est né le 1er mai 1887 dans une famille de propriétaires vignerons bordelais. Après des études secondaires brillantes, il arrive à Paris et prépare au lycée Louis-le-Grand le concours de l’Ecole normale supérieure, où il entre en 1908. Agrégé de lettres en 1911, il commence à enseigner et fréquente un milieu de jeunes intellectuels parmi lesquels Romain Rolland. En août 1912, à l’issue de son service militaire, il épouse Andrée Lavieille, artiste peintre. Il est mobilisé en 1914 comme sous-lieutenant à la tête d’une section de mitrailleuses du 246e régiment d’infanterie de Réserve de Fontainebleau. En avril 1916, il passe capitaine, puis chef de bataillon au 208e RI en octobre. Plusieurs fois blessé, il fit en tout 52 mois de campagne dans l’infanterie comme officier de troupe. Après la guerre, il redevient professeur de lettres, est nommé au lycée de Chartres, puis au lycée Louis-le-Grand à Paris comme professeur de khâgne, enfin à l’École polytechnique où il sera titulaire de la chaire d’histoire et de littérature jusqu’en 1958. Il publie de nombreux ouvrages. Citons entre autres La légende de Guillaume d’Orange (1920), Les lais de Marie de France (1922), Raoul de Cambrai (1924), Le merveilleux voyage de Saint Brandan (1926), le Manuel illustré d’histoire de la littérature française (avec Gustave Lanson) (1929), le Roman de Renart (1942). En 1999 ont été publiés à la fois ses écrits de jeunesse – Anatcho -, Garin le Lorrain et ses notes durant la Deuxième Guerre mondiale dans De la « drôle de guerre » à la Libération de Paris (1939-1944). Il est mort le 16 mai 1973 à Paris.

2. Le témoignage

Paul Tuffrau est un homme de lettres. Il écrit beaucoup : des lettres, chaque jour à son épouse ; des articles qu’il envoie, dès 1916, au quotidien le Journal, sous le pseudonyme de Lieutenant E.R., doublés à partir de 1917 d’une série de « Billet du poilu » signé A.L., au ton plus rude envers la hiérarchie. Ses articles donnent à lire des scènes du front nettement plus justes que celles dont la presse regorgeait alors. Le succès de ces articles pousse un éditeur à publier en 1917 un recueil de 32 d’entre eux sous le titre Carnets d’un combattant (Payot, 1917). Son véritable nom est ajouté entre parenthèses dans le courant de l’année. Ce premier témoignage fait l’objet d’une analyse dans Témoins de Jean Norton Cru (pp. 405-406). Ce dernier, tout en saluant la qualité de cette oeuvre, soulignait néanmoins les limites de ce témoignage : « Tandis que Tuffrau voulait remettre la presse en bonne voie, ses successeurs veulent témoigner sur la guerre ce qui est plus. […] Tel fait de guerre a eu lieu à telle date exacte, à tel point précis et il est raconté par un tel, de tel grade, à une unité bien définie. » L’imprécision des articles de Tuffrau (lieux, dates, etc.) n’est pas de mise avec son journal de guerre, publié en 1998 sous le titre 1914 – 1918. Quatre années sur le front. Carnets d’un combattant (Paris, Éditions IMAGO, 245 p.). La richesse de ces vingt carnets de notes, prises au jour le jour, nous pousse à regretter l’amputation de près de la moitié de l’œuvre au moment de la publication.

3. Analyse

Tuffrau passe près de 5 ans sous l’uniforme. Revenons d’abord sur son parcours et son ascension dans la hiérarchie et les responsabilités : il combat comme jeune sous-lieutenant, du 14 au 25 août 1914 dans le secteur de Saint-Mihiel/Pont-à-Mousson ; du 28 août au 2 septembre de la même année, il bat en retraite, de la Lorraine à la Somme, puis de la Somme à Creil. Début septembre, il est promu lieutenant. Jusqu’au 10 septembre, il participe à la bataille de la Marne, avant d’être engagé dans le secteur de Soissons jusqu’en mai 1915. De mai à novembre en Artois, de novembre 1915 à juin 1916 près de Reims, sur l’Aisne, Paul Tuffrau – devenu capitaine en avril – est ensuite envoyé en Argonne et à Verdun jusqu’en avril 1917. En avril-juin 1917, il revient dans le secteur de Saint-Mihiel, puis, durant plus de deux mois, dans celui de Mourmelon-le-Petit/Reims. On le retrouve de septembre à novembre 1917 dans le secteur de Craonnelle/Craonne, où il reviendra après un passage, en décembre 1917-janvier 1918, dans la région de Coulommiers/Meaux. Depuis l’automne 1917, il est employé comme officier mitrailleur de sa division, la 55e DI, commandée par Mangin. Il reçoit, pendant l’offensive allemande de mars, l’ordre de tenir le hameau de Dampcourt, à Marest. En mai, il est nommé adjoint du commandant de bataillon (soit le grade de capitaine-adjudant-major). Le front ne craque pas et au mois de juillet s’inverse la tendance. Tuffrau obtient une mutation au 208e Régiment d’Infanterie. Il est envoyé en Alsace, à Massevaux. Il apprend à Neuviller-sur-Moselle au sud de Nancy, sa nomination au grade de chef de bataillon. Il entre en Moselle libérée le 18 novembre 1918 à Bechy, accueilli comme un sauveur. Le 4 décembre 1918, il est nommé administrateur de Sarrelouis et sera démobilisé le 28 mars 1919.

Du début à la fin de la guerre, Paul Tuffrau tient ses carnets. Ces derniers nous révèlent la personnalité réellement exceptionnelle d’un officier au parcours littéraire, personnel et militaire hors du commun. Le gommage de tout élément biographique ou topographique dans les articles envoyés au Journal n’empêchaient déjà pas de sentir, dans des textes comme « Avant l’assaut » ou « La boue des tranchées », que la sensibilité et l’acuité du regard de Paul Tuffrau étaient appuyées à une solide expérience de guerre. On retrouve les mêmes qualités littéraires dans les carnets de guerre. On note également le souci de donner à l’arrière une image plus juste de la guerre, tout en ménageant le moral des combattants au front : « Lu Le Feu de Barbusse. Un livre très fort, très juste, systématiquement tragique : je l’ai lu, la gorge serrée, et tout le cafard de l’Artois m’est revenu. Un livre dangereux pour l’avant – très utile pour l’arrière qui ne sait pas ce qu’est la guerre. Toute l’attaque de la côte 119 est superbe. J’aurais voulu moins d’apocalypse à la fin. La vérité de cette poignante misère humaine suffisait. » (p.140) Par bien des aspects, le carnet de guerre de Paul Tuffrau nous offre un regard plus intime et plus personnel de la guerre : le carnet sert ainsi souvent d’exutoire à ses émotions et à ses colères. Par ailleurs,

Si les articles publiés anonymement dans Le Journal visaient à rendre compte du vécu-type des combattants de la Grande Guerre, les notes prises au jour le jour par Tuffrau donnent à lire la singularité de son expérience, de son vécu, de ses sentiments. Le carnet permet ainsi d’inscrire le témoignage de Paul Tuffrau dans le temps et dans l’espace. L’évolution du moral peut être contextualisée : le 28-29 novembre 1914, dans le secteur de Soissons, il écrit : « La bonne humeur des hommes ne faiblit pas – et cela me plaît. Tout le monde est confiant, surtout depuis les victoires russes, et le journal, qui nous parvient chaque matin, est lu avec passion. » De même, sa confiance dans la nécessité d’aller jusqu’au bout, qui apparaît constamment dans les articles, est réaffirmée dans ses carnets, mais il note le 30 mai 1916 que ce sentiment n’est pas partagé par la troupe  : « de tous côtés ici, bruits de paix ; c’est le même vœu de tous ; […] j’étais le seul à défendre la continuation de la guerre, au point de vue de la dignité nationale, que tout le monde taxait (peut-être avec raison) « d’amour propre stupide » : pays voué à la ruine disaient-ils, parce que saigné d’hommes, écrasé de dettes, diminué dans sa productivité et dans son activité commerciale ; épuisement financier, inutilité des massacres. »

Le témoignage de Paul Tuffrau est celui d’un officier de troupe, attentif à ses hommes, comme en témoigne ces mots, le 16 octobre 1916 : « Le travail de nuit sous les obus devient scabreux. Il faut faire vite, piocher dans des cadavres. […] Les hommes sont fatigués, ils n’ont pas un beau moral. Un qui avait pioché, disait cette nuit : « Ils [les chefs] n’ont pas pu nous faire crever par les balles et les obus, ils nous auront par l’usure. » » Le 26 novembre 1916, près de Reims, il témoigne du calvaire des hommes glissant et tombant dans la boue : « c’est une satisfaction morale de se sentir plus près des hommes dans cette commune misère et de les soutenir un peu en leur montrant qu’on souffre autant qu’eux. » En donnant l’exemple, il suscite le respect chez ses hommes. Le ton est paternaliste mais l’affection sincère : « Comme il est dur de les perdre maintenant ! En septembre, on se connaissait à peine, chacun était encore engagé dan,s la famille qu’il venait de quitter… Mais, à présent, tout est fondu, et cinq mois de souffrances et de dangers lient fortement. » (p. 67). Paul Tuffrau souligne bien la difficulté de sa position hiérarchique et de ses responsabilités. Il est le premier à critiquer dans son carnet, les conceptions tactiques du haut commandement, comme le 5 janvier 1915 : « Voilà la grande misère : c’est que beaucoup d’officiers d’active voient le galon plutôt que le résultat. Et ce qui est monstrueux, c’est qu’ils se servent pour cela des  vies humaines. Les deux colonels ont chuchoté quelque chose que j’ai mal compris, une petite attaque partielle qui « permettrait de donner à S. son étoile » ! ». Mais il jouit d’un autre côté d’une marge de manœuvre très limitée lorsqu’il reçoit un ordre (voir les notes du 17 mars 1917).

Ses observations témoignent d’une grande sensibilité. Citons, le 4 janvier 1915, ces quelques mots sur la perception du temps, découpé pour mieux être supporté : « usure nerveuse produite par une tension trop prolongée, – ennui de cette vie monotone dont on ne voit pas la fin, – peut-être aussi une vague appréhension devant tant de périls qu’on a appris à connaître. […] Il ne faut pas non plus regarder l’énorme tâche qui nous reste à remplir, mais la diviser, et n’envisager que la besogne immédiate, s’en bien acquitter, pour être en paix avec soi, ne pas songer à l’avenir, ni au passé : bref faire la guerre à l’imagination, sous toutes ses formes. » (p.73).

Il serait illusoire de prétendre résumer ici la richesse de ce carnet, mais par son parcours, sa finesse d’analyse, son sens aigu de l’observation et ses qualités littéraires, ce témoignage apparaît bel et bien comme un document incontournable pour comprendre la Grande Guerre. Cette dernière a constitué pour Tuffrau comme pour nombre de combattants, une expérience marquante, comme en témoigne les derniers mots de son carnet, le 28 mars 1919 : démobilisé, il arpente les rues de la capitale : « Il fait très beau. J’ai revu avec une joie intime les paysages familiers, la petite ville un peu vide… La vie reprend, les choses sont les mêmes, nous seuls avons changé… »

08/03/2009

Marty Cédric.

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Bénard, Henri (1858-1916)

1. Le témoin

Né le 23 février 1958, Henri Bénard était officier d’active, commandant, et retraité en juin 1912. Passé par l’Ecole de Saint-Maixent en 1881-1882, il était capitaine vers 1902-1903. Le 3 août 1914, il reprend volontairement du service, à 56 ans. C’est alors un homme marié, père d’une fille. Sa femme, Ernestine, est issue d’un milieu alsacien aisé : son père dirigeait à Strasbourg une entreprise de transports internationaux ; vers 1910, il a monté une succursale à Paris et laisse la direction de l’usine de Strasbourg à ses deux fils. Henri part de Caen avec le 236e Régiment d’Infanterie, vers le 7 ou le 8 septembre. Il est blessé à la cuisse le 30 mai 1915. Après un long séjour à l’hôpital puis au dépôt, il rejoint le 366e R.I. en décembre 1915, sur le front, en Lorraine. Il meurt à Verdun le 28 février 1916.

2. Le témoignage

Les lettres d’Henri Bénard s’étalent d’août 1914 à février 1916 ; elles ont été écrites pour différents destinataires, le plus souvent sa femme. Henri Bénard écrivait beaucoup, parfois plusieurs fois par jour. Le 4 août 1914, il prévient sa femme : « conserve mes lettres. Plus tard, si j’ai l’occasion de faire quelque chose d’intéressant, je serai heureux de relire ces pages. » Tué en 1916, il n’en aura pas l’occasion mais, conservées par sa femme puis sa fille dans un coffret avec ses initiales, accompagné de divers objets et de photos, ses lettres ont été publiées par sa petite-fille, Françoise Lautier sous le titre De la mort, de la boue, du sang. Lettres de guerre d’un fantassin de 14-18 (Paris, Jacques Grancher, 1999, 250p.). Les lettres sont publiées avec, à la fin de chaque chapitre (correspondant à un mois de guerre), une série de précisions éclairantes sur le parcours du témoin, les personnages dont il est question dans les lettres, les lieux, etc. On trouve également quelques photographies dans un livret central.

3. Analyse

Les lettres écrites par Henri Bénard entre 1914 et 1916 sont d’une grande richesse qu’il serait illusoire de résumer ici. Nous nous bornerons donc à souligner trois aspects qui marquent autant la richesse de ce témoignage que la nécessité de le lier au parcours personnel et professionnel du témoin avant-guerre.

Commençons par son expérience d’officier d’active : Henri Bénard aborde le combat pétri du discours dominant sur la guerre à venir : « le moral de tous les soldats est tel que leur élan sera irrésistible » (p. 15). D’où l’amère désillusion lorsque le front s’enlise à l’ouest : « Cette guerre est horriblement triste et monotone. C’est bien allemand. Pas de vie, pas d’enthousiasme. Des duels d’artillerie continuels dans lesquels nous restons spectateurs terrés sous les rafales, voilà tout ce que nous voyons. Des pertes sans combat, quand un obus tombe sur nous, de la puanteur de cadavres de chevaux, des cris de blessés qui, toute la nuit, appellent au secours, de la mort, de la boue, du sang. Voilà nos visions de chaque heure. Ce n’est pas ce que j’avais rêvé. » (p. 30) La guerre est une « guerre d’usure » où « le succès appartiendra au plus tenace » (pp. 36-37) et le commandant Bénard ne se fait pas d’illusion sur la durée de la guerre : elle sera longue affirme-t-il le 28 octobre, puis le 25 novembre 1914. Les responsables désignés de cette situation de blocage sont les Allemands, pour lesquels Henri Bénard n’a pas de mots assez durs : « le Kaiser est malade et l’Allemagne aussi. Il faudra les tuer tous, si on le peut, pour que cette vermine ne puisse se renouveler. Nous en avons tué un certain nombre ces jours derniers. C’était de la garde bavaroise. On ne s’amuse plus à faire de prisonniers. » (p. 118) Soulignons le contexte particulièrement angoissant de la guerre de mines qui sévit alors dans son secteur et menace les hommes d’être ensevelis vivants.

Second point : l’attachement aux provinces perdues, intense dans le témoignage de Bénard, s’explique par les origines alsaciennes de sa femme. Apprenant l’avancée des troupes françaises à l’Est, en août 1914, Henri Bénard exulte : « le rêve de ma vie s’est réalisé. Mais je voudrais être plus jeune et ne pas avoir tant attendu la délivrance. » (p. 17)

Au fil des lettres, il apparaît également que la guerre n’épargne pas les officiers (p. 72) bien qu’ils jouissent de conditions matérielles meilleures (p. 46). Le commandant Bénard livre ainsi de belles pages sur la dureté des conditions de vie au front : la boue, la peur, le froid (voir par exemple p. 58). Sa qualité d’officier confère d’ailleurs à son témoignage un intérêt majeur. Il met un peu plus en lumière la responsabilité et le rôle du chef, chargé de maintenir la discipline jusque dans l’attaque (p. 42). Il n’hésite pas, ainsi, à les menacer de mort avant l’assaut, en cas de défaillance. Son rôle, explique-t-il plus loin, est celui d’une courroie de transmission entre l’infanterie, dans les premières lignes, et l’artillerie, un peu en retrait.

08/03/2009

Marty Cédric.

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Tucoo-Chala, Ernest (1893- ?)

1. Le témoin

Né à Pau en 1893, Ernest Tucoo-Chala est fils d’un cordonnier et d’une marchande des 4 saisons. Après des études primaires solides, il obtient le certificat d’études et entre en apprentissage chez un menuisier. Il se spécialise dans la carrosserie automobile et réalise un tour de France en tant que compagnon. Embauché à Paris chez Binder comme ouvrier très spécialisé, il est très bien payé. En 1912, il fait son service militaire à Tarbes, dans un régiment d’artillerie, où il est initié à la technique du 75. Il passe directement du service militaire à la guerre, toujours dans l’artillerie. En tout, il vivra près de huit ans sous les drapeaux, sans grosse blessure.

A Paris, il a adhère au parti socialiste, partageant l’idéal pacifiste de Jaurès. Mais il n’y a chez lui aucune trace d’antimilitarisme. Après la guerre, il refuse l’offre d’embrasser la carrière militaire. Il redevient menuisier, à Bordeaux, mais dans des conditions bien moins bonnes qu’à Paris avant la guerre. Il s’inscrit à nouveau à la SFIO.

2. Le témoignage

Après guerre, Ernest Tucoo-Chala a, semble-t-il, peu parlé de la guerre, n’était inscrit à aucune association d’anciens combattants, et ne se rendait pas aux cérémonies du 11 novembre. Il laisse en revanche un très intéressant carnet de notes prises au jour le jour et publié par ses enfants en 1996 sous le titre 1914-1919. Carnets de route d’un artilleur (Biarritz, J. et D.  Deucalion, 1996, 116 p.) Il commence à la fin du mois de juillet 1914 et ne s’achève qu’en août 1919. Son écriture est succincte, mais précise et essentielle. A noter également la grande liberté de ton de cet artilleur dans son carnet.

3. Analyse

Ce carnet de guerre est très intéressant : ce qui frappe d’emblée à la lecture des carnets de ce combattant d’origine populaire, c’est la liberté de ton. Ainsi lit-on par exemple, le 27 avril 1916 : « Je suis vanné après ces trois jours de route (200 km) et, par surcroît, des manœuvres maintenant! Que le diable les emporte avec leurs âneries de manœuvres » (p.31).

A mesure que la guerre se prolonge, son carnet devient ainsi le réceptacle de toutes ses colères : contre l’inanité des offensives, début octobre 1915 : « Le cafard, le cafard est revenu, on devait tout bouffer, on a dépensé des milliers d’obus et pour quoi ? Pour nous regarder à nouveau en chiens de faïence » ; contre le prétendu repos derrière les lignes, le 8 mai 1916 : « manoeuvre sur un grand plateau […] Vraiment ils se foutent de nous; nous faire casser la gueule, passe encore, c’est la guerre! Mais nous emmerder comme ils le font avant, ça passe les bornes » ; contre le terme mis par un officier à une trêve tacite (26 juin 1916).

La guerre qui se dessine au fil des pages est celle d’un artilleur. Conscient par ailleurs de la différence de conditions de vie entre fantassins et artilleurs (pp. 43-44), il décrit avec justesse les difficultés de la vie matérielle et la dureté des combats, notamment à Verdun, le 28 mai 1916 : « il y a de quoi perdre la tête dans ce chaos […] c’est une véritable fournaise […]. Nous tirons sans cesse […] les blessés qui passent près de nous nous engueulent, nous leur tirons dessus à ce qu’il paraît ; alors j’aime mieux [régler le tir] 50 mètres plus long. Je ne suis plus comme les copains qu’un paquet de boue gluante. On ne vit plus, on est en sursis, des morts vivants et l’énergie ne peut rien contre la fatigue et la soif. ». Les gaz l’ont beaucoup marqué. Ces conditions de vie pénibles l’incitent à s’y soustraire, par un mariage, synonyme de permission (septembre-octobre 1916) ou encore par un départ volontaire pour le front d’Orient perçu comme moins dangereux (octobre-novembre 1917).

Au total, un carnet d’une grande richesse par un combattant d’origine populaire.

08/03/2009

Marty Cédric.

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Hirsch, David (18.. – 19..)

1. Le témoin

Les informations dont on dispose sur l’auteur sont minces : il était commerçant à Roubaix, de confession juive, et âgé, sans que l’éditeur nous précise son âge. Roubaix est occupé la majeure partie de la guerre par les Allemands et, le 21 septembre 1917, son commerce est réquisitionné. Il note : « je vais maintenant avoir des loisirs pour continuer ces notes car ce matin vers 10 heures, on a commencé à nous prendre tout ce que nous avions en magasin on a continué cet après-midi et demain matin on va finir de tout nous prendre. » Il est évacué vers la partie libre de la France le 31 août 1918.

2. Le témoignage

Son témoignage est publié sous le titre « Journal de David Hirsch » dans Journaux de combattants & civils du Nord, (PU du Septentrion, 1998, pp.223-301). Du 1er août 1914 au 31 août 1918, date de son évacuation vers la France libre, il prend des notes, chaque jour, sur son livre de comptes. A mesure que la guerre se prolonge, ses annotations deviennent de plus en plus détaillées. Le manque d’information biographique sur David Hirsch dans l’ouvrage publié est regrettable compte tenu de la richesse de ce témoignage.

3. Analyse

David Hirsch offre un regard sur la vie quotidienne à Roubaix entre 1914 et 1918. La ville, en territoire occupé par les Allemands, est isolée du reste du territoire national. L’auteur se plaint ainsi à plusieurs reprises de l’absence de journaux ou de nouvelles venues de France.

Il souligne également le poids des réquisitions et de la pénurie de nourriture. La montée du prix des denrées de base entraîne une montée de la misère chez les civils. Les Allemands imposent également à la population des réquisitions en  service. Le 20 avril 1916 est affiché cet arrêté : « L’attitude de l’Angleterre rend de plus en plus difficile le ravitaillement de la population. Pour atténuer la misère, l’autorité allemande a demandé récemment des volontaires pour aller travailler en zone rurale. Cette offre n’a pas eu le succès attendu. En conséquence, des habitants seront évacués par ordre et transportés à la campagne.[…] » Ainsi commencent les « enlèvements » de civils (3 femmes pour un homme environ), qui choquent profondément David Hirsch qui note, le 23 avril 1916 : « L’agitation continue à Roubaix, parce qu’on continue à enlever les hommes et les femmes. A Lille on a commencé le même travail contraire à toutes les lois de la guerre et de l’humanité surtout en ce qui concerne les femmes ». David Hirsch rapporte ainsi les manifestations de l’opposition des populations civiles aux exigences de l’occupant et les efforts de ce dernier pour les briser, si besoin par la force.

08/03/2009

Marty Cédric.

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Degrutère, Maria (18.. – 19..)

1. Le témoin

Maria Degrutère habitait La Madeleine, un faubourg de Lille. Elle était institutrice dans une école catholique. Elle ne devait vraisemblablement pas être très âgée, dans la mesure où elle évoque une visite de ses grands-parents. On ignore presque tout de sa vie. Le manque d’information biographique sur Maria Degrutère dans l’ouvrage est regrettable compte tenu de la richesse de ce témoignage.

2. Le témoignage

Son témoignage est publié sous le titre « Tableau des évènements particuliers et journaliers », dans Journaux de combattants & civils du Nord, (PU du Septentrion, 1998, pp.161-219). Il débute le 24 août 1914 et s’achève le 19 janvier 1918, au moment de son évacuation vers la France.

3. Analyse

Le témoignage de Maria Degrutère offre un regard intéressant sur la vie à Lille, occupée 1465 jours par les Allemands entre 1914 et 1918.

La situation de Lille, proche du front de Flandre – 15 kilomètres – fait de cette ville une sorte de camp retranché pour les Allemands. Le 16 janvier 1916, Maria Degrutère note : « Nous avons maintenant une vie fort triste. Nous sommes à la merci d’un bombardement, des explosions, des maladies contagieuses. Nous sommes abrutis par la canonnade qui depuis plusieurs mois se fait de plus en plus violente ». Les mesures en cas d’attaque par les gaz sont diffusées : « Nouvelle affiche concernant les gaz asphyxiants. Au son de la cloche ou de la sirène, il faut entrer dans une maison à étages, monter au 1er étage, boucher les portes et les fenêtres, se mettre un linge mouillé sur la figure. » (14 septembre 1916)

Maria Degrutère relaie également dans son témoignage d’autres affiches, émanant de l’occupant, et qui témoignent de la lourdeur des contributions imposées à la municipalité et, surtout, de la fréquence des réquisitions chez les Lillois. Il ne se passe pas une semaine sans que de nouveaux objets soient réquisitionnés : métaux, cuirs, vêtement, etc.

S’ajoutent à cela les réquisitions en service pour fabriquer, par exemple, des sacs destinés aux tranchées allemandes, d’où l’opposition des ouvriers et ouvrières. Par la force, les Allemands parviennent les faire céder. Mais les résistances persistent au sein de la population lilloise. Le 20 avril 1916 est affiché cet arrêté : « L’attitude de l’Angleterre rend de plus en plus difficile le ravitaillement de la population. Pour atténuer la misère, l’autorité allemande a demandé récemment des volontaires pour aller travailler en zone rurale. Cette offre n’a pas eu le succès attendu. En conséquence, des habitants seront évacués par ordre et transportés à la campagne. […] » Ainsi commencent les « enlèvements » de civils (3 femmes pour un homme environ). Maria Degrutère en témoigne : « Cet enlèvement dure toute la semaine à Lille. Chaque jour des soldats allemands (20 par maison) baïonnette au canon arrivent dans un quartier vers 3 heures du matin, font lever tout le monde et emmènent des hommes, mais surtout des femmes et des jeunes filles de 20 à 35 ans pour les conduire on ne sait où. Il y a des scènes indescriptibles, des scènes d’angoisse et d’agonie pour des mères à qui on arrache ainsi les enfants. Plusieurs personnes s’évanouissent, d’autres deviennent folles, certaines sont malades d’essayer de se débattre avec les officiers. […] C’est un spectacle navrant, on nous conduit comme des criminels à l’échafaud. » (23 avril 1916)

On est également frappé, à la lecture de ce journal, par la place que tient la nourriture – ou plutôt le manque – dans les préoccupations de l’auteur et, semble-t-il, des Lillois en général. Le prix des denrées ne cesse d’augmenter. La population civile est exsangue.

Maria Degrutère ne vivra pas la fin de la guerre à Lille : elle est évacuée en 1918 vers la France. Mais elle laisse ce témoignage précieux sur son expérience de civil en région occupée.

08/03/2009

Marty Cédric.

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