Préauchat, Elie (1876-1935)

1. Le témoin

Élie Préauchat est né le 10 mai 1876 à Saint-Launeuc (Côtes d’Armor) au lieu-dit La Bruyère, dans une ferme du château, disparue aujourd’hui. Il est le cadet d’une fratrie de cinq enfants. Très tôt, il travaille à la petite exploitation familiale mais fréquente aussi un peu l’école communale. Il épouse en 1909 Léonie Herpe, sa cousine germaine ; ils auront trois enfants.

Élie Préauchat fut mobilisé dès le 4 août 1914, comme soldat de 2ème classe à la 9ème compagnie du 74ème Régiment d’Infanterie Territoriale de Saint-Brieuc. Cette unité commença d’abord par surveiller les côtes de Normandie avant d’être appelée, dès octobre 1914, à renforcer le dispositif de défense du front dans le secteur d’Ypres. Après un hiver très éprouvant pour ces « vieux » soldats que les énormes pertes éprouvées par l’armée française de l’avant pendant les premières semaines de guerre condamnaient à tenir les tranchées, ce fut la terrible attaque allemande aux gaz du 22 avril 1915. Élie Préauchat y est fait prisonnier. Il subit d’abord les dures conditions de vie du grand camp de Meschede où il retrouve son frère cadet Jean-Baptiste. Tous deux étaient si amaigris, si affaiblis, si mal rasés qu’ils ne s’étaient pas reconnus au premier abord. Il apprend alors la mort accidentelle de son fils Pierre, âgé de 2 ans ½, décédé accidentellement, ébouillanté par de l’eau chauffant dans la cheminée alors que sa mère aidait les voisins à planter des choux. Le 21 juin 1915, il est détaché pour travailler dans une ferme à Lochtrop, non loin de Meschede. Il n’y subit pas de sévices, bien au contraire, mais connut, avec la population allemande, les privations. Après sa libération et jusqu’à sa mort, il resta en contact avec ses anciens « gardiens », des fermiers allemands qui lui avaient prédit une revanche pressentie par l’arrivée au pouvoir du Chancelier Hitler en 1933. Il n’eut pas le temps de connaître la suite.

De retour chez lui à Saint Launeuc, en mars 1919, il reconnut au milieu d’un groupe d’enfants sa fille Marie, âgée de 7 ans qu’il n’avait pas vue depuis 4 ans. Il rapporte ce journal de guerre écrit en Allemagne au cours de sa captivité, ainsi que ses carnets de captivité.

Il reprit son travail de cultivateur jusque sa mort, le 14 septembre 1935 des suites de problèmes pulmonaires, séquelles de l’attaque du 22 avril 1915. Il repose au cimetière de Saint-Launeuc.

2. Le témoignage

Carnets de guerre et de captivité d’Élie Préauchat, Janvier 2006, Bretagne 14-18, 76 pages (format 21×29)

Durant la Grande Guerre, Élie Préauchat a toujours pris des notes sur des carnets. À la mi novembre 1914, à l’occasion d’une violente attaque allemande, il écrit : « Les hommes disent qu’ils vont être prisonniers, ils sont presque cernés. La plupart se débarrassent de lettres et écrits compromettants. J’enterre mon calepin où j’inscrivais mes mémoires et mes lettres où il était question des Allemands. » (p. 22) C’est à cette occasion que le premier carnet de notes d’Élie Préauchat a disparu.

Le 22 avril 1915, après une vaine résistance des hommes du 74ème R.I.T. en ligne, Élie Préauchat essaie de se sauver vers l’arrière, abandonnant son sac et vraisemblablement son deuxième carnet de notes. À Meschede, en mai 1915, il nous dit n’avoir pour tout bien que sa gamelle (p. 40).

Dès son arrivée au camp de Meschede, il relate les événements de sa vie quotidienne et note ses impressions sur un troisième carnet constitué d’un petit calepin allemand couvert de Moleskine, contenant les calendriers 1915 et 1916 ainsi que des renseignements postaux.

Le dimanche 3 octobre 1915, il nous dit : « J’écris mes Mémoires de la guerre. Je ne peux me rappeler tout. » Il vient d’ouvrir un quatrième livret de notes sur lequel il a reconstitué ses « Souvenirs des principaux faits de guerre pendant son séjour au front ». Tous les dimanches, il rédige son texte de mémoire et certainement avec l’aide de compagnons du 74ème R.I.T., prisonniers comme lui à Lochtrop. Une fois ce texte terminé, il le retranscrit consciencieusement sur le Tagebuch qu’il vient d’acheter, cahier d’écolier allemand contenant également un emploi du temps d’élève et les cartes des colonies allemandes : le Cameroun, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Sud.

Sur ce cahier d’écolier allemand est transcrit le journal de guerre (août 1914-22 avril 1915) qui constitue la première partie du document publié.

La deuxième partie (avril 1915-août 1916) est un véritable carnet rempli de ses notes écrites au jour le jour, tout d’abord au camp de Meschede puis dans une ferme de Lochtrop. Ce texte s’arrête le 27 août 1916, à la fin du cahier. Très organisé, Élie Préauchat notait méthodiquement sur ce petit document la date des lettres écrites ainsi que l’expéditeur et la date de réception des lettres et des colis. On peut penser qu’il a continué à prendre des notes sur d’autres carnets ou cahiers mais que ceux-ci n’ont pas été conservés ou n’ont pas encore été découverts dans les archives familiales (le Tagebuch a d’abord été retrouvé par un arrière petit-fils à qui, plusieurs mois plus tard, une tante remettait le 3ème carnet oublié dans un vieux tiroir).

3. Analyse

Les témoignages de simples soldats ne sont pas très fréquents et celui d’Elie Préauchat est de qualité. Ce petit paysan de la partie « gallo » de la Bretagne, est de la province non bretonnant, n’a été que quelques mois à l’école communale mais il y a acquis le plaisir et le désir d’écrire et une belle et bonne culture. L’écriture est de qualité, le style est travaillé, l’orthographe est presque toujours correcte. Il veut témoigner et le fait de façon exemplaire : « Si la mort venait à me frapper pendant ma captivité, je prie celui de mes camarades ou autres de faire parvenir ce petit récit à ma famille qui serait reconnaissante à celui qui le lui ferait parvenir. » (p. 34)

Dans ce qui est son journal de guerre (1re partie), il relate de façon précise ce que furent les conditions de vie et de combat de ces territoriaux qui n’auraient jamais dû devenir des combattants de première ligne et qui furent traités, peut-être plus que leurs camarades plus jeunes, de façon indigne. Il écrit ne point se permettre de critiques car il est « trop patriote pour blâmer (son) pays »mais ce qu’il confie pages 32 et 33 est sans appel.

Dans son carnet de captivité (2e partie), Élie Préauchat décrit d’abord la vie étriquée et bornée du prisonnier d’un camp, le bonheur des retrouvailles avec son frère, les privations, le profond ennui, les attentes des colis et des lettres. La mort accidentelle et horrible de son jeune fils Pierre l’affecte tout particulièrement mais ce chrétien convaincu s’y résigne. Il conserve un esprit patriote et est à l’affût des nouvelles, encourageantes ou décevantes. Il s’élève contre ce soldat de son pays, compagnon de captivité qui est volontaire pour travailler et ainsi gagner de l’argent (p. 40). Tout change lorsqu’il est envoyé lui-même d’office dans une ferme. Il se trouve alors mêlé à la population allemande et est en régime de semi liberté. Au milieu de ces « ennemis » civils, point de haine et point d’exactions. La nourriture devient bien meilleure et il grossit. Le travail est rude mais sans contrainte excessive. Un climat de confiance règne entre le groupe de prisonniers et les patrons (dont le fils part à la guerre). Cette rédaction peut sembler très répétitive, mais elle est fidèle à ce qu’était la succession lancinante des jours et des travaux, est le reflet des « jours monotones » des captifs. Il souffre surtout de l’éloignement des siens ; les Allemands qu’il côtoie chaque jour subissent aussi la guerre, tout en espérant la gagner, comme les prisonniers français…. Lorsque la nourriture devient moins abondante, ce dont il se plaint à plusieurs reprises, c’est parce que les privations atteignent la population allemande (p. 71).

Témoignage rare, car rédigé vraiment sur place, quotidiennement. Témoignage sans concession mais sans outrance. Témoignage d’un honnête homme attaché à son pays et à sa famille, désirant la victoire de sa Patrie, mais comprenant aussi les douleurs et malheurs de « ceux d’en face » et déplorant « que la folie humaine a fait commettre beaucoup de crimes » (p. 55).

René Richard, août 2011

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Belleil, Jean-Baptiste (1877- 1970)

1. Le témoin.

Jean-Baptiste Belleil est né en 1877 dans une famille modeste de Loire-Atlantique. Après son Certificat d’Études Primaires et quelques années d’apprentissage, il contracte un engagement, à l’âge de 19 ans, au 35e RAC de Vannes. Il fut en garnison à Vannes, puis, à compter du 9 janvier 1912, au 31e RAC au Mans, en qualité de sous-lieutenant. Lieutenant le 9 janvier 1914, il fût aux Armées du 2 août 1914 au 20 juillet 1915 (front de Verdun, puis Vosges et Alsace). À cette dernière date et après avoir été trois fois blessé (7 septembre 1914 ; 28 avril 1915 ; 20 juillet 1915), il fût affecté au 104e régiment d’artillerie lourde, au Mans. Marié, père de 4 enfants de deux mariages, il est décédé le 27 juillet 1970 à Pontivy (56), où il s’était retiré après son départ à la retraite. Il était le beau-frère du capitaine Charles Mahé, commandant d’une compagnie du 48e RI de Guingamp, disparu à Roclincourt le 9 mai 1915, dont Bretagne 14-18 a également publié les carnets et lettres de guerre.

2. Le témoignage

Lieutenant Belleil J.B., Récit de guerre d’un officier d’artillerie (Période du 1er août 1914 au 12 février 1915), Adaptation Julien Prigent, Septembre 2005, Bretagne 14-18, 134 pages (21×29) – I.S.B.N. : 2-913518-35-4

Jean-Baptiste Belleil résume en avant-propos de ses mémoires, ce qui les a motivés :

« Cédant aux sollicitations pressantes et réitérées de mes enfants, je me décide à l’âge de 87 ans, à transcrire aussi fidèlement que possible sur les pages qui suivent, en consultant mes différents carnets où ils sont consignés au jour le jour, les principaux évènements de la journée, en remémorant mes souvenirs sur les faits dont j’ai été le témoin, l’auteur, le confident … ainsi que quelques correspondances et pièces d’archives en ma possession. » (p. 6)

Il rédigea sa chronique de guerre sur des carnets. Son récit nous conduit du 1er août 1914 au 12 février 1915. Les carnets suivants, de cette dernière date jusqu’à juillet 1915, mois où cet officier, blessé pour la troisième fois, quitta véritablement le front, n’ont pas été retrouvés.

Pendant toute cette narration, le lieutenant Belleil est au 31e régiment d’artillerie de campagne du Mans. Ce régiment va débarquer dans la zone des Armées, à Consenvoye, au nord immédiat de Verdun, le 12 août 1914, au sein de la 54e division de réserve, unité du Groupement des divisions de réserve de la défense de Verdun. Il va d’abord être engagé lors de la bataille de Spincourt, du 23 au 25 août, puis retraiter vers Verdun. Du 4 au 8 septembre, ce sera la dure bataille de la Vaux-Marie. Le 8 septembre, bien que blessé, il est appelé à prendre le commandement de la 25e batterie du 31e RAC.. À partir du 14 septembre, le régiment poursuit les Allemands jusqu’au nord de Verdun. Ce seront ensuite les combats pour Saint-Mihiel puis, à partir du 21 octobre 1915, la participation aux combats pour les Éparges. Le 5 décembre, Pierre Belleil doit céder la place de commandant de batterie à un certain capitaine B. , vieux réserviste du Train des Équipages, ami de Sarrail mais sans aucune expérience de l’artillerie et du front dont il devra sans cesse combler les incompétences en dirigeant de fait la batterie. Cette situation étrange se prolongera jusqu’au 31 janvier, date où le capitaine B. sera relevé et remplacé. Le lieutenant Belleil ressentira toujours de l’amertume de cette rétrogradation. Quand le journal se clôt, le 12 février 1915, le régiment est toujours en position sur la Calonne et près des Éparges.

3. Analyse

Ce récit n’est pas un document brut écrit à chaud ou en léger différé. C’est une reprise tardive de souvenirs basés sur des écrits d’époque, des carnets personnels peu structurés, des correspondances ou sur la seule mémoire mais avec l’intention certaine d’une rédaction autre que les carnets qui sont souvent des notes à l’emporte-pièce, des pensées résumées à quelques mots sans souci de syntaxe, de préoccupations quotidiennes et prosaïques. Ici nous avons quelque chose de construit avec une recherche de style. C’est un récit destiné à être lu et donc, nécessairement, cohérent dans la chronologie et dans l’écriture. C’est un récit écrit par un homme cultivé et soucieux d’éviter toute grossièreté de langage. Il semble que, même, il en arrive à un excès d’écriture que l’on n’attend pas à trouver chez un ancien combattant de la Grande Guerre. Par exemple, le mot « boche » n’apparaît jamais dans son texte qu’il a certainement épuré, car d’après sa famille, il usait toujours de ce qualificatif quand il évoquait la Guerre. Cela n’enlève rien à l’intérêt du récit, même si l’on est coutumier de propos plus cavaliers de la part des anciens de 14-18. Mais il dénote un certain apprêt qui peut ne pas cadrer avec ce qui fut dit ou vécu réellement au sein de sa batterie.

Au début du conflit, le récit présente un intérêt certain quant au fonctionnement d’une batterie constituée de réservistes qu’il faut reprendre en main, instruire le plus rapidement possible afin de les préparer aux opérations de guerre qui ne vont pas tarder.

L’auteur a, certes, eu l’intention de transmettre l’expérience de sa participation au conflit mondial mais transparaît aussi un dessein pédagogique : il veut expliquer la bonne marche d’une batterie de 75, avec ses déplacements toujours compliqués, quand il fallait sortir les canons de la boue et les évacuer sous le feu de l’ennemi ; on découvre aussi le casse tête et les astuces de l’intendance, des cantonnements de centaines d’hommes et de dizaines de chevaux, des approvisionnements d’une batterie en munitions, en nourriture, en fourrage, en avoine ; il détaille enfin les techniques de repérage, de camouflage ou de choix des positions de tir. Ce témoignage est très précieux car il décrit, à côté de la chronique des combats, leurs coulisses, moins clinquantes mais indispensables et rarement évoquées.

Il n’élude pas la complexité des relations humaines au sein d’une grosse unité en temps de guerre. Son passage sur l’arrivée du capitaine B., certes ami du général Sarrail mais artilleur totalement incompétent, et sur ses contacts avec cet officier dont il dut sans cesse réparer les bévues, est parfois savoureux mais on ressent bien que, même à 87 ans, J.B. Belleil, officier sorti du rang, estimant n’avoir pas failli, n’avait toujours pas accepté son éviction de la fonction de commandant de batterie.

René Richard, août 2011

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Curien, Henri-Georges (1877-1922)

Source de l’image Carnets de guerre de Georges Curien

1. Le témoin

Né à Fresse-sur-Moselle (Vosges) le 20 décembre 1877, Henri-Georges Curien a 37 ans lorsqu’il est mobilisé en 1914 au 43e RIT d’Épinal. Marié, père de deux petites filles, il exerce la profession de sagard, employé de scierie, au Thillot. Caporal à l’issue du service militaire, il est « heureux et fier » de devenir sergent en juin 1915. Passé au 250e RIT, puis au 112e RIT, il finit la guerre dans un bataillon de pionniers de la 61e DI. Il est démobilisé le 21 janvier 1919. Il reprend alors son travail et devient directeur de la scierie Boileau au Thillot. Il meurt le 26 février 1922, usé par quatre années de guerre.

2. Le témoignage

Le carnet original compte 97 pages rédigées entre le 19 décembre 1914 et le 21 janvier 1919. Il est publié sans retouches, sauf les accords de participes avec lesquels l’auteur entretenait des « rapports inamicaux » (p. 12). Le livre, Carnets de guerre de Georges Curien, territorial vosgien, paru aux éditions Anovi en 2001 (95 p.) est précédé d’un long avant-propos de son arrière-petit-fils, Éric Mansuy, qui illustre le parcours initiatique de celui-ci dans la passion pour 14-18, et illustré de quelques photos et de croquis de secteurs vosgiens. Dans sa préface, Jean-Noël Grandhomme tire trop rapidement le témoignage vers le thème à la mode de la « brutalisation ». Certes, Curien emploie à plusieurs reprises les termes de « sales Boches », « race maudite », « hordes tudesques » ; certes, le 28 décembre 1914, il écrit qu’il souhaite « le bonheur d’en décrocher un au bout de notre fusil ». Mais ces expressions disparaissent après janvier 1916, et les Allemands ne sont plus que « les Boches ». À s’en tenir à ce seul argument, on assisterait plutôt à une « débrutalisation » dans le cours de la guerre. En effet, le témoignage montre aussi, du début à la fin, l’importance des liens de tendresse familiale, qu’il s’agisse des allusions à sa femme et à ses filles, ou du souci de leur mentir pour ne pas les inquiéter. « J’en profite pour écrire à mes chéries, mais je suis obligé de leur mentir car, si elles savaient, quels tourments ! » (p. 30, et aussi p. 37). Le 21 février 1915, Curien souhaite le déclenchement d’une offensive « qui nous amènera la victoire et le retour au foyer ». Le 11 novembre 1918, le mot « victoire » n’est pas écrit ; c’est seulement « la fin des hostilités et la signature de l’armistice ». Puis : « L’année 1919 nous apporte la libération tant attendue, chacun va reprendre place au milieu des siens. Pour ma part, j’espère avoir bientôt oublié les misères et les souffrances endurées pendant le cours de cette guerre. Les caresses de mes chéries y pourvoiront. »

3. Analyse

Vosgien, Georges Curien, qui a occupé des secteurs du massif des Vosges jusqu’en 1918, a toujours rencontré des civils affables et se trouvait non loin de chez lui, ce qui l’avantageait pour les permissions. Il est entré tardivement dans la guerre et il est resté plutôt « sur les marges de l’enfer » (Jean-Noël Grandhomme), menant au début une « véritable vie de caserne à la campagne » (Éric Mansuy). Son baptême du feu date du 11 mars 1915 ; le 30 mai, il court pour la première fois un risque très sérieux ; le 4 octobre, il tire ses premières cartouches, sans cible car c’est une fausse alerte. Restent les corvées, le froid et la neige, les bombardements. Du 8 août 1916 au 11 février 1917, il est loin du front, obtenant successivement une évacuation pour entorse, une autre pour angine, de nombreuses permissions de tour normal ou de convalescence et un mois de repos. Les bombardements sont encore dangereux en mars 1917, ainsi que les coups de main : le 15 juin, au retour d’une permission qui lui a permis de passer les fêtes de Pentecôte en famille, il note qu’une embuscade boche a entraîné « la perte de trois hommes dont un caporal traîtreusement assommé et tué à coups de gourdin ». Les notes se réduisent en 1917 et 1918, faisant cependant apparaître de « pénibles moments » en mars 1918 lors de l’avance allemande, alors qu’il a quitté pour la première fois le front des Vosges.

Chronologie géographique du parcours suivi par l’auteur, (page) :

1914: 1er août : Epinal (25) – 5 août : Fort de Longchamp (25) – 18 août : Jeuxey (25) – 26 octobre : Aydoilles (25) – 19 décembre : Aydoilles à Bru via Rambervillers (25) – 20 décembre : Saint-Benoît-la-Chipotte, Col de la Chipotte, Thiaville-sur-Meurthe, Lachapelle (26) – 31 décembre : Baccarat, Hablainville, cote surnommée Notre-Dame-de-Lorette (29)

1915 : 5 janvier : Ogéviller (30), 11 janvier : Hablainville, Neufmaisons (31), 12 janvier : col de la Chapelotte, Péxonne, Badonviller, Vacqueville (31), 14 janvier : Neufmaisons (32), 20 janvier : Bertrichamps (34), 21 janvier : Raon-l’Etape, col de la Chipotte, Bru, Rambervillers, Vomécourt (34), 22 janvier : Aydoilles (34), 27 février : Epinal, Fraize (36), 28 février : La-Croix-aux-Mines, le Chipal (36), 1er mars : Saint-Dié, caserne de Saint-Roch, Mandray, Saulcy-sur-Meurthe (36), 11 mars : Pré de Raves, poste 3 (Coq de Bruyère), poste 4 (Wuestenloch), poste 5 (la Roche des Fées) (37), 19 avril : Fraize, Saint-Dié (42) , 29 avril : Robache (43), 8 mai : Denipaire (44), 10 mai : Robache, Saint-Michel-sur-Meurthe, Nompatelize, Ban-de-Sapt, la Fontenelle (44), 1er juin : Denipaire (46), 24 juin : la Fontenelle, bois Martignon (47), 19 juillet : Saint-Jean-d’Ormont, Moulin de Frabois (66), 27 juillet : Battant de Bourras (67), 28 septembre : Saint-Dié, Raon-l’Etape, Celles-sur-Plaine, secteur de Viragoutte (67), 7 décembre : hameau des Colins, Allarmont, Viragoutte, Pierre-à-Cheval, avant-poste « du Père la Victoire » (69)

1916 : 9 mars : (par train) Baccarat, Lunéville, Rambervillers, collet de la Schlucht, secteur du Linge (70), 21 mai : Cornimont (71), 13 juin : Kruth (ferme de Hüss), Sondernach (camp Micheneau) (71), 26 juin : Wildenstein, col de Bramont, Feignes-sur-Vologne, le Collet, le Tanet (72), 6 juillet : Sulzern (72), 28 juillet : Secteur entre Stsswihr et le Reichackerkopf (72), 11 août : Hôpital de Gérardmer (72), 2 décembre : Camp de Tinfronce, au-dessus du col du Bonhomme (73)

1917 : 5 janvier : Secteur devant le village du Bonhomme, Fraize (73), 31 janvier : Taintrux, Marzelay, Nayemont-les-Fosses, Saint-Dié (73), 20 février : Secteur du Linge (camps Bouquet et Morlière) (73), 21 mars : Cote 650, secteur d’Orbey-Pairis (74), 4 avril : Weber, secteur de la Tête des Faux (76), 15 juillet : Au-dessus de Sulzern (77), 22 septembre : Le Tanet (camp Lemoing), 12 novembre : Ampfersbach, secteur du Rudlin (camp de Reichberg) (78), 13 décembre : Camp Nicolas (78), 24 décembre : Segmatt (78), 28 décembre : Secteur du Reichackerkopf (78)

1918 : 6 février : Ravin du Chevreuil, pente est du Reichackerkopf (78), 16 février : Gerbépal (78), 22 février : Lepuix secteur de Giromagny (78), 22 mars : Belfort (79), 26 mars – 6 avril : Tricot, Welles-Pérennes, Pierrepont-Hargicourt, ferme Filescamps, Chirmont, la Hérelle, Gannes (79), 2 mai : Rotibéquet près de Saint-Just, Longueil (80), 8 mai : Gerbéviller, Marainviller, forêt de Parroy, Thiébauménil (80), 3 septembre : Rosnay-l’Hôpital, Suippes, Mourmelon-le-Grand (80), 18 septembre – 11 novembre : Bois de Cauroy, Ménil-Annelles, Camp Baudet entre Annelles et Bignicourt, Pauvres, Saulces-Champenoise, Mont-Laurent, Ecordal, Mazerny, La Francheville (81), 11 novembre – 30 décembre : Montigny-sur-Vence, Boutancourt, Nouvion-sur-Meuse, Bévilly, Lambermont (Belgique), Rossignol (Belgique), Nobressart, Bigonville (Luxembourg), Mercher, Kaundorf, Kautenbach, Goesdorf, Grasboux (Belgique), Toernich, Réhon près de Longwy (81 – 82).

Secteurs cartographiés (pages) :

Secteur Saint-Dié – Raon-l’Etape avec lignes de front (33)

Secteur du Pré de Raves au Linge avec lignes de front (41)

Secteur le Linge – Krüth et lignes de front (75)

Zone d’opérations du 2ème bataillon du 43ème R.I.T. entre le fort de Manonviller et Krüth (83)

Yann Prouillet & Rémy Cazals, juillet 2011

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Lugand, Fernand (1888-1950)

1. Le témoin

Dans la famille Lugand, on est douanier de père en fils depuis des générations. Fernand est né le 28 janvier 1888 à Saint-Germain-de-Joux (Ain) d’un père préposé aux douanes et d’une mère modiste et lapidaire. Après le service militaire, effectué de 1909 à 1911, il se marie et devient douanier à Lajoux (Jura). Lors de la mobilisation, les douaniers doivent rester à leur poste et il n’arrive au front qu’en juin 1915, au 7e BCA, dans les Vosges, secteurs chauds de l’Hartmannswillerkopf et du Lingekopf où il est gravement blessé au coude et au flanc le 24 avril 1916, blessure qui lui vaut d’être rayé des cadres militaires. Il avait été nommé caporal fourrier en novembre 1915, et sergent fourrier en février 1916. Il reprend ses fonctions d’avant la guerre et termine sa carrière à Chambéry. Arrêté par la Gestapo en janvier 1944, il est relâché peu après. Il meurt le 13 octobre 1950 à Cognin (Savoie).

2. Le témoignage

Fernand Lugand a rédigé ses mémoires pendant l’hiver 1934-35 à partir de notes qui n’ont pas été conservées. Il s’agit d’un texte adressé à sa fille, alors âgée de 16 ans. Cette remarque est importante pour en comprendre le ton. La publication résulte d’un travail collectif des descendants : Fernand Lugand, Carnets de guerre d’un « poilu » savoyard, présentés par Xavier Charvet, préface du professeur Jean-Jacques Becker, Montmélian, La Fontaine de Siloé, 2000, 158 p., avec des photos, des croquis de localisation et les dessins de divers chargements de mulets.

Le préfacier estime que le témoignage de F. Lugand rejoint celui des combattants : s’il a tenu, c’est pour « la défense de son pays, de sa patrie ». En ce qui concerne « les combattants », il faut inviter à lire les autres témoignages. En ce qui concerne notre chasseur alpin, il est bien évident qu’il n’était pas antipatriote. Mais X. Charvet me paraît plus près de la vérité lorsqu’il écrit que Fernand était « tiraillé en permanence entre l’espoir et le désespoir, conforté par le courage des autres ajouté au sien, confronté à sa peur intime ôtée de la vue des compagnons d’armes ». Dans le texte de Fernand, une des rares allusions à la Patrie se trouve au début du témoignage, lors du départ pour le front, et il s’agit d’une formule rhétorique : « Nous allons offrir notre sang et notre chair pour la défense de la Patrie. » Ensuite, lorsqu’il fait part de ses réflexions sur la guerre, il signale que tous ses camarades « aspirent au même but : la Paix », sans parler de victoire de la Patrie (p. 51). Plus loin, chacun implore « le Tout-Puissant d’intervenir pour mettre un terme à ce carnage indigne de l’humanité » (p. 121). Il termine en souhaitant « que cette folie guerrière n’étende jamais plus ses griffes sanglantes sur notre pauvre humanité ».

3. Analyse

La découverte des hommes du front par le douanier nouveau venu est édifiante : ils sont modestes et fraternels ; les officiers répondent à ce modèle : « il est grand, il est beau, il est fort et son allure est superbe » (p. 50-52). Fernand reçoit le baptême du feu le 10 juillet 1915 : il décrit la préparation d’artillerie et la sortie des chasseurs, fauchés par les mitrailleuses (p. 54). Dans les Vosges, le relief lui permet quelquefois d’assister, de haut, à une attaque (par exemple en juillet 1915 sur le Reichakerkopf). En décembre, sur l’Hartmannswillerkopf, il a une vision large de la bataille et, en même temps, la possibilité de voir le sang ruisseler et d’entendre les « han ! » et les râles du combat au couteau, ce qui rend cette dernière partie du témoignage peu crédible.

Un matin, comme il est très bon tireur, il a la possibilité de tuer un Allemand qu’il voit en train de travailler, mais il ne tire pas parce que ce serait lâche, et sa conscience l’approuve (p. 59). Même s’il ne souhaite pas décrire pour sa jeune fille les scènes les plus atroces, il raconte cependant comment les restes d’un sergent pulvérisé par un obus, ramassés par ses camarades, tiennent finalement dans une boîte de biscuits (p. 93).

Chargé de distribuer le courrier, il note que « les lettres sont au moral ce que le ravitaillement en vivres est au corps » (p. 60). Puis il décrit aussi dans le détail la façon dont s’effectue le ravitaillement en ligne à partir de la cuisine roulante (p. 74). Il n’hésite pas à mentionner une cuite personnelle après quatre bouteilles de champagne (p. 96). Détail amusant : lorsque des dragons viennent renforcer les fantassins, ils ne savent pas confectionner le sac, et ne l’ont jamais porté (p. 104).

De la p. 125 à la p. 130, l’épisode de la blessure et des premiers soins est également à retenir.

Rémy Cazals, juin 2011

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Grison, Pierre (1889-1977)

1. Le témoin

Fils d’un ingénieur de compagnie de chemin de fer, Pierre Grison est né à Paris le 15 mai 1889. Il est l’aîné de quatre garçons dont trois feront la guerre de 14, l’un étant tué dans la Somme en novembre 1916. Son enfance se déroule en Touraine et dans l’Orléanais. Brillantes études classiques au collège Saint Grégoire de Tours : il va parsemer ses carnets de citations latines et grecques ; au front, il va lire Aristophane « pour passer le temps ». Famille très pieuse et patriote. Il souhaitera la victoire totale et non une paix de compromis (mais ces questions occupent peu de place dans le témoignage). Il prépare Polytechnique à l’école Sainte Geneviève de la rue des Postes à Paris, mais échoue. Il s’engage en 1910 dans l’artillerie. Il est nommé sous-lieutenant le 2 août 1914 (au 20e RAC de Poitiers), lieutenant le 4 avril 1916. Après la guerre, il poursuit sa carrière dans l’armée. Décédé en 1977, il avait demandé pour ses obsèques la même simplicité que celle du temps de guerre, avec une messe exclusivement en latin.

2. Le témoignage

Pierre Grison a rempli au jour le jour 6 petits carnets, au crayon, qu’il a ensuite recopiés et complétés à la plume. L’édition a été préparée par son fils Marc : Pierre Grison, La Grande Guerre d’un lieutenant d’artillerie, Carnets de guerre de 1914 à 1919, préface de Guy Pédroncini, Paris, L’Harmattan, 1999, 294 p., croquis, cahier photo, index des noms de personnes. Les notes quotidiennes sont très brèves, sans développement, par exemple : « Je reste à la batterie. Beau temps. » ou « Je vais à l’observatoire. Le téléphone ne marche pas. » L’ouvrage se prête mal à une lecture suivie, mais l’historien peut y glaner des informations.

3. Analyse

D’abord dans l’ordre chronologique :

Le départ se fait dans l’enthousiasme et les illusions. Un officier d’état-major affirme que « l’artillerie allemande n’existe pas devant nos 75 ». En août et septembre, ce ne sont que marches dans tous les sens, on s’empêtre, on se dépêtre ; les hommes sont éreintés ; les chevaux, exténués, « crèvent comme des mouches ». Les services sont en débandade, on se perd. Le 12 septembre, Pierre Grison note : « Je n’ai encore rien vu de plus démoralisant que cette marche. » Le 5 octobre, il signale de nombreux cas de typhoïde. Durant l’hiver, son régiment se trouve près d’Ypres et des Anglais. Le 23 décembre, trois officiers d’artillerie passent la journée dans les tranchées. L’un « siffle des airs allemands dans un poste d’écoute. Les Boches lui répondent. » En Artois, au printemps, le 20e occupe le secteur bien connu de Louis Barthas : Ablain, Barlin, La Bassée, le Fond de Buval… Puis Pierre Grison croit mourir d’ennui au cours d’une « période de tir sur avions invisibles ». En octobre 1915, il obtient déjà sa deuxième permission. En décembre, toujours en Artois, il signale les fortes pluies mais ne dit rien des fraternisations ; soit il n’a pas vu ce que faisaient les fantassins des deux camps, contraints de sortir des tranchées pour ne pas se noyer, soit il n’a pas voulu en parler. Le régiment est à la cote 304 et au Mort-Homme (mars-mai 1916), en Champagne (mai-septembre), dans la Somme (fin 1916). De mars à novembre 1917, P. Grison se considère comme « embusqué », instructeur à l’école de Fontainebleau, puis stagiaire à Arcis-sur-Aube. Au 118e régiment d’artillerie lourde, le voici en Belgique, dans la Somme en avril 1918 au moment où la retraite s’accompagne de beaucoup de désorganisation, puis à Verdun, et dans l’Aisne où la pression ennemie oblige à tirer d’une façon que les professeurs d’Arcis ne trouveraient guère orthodoxe (p. 234). Du côté de Laffaux, Grison parcourt les paysages photographiés par Berthelé : Fruty, Vauxrains, Allemant. Puis c’est le 11 novembre. Il trouve que « les conditions de l’armistice sont terribles pour les Boches » ; les journaux parlent de la rive gauche du Rhin : « L’appétit vient en mangeant » ; la paix de Wilson recèle des « nuées » (p. 256), et P. Grison ne croit guère en la Société des Nations.

Le livre renseigne aussi sur la guerre des artilleurs :

Il est clair qu’ils ne connaissent pas les souffrances des fantassins. Si Grison tombe dans un trou d’obus plein d’eau, c’est un accident (p. 131). Certes, les risques existent. Des camarades sont blessés ou tués. Il est lui-même enterré par un obus, mais il s’en sort sans mal. Un grave danger, signalé à plusieurs reprises est l’éclatement du canon (p. 70, 75, 163). Les fantassins parlent souvent des pertes occasionnées par des tirs trop courts de l’artillerie amie. Ici, ils sont reconnus par un artilleur (p. 53, 116). On apprend ce qu’est un tir de superposition (tir de plusieurs unités concentré sur un même objectif, p. 120) ; le rôle des plaquettes (pour donner à l’obus une trajectoire plus courbe, p. 43) ; le calcul de « la hausse du jour » qui doit tenir compte du vent, de la température, de l’humidité, p. 121). Les lignes téléphoniques sont souvent coupées ; on utilise le canon contre les réseaux de fil de fer (le 10 juillet 1916, 300 coups dans la matinée pour faire une brèche, puis 200 coups l’après-midi, p. 116). On apprend aussi que le nouveau canon Pd7 « ne vaut rien », surtout comparé au bon vieux 75.

Rémy Cazals, juin 2011

 

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Verly, Félicien (1893-1980) et Henri et Léon Verly

1. Les témoins

Les Verly, originaires de Flandre belge, se sont fixés à Herlies, département du Nord, où le père de six enfants exerce la profession de tailleur d’habits, ayant, par un travail intense, acquis suffisamment d’aisance pour envoyer ses fils au collège. Le principal témoin est l’aîné des fils, Félicien (1893-1980). Ajourné pour faiblesse en 1913, il décide en 1915, avec son frère Henri, de devancer l’appel de la classe 15 et des ajournés des classes précédentes afin de pouvoir choisir l’artillerie. Le 11 novembre 1915, au dépôt du 15e RAC, les deux frères écrivent (p. 154) : « Je remarque que bientôt nous aurons 6 mois de service ! Je crois n’avoir pas eu tort en poussant à la roue pour nous engager dans l’artillerie. Je parie que nous sommes encore au dépôt pour à peu près autant de temps. Tandis que ceux qui sont dans la Bif… » Léon, classe 18, qui a commencé une carrière d’enseignant dans un collège catholique, ne parvient pas à suivre ses aînés. Mobilisé dans l’infanterie, il recevra les conseils donnés à un bleu : jouer sur les horaires des trains ; respecter les anciens, mais surveiller son porte-monnaie ; éviter les piliers de bistrot ; résister au découragement ; faire de son mieux et se laisser engueuler par les gradés sans protester (p. 449-458). Quant à la famille, le père et les deux filles ont dû fuir devant l’avance allemande. La mère est restée et n’a pu rejoindre la France, via la Suisse, qu’en décembre 1915. On ne dispose pas de récit de sa part, seulement d’allusions indirectes dans la correspondance : elle aurait subi beaucoup de tracasseries administratives en France même.

Félicien, brigadier en novembre 1916, maréchal des logis en août 1917, resta jusqu’à la fin de la guerre dans l’artillerie. Il se maria ensuite, et eut trois enfants. En 1941, il dirigeait l’agence du Crédit du Nord dans un village ; on nous dit qu’il admirait le maréchal Pétain. Henri, blessé le 4 septembre 1916, se débrouilla pour se faire réformer. Il deviendra photographe à Strasbourg et participera à la Résistance.

2. Le témoignage

Le corpus comprend un millier de lettres de divers membres de la famille et de proches ; 558, numérotées, sont données dans le livre qui s’appuie aussi sur les souvenirs rédigés par Léon à l’âge de 76 ans, et sur quelques notes de celui-ci portées sur des livres qu’il a lus. Marc Verly, petit-fils de Félicien, qui a préparé le livre, fait une intéressante remarque. Il a lui-même 36 ans lorsqu’il découvre ces phrases de son grand-père (30 mars 1916) : « Nous jouons matin et soir à la balle… C’est amusant. On passe le temps. Sache que des vieux de 36 ans jouent avec nous. » Les éditions Anovi ont publié en 2006 le livre de 656 pages avec un cahier de photos : Félicien, Henri et Léon Verly, C’est là que j’ai vu la guerre vraie, Correspondance et souvenirs des années de guerre 1914-1918. Les lettres sont données sans retouches, mais on a procédé à une sélection et à des coupures. On trouve en annexe l’inventaire mobilier de la famille en vue de l’indemnisation d’après-guerre (p. 635) et la description d’une batterie d’artillerie de campagne (p. 645). Marc Verly a rédigé les pages d’accompagnement qui replacent les lettres dans le contexte de la guerre. Il montre assez bien comment la lassitude et les aspirations à la paix coexistent avec le loyalisme et la docilité, mais parler de patriotisme « résolu » paraît un peu forcé (p. 479). La conclusion s’achève sur la fameuse citation d’un ancien combattant sur le plaisir de tuer, publiée par Antoine Prost, reprise par nombre de manuels scolaires pour illustrer le thème non moins fameux de la violence consentie et pratiquée avec jouissance. Or, d’une part, on ne voit pas le rapport entre ce récit de coup de main de fantassins rampant vers la tranchée ennemie et la guerre des artilleurs qui est le sujet du présent livre ; d’autre part, Antoine Prost a montré plus tard le caractère suspect de ladite citation (dans son article : « Les limites de la brutalisation : tuer sur le front occidental, 1914-1918 », Vingtième siècle, Revue d’histoire, n° 81, janvier-mars 2004).

3. Analyse

Dès leur arrivée au régiment, les frères Verly recherchent les « pays », plus tard, ils découvriront leurs tombes ; ils mentionnent le coup de grisou de Barlin du 16 avril 1917 et s’étonnent qu’on n’en parle pas dans les journaux (p. 459). Le système D règne à la caserne où ils sont mal nourris, « juste un peu mieux que les cochons » (p. 108). Comme André Aribaud (voir notice), ils décrivent les terribles chevaux qui mordent, ruent et ne se laissent pas monter (p. 120). Ils utilisent des codes très simples pour indiquer où ils se trouvent. Ils ont la chance d’échapper à Verdun puisqu’ils ne rejoignent leur unité sur le front qu’après qu’elle y ait été très éprouvée et qu’on l’ait envoyée au repos dans la partie d’Alsace conquise en 1914, le pays de Dominik Richert (voir notice). Ils espèrent ensuite que l’offensive de la Somme sera décisive ; ils y découvrent la boue et le manque d’eau potable, et bientôt « la guerre vraie dans toute son horreur » (p. 286). Voyant ce que coûte une avance de quelques kilomètres, Henri estime qu’on ne gagnera pas la guerre de cette façon (p. 294). Félicien souhaite la fine blessure, « un petit éclat dans un bras ou une cuisse » (p. 296), mais c’est Henri qui est touché lorsque les deux frères, détachés pour suivre l’avance de l’infanterie et dérouler une ligne téléphonique, sont sortis de la tranchée. « Félicien qui était avec moi m’a fait le premier pansement, puis je l’ai quitté », écrit Henri à ses parents depuis l’ambulance. Soigné à l’hôpital du Grand Palais, à Paris, il se plaint de la nourriture et des infirmiers, mais estime que c’est « une grande chose » d’échapper à la campagne d’hiver. Plusieurs lettres évoquent l’espoir de devenir le filleul de guerre d’une dame de la Haute, mais cela n’aboutit pas. Par contre, sa ténacité lui fait obtenir d’être réformé.

Resté dans la Somme, Félicien en a marre (30/09/16). Plus tard, le calme front de Champagne lui fait écrire : « Ici on ne se croirait pas à la guerre, il fait bon, pas d’obus qui tombent, enfin c’est le rêve, la guerre de cette façon, c’est chic ! » (4/12/16). En ce mois de décembre, les soldats entendent parler des propositions de paix allemandes : « Ici les poilus sont tous d’accord, ils demandent la paix à grands cris. » Désormais, Félicien parle sans arrêt de la paix ; il demande à sa famille si les civils s’en préoccupent. La guerre est qualifiée de « calamité », « terrible fléau » ; elle est « horrible », « maudite ». « Que la guerre finisse d’une façon ou d’une autre c’est tout notre désir, et que cela aille vite » (17/03/17). « Il est grand temps que tout cela finisse et que la paix vienne nous remettre dans le calme de la vie d’avant guerre » (3/04/17). « Quand finira cette guerre, je l’ignore, mais je voudrais que cela finisse de suite » (10/07/17). « Que la guerre finisse, on n’y pensera plus et adieu au métier des idioties » (7/01/18). Il lui faudra cependant subir encore, avec le 215e RAC, les durs combats de 1918 sur lesquels la documentation épistolaire est plus réduite.

De son côté, le jeune Léon, en caserne en Limousin, assiste à la « victoire » du camp de La Courtine sur les troupes russes mutinées. Il ne prend aucun parti. Dans une lettre, Félicien traite ces Russes de « saligauds », mais il ne faut pas sur-interpréter cette expression : il qualifie aussi son capitaine de « salaud ».

Rémy Cazals, juillet 2011

 

 

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Perrin, François (1875-1954)

1. Le témoin
La vocation militaire, dans la famille Perrin, remonte à un aïeul prestigieux, Victor, maréchal de Napoléon. François Perrin est né à Besançon le 6 avril 1875. Il a étudié la médecine à l’école du Service de santé de Lyon et au Val de Grâce. Il est nommé à Colomb-Béchar, dans le Sud-Oranais, où il participe en 1908 aux opérations aux confins du Maroc ; puis à Tours au 66e RI en 1909 ; à Saint-Dié au 3e BCP en 1913. Marié en 1910, il a une fille en 1911 et un fils en 1914. Dès août 14, lors des batailles de Lorraine, il est capturé avec son équipe médicale, puis rendu à la France via la Suisse. Après une période d’activités mal définies, dont il se plaint, il a la charge d’une ambulance chirurgicale, d’août 1915 à avril 1917. Malade, il doit abandonner. Il prend sa retraite en Touraine en 1920. La défaite française de 1940 le choque profondément. Il meurt à Tours en 1954.
François Perrin admire Lyautey. Il déteste les députés et les magouilles, les francs-maçons, les radicaux (parmi lesquels Chautemps et Besnard, « deux immondes politiciens ») et les socialistes, et « les métèques qui vivent à nos crochets ». Jaurès est attaqué nommément une fois, et indirectement une autre (p. 162) : « S’apitoyer sur le sort du troupier, faire étalage d’un humanisme outrancier sous le panache de l’avenir du pays, de la défense nationale, de la sécurité des familles et de la patrie, constituent une plate-forme électorale de tout repos. […] Revendications militaires, ouvrières, sociales : éléments rabâchés qui préparent le désordre et l’anarchie mais assurent la fortune des politiciens sans scrupules et sans conscience qui s’appliquent à les faire naître. »

2. Le témoignage
François Perrin a écrit ses mémoires dans les années 1943-44. Son petit-fils, Eric Perrin, en présente le texte sous le titre : Un toubib sous l’uniforme, 1908-1918, Carnets de François Perrin, éditions Anovi, 2009, 347 p., illustrations. Des notes apportent des rectifications quand les souvenirs de l’auteur sont fautifs. La Grande Guerre n’occupe qu’un tiers du livre, mais la vie d’un médecin militaire au cours des années qui la précèdent apporte une information utile.

3. Analyse
– Les quatre premiers chapitres décrivent le combat de Menabba (16 avril 1908) et d’autres opérations aux confins du Sud-Oranais et du Maroc.
– La vie en garnison à Colomb-Béchar est ensuite évoquée, avec la nécessaire surveillance sanitaire du personnel des maisons closes, « lourde responsabilité morale » vis-à-vis des jeunes officiers. Un passage spectaculaire décrit une invasion de criquets.
– La transition entre Colomb-Béchar et Tours (p. 119) : « Enfin, l’homme normal est créé pour fonder une famille et non pour garnir sa solitude, sans combler le vide de son âme, avec les épanchements de petites alliées plus ou moins voluptueuses, compréhensives et colorées. »
– La vie d’un officier dans une garnison de la province française est décrite avec bien des détails : visites protocolaires, conspiration pour le marier, rencontre de la jeune fille idéale, les approches, l’accord, le trousseau…
– Au cours de la première phase de la guerre de 1914, l’auteur évoque les illusions de victoire lors de l’avance en Lorraine, les avertissements des habitants annonçant le piège (p. 224) qui, en effet, se referme sur les Français. Perrin décrit l’horreur du champ de bataille et la « boucherie désespérante » (p. 241) que représentent les opérations de « centaines de blessés français et allemands mélangés, entassés, souvent sur le sol nu, dans des granges, des remises, des écuries » (p. 243). Capturés, Perrin et ses aides opèrent en compagnie des médecins allemands, jugés trop interventionnistes : « grâce à l’ascendant que nous prenons immédiatement, nous sauvons heureusement pas mal de bras et de jambes » (p. 246). Tout en détestant les Allemands, Perrin note (p. 232) : « On en apporte de tous côtés [des blessés]. On ne sait plus ou les mettre. Français et Allemands sont pour ainsi dire couchés les uns sur les autres. Et aussitôt nous remarquons une évolution psychologique étonnante. Nos hommes se desserrent, aident les Boches à s’installer. « Attends, mon pauvre vieux que je t’arrange » et réciproquement ceux-ci sont pleins de pitié pour leurs voisins. La haine a totalement disparu. Ils sont tous des victimes de la guerre et fraternisent sans réserve dans la douleur. » L’expérience lui inspire une critique détaillée du Service de santé français et même allemand.
– Dans la période où ses activités sont mal définies, il montre le travail d’un officier d’administration chargé d’envoyer aux familles les objets personnels des tués (p. 266, voir aussi la notice Blayac). Il décrit une ambulance russe et les orgies qui s’y déroulent (p. 269), et les salons d’Epernay pleins d’embusqués, de « jeunes et robustes fils de famille soigneusement casés au volant d’un camion ou d’une auto du train des équipages » (p. 273). Quant au secteur de Craonnelle et Maizy, en juin 1915, il est « pépère » ; on se fiche la paix des deux côtés. « C’est dans ce secteur que le soir de Noël 1915 un réveillon réunit dans un trou d’obus mitoyen quelques-uns de nos poilus avec des compagnons d’en face. Le commandement ordonna aussitôt, sous peine de conseil de guerre, de mettre un terme à cette fraternisation excessive » (p. 289, mais le docteur Perrin ne se trouvait plus dans le secteur à cette date, et il a dû entendre parler de l’épisode, sans l’avoir vu).
– Chargé de l’ambulance 1/155, il montre un remarquable sens de l’organisation (voir aussi la notice Viguier). Perrin serait le créateur des ambulances chirurgicales mobiles : « j’en revendique la paternité, écrit-il, en mon nom et en celui de mes collègues » (p. 294). Son équipe invente aussi un appareil pour fournir de l’oxygène afin de soigner les gazés (p. 307). Quant aux mutilations volontaires, le docteur Perrin les constate, mais ne les dénonce pas. Le mutilé acquitté et guéri remonte aux tranchées. « Qu’on fusille un déserteur qui passe à l’ennemi, oui. Mais mettre au poteau un gosse qui a déjà combattu et que le désespoir d’une vie impossible abat momentanément, c’est une erreur. Le cafardeux est un malade et, s’il a comparé sa vie avec celle des innombrables embusqués de Paris, sa maladie se conçoit et s’excuse » (p. 300).
– En guise de conclusion, une phrase du docteur Perrin (p. 321) remet en question la vision saugrenue de certains historiens présentant les médecins comme dévalorisés parce qu’ils ne participent pas au combat : « Il n’en est pas de plus belle [carrière], car il n’en est pas où l’on puisse, en faisant consciencieusement son devoir, éprouver autant de satisfactions morales. Certes il est de durs moments. Lorsqu’au combat l’ennemi est tout près, que les projectiles pleuvent, que l’on ne sait pas lequel vous est destiné, il faut un certain don de sang-froid, de courage même, pour continuer à donner ses soins, à opérer, sans manifester devant ses inférieurs l’émotion naturelle qui vous étreint. L’incertitude des vicissitudes de la lutte, la responsabilité du personnel que vous commandez, le devoir de venir en aide de votre mieux à ceux qui sont tombés créent une tension d’esprit qu’il faut avoir éprouvée pour la connaître. »

Rémy Cazals, juin 2011

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Le Petit, Jacques (1887-après 1966)

1. Le témoin
Quatrième enfant d’une famille de propriétaires fonciers possédant manoir des champs et maison de ville, Jacques Le Petit est né à Bayeux (Calvados), le 20 juillet 1887. Après le collège Sainte-Croix d’Orléans (qu’il désigne comme sa prison), il mène ses études de médecine jusqu’au doctorat obtenu en 1913. Installé au Mans, il est bientôt mobilisé comme médecin auxiliaire. Avec le 11e RAC, il fait la retraite d’août et la marche en avant de septembre 1914. Médecin aide-major, il passe au 5e RI puis au 129e en décembre. Blessé en juillet 1916, il est ensuite affecté à l’ambulance 4/54, puis à la 14/5, puis à l’arrière, à Caen. Il revient sur le front en juillet 1917 au 267e RAC. Une grave blessure, le 3 octobre 1918 met fin à sa guerre, après laquelle il revient au Mans et se marie en 1919.

2. Le témoignage
Jacques Le Petit s’est appuyé sur ses notes et les lettres à sa famille pour une rédaction qui date de 1966 ; il avoue parfois ne pas se souvenir de certains faits (p. 94, 109 par exemple). Sous le titre Journal de guerre de Jacques Le Petit, 1914-1919, Un médecin à l’épreuve de la Grande Guerre, des extraits de son texte ont été publiés en 2009 par les éditions Anovi (127 p.), ses héritiers proposant à qui le souhaite de consulter l’ensemble. Les chapitres suivent l’ordre chronologique. Chacun est précédé d’un résumé général des événements de la période. Croquis et photos viennent en complément.

3. Analyse
Ce médecin a vraiment vécu au milieu des hommes des tranchées. Il en a connu les conditions de vie (voir p. 53 : les mouches ; p. 59 : la boue « fantastique » de la Somme) et il en a partagé les sentiments contre les profiteurs (p. 82), les embusqués (p. 83) et même contre les civils sans distinction (p. 58 : ils sont ignobles ; p. 90 : « les civils restant l’ennemi héréditaire »). Il critique à plusieurs reprises le bourrage de crâne (p. 46, 49, 50) et annonce qu’il va essayer de s’abonner à La Tribune de Genève (p. 90) « pour savoir la vérité si possible ». Hostilité aussi envers les artilleurs (p. 44, janvier 1915) : « Les artilleurs ont beaucoup de munitions maintenant, et ils se font même eng… quand ils n’ont pas tiré dans la journée le nombre de coups imposés. Ils ne savent d’ailleurs pas toujours sur quoi ils tirent ; leur coup tiré, ils se cachent et c’est nous qui recevons la réponse. »
Proche des soldats, il les voit se livrer à des jeux étranges avec les Allemands d’en face (p. 44, secteur de Pontavert, janvier 1915) : « D’une tranchée à l’autre, on met parfois des cibles, souvent des marmites ou de vieilles ferrailles, et on signale consciencieusement à l’ennemi les « rigodons », c’est-à-dire les coups au but. » Et encore (p. 46, secteur de Concevreux, février 1915) : « Les Boches nous envoient des patates et nous demandent des journaux ; ils mettent des écriteaux annonçant un nombre kolossal de prisonniers russes et nous ripostons par des chansons sur Guillaume. Nous mettons des écriteaux disant : « Il ne vient pas souvent vous voir, votre empereur, le nôtre vient ce soir. » À la fin de l’après-midi, on promène en première ligne, au bout d’un bâton, un chapeau haut-de-forme que les Boches canardent de leur mieux. »
Les épisodes particulièrement décrits sont le départ en août 14 avec un « moral splendide », en route pour Berlin, d’autant que les nouvelles sont excellentes. C’est ensuite la retraite (p. 25) : « Retraite dans l’ignorance de tout, au milieu des incendies dont on donne diverses explications, des mugissements de bestiaux abandonnés qui nous suivent, ainsi que le son du canon toujours derrière nous, au milieu des convois de fuyards dirigés tant bien que mal par les gendarmes, et des vaches qui gémissent de ne plus être traites (et que nous trayons au passage pour boire un peu), échappées de leurs prés, leurs clôtures étant hachées par l’artillerie. » En septembre 1915, c’est l’offensive en Artois, vers Neuville-Saint-Vaast. En avril 1916, Verdun : la soif, la poussière, l’air irrespirable, l’insomnie (p. 74). « Les hommes sont éreintés, les seules ébauches de boyaux qui existent les obligent, en dehors des attaques fréquentes, à rester tout le jour aplatis par terre sous le bombardement meurtrier sans aucun mouvement ; la nuit, ils manient la pelle et la pioche pour s’enterrer. »
Si la blessure est une aubaine, et si beaucoup de blessés ont évoqué l’hôpital comme un petit paradis, ce n’est pas le cas de Jacques, dirigé vers Lodève, oublié à la gare, transporté ensuite dans une charrette à fumier vers « une vieille bâtisse lépreuse, immonde et puante » sous la coupe d’une « vieille bonne sœur grincheuse », et négligé par le médecin, un embusqué.
Autres remarques :
– La découverte que les nuits peuvent être d’une noirceur absolue, mais que les soldats venus de la campagne « arrivaient à distinguer quelque chose » (p. 22).
– Entre Villenauxe et Montmirail, lors de la bataille de la Marne (p. 29) : la situation décrite (« Blessés et morts le long des routes ; ferme avec morts et blessés boches avec leurs infirmiers ») évoque celle de Hans Rodewald, exactement à la même date dans le même secteur (voir la notice Rodewald).
– Plus on lit de témoignages, plus on découvre de mentions d’exécutions. Ici p. 54 (9 août 1915, sans préciser le régiment ; il s’agit peut-être du 129e) et p. 77 (30 avril 1916, au 129e RI).
– Il faut signaler aussi les contacts, en été 1918, avec la 93e Division d’infanterie américaine, « coloured », illustrés par quelques photos.

Rémy Cazals, juin 2011

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Sévin, Antoine (1896-après 1986)

1. Le témoin
Fils de mineur du Pas-de-Calais, Antoine Sévin perd son père et tous les hommes de sa famille lors de la catastrophe de Courrières en 1906. Sorti de l’école primaire à 13 ans, il est engagé à la mine pour travailler au même puits où était mort son père. La famille fuit devant l’arrivée des uhlans en août 14. Lui-même est mobilisé le 8 avril 1915. Il fait ses classes et un entraînement au camp de La Courtine, et il est nommé caporal avant de partir au front au 9e BCP. Il est sergent à la fin de 1917.

2. Le témoignage
Antoine Sévin est un parent de Gaston-Louis Marchal qui a édité ses souvenirs en 1986 à Castres, sous le titre Ma chienne de jeunesse, De la catastrophe de Courrières à la guerre de 1914-1918, ronéoté, format A4, agrafé, tirage à 80 exemplaires numérotés. On sait que ces souvenirs ont été écrits « 70 ans après la guerre », mais on ignore si c’est spontanément ou à la demande de Marchal. Celui-ci a retouché le texte dans la forme, comme le prouve la comparaison entre deux passages en fac-similé et la version dactylographiée. Des « dessins automatiques » d’Antoine, qui « tournent aux monstres », illustrent le texte. Celui-ci manque de dates précises. Il semble ne pas s’appuyer sur des notes, mais sur le simple souvenir.

3. Analyse
Rencontrer des copains « du pays » est un bonheur à La Courtine. Au front, la découverte du premier mort porte un coup sensible au jeune soldat. À un aspirant issu d’une grande famille qui lui fait un cours de patriotisme et termine en espérant qu’il fera son devoir, Antoine répond qu’il le suivra partout (mais il ne l’a plus revu). Lors de la première corvée de ravitaillement, les cuisines sont détruites par un obus qui tue aussi des chevaux ; on repart en emportant des biftecks de cheval. Une blessure le sauve de l’attaque sur le Chemin des Dames qui est un véritable massacre ; sa marraine de guerre vient voir le fils de mineur à l’hôpital en calèche. Il se souvient du bois des Caures où Driant est mort ; du ravin du Cul du Chien, qui était dominé par les Allemands. Dans le secteur d’Avocourt, lors de l’hiver 1917-1918, l’inondation oblige à sortir des tranchées, et Français et Allemands fraternisent. Son unité est chargée de retarder la progression ennemie lors de l’attaque allemande sur le Chemin des Dames en mai 1918. Puis il participe à l’offensive du 15 septembre sur Mesnil-les-Hurlus, en liaison avec les petits tanks Renault, sous les obus à l’ypérite. Il enterre un camarade tué et repère la tombe pour informer ses parents. Il est en permission lorsqu’il apprend la nouvelle de l’armistice.

Rémy Cazals, juin 2011

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Felser, Marcel (1893-1944)

1. Le témoin
Auguste, Marcel, Étienne Felser est né le 26 décembre 1893 à Paris où son père était employé aux magasins du Louvre. La famille est catholique. Marcel devient ingénieur en électricité à Viroflay, canton de Versailles. Il est mobilisé au 36e RI dès août 1914, mais n’est envoyé sur le front que le 8 décembre 1915, au 1er Génie, pour s’occuper de l’électrification des défenses et observer les lignes ennemies. Caporal en août 1917, sergent en novembre, il passe au 21e Génie en avril 1918. Démobilisé en septembre 1919, il épouse une jeune fille rencontrée pendant la guerre à Gérardmer, dont il aura trois enfants. Il devient chef de réseau à la Société urbaine électrique à Sens, puis à Auxerre. Dans les années 1930, il effectue une visite familiale des champs de bataille. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, résistant, il est déporté à Buchenwald où il meurt d’épuisement le 10 décembre 1944. Son fils Jean fondera un des premiers jumelages franco-allemands.

2. Le témoignage
consiste en 400 plaques de verre ou négatifs sur support souple, conservés dans des boîtes en fer dans un grenier familial, et qui forment aujourd’hui la collection de Laurent Felser. 118 de ces clichés ont été sélectionnés dans le livre : Un regard sur la Grande Guerre, Photographies inédites du soldat Marcel Felser, préface et commentaires de Stéphane Audoin-Rouzeau, Paris, Larousse, 2002. Les clichés ont été pris dans les Vosges de 1916 à 1918, mais ils ne sont ni classés, ni légendés, ce qui, nous dit le préfacier, peut donner lieu à sur-interprétation. On en trouvera en effet des exemples ci-dessous.

3. Analyse
Les photos choisies ont été réparties en dix rubriques : 1. Autoportraits ; 2. Voir, observer [les hommes, leur matériel, les observatoires, le no man’s land, les positions ennemies] ; 3. Les croix de bois ; 4. Les camarades ; 5. Les femmes, une femme [sa fiancée] ; 6. Archaïsme et modernité [des ânes aux monstres de l’artillerie lourde] ; 7. Vers le front [aspects des boyaux] ; 8. Echappées [repas, loisirs] ; 9. Provinces perdues, provinces reconquises [avec sur-interprétation : « À elle seule, la flèche de la collégiale Saint-Thiébaut, présente sur tant de photographies de Marcel Felser, promettait le retour à la France de la flèche d’une cathédrale : celle de Strasbourg. » ) ; 10. Paysages détruits [sur-interprétation : « Avec leurs « pieds », leurs « troncs », leurs « têtes », comment les arbres n’évoqueraient-ils pas des être humains ? »]

Rémy Cazals, juin 2011

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